Intervention de Nyls de Pracontal

Réunion du mercredi 20 mars 2024 à 15h30
Commission d'enquête sur le montage juridique et financier du projet d'autoroute a

Nyls de Pracontal, président de la commission espèces et communautés biologiques du Conseil national de la protection de la nature :

Le CNPN est une institution créée en 1946 et régie par le code de l'environnement, qui fixe le champ de sa mission. Son régime a été révisé en 2016 par la loi relative à la biodiversité, qui a substantiellement modifié sa composition en y nommant des personnes intuitu personae plutôt que des représentants de structures. En 2020, dans le cadre des simplifications des procédures administratives environnementales, une décentralisation d'un nombre conséquent d'avis du CNPN a été opérée vers les conseils scientifiques régionaux du patrimoine naturel (CSRPN). Ceux-ci sont nos équivalents dans toutes les régions de France et prennent désormais en charge environ la moitié des avis précédemment centralisés au niveau national.

Le CNPN est composé de 60 membres nommés par le ministre chargé de l'environnement, après appel à manifestation d'intérêt. Par conséquent, toute personne peut se porter candidate. Nous avons en outre trois commissions, dont une en instance plénière, qui se réunit onze fois par an en présentiel à La Défense et se prononce sur les projets de loi, de décrets et d'arrêtés ainsi que sur les stratégies nationales concernant des espèces à enjeu telles que le loup ou l'ours.

Deux commissions spécialisées complètent l'instance plénière : la commission des espaces protégés, qui s'occupe des créations d'aires protégées telles que les parcs régionaux ou nationaux et les réserves naturelles nationales ; la commission des espèces et communautés biologiques, que je préside. Cette dernière, composée de 42 membres, est saisie sur les dérogations relatives aux espèces protégées (DEP) en cas de construction d'infrastructure ou d'aménagement urbain, ou quand interviennent des manipulations d'espèces protégées qui peuvent être sollicitées par les scientifiques ; elle se prononce enfin sur les plans nationaux d'action (PNA) pour les espèces menacées.

En 2022, nous nous sommes réunis onze fois en présentiel et avons remis 16 avis sur des PNA, 113 avis sur des DEP hors aménagement et 205 avis sur des DEP liées à des infrastructures ou des aménagements.

Le nombre de dossiers que nous traitons dans ma seule commission ne permet pas de tous les examiner lors de la réunion en présentiel de la commission. Nous tenons en effet une commission en présentiel chaque mois, à l'exception du mois d'août, et durant l'année 2022, nous avons examiné 32 dossiers.

Le dossier qui nous occupe aujourd'hui n'est pas passé en commission, ce qui répond partiellement à votre interrogation sur la collégialité de l'avis. Lorsque nous sommes réunis, nous recevons le porteur de projet, le bureau d'étude-conseil associé ainsi que l'instructeur de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) ou de la direction départementale des territoires (DDT). Nous disposons alors d'environ une heure et demie par dossier pour approfondir l'examen. Cependant, ce n'est possible qu'environ 32 fois par an.

Ce dossier aurait mérité un tel traitement et je crois me souvenir que nous avions proposé d'en décaler le dépôt. En effet, nous disposons de deux mois pour rendre un avis, délai après lequel un avis tacite favorable est émis. Cependant, il nous a été confié pendant l'été et nous ne tenons pas de commission en août. Il nous fallait rendre un avis pour le 11 septembre, mais nos commissions sont généralement organisées lors de la dernière semaine du mois. Nous ne pouvions l'examiner fin septembre. Or il aurait largement mérité de passer en commission, car ceux que nous choisissons d'y étudier sont les plus emblématiques et les plus problématiques, et présentent un réel enjeu politique.

Nous avons donc tenté de proposer un décalage de dépôt, car une fois que le dossier commence par être instruit par la direction de l'eau et de la biodiversité (DEB), le délai de deux mois pour rendre un avis commence à courir. La majorité des avis qui ne passent pas en commission sont confiés à deux rapporteurs et, ensuite, le vice-président et moi-même relisons et validons tous les avis qui sortent. Par conséquent, je signe – ou mon vice-président lorsque je suis indisponible – tous les avis issus de la commission.

