Intervention de Vincent Seitlinger

Réunion du mercredi 19 octobre 2022 à 9h00
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaVincent Seitlinger, rapporteur pour avis (Action de la France en Europe et dans le monde ; Français à l'étranger et affaires consulaires) :

Lors de la conférence des ambassadrices et des ambassadeurs, la ministre Catherine Colonna a annoncé, non sans force : « Le temps du réarmement de notre diplomatie est venu ». Le projet de budget du Quai d'Orsay pour 2023 est-il à la hauteur de cette annonce ? Pour répondre à cette question, je me propose d'examiner l'évolution des crédits budgétaires et les priorités que ces évolutions permettent de financer, puis de m'intéresser aux moyens humains du ministère.

Les crédits de la mission Action extérieure de l'État augmenteront de 160 millions en 2023, ce qui paraît assez honorable. Il s'agit pourtant d'une hausse en trompe-l'œil. D'abord, parce qu'une grande partie de ces moyens nouveaux serviront à absorber les effets de l'inflation mondiale et du change, et non à financer de nouvelles actions ; ensuite, parce que le Gouvernement a préféré « saupoudrer » les moyens. Tout augmente mais il n'est pas facile de trouver un poste de dépense qui croît, en valeur réelle, de plus de quelques millions d'euros. Il s'agit donc moins d'un budget de « réarmement » de notre diplomatie que d'un budget de « colmatage ».

Je souhaite m'arrêter sur trois sujets qui me paraissent structurants pour l'avenir du ministère.

Le premier, c'est la communication. Notre pays est en train de perdre la guerre de l'information en Afrique, parce que nous n'avons pas pris ce sujet suffisamment au sérieux. Je rappelle qu'à ce jour, toutes nos ambassades ne tweetent pas et que, quand elles le font, leurs publications sont parfois accueillies sur les réseaux sociaux par un flot ininterrompu de commentaires hostiles à la France.

Il est vrai que ce budget prévoit une hausse de 2,5 millions d'euros des crédits alloués à la communication du ministère. Mais, d'une part cette somme paraît relativement modeste au regard des enjeux et, d'autre part, elle passe à côté du problème des compétences. Pour lutter contre la désinformation en Afrique de l'Ouest, le Quai a besoin de locuteurs en peul, en bambara et en wolof. Le Quai d'Orsay a également besoin de spécialistes des réseaux sociaux. La lutte contre la désinformation, c'est avant tout une question de ressources humaines.

Le deuxième sujet, ce sont nos contributions aux organisations internationales. Hors masse salariale, ces contributions représentent les deux tiers des crédits du programme 105. En moins de dix ans, notre pays a pourtant décroché du sixième au dixième rang dans le classement des contributeurs internationaux. Désormais, nous sommes très loin derrière des pays avec lesquels nous aimons nous comparer, comme l'Allemagne et le Royaume-Uni.

Pour tenter d'inverser cette tendance, le Quai est engagé dans un effort de remontée du niveau de nos contributions internationales. En 2023, c'est un nouvel effort qui sera fourni. Mais il faudra aller plus loin si nous voulons continuer à peser dans le système multilatéral.

Sur ce sujet, toujours, je tiens à alerter notre commission sur un point qui me paraît assez grave : nous ne savons pas combien la France verse à chaque organisation internationale. Tous les ministères versent des contributions mais il n'y a aucune consolidation des données. Il serait quand même utile d'y remédier.

Le troisième sujet qu'il me paraît important d'aborder, c'est celui de l'immobilier. Depuis quelques années, le Gouvernement a entrepris de rehausser la dotation budgétaire consacrée à l'immobilier. C'est évidemment une bonne chose car le financement et la gestion de l'immobilier étaient jusqu'ici très court-termistes. Mais, contrairement à ce qui était prévu, la hausse des moyens n'a pas eu lieu en 2022. En effet, la hausse des crédits cette année reposait sur une dotation de 36 millions sur le compte d'affectation spéciale (CAS) 723, un compte en banque de l'État alimenté par les recettes des cessions immobilières. Mais, à cause d'un véritable imbroglio administratif, le Quai n'a pas bénéficié des crédits promis.

