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Didier Le Gac
Question N° 1995 au Ministère de la justice


Question soumise le 11 octobre 2022

M. Didier Le Gac attire l'attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice sur la mise en œuvre pratique des dispositions contenues à l'article 8-2 de la loi n° 86-462. En effet, cet article introduit par la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 précise : « Lorsque le conjoint du locataire, son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou son concubin notoire quitte le logement en raison de violences exercées au sein du couple ou sur un enfant qui réside habituellement avec lui, il en informe le bailleur par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, accompagnée de la copie de l'ordonnance de protection délivrée par le juge aux affaires familiales dont il bénéficie et préalablement notifiée à l'autre membre du couple ou de la copie d'une condamnation pénale de ce dernier pour des faits de violences commis à son encontre ou sur un enfant qui réside habituellement avec lui et rendue depuis moins de six mois. La solidarité du locataire victime des violences et celle de la personne qui s'est portée caution pour lui prennent fin le lendemain du jour de la première présentation du courrier mentionné au premier alinéa au domicile du bailleur, pour les dettes nées à compter de cette date. Le fait pour le locataire auteur des violences de ne pas acquitter son loyer à compter de la date mentionnée au deuxième alinéa est un motif légitime et sérieux au sens du premier alinéa de l'article 15 ». Si ces dispositions prennent bien en compte la situation des conjoints victimes de violence, elles méconnaissent les conséquences du caractère parfois soudain et urgent pour ces conjoints de quitter leur domicile. Dans certaines situations, ces victimes n'ont pas le temps de procéder aux démarches requises par cet article de loi. C'est la raison pour laquelle il lui demande s'il ne serait pas envisageable de modifier ce texte en précisant simplement que « lorsqu'un conjoint, quel que soit son statut matrimonial, quitte le logement en raison de violences exercées au sein du couple ou exercées sur un enfant, ces faits de violences ayant été portés devant la justice et les preuves ayant été données que la victime bénéficie d'un nouvel hébergement, il ne pourra lui être imputé la responsabilité des dettes occasionnées par le conjoint violent après la date de séparation ». Il lui demande donc comment il entend faire évoluer la loi à ce sujet et par quel véhicule législatif il entend modifier l'article 8-2 de la loi n° 89-642.