Tous les avis signés par la commission des espèces et communautés biologiques le sont de ma main, ce qui ne signifie pas nécessairement que j'en sois l'auteur. Je les lis et les valide, sur la forme comme sur le fond, puis ils sont mis à la disposition de l'administration et rendus publics sur le site internet « avis-biodiversité », où les avis de toutes nos commissions sont accessibles au public presque en temps réel. Ces avis visent à fournir un éclairage à l'administration pour l'aider dans ses décisions et à informer le public lors des consultations publiques.

Le CNPN est par ailleurs très vigilant en cas de conflit d'intérêt. Notre règlement intérieur y fait référence et nous signons une déclaration qui nous engage à nous déporter ou à nous signaler dès lors que surgit un enjeu, quel qu'il soit, notamment de proximité. Sur le plan personnel, je tiens à préciser que je n'ai eu aucun lien, ni de près ni de loin, avec les structures qui se sont politiquement ou médiatiquement engagées sur ce projet. Je me sens donc très éloigné de ce que j'ai pu lire dans la presse sur les liens supposés que j'avais ou que j'aurais pu avoir, ce qui est assez facilement vérifiable auprès des structures concernées.

S'agissant de la proportion d'avis défavorables et favorables, je vous renvoie à notre bilan annuel. Pour l'année 2022, l'ordre de grandeur correspond à environ 55 % d'avis favorables et 45 % d'avis défavorables en première lecture. Parfois, le message d'un avis défavorable appelle à revoir les dossiers et à apporter de nouveaux arguments. En effet, nous appelons parfois de nos vœux que les dossiers nous soient à nouveau présentés, ce qui permet d'observer les progrès réalisés par les pétitionnaires à la suite des recommandations.

En 2022, une trentaine de dossiers sont revenus devant notre commission pour un second avis. Certains sont même repassés une troisième ou une quatrième fois et en ce cas, la proportion d'avis favorables augmente pour ces dossiers. Nous constatons avec satisfaction que les dossiers s'améliorent nettement, notamment sur la prise en compte des enjeux de biodiversité.

Quant à notre légitimité à émettre des avis sur des sujets d'ordre économique, social ou sociétal, la loi oblige, lorsqu'une DEP est mobilisée, à remplir trois conditions cumulatives. D'abord, le projet d'infrastructure doit répondre à une raison impérative d'intérêt public majeur (RIIPM) ; ensuite, toutes les solutions alternatives doivent avoir été objectivées et démontrées ; enfin, le projet ne doit pas porter atteinte au maintien des populations en bon état de conservation. S'agissant de la première condition, la RIIPM – et le Conseil d'État le confirme régulièrement – demande de mettre en balance les enjeux du projet vis-à-vis des enjeux de biodiversité. Il est rappelé que la biodiversité constitue également un enjeu public majeur, soutenu par des politiques publiques ambitieuses.

La nuance n'est pas simple à appréhender avec la déclaration d'utilité publique (DUP), qui est rendue par un préfet et qui intervient en amont des impacts environnementaux. Concrètement, l'administration juge de l'intérêt public d'un projet dans un territoire donné. La DUP peut permettre des expropriations, mais à ce stade, les études d'impact n'ont pas encore été réalisées. Il n'est donc pas possible d'attribuer à la DUP le rôle de la RIIPM, établie sur la base de l'étude d'impact et des enjeux environnementaux. Des limites se posent donc dans cet exercice d'interprétation, préalable à décision de l'administration et éventuellement d'un juge. Nous sommes néanmoins tout à fait fondés à donner un avis, même si la RIIPM constitue une interprétation. Dans la démarche de DEP, il est de notre devoir d'examiner cette notion et de fournir un avis en conséquence. Il s'agit d'ailleurs d'une obligation réglementaire.

Dans le cas évoqué aujourd'hui, un faisceau d'informations nous a fondés à remettre un avis défavorable et assez critique sur la RIIPM. En effet, nous n'avons jamais motivé un avis défavorable exclusivement sur le fait que la RIIPM n'était pas justifiée, mais des indices nous permettent d'évaluer si un dossier remplit tous les critères.

