Intervention de Jean-Noël Barrot

Réunion du mercredi 3 avril 2024 à 16h30
Commission des affaires européennes

Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des Affaires étrangères, chargées de l'Europe :

Deux éléments distinguent ce sommet du printemps d'autres sommets du Conseil européen. D'abord, il a principalement porté sur les sujets de sécurité et de défense, ainsi que sur les questions relatives à l'Ukraine, alors que le Conseil du printemps se consacre traditionnellement à des questions économiques. Ensuite, il s'est terminé beaucoup plus rapidement que d'habitude, ce qui témoigne d'une forme de convergence de vue des Européens.

Premièrement, on retrouve, dans les conclusions du Conseil européen, la notion de préférence européenne dans la présentation de la Facilité européenne pour la paix (FEP), qui avait fait l'objet, quelques jours avant le Conseil, d'un nouvel accord et dont le compartiment consacré au remboursement des achats conjoints est désormais réservé à la base industrielle et technologique de défense européenne. Cela n'allait pas de soi, beaucoup de pays étant très attachés à ce que cet instrument de financement soit dédié intégralement au soutien militaire et à l'approvisionnement en munitions de l'Ukraine, quel que soit le lieu de production de ces équipements ou de ces munitions. Il a fallu beaucoup peser pour obtenir ce résultat.

Les Vingt-Sept ont également exprimé un satisfecit à l'égard de la communication du 5 mars de la Commission sur le programme européen pour l'industrie de la défense et sur la stratégie industrielle européenne de défense, qui intègrent de manière organique cette préférence européenne. La France en a fait la promotion, considérant que la crédibilité de notre soutien militaire à l'Ukraine dépend de celle de notre base industrielle et technologique de défense européenne, c'est-à-dire de notre capacité à produire nous-mêmes des armes, des équipements militaires et des munitions.

Deuxième élément de satisfaction : on retrouve, dans les conclusions du Conseil européen, un terme qui consacre l'ambiguïté stratégique à laquelle de nombreux États membres et non-membres de l'Union se sont ralliés, à la suite de la conférence internationale du 26 février. Le soutien « aussi longtemps qu'il le faudra », déjà affirmé dans plusieurs déclarations, est précisé par une nouvelle expression : « aussi intensément que nécessaire ». Cette formule témoigne d'une montée en puissance dans l'expression du soutien de l'Union européenne à l'Ukraine.

Troisième élément de satisfaction : la question du financement. C'est bien beau de vouloir soutenir l'émergence de cette base industrielle et technologique de défense, mais encore faut-il pouvoir financer cet effort, ainsi que le soutien militaire à l'Ukraine. De ce point de vue, nous avons trois satisfactions à tirer des conclusions du Conseil européen. D'abord, on s'aperçoit que la mobilisation des profits d'aubaine tirés des actifs russes gelés est désormais fléchée vers le soutien militaire à l'Ukraine. Ensuite, les Vingt-Sept s'accordent sur une injonction – ou en tout cas sur une invitation très ferme – à la Banque européenne d'investissement (BEI) d'étendre son mandat aux activités militaires, ce qui ne lui était pas permis jusqu'à présent. Enfin, les Vingt-Sept mandatent la Commission européenne pour leur présenter, au Conseil européen du mois de juin, un rapport sur toutes les solutions possibles pour financer le soutien militaire à l'Ukraine et, plus généralement, l'émergence de la base industrielle et technologique de défense européenne.

Quatrième et dernier élément de satisfaction : les Vingt-Sept dénoncent unanimement les élections tenues dans les territoires occupés. L'Union européenne dit qu'elle ne les reconnaît pas et qu'elle ne les reconnaîtra jamais.

J'en viens au deuxième chapitre, celui de l'élargissement, qui a aussi fait l'objet d'âpres débats, un certain nombre d'États membres souhaitant que le processus s'accélère, s'agissant notamment de la Bosnie, sur le fondement d'un rapport publié par la Commission européenne quelques jours auparavant, et indiquant que les quatorze points identifiés au mois d'octobre 2023 avaient été traités. L'analyse de la France était moins positive que celle de la Commission. Cela nous a conduits, avec d'autres États membres, à veiller à ce que les conclusions de ce Conseil européen, ouvrant officiellement les négociations d'adhésion avec la Bosnie, spécifient explicitement que la prochaine étape, à savoir l'ouverture effective de ces négociations avec l'adoption à l'unanimité du cadre de négociation, a conditionné à l'atteinte par la Bosnie d'un certain nombre d'objectifs. Nous considérons en effet que ce processus d'adhésion doit rester fondé sur les mérites propres des pays candidats, c'est-à-dire sur un franchissement des étapes qui les rapprochent de nos standards en matière d'État de droit, d'indépendance de la justice, de liberté de la presse ou encore de lutte contre la corruption.

Troisième chapitre : la situation au Proche-Orient. Nous ressortons de ce Conseil européen avec la première expression complète et substantielle des Vingt-Sept sur le conflit à Gaza, qui comporte à la fois l'appel à une trêve humanitaire immédiate entraînant un cessez-le-feu durable, la libération inconditionnelle des otages, l'appel au gouvernement d'Israël à s'abstenir de toute intervention à Rafah ; l'appel à ouvrir tous les canaux d'acheminement de l'aide humanitaire, le traitement de la question du soutien à l'Unrwa (Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient), et les sanctions à l'égard des responsables du Hamas ou des colons extrémistes violents. C'est la première fois que les Vingt-Sept s'accordent sur une déclaration commune qui embrasse tous les sujets relatifs à la situation au Proche-Orient. Cela va au-delà de ce que nous espérions au moment d'entrer dans les discussions.

J'en termine avec le quatrième chapitre, celui de l'agriculture, que le président évoquait à l'instant. Les Vingt-Sept expriment leur satisfaction d'avoir vu la Commission présenter ses mesures de simplification en matière de déploiement de la politique agricole commune. Nous sommes satisfaits qu'apparaissent, dans les conclusions du Conseil, la protection et la préservation du revenu des agriculteurs. Il s'agit, si l'on peut dire, du premier pas vers une européanisation du principe de l'Egalim que la France et le Président de la République appelaient de leurs vœux.

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