Intervention de Judith Godrèche

Réunion du jeudi 14 mars 2024 à 14h00
Délégation aux droits des enfants

Judith Godrèche, actrice, scénariste, réalisatrice et écrivaine :

Tout d'abord, je pense vraiment qu'un enfant n'est pas en mesure de se protéger dans ce cadre-là, celui d'un rapport d'autorité et de pouvoir, quelle que soit l'éducation sexuelle qu'il a reçue. Il n'y a pas de prévention qui donnerait à un enfant la capacité de se défendre.

Par ailleurs, quand il s'agit de mineurs, il y a une double dépendance et un double fantasme : d'un côté, le désir du producteur, du réalisateur, leur pouvoir de séduction ; de l'autre, les parents, qui peuvent être impressionnés, séduits, souhaiter le succès de leur enfant, sans savoir exactement ce qui se passe dans le milieu du cinéma.

Il n'y a aucune formation obligatoire pour faire passer un casting à un enfant, aucune différence entre un directeur de casting selon qu'il voit des adultes ou des enfants. Ces personnes n'ont aucune formation psychologique, elles s'adressent à un enfant comme à un adulte. Quand un parent ne peut pas accompagner son enfant parce qu'il ou elle travaille à temps plein, l'enfant prend le métro sans eux pour aller faire son casting seul. Même quand les parents accompagnent leur enfant, ils ne sont jamais dans la pièce avec lui : il se retrouve seul avec le directeur de casting.

Il serait important d'imposer qu'il y ait une tierce personne en permanence dans cette pièce avec ce directeur de casting qui, comme je l'ai dit, peut être absolument n'importe qui. Vous êtes un aventurier qui a envie de se reconvertir, un ami réalise un film et vous propose de vous occuper du casting : vous pouvez aller attendre devant le lycée Victor-Hugo pour voir s'il y a des jeunes filles qui correspondent au profil du rôle et les aborder en disant « vous aimeriez jouer dans un film » ? Combien de jeunes filles vous diront non ? Probablement aucune. Et c'est comme ça qu'une histoire se raconte, et cette histoire n'est pas toujours drôle.

Pour les agents qui représentent des enfants, il n'y a plus de licence obligatoire. Si demain vous avez envie de devenir agent pour enfants, c'est possible. Aucun risque que l'on vous retire votre licence si vous vous comportez mal, puisqu'il n'est pas nécessaire d'en avoir une. On peut s'improviser agent pour enfants comme directeur de casting, et, de nouveau, se retrouver seul dans une pièce avec un enfant, expliquer aux parents ce qu'il est nécessaire de faire – pourquoi refuser ? En fonction de votre intérêt, de votre moralité, de votre influence sur ces parents qui ne savent pas tout de la manière dont les choses se passent, vous pouvez leur raconter n'importe quoi.

Mais, au-delà de ces deux problèmes, la famille du cinéma est une famille coupée du monde extérieur, entourée d'une aura de magie et de mystère. On ne voit rien, parce qu'on ne veut rien voir. Cette famille doit regarder ses erreurs en face et accepter de se remettre en question. Si nous voulons voir se lever enfin un jour nouveau, les personnes à la tête d'institutions comme le CNC – j'y reviens – doivent se comporter de manière exemplaire, irréprochable. Car cette industrie est malade : malade de son manque de respect envers les enfants et les femmes, malade de ses violences sexistes et sexuelles, qui se reproduisent chaque jour.

Je vais vous faire part de mes préconisations. D'abord, comme je le disais, rien n'encadre le casting. Le collectif 50/50, qui m'a fait parvenir des documents me permettant de prendre la mesure de cette lacune, propose de rédiger, en association avec des syndicats de la profession, des chartes de bonne conduite destinées aux établissements accueillant les castings, notamment les écoles et les centres de loisir. En effet, si vous vous présentez en tant que responsable de casting à une directrice d'école en lui demandant l'autorisation de vous entretenir avec des enfants et de les filmer dans une salle de classe, il est probable qu'elle ne se pose pas trop de questions. Elle ne sait pas que le cinéma est une industrie dans laquelle se passent des choses terribles avec les enfants : pourquoi s'opposerait-elle à ce qu'un réalisateur, ayant pignon sur rue, fasse réaliser un casting dans son école ? Mais ce qui se passe ensuite dans la salle de classe, personne ne le sait.

