Intervention de Sarah El Haïry

Séance en hémicycle du mercredi 3 avril 2024 à 14h00
Conditions d'accueil des enfants placés à l'aide sociale à l'enfance

Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles :

La question des conditions d'accueil des enfants placés nous réunit, après le premier débat consacré aux défaillances de l'aide sociale à l'enfance. Cette question est essentielle et suscite beaucoup de questions, comme le prouve l'ordre du jour de cette semaine de contrôle de l'Assemblée. Vous avez auditionné des enfants anciennement accueillis ou placés à l'aide sociale à l'enfance, qui ont partagé leur histoire, leur parcours, leurs épreuves. Je mesure leur courage, tant il est difficile de témoigner. Leur parole doit guider nos actions. Dès ma nomination, je me suis entretenue avec un certain nombre d'entre eux ; je continuerai à le faire, car c'est essentiel dans le cadre de ma mission. Leur parole et leurs propositions comptent.

Au-delà des rencontres avec les associations ou les fédérations qui accompagnent les enfants accueillis, je m'entretiendrai prochainement avec le rapporteur de la mission La parole aux enfants, qui est lui-même un ancien enfant placé et qui a réalisé un travail particulièrement étayé.

Comme la France s'y est engagée, en ratifiant la Convention du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d'adoption internationale, je souhaite qu'on nous associions davantage les enfants à la réflexion sur les sujets qui les concernent. Nous devons entendre collectivement leur parole pour mieux décider. Prochainement, j'inaugurerai avec la présidente du CNPE – Conseil national de la protection de l'enfance –, le nouveau collège des enfants placés. Je crois beaucoup au partage d'expérience entre les enfants et les anciens enfants placés et accueillis. Leur présence et leur mobilisation sont essentielles.

Le nombre de placements augmente fortement alors même que les capacités d'accueil des départements saturent et que, je le répète, le secteur traverse une crise aiguë d'attractivité. Dans le domaine de la protection de l'enfance l'accueil peut être assuré dans un lieu, un établissement, au sein d'une famille ou auprès d'un tiers. Mais il implique surtout un accompagnement socio-éducatif qui doit être adapté aux besoins fondamentaux des enfants.

Selon un proverbe populaire, il faut tout un village pour élever un enfant. Ce village, c'est un ensemble de maillons et de personnes qui doivent protéger et accompagner l'enfant qui grandit, et parfois le soigner. Nous devons tout cela aux enfants. Lorsque les parents ne sont plus capables de remplir ces missions ou lorsqu'ils ne reçoivent pas le soutien dont ils ont besoin pour élever leur enfant, celui-ci est en danger. Si l'ASE ne remplit pas son devoir de protection et d'assistance, alors l'enfant est plus que jamais vulnérable, voire exposé à des situations de maltraitance et de violence – cela a été dit dans les témoignages que j'ai écoutés.

Si les signalements en cas de mauvais traitements ne sont pas faits au bon moment ou si les personnes qui constatent des signes de maltraitance ne réagissent pas, alors les situations s'aggravent. La peur, la solitude, la méconnaissance des procédures ou même, parfois, la volonté de fermer les yeux peuvent contribuer à maintenir des enfants dans des situations dangereuses, ce qui n'est pas acceptable. La lutte contre ces comportements est également à l'origine de l'organisation de ce débat.

Enfin, si le système éducatif ne parvient pas à détecter les signes de maltraitance ou à fournir un soutien approprié aux enfants en difficulté, alors les risques de maltraitance augmentent. Les enseignants et les professionnels du milieu scolaire jouent un rôle crucial pour détecter des problèmes de manière précoce et orienter les enfants vers des ressources nécessaires. Un seul acteur ne peut être responsable de l'éducation et du bien-être des enfants, qui nécessitent l'engagement et la mobilisation de l'ensemble de la nation. C'est pourquoi, plus que jamais, nous devons former des personnes à ces missions.

Nous avons décidé de confier la protection de l'enfance aux départements, car nous étions convaincus qu'ils étaient plus proches des réalités des familles, voire des besoins spécifiques de chaque enfant. Mais l'État doit garantir l'application d'une politique commune, en définissant un cadre et en vérifiant son application. Les départements sont compétents pour appliquer cette politique au plus près des territoires, avec les structures associatives. Je mettrai tout en œuvre pour installer un dialogue de qualité, exigeant et constructif entre les acteurs et un partenaire engagé, l'État. Il ne s'agira jamais de faire endosser des responsabilités à certains pour se défausser, mais d'être au rendez-vous des enfants. Telle sera la boussole qui me guidera ; rien ne pourra me détourner de cet objectif.

Le village ne peut pas fonctionner correctement si ses habitants ne se font pas confiance. Mon premier objectif est bien de rétablir la confiance en notre système, car elle a disparu. C'est aussi à cette condition que nous nous réunirons. D'abord, il est nécessaire de redonner confiance aux enfants placés à l'ASE. Leur placement peut parfois constituer un arrachement mais peut aussi être une promesse de se reconstruire, en parcourant un chemin pour soi, sans se sentir seul. Les enfants souhaitent faire entendre leur voix. Nous devons être là pour l'accueillir et l'écouter.

