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Fabrice Brun
Question N° 13881 au Secrétariat d'état au numérique


Question soumise le 19 décembre 2023

M. Fabrice Brun alerte M. le ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé du numérique, sur les rapports accusant les réseaux sociaux d'entretenir et de cacher leur caractère addictif et d'avoir un impact sur les capacités cognitives de leurs utilisateurs. En effet, le 24 octobre 2023, 33 procureurs d'États américains ont attaqué l'entreprise Méta pour avoir « conçu des fonctionnalités nocives pour rendre leurs utilisateurs dépendants au détriment de leur santé mentale et physique ». De son côté, la commission Marché intérieur et consommateur (IMCO) du Parlement européen a publié le 27 octobre 2023 un rapport sur la nature addictive des réseaux sociaux. Selon une enquête Ipsos, les Français de 13-19 ans passaient en moyenne 15 heures par semaine sur internet, les 7-12 ans 6 heures et les 1-6 ans, 4 heures 30. Chaque enfant est confronté très tôt à la possibilité de se connecter à ces plateformes et à en subir les effets néfastes. Pour cause, un usage excessif de ces réseaux peut avoir des conséquences sur le développement du cerveau des jeunes générations, leur apprentissage des compétences fondamentales et leur capacité d'attention. Cet usage peut être pénalisant pour l'assimilation de compétences liées au développement physique, psychique et social. Leur utilisation excessive pourrait aussi développer une forte dépendance ainsi qu'une grande sédentarité. Selon le rapport de l'IMCO, les créateurs des réseaux sociaux sont conscients de ces dangers. Ils utilisent volontairement le principe des récompenses, la compétition sociale, ainsi qu'un large éventail de stratagèmes pour rendre leur contenu toujours plus addictif. Des consommations qui peuvent entraîner des troubles physiques, dépressifs et mentaux, en toute légalité, sans qu'aucun message de prévention ne soit donné pour informer et protéger les utilisateurs. Cette consommation excessive et précoce de réseaux sociaux pourrait impacter l'ensemble de la jeunesse si rien n'est fait. Face à ces constatations et alors que le Parlement européen souhaite imposer de meilleures pratiques, plus saines, aux éditeurs de médias sociaux, il lui demande s'il compte mettre en place un plan de prévention contre les dangers que représentent les réseaux sociaux pour les utilisateurs et notamment les jeunes générations.