Il faut donc sensibiliser les responsables de ces établissements et les avertir que, lorsqu'ils sont sollicités de la sorte, un système d'encadrement devrait être instauré. Peut-être la Drieets (Direction régionale et interdépartementale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités) devrait-elle être sollicitée dès cette étape préliminaire. Il arrive souvent que des réalisateurs entreprennent un casting avant même d'avoir un budget et des enfants peuvent être auditionnés pour un projet de film qui n'aboutira jamais.

Quand on cherche un enfant pour un rôle, on choisit en fait deux enfants, au cas où la Drieets ne délivrerait pas l'autorisation pour le premier choix, un autre enfant est désigné comme deuxième choix. Si cela peut se justifier, il faut prendre la mesure de ce que cette position de deuxième choix peut avoir de déstabilisant, pour des enfants, ces petits êtres humains, qui investissent leur dans la possibilité d'être pris : l'attente et, éventuellement, la déception. Si cette pratique persiste, il faudrait un accompagnement psychologique pour ces enfants du deuxième choix, du non-choix.

Sur un tournage, la présence d'un coach formé pour accompagner les enfants n'est pas obligatoire. Ce rôle peut être joué par un stagiaire, un troisième assistant-réalisateur, sans aucune formation spécifique, notamment en psychologie. Il n'y a pas même d'obligation que quelqu'un soit simplement là pour l'enfant.

Quand un enfant doit jouer un rôle émotionnellement très difficile, aucun soutien psychologique n'est prévu pour les jours qui suivent le tournage. Mais une transition serait peut-être nécessaire, avant le retour à la vie normale, pour qu'il puisse comprendre que c'est terminé, que ce n'était qu'un rôle. Lors d'un casting, on peut poser à un enfant des questions très intrusives sur sa vie privée, ou des questions très difficiles, sur des sujets de société : comment peut-il comprendre qu'on les lui pose ? Absolument tout est possible.

Quand un réalisateur a choisi un enfant pour un rôle, il doit déposer un dossier à la Drieets. Ce sont souvent les assistants de production – parfois même des stagiaires – qui le constituent. Le collectif 50/50 propose qu'il faille y ajouter des attestations sur l'honneur, pour les productrices et les producteurs comme pour les réalisatrices et les réalisateurs, qu'ils ont pris connaissance des horaires autorisés et du cadre légal du travail des mineurs, et qu'ils s'engagent à adopter des protocoles adaptés spécifiquement aux enfants.

Il faudrait également que les scénarios soient lus par des coordinatrices d'intimité – dont la présence sur un tournage, à l'heure actuelle, n'est même pas obligatoire – afin d'analyser les situations nécessitant un traitement particulier, au-delà des seules scènes de nudité et de représentation de la sexualité.

Cela ne changera pas le monde, mais impliquerait les producteurs et les réalisateurs et susciterait, sur cette question du traitement des enfants souvent vue sous le seul prisme négatif des horaires de travail, des réflexions qui pour le moment arrivent trop tard et sont trop réduites. La présence d'un coordinateur d'intimité, d'un coach, devrait être obligatoire tout comme celle d'un répétiteur formé pour le travail avec des enfants. D'autres problèmes existent encore, comme celui des demandes de dérogation pour le travail de nuit.

On m'a souvent dit une chose qui me paraît extrêmement choquante : sur les tournages, les dresseurs d'animaux sont plus écoutés que les personnes qui encadrent les enfants…

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