Intervention de Francesca Pasquini

Réunion du mardi 9 avril 2024 à 16h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrancesca Pasquini, rapporteure :

Le 14 mars dernier, j'ai déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur la situation des mineurs dans les industries du cinéma, du spectacle vivant et de la mode.

Dix jours plus tard, cette proposition était cosignée par plus de soixante-dix députés appartenant à neuf groupes différents et inscrite à l'ordre du jour par la conférence des présidents. C'est la raison pour laquelle notre commission l'examine aujourd'hui.

Je souhaite remercier l'ensemble des collègues qui ont signé et soutenu cette proposition de résolution. Je pense notamment à mes collègues du groupe Écologiste, des groupes de la NUPES, mais aussi aux présidentes des délégations aux droits des enfants et des femmes, Perrine Goulet et Véronique Riotton, au vice-président de la commission des lois Erwan Balanant et à la vice-présidente de l'Assemblée Élodie Jacquier-Laforge, qui ont très rapidement appelé à cosigner ce texte dans un communiqué commun.

Afin que la commission d'enquête soit créée, notre commission doit vérifier la recevabilité juridique de la proposition de résolution. Trois conditions sont requises.

Premièrement, les propositions de résolution tendant à la création de commissions d'enquête « doivent déterminer avec précision les faits qui donnent lieu à enquête ». Ce critère apparaît rempli, puisque cette commission d'enquête serait chargée non seulement « d'évaluer la situation des mineurs qui travaillent au sein des industries du cinéma, du spectacle vivant et de la mode » mais aussi « d'identifier les mécanismes et les défaillances qui permettent d'éventuels abus et violences sur ces enfants et d'établir les responsabilités de chaque acteur en la matière ».

Deuxièmement, la proposition de résolution n'est recevable que si une commission d'enquête ayant le même objet n'a pas déjà eu lieu dans l'année qui précède. Ce n'est pas le cas.

Enfin, la proposition de résolution ne peut être mise en discussion si le garde des sceaux fait connaître que des poursuites judiciaires sont en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition. Interrogé par la présidente de l'Assemblée nationale, ce dernier lui a fait savoir, dans un courrier du 8 avril, que le périmètre envisagé pour la commission d'enquête était susceptible de recouvrir pour partie celui d'une information judiciaire en cours.

L'existence de contentieux portés devant les juridictions n'est pas un obstacle absolu, mais la commission d'enquête devra veiller tout au long de ses travaux à ne pas étendre ses investigations à des faits qui font l'objet de procédures judiciaires.

Dès lors, et sous cette réserve, les conditions de recevabilité juridique de la proposition de résolution visant à la création de cette commission d'enquête apparaissent remplies.

Comme sa création ne s'inscrit pas dans le cadre d'un « droit de tirage », notre commission doit également se prononcer sur son opportunité.

À mon sens, cette commission d'enquête est opportune mais aussi et surtout nécessaire au vu de la situation des mineurs dans le secteur culturel. Cela fait plusieurs années que des voix s'élèvent pour dénoncer la complaisance du monde du cinéma, où les violences sexuelles sur mineurs seraient passées sous silence et banalisées – voire glorifiées.

Le témoignage de Judith Godrèche et celui d'autres actrices, comme Adèle Haenel, Sarah Grappin ou encore Isild Le Besco, dessinent les contours d'un système de prédation dans le cinéma français qui vise tout particulièrement les jeunes actrices mineures.

Le cinéma n'est pas la seule industrie liée au monde de la culture qui soit concernée. D'autres accusations de violences sexuelles sur mineurs visent par exemple le spectacle vivant – en premier lieu le théâtre et la musique, qui ont vu émerger les mouvements #MeTooThéâtre et #MusicToo – mais aussi l'industrie de la mode. En 2021, plus d'une dizaine de mannequins ont dénoncé publiquement les violences sexuelles qu'elles avaient subies lorsqu'elles étaient mineures.

La place de l'enfant, le rapport à l'image et à son corps, et le rapport entre l'enfant et les adultes sont des caractéristiques communes à l'ensemble de ces industries où les enfants peuvent être exposés aux mêmes dangers.

Plus largement, les milliers de témoignages de victimes reçus par la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) – dont il faut saluer l'action remarquable menée sous l'égide du juge Édouard Durand – sont le signe d'un drame systémique auquel nous devons apporter des réponses concrètes.

Au-delà des violences sexuelles, se pose la question des violences psychologiques et des conditions de travail des enfants sur des plateaux de tournage, sur scène ou lors de séances de prises de vue. Il est nécessaire de protéger ces mineurs de toutes formes d'abus, qu'ils soient sexuels, physiques ou psychologiques.

Ces constats peuvent être étendus aux formations menant aux métiers de ces industries et à d'autres secteurs présentant les mêmes caractéristiques, comme la publicité et l'audiovisuel. Le système de prédation sexuelle et les violences subies par les enfants au sein de ces industries résonnent également avec ce qu'endurent certains adultes, en particulier les femmes. Nous ne le savons que trop bien depuis #MeToo, l'affaire Weinstein et tous les témoignages qui ont suivi.

C'est la raison pour laquelle je vous propose d'élargir le périmètre de la commission d'enquête. J'y reviendrai de manière détaillée lors de l'examen des amendements.

Je salue le courage des victimes qui témoignent des violences et abus qu'elles ont subis. Prendre la parole publiquement pour dénoncer une expérience traumatique n'est jamais évident. Je sais à quel point cela peut avoir des répercussions psychologiques, personnelles et professionnelles.

Je souhaite dire à toutes les lanceuses d'alerte et à toutes les personnes dont le témoignage a permis cette prise de conscience que leur appel a été entendu.

C'est au tour du Parlement de prendre le relais pour faire toute la lumière sur ces violences systémiques et pour s'assurer qu'elles ne se reproduisent pas.

Nous devons faire un état des lieux des violences dans le monde de la culture, identifier les mécanismes qui permettent ces violences et pointer du doigt les responsabilités et les manquements de chacun. Une commission d'enquête est un outil essentiel pour y parvenir, car elle dispose de larges pouvoirs de convocation et d'investigation.

Nous ne pouvons plus nous contenter de détourner le regard et considérer ces violences comme des exceptions. La représentation nationale ne peut pas se satisfaire de recueillir la parole trop longtemps tue des victimes : elle doit s'en faire le relais pour trouver des solutions. Plus que d'une libération de la parole, les victimes ont besoin d'une libération de l'écoute et de politiques publiques qui en tirent les conséquences.

Pour toutes ces raisons, je vous invite à approuver la création de cette commission d'enquête à l'unanimité, aussi bien aujourd'hui qu'en séance publique le 2 mai prochain. Il en va de notre responsabilité.

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