Dans ce cas précis, ce dossier ne nous semblait pas constituer une RIIPM en raison du manque d'argument et de conviction apportés à notre endroit. Par exemple, il n'était pas démontré de manière suffisamment convaincante que l'attractivité du territoire serait favorisée par l'autoroute. L'amélioration de la sécurité routière nous paraissait toutefois assez évidente, mais la nécessité d'une mise à 2 fois 2 voies n'était pas clairement démontrée dans les arguments présentés. De plus, l'augmentation de la vitesse entraîne une hausse de la consommation de CO2, ce qui pose des questions quant au respect de la neutralité carbone. L'artificialisation des sols s'éloigne quant à elle considérablement de l'objectif d'intérêt général sur la ZAN.

Nous nous prononçons également sur l'objectif d'absence de perte nette de biodiversité en fonction de l'impact attendu sur les espèces, leurs habitats et leurs fonctions écologiques et nous remarquons que nous en sommes assez éloignés dans ce dossier. L'ensemble de ces informations fonde donc notre conviction et, de notre point de vue, les arguments n'étaient pas convaincants au moment où le dossier a été présenté.

Ensuite, nous avons étudié les autres sujets qui fondent l'octroi d'une DEP, tels que les alternatives, qui constituent une condition réglementaire et un exercice attendu. Selon moi, la difficulté de cet exercice réside dans le fait de justifier l'intérêt du choix ou de la typologie du projet si tard dans la procédure. En effet, le concessionnaire est déjà choisi, développe son projet et, ensuite, l'exercice de DEP lui demande de justifier que son choix est le bon. La temporalité n'est pas idéale et je comprends le point de vue du concessionnaire ainsi que des élus qui ont soutenu ou soutiennent le projet. En effet, la réalisation d'une nouvelle autoroute a déjà été identifiée comme la solution la plus adéquate pour atteindre les objectifs déterminés, mais la réglementation demande de prouver que ce choix est le meilleur possible du point de vue des impacts sur la biodiversité. Par conséquent, nous étudions les alternatives, qui ne correspondent pas qu'aux barreaux routiers.

Dans cet exercice de dérogation, il est toujours nécessaire de nous démontrer que le type de projet retenu est celui du moindre impact environnemental. Des arguments un peu plus étoffés auraient donc été nécessaires pour démontrer à quel point cette autoroute représente le meilleur des choix possibles et a un impact limité sur la biodiversité. Ce dossier ne correspond toutefois pas à un cas isolé. Évaluer si un choix est le meilleur est une étape qui arrive parfois après des années d'études.

Par exemple, le contournement Ouest de Strasbourg était un projet important il y a quelques années, qui visait à désengorger la ville et réduire la pollution. Il serait maintenant intéressant d'évaluer si les objectifs ont été atteints et, manifestement, ils ne l'ont pas été tout à fait. Il est donc nécessaire d'amener des garanties préalables, davantage que des intentions, car lorsque le projet est réalisé, il est difficile de le réorienter.

Dans ces dossiers de grandes infrastructures routières portées par l'État, nous sommes attentifs aux efforts fournis en parallèle pour s'engager dans l'objectif de la ZAN. Ce n'est d'ailleurs pas un objectif du seul CNPN, tout comme l'objectif d'absence de perte nette de biodiversité : ces objectifs sont inscrits dans la loi et sont les chemins qu'il convient d'emprunter.

Ce dossier, symptomatique de tous les grands projets d'infrastructures routières, manque de réflexion, ce que nous aurions pu comprendre il y a vingt ou trente ans. Par exemple, la réflexion a manqué sur la désimperméabilisation ou la renaturation de sols, en compensation de ceux artificialisés par le projet et va à l'encontre des objectifs fixés par la loi. Nous regrettons qu'aucun effort d'imagination et d'action ne soit déployé pour essayer de se rapprocher de cet objectif de la ZAN, qui n'est certes pas simple à atteindre.

