Intervention de Judith Godrèche

Réunion du jeudi 14 mars 2024 à 14h00
Délégation aux droits des enfants

Judith Godrèche, actrice, scénariste, réalisatrice et écrivaine :

Je pense précisément que pour que les informations ne viennent plus de moi mais que vous les ayez directement, il serait nécessaire que je vous fasse parvenir tous les documents et les contacts afin d'aller vite. Il y a des choses qui me révoltent.

Il faut faire entrer la loi dans le cadre et l'exception culturelle ne peut pas justifier que le monde de la culture échappe aux lois ordinaires. Il aime se raconter qu'il est une famille et qu'il est uni par le lien si fort d'un idéal artistique auquel tout le monde croit – comme dans l'Église catholique, considérée comme une famille réunie par une même croyance. Le déni du pouvoir – qui est pourtant à l'œuvre dans le cinéma, avec un artiste tout-puissant – est dangereux. Des abus de pouvoir ont donc lieu. C'est exactement le même système d'oppression du plus faible qui fonctionne dans d'autres milieux. Les témoignages que je reçois pourraient être transposés.

Je me répète, mais la famille du cinéma est une famille incestueuse, où le plus fort domine les plus faibles, c'est-à-dire l'enfant ou la femme, l'actrice, la technicienne, le jeune garçon – lesquels vont se sentir coupables et ne vont pas parler.

Un enfant qui fait un casting ne sait pas ce qui est bien et ce qui est mal. Lorsque l'on va voir un film, on est ébloui. On est pris, on rêve notre vie et on en oublie parfois même les souffrances de notre quotidien. On se sent moins seul. C'est la même chose quand on imagine qu'on va participer à un film. D'une certaine manière, la sacralisation de cet art que j'aime profondément donne à cet enfant l'illusion qu'il ne peut rien lui arriver. Les grands qui l'agressent ont sûrement raison, puisque c'est du cinéma.

Comment un enfant peut-il remettre en question la parole d'un adulte qui est en train de lui faire du mal sans que cet enfant le sache ou sans qu'il ose se l'avouer ? Avec quelle force psychique pourrait-il le faire ?

Quand on m'a dit de m'allonger sur le canapé, je me suis allongée sur le canapé – et je n'étais pas une enfant sans cerveau. Je n'ai pas su que j'avais le choix. C'était ma vie.

Le réalisateur et le producteur sont dans un rapport hiérarchique avec les comédiens et les comédiennes et les techniciens et les techniciennes. La preuve en est que les uns peuvent renvoyer les autres, et pas l'inverse. L'abus d'autorité doit donc être pris en compte de la même manière qu'il l'est dans d'autres circonstances.

Cette famille du cinéma marche au désir. Comment refuser de plaire ? Il faut être prise, être choisie. « Est-ce que je vais être prise ? On n'a pas de nouvelles du réalisateur ? Oh non ! Il ne m'a pas prise ! » Dès le départ le rapport s'organise autour du fait que l'on dispose de vous.

C'est à l'adulte et à la loi de mettre en place un cadre dans lequel on ne pourra pas disposer du corps de l'autre et où le réalisateur ne pourra pas abuser de son pouvoir. Même moi, je peux encore me retrouver dans une situation où je n'oserai pas dire non. C'est vraiment très compliqué.

Si les révélations d'abus commis sur des enfants lors de tournages privaient de financements publics les producteurs et les réalisateurs, peut-être se poseraient-ils les vraies questions.

Comment faire intervenir la loi ?

Tout est possible tout au long de la chaîne qui va du premier jour de casting à la fin du tournage.

Sur le tournage d' Icon of French cinema, une jeune actrice de 14 ans était mal à l'aise à l'idée même de rapprocher sa bouche de celle de Loïc Corbery dans certaines scènes. J'aurais pu lui dire que je voulais qu'elle se rapproche encore davantage pour que l'on puisse plus facilement croire qu'elle l'embrasse. Mais au nom de quoi l'aurais-je fait ? C'était à moi de m'adapter. C'est au réalisateur ou à la réalisatrice de transformer sa mise en scène pour que cela soit crédible, sans avoir à abuser de cette jeune fille. Mais j'aurais pu abuser de ma position si elle n'avait pas eu sa coach intimité, avec une formation de psychologue. Cette tierce personne qui ne s'occupait que de la jeune fille était rémunérée par la production. Or je pense que, dans tous les tournages qui impliquent un mineur, il faut un référent harcèlement indépendant, qui n'ait pas de comptes à rendre à la production. Sinon, on ne sort pas du cercle vicieux.

Il faut en outre un coach intimité, tant pour les enfants que pour les adultes. Même une actrice adulte peut ne pas oser refuser, puisqu'en France on ne signe pas de contrat qui détaille les parties du corps que l'on accepte de montrer.

Il faut donc créer un cadre, car il n'en existe aucun actuellement.

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