Intervention de Jean-Marie Guéhenno

Réunion du mercredi 20 mars 2024 à 11h00
Commission des affaires étrangères

Jean-Marie Guéhenno, professeur à l'Université Columbia, ancien secrétaire général-adjoint de l'ONU en charge du département des opérations de maintien de la paix :

La situation en Haïti nous met tous en cause. Il est tragique de ne pouvoir trouver de solution pour un pays de moins de 10 millions d'habitants. Le tremblement de terre dévastateur qui a frappé Port-au-Prince a remis en cause tous les progrès qui avaient été réalisés jusque-là. Une stratégie de redressement de Haïti passe nécessairement par la reconstitution d'une autorité politique. Créer cette autorité politique pose la question de la sécurité dans ce pays, ce qui implique une force plus robuste que les policiers kenyans ou béninois qui sont supposés se déployer à Haïti. De plus, les Haïtiens témoignent d'une grande méfiance à l'égard de l'étranger, en raison de l'histoire. Pendant plus d'un siècle, Haïti a par exemple payé à la France des dédommagements inimaginables. L'histoire de ce pays, le plus pauvre de l'Amérique, conjugue donc un mélange de sentiment d'humiliation et de fierté d'avoir chassé les armées de Napoléon. Ce mélange est psychologiquement très compliqué à gérer ; il est donc très difficile d'aider Haïti. S'y ajoute une criminalité à la fois liée à des gangs locaux mais aussi un trafic de drogue international très rémunérateur.

Les Américains, qui ont œuvré au début du siècle à l'amélioration des infrastructures de ce pays, sont aujourd'hui inquiets ; ils ne veulent pas que les Haïtiens débarquent sur les côtes de Floride mais ils ne veulent pas non plus s'impliquer dans le pays, conscients des conséquences politiques. Ils ont donc incité le Kenya à fournir une solution transitoire. L'ONU est quant à elle discréditée puisqu'elle a elle a très mal géré la crise du choléra et a longtemps nié sa responsabilité dans cette crise, ce qui était absurde. Les États d'Amérique latine, comme le Brésil ou le Chili, qui ont joué un rôle utile et constructif dans les opérations des Nations Unies, ne sont pas non plus prêts à s'impliquer pour Haïti, pays orphelin. Aujourd'hui, nous essayons plus de contenir le problème que de le régler.

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