Intervention de Boris Razon

Réunion du jeudi 11 avril 2024 à 11h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Boris Razon, directeur éditorial d'Arte France :

Arte est aujourd'hui un bouquet de trois propositions éditoriales : une chaîne linéaire, la plateforme Arte.tv et des chaînes sociales qui vont de TikTok à Snapchat en passant par Twitch. Le centre de gravité d'Arte s'est ainsi largement déplacé du linéaire vers le numérique. Notre stratégie éditoriale repose sur trois piliers : « l'éclectisation », avec l'idée de proposer une diversité de programmes traités avec un même niveau exigence ; la plateformisation, avec une présence numérique partout où le public peut être rencontré ; l'européanisation, à travers notre vocation de chaîne culturelle européenne de référence. Notre ambition est de faire de chacun de nos canaux un espace de rencontre privilégié avec nos publics, en misant sur la « découvrabilité », et sur ce que nous pouvons apporter en tant que tiers de confiance, dans un monde envahi par la défiance.

La rédaction d'Arte a ceci de particulier qu'elle est composée d'une centaine de journalistes et qu'elle est franco-allemande. Elle produit plusieurs rendez-vous d'information, dont « Arte journal », « Arte journal junior », « Arte Info Plus » ou encore « Arte Europe Weekly », qui apportent chacun un regard européen sur le monde et sur notre pays. Ce déplacement de perspective modifie naturellement la hiérarchie de l'information. L'autre singularité d'Arte est sa capacité à articuler, depuis trente ans, savoir académique et information, avec des programmes tels que « Le dessous des cartes », qui fait de la géopolitique un biais d'accès à l'information adossé à du savoir académique. Le programme « Le dessous des images », quant à lui, acculture les internautes aux méthodes de production d'images, mais également à leur analyse, à une époque où l'image et la vidéo constituent à la fois le nouveau carburant de l'information et des véhicules majeurs de désinformation.

Arte produit enfin, en ligne, un grand nombre de formats tels que « Désintox » ou « Citizen Facts », qui visent à vérifier l'information, ainsi que de nombreux documentaires d'investigation ou de société. L'information, très présente chez Arte, est à la fois multipolaire et transnationale, avec un point de vue européen et une forme d'esprit de résistance à l'air du temps, qui nous amènent à nous détacher du flux pour tenter d'offrir une prise de recul.

Le contexte actuel, marqué par la mondialisation, la désintermédiation et l'émergence de l'intelligence artificielle, représente, pour nous tous, à la fois un défi et une opportunité. La consommation de contenus audiovisuels évolue rapidement et nous essayons d'anticiper ces changements pour continuer à toucher et à engager les publics, avec deux enjeux principaux : être capables de proposer une information fiable, indépendante et de qualité, mais également rendre accessible, visible et découvrable cette information. L'enjeu est donc aujourd'hui, pour l'audiovisuel public, d'assurer la production d'informations fiables et indépendantes dans un monde hyperconnecté et submergé d'informations, dont certaines ne sont pas vérifiées. La grande mutation de l'espace informationnel que nous observons se base sur deux changements majeurs. Nous pensons d'abord à la circularisation de l'espace dans la mesure où le public, les interfaces et les producteurs d'informations peuvent chacun distribuer et relayer ce qui est produit par les autres. Nous pouvons par ailleurs évoquer la place des réseaux sociaux, qui sont souvent le premier moyen d'accès à l'information, où tous les types de messages sont mélangés et tous les conversations et degrés de langage placés au même niveau. L'information se trouve désormais noyée dans un mélange de messages dont on ne parvient pas toujours à distinguer l'émetteur alors même que, dans le domaine de l'information, tous les messages ne se valent pas et tous les émetteurs ne bénéficient pas du même statut. Dans ce contexte, nous constatons à la fois l'enfermement, à travers les algorithmes, dans des bulles de filtres, une stimulation de la diffusion de fausses informations, particulièrement à travers la viralité que leur apportent les réseaux sociaux, mais également les manipulations de l'information en ligne dans le cadre de campagnes de désinformation dont l'objectif est de créer du chaos et de la défiance.

Un autre changement essentiel est celui du passage d'un monde d'édition de l'information à un monde de flux. Nous vivons dans un temps sans arrêt, dans une sorte d'urgence permanente, qui peut conduire certains médias à s'affranchir des règles élémentaires de notre métier, à l'inverse de notre démarche. L'enjeu majeur est, pour nous, de préserver un espace public informationnel dans un contexte où il est menacé, sous l'effet de la technologie, de la polarisation du débat public sous l'impulsion des réseaux sociaux, et du vertige informationnel lié à la démultiplication possible des productions grâce à l'intelligence artificielle générative. Notre mission est de tenter de préserver cet espace public qui se réduit et se transforme en champ de bataille, en démontrant qu'il existe des informations fiables et des vérités scientifiques. Sans cet espace d'information fiable, c'est l'idée même de démocratie qui est atteinte et le phénomène de fatigue informationnelle en atteste déjà.

Nous menons depuis longtemps des réflexions sur l'intelligence artificielle, à travers une approche qui se veut à la fois éthique et pragmatique. Arte est un laboratoire d'expérimentations en matière d'intelligence artificielle, à laquelle nous avons déjà recours dans différents domaines d'activités, notamment dans le traitement multilingue de l'information ou de nos programmes, ou encore pour la réduction de l'empreinte environnementale de nos activités numériques, à travers l'optimisation des encodages vidéo. L'enjeu majeur de l'intelligence artificielle de demain est, selon nous, la « découvrabilité » des programmes et de l'information, car l'irruption, dans nos vies quotidiennes, des assistants personnels, aura, en lien avec une dynamique de plateformisation, des impacts majeurs qui rendront cette question cruciale voire existentielle pour nos médias.

Il existe, enfin, un risque de dégradation de l'espace informationnel lié à l'intelligence artificielle, du fait de l'accroissement colossal des messages et des vidéos, de la saturation de l'espace et de la production facilitée de désinformation. Aussi, dans le contexte actuel de désinformation et de fatigue massive, le risque, sans intervention des pouvoirs publics, est d'aboutir à un paysage international chaotique. Nous souhaitons, dans un monde de défiance, être un tiers de confiance, qui puisse proposer une information fiable, vérifiée et indépendante, et offrir des clés de compréhension du monde à notre public sur tous les canaux de diffusion.

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