Ensuite, nous devons redonner confiance aux parents fragilisés, qui, parfois, n'osent pas demander de l'aide de peur d'être jugés. Le travail avec les parents est fondamental. Il faut trouver les moyens de renforcer la participation des parents d'enfants confiés. C'est pourquoi j'ai demandé au CNPE de faire des propositions sur la place et le rôle des parents dans le domaine de la protection de l'enfance.

Il est nécessaire de redonner confiance aux professionnels, en priorité, qui œuvrent au quotidien en supportant une énorme charge mentale. Il faut redonner confiance à la société civile. Certains disent que le rôle de l'ASE est de leur prendre leurs enfants. Or la société civile doit accompagner les enfants qui sont en danger ; je n'accepte pas qu'ils aient moins de chance que les autres. J'en donne un exemple : la loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants, dite loi Taquet, a instauré le mentorat et le parrainage.

La restauration de la confiance passera par l'application totale de la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance, de la loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l'enfant et de la loi Taquet, qui tentent de mieux encadrer l'accueil des enfants et d'apporter des réponses complémentaires à la crise aiguë que nous vivons.

Au fond, notre système doit être au rendez-vous pour redonner des chances aux enfants et leur offrir un cadre qui les protège. Dès ma nomination, je me suis attelée à prendre le plus vite possible les quatre décrets d'application de la loi de 2022 relatifs au parrainage, au mentorat, au contenu du projet d'établissement et à l'hébergement des jeunes en hôtel. J'ai la conviction que, pour mieux accueillir, il faut offrir à chaque enfant la place la mieux adaptée, c'est-à-dire celle qui répond à ses besoins en matière de protection et d'accompagnement. Notre système n'est pas fluide, il crée de violentes ruptures. Il ne faut donc pas considérer le travail achevé une fois que les enfants sont accueillis ; il est nécessaire de les accompagner vers une nécessaire autonomie.

De quoi parle-t-on quand on parle d'accueil ? Un tiers de confiance peut accueillir l'enfant. Je souhaite qu'on se donne les moyens d'appliquer l'article 1er de la loi de 2022, qui prévoit la recherche systématique d'un tiers de confiance, afin de s'appuyer, chaque fois que cela est possible, sur des personnes appartenant à l'environnement de l'enfant. Par conséquent, le placement en structure devient subsidiaire.

L'accueil doit être plus professionnalisé ; dès lors, la question de la formation se pose. L'accueil familial est un mode protecteur et adapté. Lorsqu'il est assuré dans de bonnes conditions, il garantit la sécurité affective des enfants, notamment des plus petits, dans de nombreux cas. Près de 50 % des assistants familiaux partiront à la retraite d'ici à 2033. La loi de 2022 apporte plusieurs réponses : la revalorisation salariale de ces professionnels, l'amélioration de leurs conditions de travail, la garantie d'une rémunération au Smic dès l'accueil du premier enfant, l'octroi d'un week-end par mois de répit, la reconnaissance de leur place dans les équipes pluridisciplinaires. Ces mesures restent insuffisantes. Pour élargir les recrutements et renforcer l'attractivité de ces métiers, je souhaite ouvrir le chantier de la réforme du statut des assistants familiaux et des modalités d'exercice de cette profession, afin de leur donner des moyens. Je lancerai également des travaux avec les départements sur le cumul d'emplois, en réponse à une demande forte.

Parfois, l'accueil en établissement s'avère nécessaire. Il doit être de qualité et répondre aux besoins des enfants. Il existe plusieurs types d'établissement : foyers de l'enfance, maison d'enfants à caractère social (Mecs), lieux de vie et d'accueil. Ils doivent répondre à des exigences que j'ai renforcées récemment dans le décret du 29 février 2024 relatif au projet d'établissement ou de service des établissements et services sociaux et médico-sociaux, qui complète leur cahier des charges. Dès ma nomination, j'ai également pris le décret du 16 février 2024 qui prévoit l'interdiction stricte de l'hébergement en hôtel à compter du 1er février 2024.

Depuis deux ans, se déroulent des échanges autour du projet de décret relatif au taux d'encadrement. Je souhaite que les travaux reprennent prochainement, afin que l'on converge et que paraisse ce décret sur les normes, comportant des standards et des minimums.

Les lois successives de 2007, 2016 et 2022 ont réaffirmé qu'il était important que l'enfant soit au cœur de toutes les interventions de la protection de l'enfance.

Je m'attacherai en particulier à ce que le projet pour l'enfant (PPE) personnalisé soit mis en œuvre partout et pour tous les enfants, quel que soit leur mode d'accueil. En 2020, il n'en existait que dans dix-sept départements sur soixante-quinze.