Cette situation pose un double problème. Un problème de sincérité budgétaire, d'abord, dans la mesure où les documents budgétaires laissent penser que, non seulement le ministère a bénéficié de ces crédits en 2022, mais qu'il bénéficiera à nouveau de 36 millions sur le CAS 723 l'année prochaine. En réalité, il n'y a qu'une seule enveloppe de 36 millions – et pas deux –, que le ministère n'est même pas sûr de toucher. Cette situation pose surtout un problème pour le ministère puisque, sans cet argent, il faudra renoncer à des opérations prioritaires, tels que des travaux de mise aux normes pour prévenir des départs de feu ou des opérations de remise à niveau des voiries pour prévenir l'inondation des locaux.

Passons maintenant à la question des personnels. La grande annonce de ce budget, c'est la création de 100 ETP, une première depuis trente ans pour ce ministère. C'est évidemment une bonne chose mais cela reste marginal, au regard des milliers de postes qui ont été supprimés au cours des vingt dernières années. Le ministère a supprimé plus de postes sur la seule année 2019. Il est d'ailleurs assez intéressant de noter que la plupart des ETP dont bénéficiera le consulaire seront des missionnaires de renfort.

Ce budget risque de ne pas suffire à enrayer la dégradation rapide des conditions de travail au Quai d'Orsay. Plusieurs indicateurs attestent d'une situation qui empire, mais je n'en citerai qu'un : en un an, le nombre de missions de renfort a été multiplié par deux et, de l'aveu même de la directrice des ressources humaines du ministère, cela reste très insuffisant pour satisfaire tous les besoins qui s'expriment. Parmi les services qui souffrent le plus, il faut mentionner les consulats, en particulier les services des visas. À New Delhi, par exemple, les moyens ont été tellement réduits, que le service de l'état-civil est partiellement fermé et que le consulat a un retard d'environ 3 000 demandes de visas non traitées.

On comprend que, dans ce contexte déjà très difficile, la suppression du corps diplomatique soit vécue comme le coup de grâce par les personnels du ministère. Je rappelle que cette réforme, qui a été prise par ordonnance, n'a jamais fait l'objet d'aucune discussion devant notre assemblée.

En quoi consiste-t-elle ? Premièrement, elle rompt le contrat de confiance avec les personnels, qui ont choisi de devenir diplomates par vocation mais qui n'ont plus la garantie de pouvoir faire toute leur carrière au Quai d'Orsay. Deuxièmement, elle nie que les diplomates aient des compétences spécifiques et remet ainsi en cause l'idée même d'une diplomatie professionnelle, au moment où nous en avons le plus besoin. Troisièmement, elle ignore que, pour un ministère qui compte 20 % des postes d'encadrement occupés par des externes, le Quai d'Orsay est déjà une des administrations parmi les plus ouvertes. Quatrièmement, elle ouvre la voie à une politisation accrue des nominations au Quai d'Orsay en supprimant le garde-fou que représentait à cet égard l'existence de corps ministériels. Cinquièmement, elle sacrifie les secrétaires des affaires étrangères, dont l'évolution de carrière au sein du ministère risque d'être remise en cause.

Notre commission se penchera à nouveau sur ce sujet lorsque la mission d'information que nous avons créée sur cette réforme rendra ses conclusions, à la mi-décembre. Mais, parce qu'il y a une certaine urgence, j'appelle d'ores et déjà à suspendre la suppression du corps diplomatique, dans l'attente des états généraux de la diplomatie, qui débuteront prochainement, sous la houlette de l'ambassadeur Jérôme Bonnafont.

Le succès de ces états généraux dépendra de deux choses. D'une part, il faut que les organisateurs acceptent que les sujets de discussion soient déterminés par les personnels eux-mêmes, et non par une volonté imposée d'en haut. Deuxièmement, il faut qu'y soient associés tous ceux, chercheurs et parlementaires compris, qui peuvent contribuer à cette réflexion collective. Il serait périlleux d'oublier que l'état de notre diplomatie est une question qui doit concerner la société tout entière.

Je m'abstiendrai donc sur les crédits de cette mission.

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