Intervention de Annabelle Moatty

Réunion du lundi 18 mars 2024 à 14h30
Commission d'enquête sur la gestion des risques naturels majeurs dans les territoires d'outre-mer

Annabelle Moatty, géographe et chercheuse au CNRS :

Des personnes sont en effet décédées à Saint-Martin lors du passage du cyclone Irma parce qu'elles avaient refusé d'aller dans les zones refuges. Mais ces zones n'étaient pas jugées sûres par la population – et deux ou trois de ces centres d'hébergement ont d'ailleurs été détruits ou ont subi de graves dégâts lors du cyclone.

S'agissant des populations les plus vulnérables, la situation de Saint-Martin est différente de celle de Mayotte. Mais leur point commun est que l'on manque de données récentes et fiables pour effectuer des recherches précises. Cela nous a conduits à réaliser des études de terrains très fines, mais qui ne concernent que quelques communes et ne couvrent pas l'ensemble de ces territoires.

En ce qui concerne la volonté des populations de s'impliquer, notamment financièrement, dans la reconstruction des habitations des plus précaires et dans la mise en sécurité de ces dernières, il faut noter que Saint-Martin est une île très cosmopolite mais dont les communautés sont très hermétiques – pour des raisons aussi bien religieuses que culturelles ou économiques. Or, les communautés sont ancrées dans des quartiers et les différents quartiers se connaissent peu. Cela a été révélé par notre travail sur les rumeurs après Irma, et notamment celles sur le nombre de morts. Selon elles, ces morts ne se trouvaient que dans les quartiers pauvres – où l'on ne saurait pas nager – ou bien dans les quartiers riches – car leurs habitants vivraient dans l'isolement social du fait de leur individualisme économique. Ces rumeurs témoignent d'une méconnaissance mutuelle des communautés, alors même que le territoire est très petit.

L'État est venu en aide aux personnes les plus précaires à la suite du cyclone – notamment grâce à la bonne idée consistant à leur fournir des cartes prépayées. Il faudra analyser les conséquences concrètes de cette aide pour les foyers et les individus concernés, mais aussi sur les communautés et l'économie locale. Peut-être aurons-nous l'occasion de le faire dans nos futurs travaux. Quoi qu'il en soit, cette aide a atteint son but, tout en limitant les effets d'aubaine – je reviendrai sur ce point si vous le souhaitez.

Le taux de pénétration de l'assurance est faible outre-mer. Là encore, la situation est différente à Saint-Martin et à Mayotte, où moins de 10 % de la population sont assurés. Il faut aussi noter que beaucoup de gens sont mal assurés, leur contrat visant par exemple une toute petite maisonnette, alors qu'il s'agit en fait désormais d'une maison de plusieurs étages. Il en est de même pour les bateaux. C'est la raison pour laquelle il a été très compliqué de faire enlever les épaves, notamment à Simpson Bay, car leurs propriétaires n'avaient pas intérêt à s'en charger. Il faut certes être assuré, mais aussi être bien assuré face aux risques particuliers du territoire.

J'en viens au financement de la reconstruction après la catastrophe. Le fonds Barnier est alimenté principalement par une surprime sur les contrats d'assurance. Il est difficile de faire accepter aux contributeurs qu'il va être utilisé en grande majorité dans des territoires qui n'ont en quelque sorte pas cotisé.

Des associations interviennent aussi. C'est le cas de la Fondation de France, qui a financé le travail des compagnons bâtisseurs pour aider les habitants à construire eux-mêmes des charpentes paracycloniques. C'est une bonne action, puisqu'elle contribue à la prévention. On n'attendra pas le prochain cyclone pour évaluer le gain apporté par ces charpentes – lesquelles permettent également une meilleure isolation thermique des bâtiments et vont améliorer la qualité de vie des habitants.

Comment venir en aide aux plus précaires tout en respectant la loi et les compétences respectives de l'État et des collectivités locales ? La question est vaste et délicate.

Comme ma collègue avant moi, j'insiste sur le fait que les personnes en situation précaire, voire illégale, que nous avons rencontrées travaillaient – certes de manière informelle – et que leurs enfants étaient scolarisés. Cette population ne passe donc pas complètement sous les radars. Une vie communautaire et associative assure un lien social avec ces personnes les plus marginalisées.

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