Intervention de Marc Dufumier

Réunion du lundi 18 mars 2024 à 18h30
Commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté alimentaire de la france

Marc Dufumier, professeur honoraire à AgroParisTech, président de la fondation René-Dumont :

Le terme de souveraineté fait bien plus franchouillard que celui de sécurité ; ceux qui l'emploient veulent-ils parler de repli sur soi ? Il me semble qu'il existe des moyens de s'assurer une sécurité alimentaire qui repose au contraire sur la solidarité. Ainsi, l'Union européenne pourrait dénoncer l'accord de Blair House – qui a sanctuarisé, à la suite du plan Marshall, l'absence de droits de douane sur l'importation de protéagineux – devant l'organe de règlement des différends (ORD) de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Il y aurait deux ou trois ans de contentieux, mais comme les juristes pensent que les accords de Paris, ratifiés par 196 pays, prévalent sur les accords commerciaux, nous aurions toutes les chances de gagner. La France exporterait moins de céréales, qui font du tort aux producteurs de mil et de sorgho sénégalais – sans compter qu'ils ont tout intérêt à être moins dépendants de nos excédents de céréales – et importerait moins de soja et de gaz naturel, grâce à la fertilisation biologique des sols par les légumineuses : nous gagnerions sur les deux tableaux !

Imaginons ensuite que nous instaurions une taxe sur les engrais azotés de synthèse pour moins dépendre des énergies fossiles : nous pourrions nous en servir tout de suite pour rémunérer les légumineuses. Les agriculteurs, droits dans leurs bottes au lieu de mendier des aides, abandonneraient la fertilisation chimique, devenue trop coûteuse, au profit de la fertilisation biologique devenue rentable – et voilà que leur intérêt privé correspondrait à l'intérêt général. Voilà ce qu'est la souveraineté des peuples !

Si nous parvenions à nous protéger du soja brésilien, nous ne ferions aucun tort aux Brésiliens. Je vous assure que ceux que je rencontre, à l'occasion de mes conférences dans ce pays, ne sont pas fiers de nourrir les cochons, volailles et ruminants français : ils préféreraient que leur production serve à l'alimentation locale ! Les Brésiliens qui désherbaient les champs, dont l'activité a été remplacée par les désherbants, vivent désormais dans des favelas : ils n'ont pas les revenus suffisants pour acheter du soja – les cochons français sont plus riches qu'eux ! Il faut se battre contre ces écarts de revenus, et il faut faire partout un usage intensif des ressources gratuites et pléthoriques comme l'énergie solaire, le carbone du gaz carbonique, l'eau de pluie, l'azote de l'air, les champignons mycorhiziens et les éléments minéraux du sous-sol. Voilà une voie solidaire, pas franchouillarde.

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