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Éric Ciotti
Question N° 1377 au Ministère de la justice


Question soumise le 20 septembre 2022

M. Éric Ciotti alerte M. le garde des sceaux, ministre de la justice, sur la restriction d'accès aux données téléphoniques dans le cadre d'investigations policières intervenue le 12 juillet 2022 du fait de quatre arrêts rendus par la chambre criminelle de la Cour de cassation. En effet, par ces décisions, la cour a estimé, dans le sillage de la Cour de justice de l'Union européenne, que l'accès à ces données, pourtant cruciales pour le travail des enquêteurs, doit être réservé à la « criminalité grave » et autorisé par une « une juridiction ou une entité administrative indépendante ». Jusqu'ici, c'est le procureur de la République qui, dans une procédure déjà cadrée mais relativement simple, autorisait les enquêteurs à accéder aux « fadettes », avec les données de géolocalisation et les sms. Désormais, en tirant les conséquences de la jurisprudence de la Cour de cassation, les enquêteurs devront demander cet accès aux juges d'instruction, déjà débordés, par le biais d'une demande largement motivée. En conséquence, le délai d'accès à ces données s'en trouve considérablement augmenté, pour peu que l'autorisation soit accordée. Ces données facilitent pourtant énormément le travail d'identification et de localisation des suspects. Sans l'accès à celles-ci, le travail des procureurs, policiers et gendarmes va se trouver grandement entravé, dans un contexte où les moyens d'investigation contre la délinquance et la criminalité manquent déjà dans le pays et où une potentielle réforme de la police judiciaire risque d'aggraver cet état de fait. Des affaires qui ne peuvent être résolues que par l'accès à ce type de données risquent de ne plus pouvoir l'être. D'autres, où la rapidité de localisation des suspects est cruciale, risquent de la même manière de se trouver sans résolution possible. Puisque la cour s'appuie sur la directive européenne « vie privée et communications électroniques » et la jurisprudence de la CJUE qui en découle, il lui demande si le Gouvernement entend porter urgemment une renégociation de ce texte au niveau européen, ou s'il envisage toute autre solution permettant de redonner à aux enquêteurs français accès à cet outil crucial pour leur travail au service des compatriotes.

Réponse émise le 7 mars 2023

Les éléments de preuves résultant de l'exploitation des données obtenues grâce aux réquisitions délivrées aux opérateurs de téléphonie mobile revêtent une importance majeure pour la manifestation de la vérité dans le cadre des investigations pénales. La question de la conservation et de l'accès de ces données pour les besoins des enquêtes pénales fait l'objet d'une jurisprudence restrictive de la Cour de justice de l'Union européenne depuis 2016, en raison des exigences inhérentes au droit de chacun au respect de sa vie privée. Les arrêts rendus par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 12 juillet 2022 tirent les conséquences des décisions rendues par la Cour de justice de l'Union européenne. D'une part, la Cour de cassation énonce que les données de connexion ne peuvent être obtenues que dans le cadre d'enquête pénales relatives à des infractions d'une certaine gravité. Sur ce point, la loi n° 2022-299 du 2 mars 2022 visant à combattre le harcèlement scolaire avait déjà limité une telle possibilité aux enquêtes relatives à une infraction punie d'au moins trois ans d'emprisonnement en application notamment du nouvel article 60-1-2 du code de procédure pénale. L'appréciation du caractère grave de la criminalité par les juridictions est également effectuée au regard de la nature des agissements de la personne mise en cause, de l'importance du dommage qui en résulte, des circonstances de la commission des faits et de la durée de la peine encourue. D'autre part, la Cour de cassation précise que la délivrance de réquisitions relatives aux données de connexion doit faire l'objet d'un contrôle préalable par une juridiction ou une autorité administrative indépendante au sens où l'entend la Cour de justice de l'Union européenne. Or, un tel contrôle, portant notamment sur la nécessité et la proportionnalité des réquisitions, est réalisé par les services du parquet selon les dispositions actuelles du code de procédure pénale relatives à l'enquête préliminaire et de flagrance. La Cour de cassation a toutefois jugé que les éléments de preuve ainsi obtenus ne peuvent être annulés que si une telle irrégularité portait concrètement atteinte aux droits de la personne poursuivie. Cette interprétation permet de limiter les cas dans lesquels la nullité des actes serait encourue et de sauvegarder la plupart des procédures pénales en cours. Dès le mois de juillet 2022, des guides à destination des juridictions pénales ont été diffusés afin d'exposer la portée des décisions de la Cour de cassation et de les accompagner dans la mise en œuvre de leurs conséquences. Par ailleurs, une réflexion approfondie est actuellement menée par les services du ministère afin d'apporter une solution juridiquement robuste et acceptable en pratique permettant de garantir l'efficacité de l'action des magistrats et des services enquêteurs en matière de lutte contre la criminalité.

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