Intervention de Marc Fesneau

Réunion du mardi 5 mars 2024 à 17h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Marc Fesneau, ministre :

Je sais bien que j'ai à connaître de tous les sujets, y compris des rations de combat et des menus de chaque cantine des écoles de France, mais vous m'en demandez un peu beaucoup. Je vous ne demande pas de bienveillance, j'y ai renoncé depuis longtemps, mais un peu de réalisme : j'ignore ce qu'il y a dans les rations de combat. J'ai fait mon service militaire, mais c'était il y a trente ans, elles ont dû évoluer depuis !

Pour le reste, la définition que vous donnez de la souveraineté alimentaire est celle de Via Campesina. C'est une définition, mais pas « la » définition. On peut en débattre, on peut ne pas être d'accord, ce qui peut justifier que nous n'ayons pas signé. En outre, la souveraineté alimentaire n'est pas seulement la capacité à se nourrir, mais celle à se nourrir dans les grands dérèglements du monde. Et c'est aussi la souveraineté alimentaire des autres. Sur la rive sud de la Méditerranée, certains pays ne pourront pas couvrir à eux seuls les besoins de leurs populations. Il suffit de regarder la géographie, le climat et le reste pour le savoir – et ce n'est pas un grief que je leur fais. Quant à nous, nous pouvons exporter, parce que nous avons des terres, un climat tempéré et des agriculteurs qui produisent depuis des siècles. Tout le monde ne pourra pas produire. C'est une vue de l'esprit.

À cet égard, la carte de la dépendance alimentaire dans le monde est intéressante. Certains pays pourront accéder à une meilleure autosuffisance, mais pas tous, a fortiori en Afrique et en Asie, où la population totale représente 3 à 4 milliards de personnes.

Par ailleurs, la carte de la production de blé dans le monde en 2050 montre que les pays déjà nettement importateurs rencontreront des difficultés. C'est notamment le cas du continent européen, y compris la France – ce qui nécessite de nous adapter. Et si l'on regarde la carte de la production de biomasse, la seule zone qui reste verte est la Russie, qui pourra mettre en culture des terres qui ne pouvaient jusqu'ici pas l'être à cause du froid. C'est ainsi, on n'y peut rien. Je ne m'en félicite pas, mais cette réalité s'imposera à nous.

Nos stratégies européennes et nationales ne peuvent pas penser l'Union européenne à vingt-sept sans garder à l'esprit cette carte mondiale de la souveraineté avec le Brésil, l'Inde ou la Chine. Ce serait une lourde erreur. C'est pour cela que nous avons besoin d'accords de commerce. Je ne sais pas comment faire différemment, sauf à ce que vous sachiez inverser le dérèglement climatique. Voyez la carte de l'Espagne ou du sud-ouest de la France, qui est en partie celle de la crise agricole : c'est celle d'un modèle en butte à ce dérèglement. Nous parlons de 2050, dans une génération : cela va venir vite.

Quant à la captation des terres agricoles par des puissances étrangères, c'est une vue de l'esprit. À ce titre, nous pouvons nous féliciter qu'en France, le droit du fermage et le droit à bail, ultradérogatoires au droit de la propriété, soient extrêmement protecteurs de l'exploitant agricole, y compris dans sa succession. Cela explique à la fois les prix plutôt modérés des terres et des baux, et la difficulté de captation par des puissances étrangères.

En revanche, vous avez raison de noter que des pays qui ont peu de surfaces arables vont en chercher ailleurs, sur le continent africain par exemple, ou d'ailleurs en Ukraine. C'est un sujet géopolitique. Nous pourrions élaborer, pour chaque pays, la carte des territoires qui n'appartiennent pas à ses paysans. En France, ce phénomène est objectivement marginal, grâce au droit au bail mais aussi au contrôle des investissements étrangers. Ce n'est donc pas un risque national.

Cela étant, il faut faire attention à la financiarisation du système agricole. Certes, le bail, l'exploitation familiale et le GAEC (groupement agricole d'exploitation en commun) sont assez protecteurs. Mais avec la montée du prix des terres, certains pourraient vouloir spéculer davantage que par le passé. Il en ira de même pour la forêt. Compte tenu des enjeux géopolitiques et des cartes que je viens d'évoquer, les terres en production seront rares. Leur valeur sera plus puissante, y compris au-delà de la seule production agricole – je pense à la production de biomasse ou au stockage de carbone, par exemple. Il faudra donc que nous sachions à qui appartiennent nos millions d'hectares de terres agricoles.

Mais encore une fois, la question des investissements étrangers, celle des pays qui ne disposent pas de terres arables et qui vont chercher leur souveraineté chez les autres, ne se pose pas pour les terres françaises.

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