Intervention de Emmanuelle Ménard

Séance en hémicycle du mardi 26 mars 2024 à 15h00
Prévention des ingérences étrangères en france — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaEmmanuelle Ménard :

Les ingérences étrangères sont une menace actuelle, réelle et immédiate. Dans ce domaine, la cybercriminalité ne cesse de se professionnaliser et devrait encore gagner du terrain grâce à l'intelligence artificielle et à de nouvelles technologies ultraperformantes. Les menaces n'épargnent plus aucun secteur : particuliers, monde académique, entreprises, hôpitaux et, même, ministères.

Dans son rapport du 2 novembre 2023, la délégation parlementaire au renseignement a mis en garde notre assemblée contre une « forme de naïveté », concernant les « vulnérabilités » de la France face aux ingérences de la Chine et de la Russie, pour ne citer qu'elles.

Les propositions que la DPR formule dans son rapport ne s'adressent pas seulement au Gouvernement mais également aux élus locaux, dans la mesure où « les collectivités territoriales sont susceptibles d'accueillir des investissements étrangers pouvant constituer le support d'une éventuelle ingérence étrangère ». Elle recommande ainsi qu'une session de sensibilisation des élus aux risques d'ingérence soit systématiquement proposée au lendemain de chaque élection locale.

De même, en matière de commande publique, la préférence accordée aux moins-disants peut comporter des risques réels d'ingérences étrangères. En effet, les règles des marchés publics laissent souvent « peu de marges de manœuvre aux décideurs locaux pour écarter des entreprises dont le profil présente un risque potentiel pour la protection des intérêts fondamentaux de la nation ».

C'est pour répondre à cette menace que nous étudions aujourd'hui une proposition de loi qui prévoit des mesures étoffant l'arsenal législatif et juridique destiné à « protéger » la France et à déployer une « riposte démocratique face aux ingérences étrangères ».

La Russie, la Chine, l'Iran, la Turquie, l'Azerbaïdjan sont les principaux États qui se livrent à des ingérences en France. De l'infiltration à l'espionnage – pas seulement industriel –, des manipulations de grande ampleur à la déstabilisation de certains processus électoraux, leurs techniques sont parfaitement identifiées. Le texte qui nous est proposé a pour objectif d'aider à les contrer.

Il ne crée pas de nouveaux délits. S'il contient des dispositions intéressantes, notamment l'instauration de registres, il me semble, par certains aspects, imparfait ou, plutôt, incomplet. Ainsi, aucun moyen supplémentaire n'est alloué à la HATVP, à qui reviendra pourtant la gestion du registre des acteurs influant sur la vie politique française pour le compte d'une puissance étrangère. Autre faiblesse : l'établissement d'une liste de ceux qui, de facto, échapperont au qualificatif de « représentants d'intérêts agissant pour le compte d'un mandant étranger » : diplomates, avocats, associations à objet cultuel, entreprises éditrices d'un service de presse. Pourquoi ceux-là seraient-ils a priori exempts de soupçon ?

L'article 3 ne fera pas davantage consensus. Il ouvre la possibilité d'utiliser des algorithmes sur les données de connexion pour détecter des ingérences. Cette technique existe déjà en matière de lutte contre le terrorisme mais, compte tenu des modes d'action très diversifiés des terroristes, sa performance est assez limitée. Si la proposition de loi est adoptée, la technique de l'algorithme pourra aussi être utilisée pour défendre et promouvoir l'indépendance nationale, l'intégrité du territoire, la défense nationale et les intérêts majeurs de la France, ainsi que pour prévenir toute forme d'ingérence étrangère. Si elle semble désormais nécessaire pour contrer les méthodes de certaines puissances étrangères qui n'ont pas les mêmes scrupules, il faudra rester vigilant quant à son utilisation.

Le texte fait également l'impasse – n'en déplaise à Ludovic Mendes, qui n'est pas là –sur la situation des personnes, et plus particulièrement des élus, possédant la double nationalité. Ce point a pourtant été mis en exergue dans le rapport de la DPR. Je pose la même question qu'en commission : avec cette proposition de loi, les parlementaires ou ministres binationaux pourraient-ils être, du seul fait de leur double nationalité, suspectés d'ingérence étrangère en France ? L'amendement n° 54 , que j'ai déposé de nouveau en séance publique, préviendrait utilement ce risque de mise en cause abusive.

En conclusion, le texte qui nous est proposé reste, à mon sens, bien trop timide au regard des enjeux majeurs de sécurité auxquels est confrontée notre nation. Il est nécessaire d'adopter une approche globale et forte, à long terme. Surtout, la France doit protéger bien plus fermement ses actifs stratégiques. À ce stade, vous en conviendrez, c'est loin d'être le cas.

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