Réponse émise le 12 décembre 2023

La lutte contre les violences conjugales et intrafamiliales constitue l'une des priorités d'action du Gouvernement. Cette lutte se traduit par la mise en oeuvre de dispositifs destinés à prévenir les risques de réitération résultant notamment de la promiscuité de l'auteur et de sa (ou ses) victime (-s) au sein d'un même logement. La loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018, portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique dite Loi Elan a introduit un nouvel article 8-2 dans la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989, tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86- 190 du 23 décembre 1986. Il permet à la victime du locataire liée à ce dernier par mariage, pacte civil de solidarité ou relation de concubinage notoire, qui quitte le logement en raison des violences exercées contre elle ou un enfant qui réside habituellement avec elle, de se libérer de l'obligation de paiement solidaire de la dette locative à laquelle elle est tenue en application de la loi ou du contrat de bail. Elle doit pour cela en informer le bailleur par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, en lui communiquant la copie de l'ordonnance de protection délivrée par le juge aux affaires familiales dont elle bénéficie et préalablement notifiée à l'autre membre du couple, ou la copie d'une condamnation pénale de ce dernier pour des faits de violences commis à son encontre ou sur un enfant qui réside habituellement avec elle et rendue depuis moins de 6 mois. La solidarité prend fin dès le lendemain du jour de la première présentation du courrier au bailleur, pour les dettes nées à compter de cette date. Il ressort des débats parlementaires ayant présidé à la création de cet article 8-2 que la volonté du législateur a été de protéger les victimes tout en ménageant les intérêts du bailleur, qui se voit privé d'un garant. Le dispositif contribue à la protection des victimes, car il les décharge du paiement solidaire du règlement du loyer afin que leur situation financière ne soit pas obérée. Il est néanmoins encadré afin d'en éviter le détournement au préjudice des bailleurs : la cessation de la solidarité s'applique à compter de l'information de ce dernier et sur justificatifs, à savoir la production d'un jugement pénal ou de l'ordonnance de protection.  La condition de production de justificatifs assure l'équilibre du dispositif, étant entendu que le législateur s'est par ailleurs assuré que ces justificatifs puissent être obtenus rapidement par la victime. Ainsi, la loi n° 2019-1480 du 28 décembre 2019 a imposé que l'ordonnance de protection soit délivrée par le juge aux affaires familiales dans un délai maximal de six jours à compter de la fixation de la date de l'audience, s'il estime, au vu des éléments produits devant lui et contradictoirement débattus, qu'il existe des raisons sérieuses de considérer comme vraisemblables la commission des faits de violence allégués et le danger auquel la victime ou un ou plusieurs enfants sont exposés. Afin d'assurer le respect de ces délais contraints, plusieurs mécanismes procéduraux ont été adaptés. D'abord, la date de l'audience est signifiée au défendeur par commissaire de justice, et les frais de cette signification sont pris en charge par l'Etat au titre des frais de justice. Ensuite, des circuits de l'urgence ont été mis en place au sein des juridictions, afin de réorganiser entièrement les circuits de procédure de ces dernières en plusieurs étapes et d'accélérer le traitement de ces requêtes. Enfin, pour faciliter le départ de la victime de violences conjugales du domicile, la loi du 28 février 2023 créant une aide universelle d'urgence pour les victimes de violences conjugales, a prévu un soutien financier au bénéfice de la victime sous la forme d'un don ou d'un prêt sans intérêt. La victime de violences conjugales ne sera, en tout état de cause, déliée de toute obligation à l'égard du bailleur que pour autant qu'elle délivre, en sus, un congé à ce dernier. A cet égard, le législateur a encore pris en considération l'urgence des situations en écourtant le délai de préavis applicable au congé. Aux termes de l'article 15 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989, ce délai est d'un mois pour le locataire bénéficiaire d'une ordonnance de protection ou dont le conjoint, partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou concubin fait l'objet de poursuites, d'une procédure alternative aux poursuites ou d'une condamnation, même non définitive, en raison de violences exercées au sein du couple ou sur un enfant qui réside habituellement avec lui. Les dispositions issues de la loi n° 86-462 s'inscrivent, en outre, dans le traitement judiciaire prioritaire spécifiquement réservé aux affaires pénales de violences intrafamiliales. Les circulaires du 9 mai 2019 et du 28 janvier 2020 ont en effet rappelé une préconisation majeure en matière de violences conjugales, à savoir la mise en place, au sein des juridictions, d'une politique pénale ferme, pouvant concrètement se traduire par plusieurs actions de l'autorité judiciaire dont la célérité du traitement judiciaire de ces affaires. Parmi ces actions, reprises dans une dépêche synthétisant les instructions générales diffusée le 24 septembre 2021, se trouvent en effet préconisés, outre le recours par le procureur de la République à des modes de poursuites rapides telles que la comparution immédiate, la comparution à délai différé ou la comparution par procès-verbal du procureur assortie d'un placement sous contrôle judiciaire, la création de créneaux d'audience à bref délai, voire des audiences consacrées aux violences intrafamiliales. Ces instructions générales de politique pénale visant l'audiencement et le jugement rapide des affaires de violences intrafamiliales s'inscrivent enfin en pleine cohérence avec la création de pôles spécialisés en matière de violences intrafamiliales à compter de janvier 2024 dans tous les tribunaux et cours d'appel. Ces pôles permettront en effet de garantir une action coordonnée et rapide de tous les acteurs judiciaires et de leurs partenaires avec notamment la mise en place de filières d'urgences et la création de passerelles entre les procédures civiles et pénales. Le décret instaurant ces pôles a été publié le 24 novembre 2023 et la circulaire d'application diffusée à l'ensemble des juridictions le 27 novembre 2023.

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