Intervention de Sarah Cohen-Boulakia

Réunion du jeudi 7 mars 2024 à 8h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Sarah Cohen-Boulakia, professeure des universités, chercheuse au Laboratoire interdisciplinaire des sciences du numérique (LISN), directrice adjointe de l'institut DATA-IA de l'Université Paris-Saclay :

. – Bonjour à toutes et à tous. Merci de me donner l'honneur de vous présenter quelques points autour de l'intelligence artificielle pour toutes à l'Université Paris-Saclay. En bonne enseignante d'intelligence artificielle que je suis, je ne peux pas m'empêcher de démarrer en recadrant le contexte.

L'intelligence artificielle n'est pas née il y a un an, avec un certain logiciel dont on parle de plus en plus, cette IA générative qui remplit nos médias aujourd'hui. Elle ne saurait d'ailleurs s'y limiter. Elle est présente dans nos vies depuis longtemps, de façon plus ou moins consciente. Elle est présente dans nos téléphones intelligents, pour nous aider à nous déplacer d'un point à un autre. Elle est présente sur les réseaux sociaux pour nous faire un certain nombre de recommandations. Elle est présente jusque dans notre téléviseur pour nous conseiller le meilleur film à regarder ce soir.

J'ai intégré des photos de chats dans mon diaporama, parce que cet élément ne sera jamais polémique. Si aujourd'hui, quand vous tapez le mot chaton dans votre moteur de recherche préféré, vous trouvez autant d'images de chatons, c'est d'abord parce qu'un certain nombre de personnes ont annoté des images. Cela ne vient pas tout seul. Rien ne permet à une IA de fonctionner sans humain. Si elle apprend vite et bien, un humain, un expert se cache au départ derrière une intelligence artificielle.

La dernière image de la diapositive présentée montre que l'intelligence artificielle va nous aider, nous guider, donner des conseils. En aucun cas elle ne remplacera les experts.

Comme beaucoup de régions en France, l'Université Paris-Saclay n'a pas attendu l'année dernière pour construire un grand institut d'intelligence artificielle. L'institut Data IA existe depuis de très nombreuses années. Nous comptons plus d'un millier de chercheurs et 58 laboratoires. Nous avons noué des relations fortes avec un grand réseau d'entreprises. Je suis directrice formation de cet institut, qui propose 530 modules d'enseignement qui concernent l'intelligence artificielle, répartis dans 64 parcours de master ou de licence.

Vous le savez probablement, l'Université Paris-Saclay est plutôt bien positionnée dans les classements internationaux, ce qui représente un coût, en raison d'une structure assez complexe, d'où l'ensemble des logos de partenaires qui apparaissent à l'écran. C'est la rançon de la gloire.

Dans ce contexte, nous disposions en 2022 de toutes les informations nécessaires pour répondre à un appel à manifestation d'intérêt sur Compétences et métiers d'avenir en intelligence artificielle. Avec Frédéric Pascal, nous avons proposé le projet SaclAI School, qui a été désigné lauréat. Nous avons ainsi remporté 11,5 millions d'euros pour massifier et diversifier les enseignements de l'intelligence artificielle dans notre université.

On parle ici de tout niveau, tout domaine, depuis l'acculturation, y compris des personnels de l'université, de toutes et tous dans cette assemblée, pour ceux d'entre vous qui ne sont pas experts en IA, pour légiférer, pour réguler. Il est particulièrement important de comprendre les concepts sous-jacents à l'IA. Nous visons tous les milieux et tous les âges.

L'université Paris-Saclay rassemble 48 000 étudiants. Sur une année donnée, la répartition de ses effectifs correspond globalement aux pourcentages nationaux. Sur des filières un petit peu techniques, en BUT/DUT, nous accueillons 12 % de filles. La licence d'informatique ou nos doubles diplômes dans lesquels nous mixons des mathématiques difficiles et de l'informatique difficile en attirent 20 à 30 %. La bonne nouvelle, c'est que les filles réussissent plutôt mieux, en moyenne, que les garçons. En proportion, elles sont donc un peu plus nombreuses lorsque l'on passe dans des filières à Bac+5. Elles commencent à dépasser les 20 %. À CentraleSupélec, la spécialité intelligence artificielle en attire environ 20 %, par exemple.

J'aimerais insister sur le fait que l'intelligence artificielle ne doit être laissée ni aux élites, ni aux mathématiciens et aux informaticiens. Il est urgent qu'elle s'ouvre. L'interdisciplinarité ne doit pas rester un vœu pieux. Nous le voyons dans les chiffres.

À l'Université Paris-Saclay, nous avons monté un certain nombre de licences en double diplôme, qui sont particulièrement sélectives et difficiles. Les étudiants concernés sont particulièrement dotés à la fois en informatique et en sciences de la vie, par exemple. Les chiffres sont clairs. Les effectifs sont beaucoup plus équilibrés, tant à Bac+3 qu'à Bac+5, où l'on tend vers une parité.

Une formation mêlant l'informatique et la gestion des entreprises accueille 40 % de filles. C'est plus que d'autres formations proposant de l'informatique. À mes yeux, l'interdisciplinarité est clé pour intégrer plus de filles en sciences.

Deuxième élément, puisque vous parliez de briser les codes, il nous faut donner les codes. Je rejoins complètement ce qui a déjà été dit ce matin. Ce sont les jeunes filles qui ne sont pas nées dans des milieux favorisés qui ont le plus de mal à se retrouver dans ces différentes filières, très sélectives, informatiques, mathématiques. Nous avons mis en place des bourses d'excellence qui poussent la mixité et favorisent particulièrement la parité et l'excellence.

Quelles qu'en soient leurs raisons, les filles posent un certain nombre de questions. Elles sont fondamentalement inquiètes et l'expriment. Nous avons donc cherché à les rassurer, elles, mais aussi les garçons, sur le fait que les mathématiques et l'informatique ne devaient pas faire peur. La mise en place d'un tutorat par les pairs, d'étudiantes vers les étudiantes, joue un rôle clé dans le fait de dédramatiser, de démystifier cette difficulté.

Enfin, il faut agir tôt. On a parlé du CP, c'est exactement le genre de profil exposé sur la diapositive projetée. Les jeunes filles que vous voyez, avec leurs couettes, sont à la fête de la science, en train d'apprendre comment fonctionne un algorithme de deep learning grâce à des petits robots. Sur la photo suivante figure un groupe, cette fois en licence Sciences de la Terre et Physique. Nous avons été surpris depuis plusieurs années de voir à quel point des jeunes filles qui n'étaient absolument pas parties pour faire de l'intelligence artificielle se sont révélées avoir des profils particulièrement intéressants dans ce domaine. On a pu les remettre à niveau, et elles suivent aujourd'hui des cursus en intelligence artificielle. Dans les petits clichés que l'on voit apparaître, les Simpson nous présentent ce que les adolescents appellent des geeks ou des nerds, quel que soit le cliché sous-jacent. Je leur préfère les décodeuses du numérique du CNRS qui font l'objet d'une bande dessinée, que je vous invite à regarder. Elles ont des petits visages tout aussi sympathiques, et elles sont à mettre entre toutes les mains.

À tous les niveaux, dans tous les domaines, c'est l'interdisciplinarité qui est clé pour ouvrir les sciences aux différents milieux et à tous les âges.

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