Nous aimerions cependant que ces grands projets, qui peuvent parfois paraître anachroniques, intègrent une réflexion sur la manière de faire autrement. S'il n'est pas possible d'agir autrement, de solides réflexions doivent alors être menées sur la manière de minimiser l'ensemble des impacts d'une telle infrastructure. Cependant, celles-ci manquaient au dossier et il est étrange qu'elles aient été évacuées dans le cadre d'un projet porté par l'État et les collectivités alors que je suis convaincu qu'il est possible d'apporter des réponses, du moins partielles. Nous nous sommes penchés sur le dossier en août ou septembre 2022 et, de notre point de vue, il n'était pas abouti, tant sur la forme que sur le fond.

Par ailleurs, ce projet impacte singulièrement beaucoup de terres agricoles qui ont été considérées comme artificialisées. La loi « climat et résilience » de 2021 définit pourtant ce que sont des terres artificialisées et les terres agricoles n'en font pas partie. De plus, les considérer comme artificialisées revient à les comparer à un parking de supermarché, ce qui est loin d'être le cas d'un point de vue naturel. Cela revient également à considérer qu'elles ne présentent pas le potentiel de renaturation très rapide de ces milieux agricoles, notamment à la faveur de changements de pratiques. Enfin, ces espaces agricoles regroupent aussi des espèces protégées.

De notre point de vue, la présentation même des impacts sur ces milieux agricoles n'est pas adéquate, étant donné qu'elle induit l'inexistence d'enjeu à ces endroits, ce qui n'est pas le cas. Ces espaces sont en constante dynamique et, en fonction de leur histoire, de l'environnement et des pratiques, ils peuvent retrouver une plus grande naturalité et certains fonctionnements en quelques années seulement. Nous avons donc identifié une difficulté de compréhension à ce sujet avec le bureau d'étude ou le pétitionnaire. Celle-ci dégrade complètement l'appréciation que nous pouvons avoir des impacts généraux sur le projet, car même si ce ne sont pas des zones d'altitude ou de magnifiques tourbières en très bon état, les impacts doivent être appréciés au bon niveau afin de pouvoir éviter au maximum et de réduire au besoin.

En outre, il était compliqué de valider les mesures d'évitement, de réduction et de compensation qui avaient été proposées dans le cadre de ce dossier. Les guides nationaux de l'État définissent ce que sont ou non des mesures d'évitement, de réduction, de compensation et d'accompagnement et les mesures proposées dans le dossier en 2022 ne constituaient pas des mesures d'évitement au sens de la typologie. Nous avions donc proposé de les reclasser en mesures de réduction, mais l'intérêt de la doctrine éviter-réduire-compenser (ERC) réside dans le fait de tout investir sur l'évitement. En effet, plus on investit sur l'évitement, moins on aura à compenser. Par conséquent, si un projet contient très peu de mesures d'évitement, il sera nécessaire de beaucoup réduire et de beaucoup compenser. Rappelons que la compensation présente des difficultés techniques et des difficultés pour mobiliser les ressources foncières ainsi qu'atteindre l'objectif de zéro perte nette de biodiversité.

Les études scientifiques – notamment celle du Muséum national d'histoire naturelle (MNHN) parue ce mois-ci – montrent qu'il est encore très difficile d'atteindre les objectifs de zéro perte nette de biodiversité en faisant de la compensation. Il faut donc se montrer extrêmement prudent sur la compensation, car elle ne fonctionne pas de manière optimale. Les études de suivi des mesures compensatoires montrent en effet, année après année, que les objectifs fixés ne sont pas atteints. Notre regard est nourri de ces retours d'expérience qui, en France et dans le monde, contraignent à relativiser la certitude que nous pourrions avoir sur notre capacité à recréer de la nature. Ce n'est en effet pas si simple et les contraintes auxquelles font aujourd'hui face les habitats naturels et les espèces, renforcées par les changements globaux, alimentent l'incertitude d'atteindre l'objectif de zéro perte nette. Nous insistons donc pour concentrer les efforts sur l'évitement, car nous n'avons pas la certitude de parvenir à atteindre les objectifs de compensation.

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