Intervention de Hervé de Lépinau

Réunion du mercredi 12 octobre 2022 à 15h30
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHervé de Lépinau, rapporteur pour avis :

L'avis que je vais donner sur le commerce extérieur est assez marginal dans le cadre du projet de loi de finances pour 2023. Je vous invite néanmoins à lire le rapport que j'ai rédigé, car c'est un outil de réflexion riche en données, qui vous permettra d'apprécier la réalité de la balance commerciale française. Nous avons auditionné vingt-neuf personnes de très haut niveau, dont les compétences m'ont permis de rédiger ce rapport en toute connaissance de cause.

Le commerce extérieur français subit les conséquences d'un environnement international profondément instable et dégradé. La guerre en Ukraine, la politique du « zéro covid » menée en Chine ainsi que les tensions d'approvisionnement liées à la reprise de l'activité économique après la pandémie grippent le fonctionnement de l'économie mondiale et pénalisent nettement notre commerce extérieur en 2022. Malgré un excédent historique du solde des services, qui s'élève à 34 milliards d'euros, le déficit commercial français poursuit sa dégradation et s'établit à – 71 milliards d'euros au premier semestre 2022, contre – 51 milliards d'euros au second semestre 2021. Cette situation résulte de l'explosion de la facture énergétique française, passée de 27 à 48 milliards d'euros.

Dans ce contexte, les moyens budgétaires accordés au soutien du commerce extérieur sont d'une importance cruciale. Les crédits prévus à l'action n° 7 du programme 134 augmentent de 37 % pour s'élever à 184,88 millions d'euros en autorisations d'engagement et en crédits de paiement. Cette augmentation s'explique principalement par la hausse des financements attribués à l'opérateur Business France et à BPIFrance Assurance Export.

Business France est l'opérateur chargé du développement international des entreprises françaises, de la gestion du volontariat international en entreprise (VIE), des projets d'investissements étrangers en France et de la promotion de l'image économique de la France. Pour exercer ses missions, l'opérateur bénéficie d'une subvention pour charges de service public qui s'établit à 100,7 millions d'euros en autorisations d'engagement et en crédits de paiement, soit une augmentation de 18 % par rapport à la loi de finances pour 2022.

Les moyens alloués à Business France sont encadrés par un contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens, dont le renouvellement fait actuellement l'objet de négociations avec l'État. La hausse de la dotation prévue par le projet de loi de finances pour 2023 permettra de renforcer la digitalisation de l'activité de l'opérateur, d'adopter des mesures de cybersécurité et d'accroître les programmes d'accompagnement intensif de secteurs d'activité ciblés.

S'agissant de BPIFrance Assurance Export, le projet de loi de finances prévoit 78,10 millions en autorisations d'engagement et en crédits de paiement au titre de la rémunération de l'opérateur pour sa gestion des garanties publiques et des outils de soutien financier à l'export. Cette dotation, en augmentation de 56 % par rapport à 2022, permettra de couvrir les coûts associés au transfert des missions financières opérées par Natixis et à l'assujettissement à la TVA de l'ensemble de la prestation réalisée par BPIFrance Assurance Export.

Mon avis sur les crédits est favorable. Il convient néanmoins de tenir compte des circonstances géopolitiques du moment et de s'assurer que ces crédits sont bien adaptés aux missions des opérateurs, en particulier en ce qui concerne les nouvelles missions revenant à BPIFrance.

J'ai souhaité, dans le cadre de la seconde partie de mon rapport, m'intéresser à deux phénomènes conjoncturels qui me semblent révéler des faiblesses plus structurelles : la hausse du coût de l'énergie et la dépréciation de l'euro face au dollar.

Les prix de l'énergie importée ont connu une véritable explosion avec une hausse de plus de 380 % entre 2020 et 2022. Ce renchérissement du coût de l'énergie résulte en premier lieu des perturbations économiques et politiques mondiales, notamment de la guerre en Ukraine. La facture énergétique française a été multipliée par près de deux, passant de 27 à 48 milliards d'euros en 2022, et explique presque à elle seule la dégradation de notre balance commerciale. Le phénomène le plus marquant concerne l'électricité, puisque la France est, pour la première fois, importatrice nette d'électricité, avec un déficit de 1 milliard d'euros au premier semestre 2022. Les circonstances accidentelles seules ne suffisent pas à expliquer la faible disponibilité de notre parc nucléaire et on ne peut que regretter les choix politiques qui nous ont conduits, au nom d'une idéologie franchement irréaliste, à négliger ce qui constitue l'un de nos plus grands atouts.

Le renchérissement du coût de l'énergie est susceptible de constituer un phénomène durable et place nos entreprises dans une situation intenable. Les entreprises exportatrices voient ainsi leur compétitivité-prix affectée, tandis qu'à plus long terme leur compétitivité hors prix risque de se dégrader du fait d'un investissement insuffisant. Je tiens donc à alerter notre Assemblée sur la situation de notre tissu industriel qui, à court terme, va se trouver face à des difficultés majeures de trésorerie conduisant à la fermeture de capacités de production, notamment au sein de secteurs d'activité énergivores comme l'agroalimentaire, la chimie ou la pharmacie.

Cette conjoncture dégradée en France ne constitue pas pour autant une singularité en Europe. En effet, la zone euro dans son ensemble ainsi que nos principaux partenaires commerciaux – Allemagne, Italie, Espagne – sont durement affectés par ce choc énergétique. Outre une dégradation nette de leur balance commerciale, la conjoncture économique se traduit par un niveau d'inflation relativement plus élevé qu'en France. Ce différentiel d'inflation s'explique en partie par notre mix énergétique, ce qui souligne une fois encore la nécessité de renforcer notre indépendance en la matière.