Réponse émise le 14 mai 2024

Le Gouvernement est pleinement conscient des risques qu'une surexposition aux écrans et un usage excessif des réseaux sociaux peuvent représenter pour le bien-être physique et mental de nos concitoyens, en particulier des plus jeunes. Les effets néfastes sur la santé et le développement des individus de l'utilisation d'écrans sont désormais bien établis, notamment en ce qui concerne le sommeil, la sédentarité, le manque d'activité physique, le risque de surpoids voire d'obésité, ou encore les problèmes de vue. Une enquête de l'Institut National de la Vigilance et du Sommeil de 2022 a ainsi montré que les enfants qui passent plus d'une heure sur les écrans entre 17 heures et 20 heures se couchent plus tardivement et voient leur temps de sommeil réduit. Le rapport récemment remis par la Commission Ecrans au Président de la République pointe également ces effets néfastes de façon claire et documentée. Outre les risques liés à l'utilisation des écrans eux-mêmes, l'exposition à des contenus inappropriés en ligne (contenus violents, contenus à caractère pornographique, propos et contenus haineux, etc.) peut également mettre en danger les jeunes. Une enquête publiée par l'association Génération numérique en février 2023 a ainsi montré que 7 jeunes sur 10 âgés de 11 à 18 ans considéraient eux-mêmes avoir déjà été exposés à des « contenus choquants sur Internet ou sur les réseaux sociaux ». Face à ces risques, le Gouvernement est pleinement mobilisé pour protéger les citoyens et leur garantir un environnement en ligne plus sûr, plus prévisible et plus fiable. La présidence française de l'Union européenne a ainsi permis l'adoption du règlement (UE) 2022/2065 du Parlement européen et du Conseil du 19 octobre 2022 relatif à un marché unique des services numériques (DSA), qui vise à responsabiliser les plateformes en ligne pour qu'elles luttent efficacement contre la propagation des contenus illicites ou préjudiciables, dans le respect des droits fondamentaux des utilisateurs. A ce titre, les très grandes plateformes en ligne ont désormais pour obligation d'identifier, d'analyser et d'atténuer les risques dits « systémiques » qu'elles font peser sur leurs utilisateurs. Concrètement, elles doivent recenser, évaluer et analyser de manière diligente les risques découlant de la conception ou du fonctionnement de leurs services et systèmes algorithmiques qui sont susceptibles d'avoir des conséquences négatives graves sur le bien-être physique et mental des personnes, y compris des mineurs. Elles doivent ensuite mettre en place des mesures raisonnables, proportionnées et efficaces pour atténuer ces risques, en adaptant notamment la conception et le fonctionnement de leurs services, systèmes de recommandation et interfaces en ligne. Le DSA prévoit également des prérogatives d'audit des algorithmes qui gouvernent ces plateformes, pour avoir un droit de regard sur leur construction et, le cas échéant, sur les biais cognitifs qu'ils induisent afin qu'ils soient corrigés. En cas de non-respect de ces nouvelles règles, les plateformes s'exposent à des amendes dont le montant peut atteindre jusqu'à 6% de leur chiffre d'affaires mondial. En cas de violations graves et répétées au règlement, les plateformes pourront même jusqu'à se voir interdire leurs activités sur le marché européen. Entièrement applicable depuis le 17 février 2024, ce texte produit déjà des effets. La Commission européenne a ouvert des enquêtes formelles à l'encontre de plusieurs réseaux sociaux, dont Meta, Snapchat, TikTok et YouTube, afin d'évaluer leur conformité aux dispositions du DSA relatives notamment à la protection des mineurs et à la gestion des risques liés à la diffusion de contenus préjudiciables et à la conception addictive de leurs services. Une de ces enquêtes a notamment abouti au retrait, quelques semaines seulement après le lancement de TikTok Lite en France et en Espagne, du programme « Task and Reward Lite » qui récompensait les utilisateurs s'ils accomplissaient certaines actions sur l'application (comme regarder des vidéos, aimer du contenu, suivre les créateurs, inviter des amis à rejoindre TikTok, etc.) et que la Commission européenne avait jugé comme posant des risques graves pour la santé mentale des utilisateurs, en particulier des mineurs. Au niveau national, le Gouvernement est également pleinement engagé sur cette question. Le 10 janvier 2024, le Président de la République a ainsi réuni une commission constituée d'experts issus de la société civile pour évaluer les enjeux attachés à l'exposition des enfants aux écrans et formuler des recommandations. A la suite de trois mois de travaux au cours desquels près de 250 jeunes et experts issus de différents domaines ont été auditionnés, la Commission Ecrans a rendu son rapport au Président de la République, le 30 avril 2024. Parmi les 29 propositions que compte ce rapport pour protéger les jeunes face à l'utilisation trop massive des outils numériques et mieux accompagner les parents et enseignants, plusieurs recommandations portent sur la lutte contre les conceptions addictogènes et enfermantes de certains services numériques. Afin de redonner du choix aux utilisateurs des services numériques, la Commission Ecrans recommande tout d'abord d'inverser la charge de la preuve pour lutter contre les conceptions et les algorithmes délétères des services numériques et se doter de capacités d'audits réguliers indépendants (proposition n° 1). Elle recommande également de proscrire les pratiques délétères en termes de conception et faire émerger un standard éthique européen (proposition n° 2) et de rendre le pouvoir à l'utilisateur par la reconnaissance d'un nouveau « droit au paramétrage » (proposition n° 3). Dans le but de créer des « coalitions » avec la recherche et la société civile pour armer le dialogue avec les acteurs du numérique et soutenir une stratégie d'action adaptée, la commission d'experts recommande par ailleurs de sécuriser, structurer et amplifier l'action de la société civile, comme relai incontournable de gestion des externalités négatives des plateformes (proposition n° 5) et, enfin, d'envoyer un signal clair d'investissement dans la recherche multidisciplinaire et d'ouverture des données pour renforcer la position du régulateur dans le dialogue avec les forces économiques (proposition n° 6). Le Gouvernement doit désormais instruire ces différentes mesures et opérationnaliser rapidement celles d'entre elles qui peuvent l'être au niveau national, pour poursuivre notre engagement en faveur de la protection du bien être mental et physique de nos concitoyens, et en particulier des plus vulnérables, dans l'espace numérique.

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