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Jean-Philippe Tanguy
Question N° 15763 au Ministère auprès du ministre de l’agriculture


Question soumise le 5 mars 2024

M. Jean-Philippe Tanguy attire l'attention de M. le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire concernant l'avenir de la filière de la chicorée et de l'endive. Ces deux produits emblématiques des régions Haut-de-France et Nord-Pas-de Calais risquent de disparaître pour des raisons techniques. L'interdiction européenne de l'utilisation de la benfluraline va avoir de lourdes conséquences sur la production d'endive et de chicorée. Solution de désherbage des cultures légumières, la benfluraline, aussi connu sous le nom de Bonalan, est un produit indispensable pour les producteurs. Alors qu'il est le seul herbicide à lutter contre l'invasif chénopodes blancs, la Commission européenne a acté le retrait de ce produit, mettant à mal l'entièreté de la filière. Cette décision découle notamment d'un rapport fait par l'Efsa ; une erreur car l'Autorité européenne de sécurité des aliments s'est fondée sur un usage à 8 litres par hectare. Or, en France, le plafond est à 6 litres par hectare. Le retrait effectif ayant été fixé au 12 août 2023, un délai de grâce a permis de prolonger ce premier jusqu'au 12 mai 2024. Les producteurs n'ont plus que quelques mois pour trouver une solution. Certains se sont déjà tournés vers la betterave, culture moins rémunératrice que la chicoré mais aussi moins réglementée, bien qu'elle soit sujette à une inflation normative. Les producteurs ne disposent d'aucune alternative efficace pour lutter contre les espèces d'insectes ravageant leurs cultures, à l'instar du puceron lanigère qui s'attaque directement aux racines de l'endive. Les interdictions successives d'utilisation de produits phytosanitaires comptent malheureusement se poursuivre. En effet, la Commission européenne s'est engagée à réduire de 50 % l'usage de phytosanitaires d'ici à 2030. En supprimant une des deux principales molécules du processus de désherbage, la Commission européenne signe l'effondrement de toute une filière agricole française. Dans ce cas, la France n'aura pas d'autres choix que de remplacer sa production locale par des importations, en majeure partie en provenance d'Inde. Cependant la situation s'avère d'autant plus complexe en ce qui concerne l'endive puisque la France représente 50 % de la production mondiale (75 % est européenne). Au-delà des producteurs, cette interruption soudaine et définitive de l'usage de ces produits phytosanitaires se répercutera sur les consommateurs. Il lui demande donc si le Gouvernement envisage la mise en place d'une dérogation, suspendant momentanément l'interdiction de l'utilisation du Bonalan, afin de maintenir l'activité des producteurs, dans l'attente d'une alternative viable et opérationnelle.

Réponse émise le 4 juin 2024

Les producteurs d'endives et de chicorées sont directement confrontés à une impasse technique potentielle pour le désherbage à la suite de l'interdiction européenne de la benfluraline, commercialisée en France via le produit phytopharmaceutique appelé Bonalan. Avant de statuer, toutes les voies ont été explorées, à la demande de la France notamment, pour maintenir une approbation européenne permettant certaines utilisations de la benfluraline, même restreintes. L'autorité européenne de sécurité des aliments avait été mandatée pour évaluer l'effet de diverses méthodes d'atténuation des risques. Néanmoins, les analyses ont clairement permis d'identifier des risques écotoxicologiques, ainsi qu'une double suspicion d'un caractère cancérigène et reprotoxique de catégorie 2 (CMR2). En tant que substance fluorée, la benfluraline a été listée par l'agence européenne des produits chimiques parmi les 30 substances actives phytopharmaceutiques de la famille des per- et polyfluoroalkylées (PFAS). L'interdiction de la substance a néanmoins été accompagnée d'un délai de grâce de 15 mois, porté par la France, permettant ainsi une utilisation des stocks de produits pendant une partie de la campagne. La poursuite de la campagne 2024 d'endives et de chicorées pourra être conduite avec les autorisations existantes. S'agissant de la campagne 2025, les filières ont engagé des travaux d'identification d'autres solutions de désherbage, et le ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire est pleinement mobilisé pour permettre que des herbicides adaptés puissent être disponibles lors de cette campagne, en complément des herbicides déjà autorisés. C'est d'ailleurs l'objectif du cycle de réunion sur les alternatives de courts termes aux produits phytosanitaires interdits lancé le 15 mars 2024. Ce travail permet notamment d'objectiver les distorsions de concurrence liées à des différences d'autorisations de mise sur le marché (AMM) entre la France et les autres États membres de l'Union européenne. Une réunion dédiée à l'endive a eu lieu le 19 avril 2024 et de premiers éléments devraient être présentés le 24 mai 2024. Par ailleurs, dans le cadre du programme national d'expérimentation (PNE), deux substances d'intérêt sont actuellement à l'étude et dans l'attente de données complémentaires : l'halauxifène-méthyl et la pendiméthaline. Ces données pourront être générées en 2024 par des essais via une convention sur le budget du PNE. Un permis d'expérimentation a d'ores et déjà été déposé à l'agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) pour un produit à base d'halauxifène-méthyl. Selon les éléments qui pourront être générés sur ces substances, des dérogations d'urgence pourraient être déposées par les filières endivière et de chicorée afin d'utiliser de tels produits pour la campagne 2025. En tout état de cause, ces substances présentent un profil toxicologique et écotoxicologique plus favorable que la benfluraline. Néanmoins, afin d'apporter un maximum de visibilité et de pérenniser les solutions de protection, il sera demandé à ce que les détenteurs de ces produits s'engagent à déposer auprès de l'Anses une demande d'AMM, en parallèle des demandes de dérogations. Concernant les méthodes non chimiques, les filières travaillent sur le désherbage mécanique automatisé et la pulvérisation intelligente ultra-localisée. Le désherbage des chicorées en particulier, a été recensé parmi les usages prioritaires du plan de souveraineté alimentaire pour la filière fruits et légumes. Les travaux futurs devront être de nature à pallier les conséquences de l'interdiction du Bonalan pour les filières endivière et de chicorée. À ce titre, le Gouvernement mettra à disposition tous les outils jugés nécessaires afin d'accélérer le développement et l'adoption d'alternatives. C'est tout le sens du travail mené au sein du plan d'action stratégique pour l'anticipation du potentiel retrait européen des substances actives et le développement de techniques alternatives pour la protection des cultures, dit PARSADA. Les filières pourront ainsi certainement profiter des avancées agronomiques et techniques prévues par l'appel à projets dédié à la gestion de l'enherbement dans les cultures légumières, qui a été ouvert en janvier 2024 dans le cadre du PARSADA.

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