Je serai également attentive à la tenue systématique de l'entretien à 17 ans, qui a vocation à préparer les jeunes à l'autonomie. Ce qui est en place aujourd'hui n'est pas suffisant, ni sur le fond ni dans les faits.

Dans le cadre de la loi du 7 février 2022, des commissions d'accès à l'autonomie des jeunes peuvent compter sur la mobilisation des services de l'État pour aider les départements à accomplir cette mission. Les départements qui ne se sont pas encore emparés de cet outil crucial pour le suivi de l'enfant doivent le faire ; c'est indispensable.

Dix comités départementaux de protection de l'enfance ont été installés : ils permettront de nourrir le dialogue tripartite entre le département, l'État et la justice. Je souhaite qu'ils soient généralisés.

L'amélioration de la qualité de l'accueil passera aussi par une plus grande fluidité des parcours. En amont, le nombre d'enfants placés doit se stabiliser puis diminuer grâce à la prévention et grâce à des mesures d'accompagnement au domicile. Durant l'accueil des enfants, en les accompagnant cette fois vers un retour au domicile, s'il est possible et s'il est dans leur intérêt, ou en accomplissant un travail d'accès à l'autonomie.

La prévention, c'est une autre de mes convictions, doit devenir une priorité. Un travail en amont, en soutien de la parentalité, est plus que jamais nécessaire, et il faut des mesures à domicile de qualité et un repérage plus précoce des dangers.

Je salue le travail de mon prédécesseur, Adrien Taquet, et sa politique d'accompagnement des 1 000 premiers jours, que je souhaite poursuivre et amplifier. Nous devons proposer un parcours de soutien à la parentalité de 0 à 18 ans. Être parent d'un tout-petit n'est pas évident, mais être le parent d'un préadolescent ou d'un adolescent non plus.

J'ai demandé à la commission scientifique sur la parentalité de reprendre ses travaux, sur la base d'une lettre de mission qui a fait l'objet de clarifications. Ses membres ont accepté, je m'en réjouis : nous devons avancer main dans la main avec tous les acteurs, afin de relever le défi consistant à proposer aux parents un parcours d'accompagnement clair et digne de confiance.

Concernant les violences, en particulier la lutte contre la prostitution des mineurs, vous m'avez sans doute entendue rappeler les contours de notre stratégie. Un enfant qui se prostitue est d'abord un enfant en danger. Avec la secrétaire d'État chargée du numérique, Marina Ferrari, je me montrerai intraitable contre les réseaux sociaux et les plateformes numériques qui ne s'engagent pas avec détermination à contrôler l'accès des mineurs. Je n'oublie pas non plus les travaux de la commission sur l'usage des écrans.

La lutte contre les violences faites aux enfants fait l'objet d'un nouveau plan pluriannuel. Je mettrai en place un comité de suivi avec l'ensemble des parties prenantes. Nous avons, collectivement, la responsabilité de ne rien laisser passer. Plus tôt nous repérons les violences, plus tôt nous protégeons les enfants en créant un cadre sécurisant.

Prévenir les placements d'enfants passe par le renforcement des interventions au domicile des parents. Les mesures en milieu ouvert, lorsqu'elles sont intensives et adaptées aux besoins des uns et des autres, sont une réponse, laquelle n'est ni unique ni exclusive. Nous devons réunir les conditions de la réussite en la matière et résoudre la question de l'attractivité. Nous engagerons un travail avec le Conseil national de la protection de l'enfance (CNPE) afin de proposer des mesures et un cadre solide.

Pour mener ces chantiers à bien, j'ai une méthode, qui se définit par deux mots-clés, communiqués à mes différents interlocuteurs dès mon entrée en fonction : dialogue et coconstruction.

Le dialogue, je souhaite le mener avec l'ensemble des parties prenantes, en accordant une place centrale aux enfants. Je l'ai relancé avec les départements, mettant en place sans délai sept groupes de travail avec le président du conseil départemental de la Côte-d'Or, François Sauvadet, et la présidente du conseil départemental de Maine-et-Loire, Florence Dabin.

La coconstruction que j'envisage ne sera pas réservée à l'État et aux départements. Des pistes peuvent émerger par exemple des travaux de votre délégation aux droits des enfants.

Cette vision constitue un cadre, destiné à ce que l'ensemble des acteurs en contact avec les enfants placés puissent œuvrer avec davantage de confiance. La parole se libère. C'est une très bonne chose. Saisissons-la ! Regardons en face les difficultés, les violences, et apportons des solutions.

Je répondrai sans naïveté à vos questions. Ces enfants, ce sont les nôtres. Nous avons la responsabilité de les accompagner vers l'autonomie et de les protéger. J'espère que nous aurons un débat serein, car nous sommes réunis pour trouver des solutions, au profit des enfants comme de l'ensemble des acteurs. La confiance permettra de mobiliser l'ensemble des ressources de notre pays.

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