La hausse conjoncturelle du prix de l'énergie révèle des faiblesses plus structurelles du marché européen de l'énergie. L'urgence est de réformer son fonctionnement, car il a joué un rôle d'amplification de la crise et non d'amortisseur. De manière générale, la fixation du prix de l'électricité par le coût de l'unité marginale de production, c'est-à-dire les centrales thermiques aux coûts de production les plus élevés – gaz, charbon et fioul – lie artificiellement le prix de l'électricité et du gaz, à notre désavantage. De plus, la libéralisation du marché énergétique français et la création du dispositif d'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh) sont un échec retentissant, tant sur les prix aux consommateurs que sur les investissements dans nos capacités de production. Le système actuel affecte fortement les capacités d'investissement d'EDF, qui apparaissent pourtant cruciales dans le contexte incertain et dégradé que nous connaissons. Je suis donc convaincu que la réforme structurelle du marché européen de l'électricité lancée par la Commission européenne, le 9 septembre, doit être l'occasion de refonder notre modèle et d'imposer des mécanismes plus favorables à notre modèle énergétique, notamment vis-à-vis de l'Allemagne.

La dépréciation très nette de l'euro face au dollar a également retenu mon attention. J'ai souhaité étudier ses conséquences sur le commerce extérieur français ainsi que sur le contexte inflationniste que nous connaissons. L'euro, pour la première fois depuis 2002, a atteint la parité avec le dollar, en raison d'une forte appréciation du dollar qui bénéficie d'un statut de valeur refuge et d'un environnement économique, politique et financier plus favorable. Les effets sur le commerce extérieur français sont difficiles à anticiper, notamment parce que d'autres phénomènes interviennent, déjouant ainsi les grandes lois de la théorie économique. Après une première dégradation de la balance commerciale du fait du renchérissement du coût des importations, la dépréciation devrait contribuer en théorie à accroître la compétitivité-prix des biens et services français, stimulant de fait nos exportations. Les secteurs de l'aéronautique, du tourisme ou encore du fret maritime pourraient ainsi être concernés par ces gains de compétitivité. Toutefois, la dépréciation alimente également l'inflation au travers des importations énergétiques et de matières premières libellées en dollars. Il semblerait donc que, dans ce cas précis, la conjoncture monétaire soit pénalisante pour la compétitivité des entreprises françaises, y compris à moyen terme.

Cette question m'a conduit à m'interroger sur les équilibres de la zone euro et sur ce que nous pouvions craindre des déséquilibres commerciaux croissants entre États membres – rappelons que 53 % de nos exportations concernent la zone euro. Le cadre de l'Union économique et monétaire ne permet plus aux États d'ajuster leurs déséquilibres commerciaux en agissant sur le taux de change. Cette situation est compensée par le mécanisme dit « Target 2 », propre à l'eurosystème, qui permet le financement de pays déficitaires par ceux en situation d'excédent. Alors que la locomotive de l'Union, l'Allemagne, s'apprête à entrer en décroissance, son déraillement aura des répercussions sur les pays du Sud, jusqu'à présent plutôt à la remorque.

Toutefois, les déséquilibres financiers entre les pays excédentaires – Allemagne et Pays-Bas – et les pays déficitaires – Italie, Espagne, Portugal et Grèce – se sont accrus depuis la crise des dettes souveraines et se traduisent par une dégradation des conditions d'emprunt des pays déficitaires. La situation économique de plus en plus préoccupante de l'Allemagne, qui devrait connaître une récession l'année prochaine, fait redouter une fragmentation de la zone euro.

J'appelle d'ailleurs votre attention sur une déclaration assez retentissante M. Christian Saint-Étienne, un économiste que l'on peut qualifier de mainstream et qui ne contribue pas à l'élaboration du programme économique et financier du Rassemblement national. Il a clairement posé la « question anglaise » : si l'Union européenne et plus particulièrement les fonctionnaires de Bruxelles deviennent des freins au rétablissement d'un équilibre des marchés financier et de l'énergie, alors la question d'une remise au pas de Bruxelles doit se poser de manière imminente. Nous entrons ainsi véritablement dans une zone de turbulences. La crise doit nous inviter à repenser le fonctionnement de l'Union européenne et de la zone euro.

En conclusion, le commerce extérieur français constitue un cas d'école politique qui permet d'embrasser les thématiques essentielles que sont les questions énergétiques et celles relatives au fonctionnement de l'Union européenne et de la zone euro. Les auditions que j'ai menées dans le cadre de ce rapport me conduisent à conclure en insistant sur les inquiétudes des acteurs économiques. Le renchérissement du coût de l'énergie et, dans une moindre mesure, le phénomène de dépréciation monétaire pèsent sur notre balance commerciale et fragilisent gravement notre appareil productif. Les effets à court terme, déjà visibles, et l'inquiétude exprimée par les entreprises sur l'ensemble de notre territoire doivent susciter une réaction volontariste et rapide des pouvoirs publics. Les effets à moyen et long termes consisteront en une dégradation préjudiciable de la compétitivité hors prix de nos entreprises. La conjoncture économique révèle en outre avec force le besoin de réformer structurellement, à l'échelle européenne, le fonctionnement du marché énergétique et celui de la zone euro. Il en va de la préservation de notre compétitivité et, plus largement, de notre avenir commun.

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