Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Stéphane Peu
Question N° 14891 au Ministère du ministère de la justice


Question soumise le 6 février 2024

M. Stéphane Peu interroge M. le garde des sceaux, ministre de la justice, sur l'engorgement du tribunal de proximité d'Aulnay-sous-Bois créé par le contentieux aérien du fait de sa proximité directe avec la plateforme aéroportuaire Roissy-Charles De Gaulle. Avec près de 13 115 dossiers en stock au 30 septembre 2023 et des délais d'audiencement qui avoisinent cinquante-cinq mois, le contentieux des demandes d'indemnisation des retards ou annulations de vols à l'aéroport de Roissy pose de véritables difficultés de traitement et entraîne un engorgement du tribunal de proximité d'Aulnay-sous-Bois. Ce contentieux est encadré par un règlement européen qui laisse aux États membres le libre choix de déterminer les juridictions compétentes en la matière. En droit français, l'article 46 du code de procédure civile prévoit qu'un demandeur peut, à son choix, ester le défendeur devant le tribunal du lieu de domicile de ce dernier ou la juridiction du lieu de la livraison effective de la chose ou encore celle du lieu de l'exécution de la prestation de service : en d'autres termes, les passagers souhaitant se faire indemniser peuvent saisir le tribunal du siège de la compagnie aérienne, du lieu de départ ou du lieu d'arrivée de leur vol. Cela étant, s'agissant de demandes en justice tendant au paiement d'une somme n'excédant pas 5 000 euros, l'article 750-1 du code de procédure civile prévoit que ces demandes doivent être précédées, au choix des parties, d'une tentative de conciliation menée par un conciliateur de justice, d'une tentative de médiation ou d'une tentative de procédure participative sans quoi le juge peut prononcer d'office l'irrecevabilité de ces demandes. Dans les faits, cette disposition législative est inopérante, le nombre de conciliateurs et de médiateurs étant insuffisant et la procédure participative, onéreuse. En conséquence, des avocats spécialisés apportent chaque semaine au tribunal de proximité d'Aulnay-sous-Bois des cartons entiers de requêtes. Afin de lever cette difficulté, M. le député propose de modifier l'article 750-1 du code de procédure civile afin de préciser qu'en matière de contentieux aérien, la médiation précitée est assurée par le Médiateur du tourisme et du voyage et que c'est la seule procédure amiable possible, à l'exclusion de la conciliation et de la procédure participative. M. le député estime qu'une telle évolution permettrait de régler à l'amiable 90 % des litiges, dans l'intérêt tant des passagers de vols retardés que dans celui des autres justiciables usagers des tribunaux de proximité. Cette modification législative bénéficierait d'ailleurs à d'autres tribunaux croulant sous ce type de requêtes du fait de la présence d'un aéroport important dans leur ressort. Selon les éléments fournis par les chefs de juridiction de Bobigny, une réunion a été organisée le 30 juin 2023 sous l'égide du premier président de la cour d'appel de Paris avec les présidents des tribunaux concernés - Paris, Bobigny, Créteil et Évry -, les avocats intervenant au titre de ce contentieux et le Médiateur du tourisme et du voyage, afin d'aller dans ce sens. Cependant, la décision tarde à venir tandis que les contentieux viennent chaque semaine engorger un peu plus les tribunaux de proximité. M. le député insiste sur l'urgence à légiférer sur le sujet. Aussi, il souhaite connaître l'avis de M. le ministre sur sa proposition visant à modifier l'article 750-1 du code de procédure civile afin de préciser qu'en matière de contentieux aérien, la médiation est assurée par le Médiateur du tourisme et du voyage et que c'est la seule procédure amiable possible, à l'exclusion de la conciliation et de la procédure participative.

Réponse émise le 21 mai 2024

Les juridictions du ressort de l'aéroport Charles de Gaulle font aujourd'hui face à un accroissement du contentieux aérien. Ce contentieux porte sur l'indemnisation des passagers en cas de refus d'embarquement, d'annulation ou de retard important d'un vol sur le fondement du Règlement (CE) n° 261/2004 du 11 février 2004, entré en vigueur le 17 février 2005. Or, le contentieux aérien porte majoritairement sur des demandes inférieures à 5 000 euros. Ces demandes entrent donc dans le champ d'application de l'article 4 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 et de l'article 750-1 du code de procédure civile (CPC), qui imposent au demandeur, préalablement à la saisine du tribunal judiciaire, de procéder à une tentative obligatoire de conciliation menée par un conciliateur de justice, de médiation ou de procédure participative à peine d'irrecevabilité de sa demande. Les chambres de proximité des tribunaux judiciaires rencontrent des difficultés pour absorber ce contentieux. Si l'insuffisance du nombre de médiateurs dans le ressort peut conduire à ralentir la procédure, d'autres causes peuvent expliquer l'échec de cette tentative amiable préalable obligatoire, comme la difficile identification des interlocuteurs à qui s'adresser au sein des compagnies aériennes ou encore la nécessaire présence des usagers aux rendez-vous fixés par les conciliateurs de justice ou les médiateurs. En cas de succès, le juge homologue l'accord issu du mode de règlement amiable, sans allègement pour autant du travail de convocation et de notification par les services du greffe. Le ministère de la Justice juge nécessaire d'améliorer l'effectivité de cette tentative préalable amiable obligatoire pour cette catégorie de litiges, qui ne nécessite pas qu'une question de droit soit tranchée puisqu'il s'agit du versement d'une indemnité forfaitaire fixée par le règlement précité. Le groupe de travail mis en place par le Premier Président de la cour d'appel de Paris fera des propositions. La suggestion qui consiste à modifier l'article 750-1 du code de procédure civile pour imposer, en matière de contentieux aérien, le recours au médiateur du tourisme et du voyage, comme seul préalable amiable obligatoire à l'exclusion de tout autre mode, présente de prime abord de nombreux avantages pour le justiciable. La médiation du tourisme et du voyage, créée le 18 juillet 2011 et référencée par la Commission de Contrôle et d'Évaluation de la Médiation de la Consommation (CECMC), a pour but de favoriser gratuitement le règlement amiable des litiges non résolus entre les consommateurs et les fournisseurs de services de voyage. Une fois saisie par le consommateur, le médiateur doit d'abord examiner la recevabilité de la demande (absence de saisine judiciaire et compagnie aérienne adhérente à la charte de la médiation du tourisme et du voyage), puis effectue des recommandations que le professionnel et le consommateur sont libres d'accepter, ou non. Ce processus remplit les exigences fixées par l'article 750-1 précité. Il est gratuit et a fait la démonstration de son efficacité. Le médiateur du tourisme et du voyage fait en effet état dans son rapport d'activité de 2022 d'un « taux d'acceptation de 98 % », ce qui illustre la confiance des professionnels et des consommateurs à l'égard de cet instrument. Depuis le covid, le nombre de saisines du médiateur du tourisme et du voyage a d'ailleurs doublé. Pour autant, cette proposition présente quelques inconvénients. Elle ne permettrait de remédier que partiellement à l'engorgement des tribunaux généré par le contentieux aérien. Tout d'abord, le litige doit relever du champ de la médiation de la consommation. Or, il s'avère que tout un pan du contentieux aérien relève du droit commercial s'agissant des voyages effectués dans un cadre professionnel. Le recours à la médiation du tourisme et du voyage n'est donc pas pertinent dans ces hypothèses. Ensuite, le champ d'action de la médiation du tourisme et du voyage est limité aux seules compagnies aériennes adhérentes. Or, toutes les compagnies aériennes n'ont pas adhéré à la charte de la médiation du tourisme et du voyage. Cette démarche préalable des compagnies aériennes constitue donc une limite importante à une généralisation de la médiation du tourisme et du voyage même si les compagnies non-adhérentes peuvent toutefois accepter sa médiation. Enfin, le médiateur du tourisme et du voyage ne serait pas en capacité d'absorber la totalité des affaires soumises à la tentative de règlement amiable préalable obligatoire. Le ministère de la Justice examine à l'heure actuelle toutes les solutions envisageables pour remédier aux difficultés que suscite le contentieux aérien pour les justiciables et les juridictions, et les diverses pistes sont actuellement à l'étude, pour améliorer rapidement le dispositif.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette question.

Inscription
ou
Connexion