Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Aurélie Trouvé
Question N° 2177 au Ministère de l’économie


Question soumise le 11 octobre 2022

Mme Aurélie Trouvé alerte M. le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique sur le contentieux d'investissement impliquant la France dans le projet dit « La Montagne d'Or », en Guyane. En juin 2021, l'entreprise russe Nordgold, par l'entremise de ses deux actionnaires majoritaires, a formellement initié un contentieux arbitral contre la France : le contentieux est lié au refus de l'état français, en janvier 2019, de prolonger la concession minière « Paul-Isnard » où est proposé le projet de mine industrielle aurifère de la « Montagne d'Or ». La société, légalement enregistrée à Londres et détenue par deux holdings russes contrôlées par le même actionnaire, estime que la décision de mettre un terme à la concession contrevient aux obligations internationales de la France au titre du traité bilatéral d'investissement France-Russie. L'inconditionnel soutien du ministre puis président Emmanuel Macron au projet industriel de la « Montagne d'Or » jusqu'à l'automne 2018 s'apparente à un « engagement » au titre du traité du point de vue des investisseurs russes. La société réclame près de 4 milliards d'euros en réparation à l'annulation d'un projet dont elle espérait qu'il rapporterait au moins 3 milliards d'euros à terme. Mais dont la première brique n'a jamais été posée. Ce contentieux, l'un des premiers impliquant la France comme défendeur dans une procédure d'arbitrage d'investissement, révèle tous les risques de la centaine de traités bilatéraux d'investissement engageant le pays. Il survient avant que les recours locaux soient épuisés et quand bien même les tribunaux français ont donné raison aux porteurs du projet à toutes les étapes. Le traité France-Russie protège les investissements opérés via des structures intermédiaires dès lors que les actionnaires de contrôle possèdent la nationalité de l'une des parties. Investisseur français ou russe, il est donc possible d'entamer un contentieux arbitral contre l'État adverse à partir de n'importe quelle structure, enregistrée n'importe où dans le monde. Cela permet de choisir le TBI le plus avantageux, du treaty ou du standard shopping, en somme. La compagnie de la « Montagne d'Or » estime enfin ses dépenses d'investissement totales à 780 millions d'euros (coûts d'exploitation et de décommissionnement compris) : et si le projet est effectivement abandonné, ce sont environ 500 millions qui auront été investis. Même si le projet opérait sur une durée de douze ans comme espéré, le résultat net attendu serait d'environ 630 millions. On est loin des 4 milliards requis en compensation ! Il en découle plusieurs questions relatives au contentieux lui-même et au devenir de l'accord bilatéral d'investissement liant la France et la Russie. Quelle est la stratégie de défense de la France ? Quel arbitre a-t-elle désigné et pour quelles raisons ? A-t-elle désigné des conseils pour sa défense et si oui lesquels ? Quel sera le coût de cette défense pour les finances publiques ? Ce sont là des informations relevant de la transparence la plus élémentaire, à la fois vis-à-vis du législateur et du grand public. Les associations et les experts alertent depuis longtemps sur le risque légal et financier que prennent les gouvernements qui multiplient ces accords dans l'espoir d'attirer les investissements. En outre l'existence d'un traité bilatéral France-Russie octroyant autant de privilèges aux capitaux russes investissant dans le pays apparaît injustifiable alors que l'Europe est en guerre avec la Russie et que la plupart des « oligarques » russes, dont M. Mordashov, propriétaire réel de Nordgold, font l'objet de sanctions internationales. Le devenir de ce contentieux est-il affecté par l'existence de ces sanctions ? Et surtout, M. le ministre va-t-il envisager la suspension du traité France-Russie compte tenu du conflit et des sanctions à l'œuvre ? Même si la clause de survie de l'article 11 permettra son activation pendant encore 15 ans, ce serait un geste politique salutaire en même temps qu'un pas dans la direction, souhaitable, du désarmement du dispositif de protection des investissements internationaux. Elle souhaite connaître sa position sur le sujet.

Réponse émise le 14 février 2023

A l'issue du premier Conseil de défense écologique qui s'est tenu le 23 mai 2019, le Gouvernement s'est exprimé contre la poursuite du projet minier industriel dit de « la Montagne d'Or » en Guyane. Les concessions relatives à ce projet minier n'ont pas été renouvelées par le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, les conditions d'exploitation du site, telles qu'envisagées par les concessionnaires, ayant été jugées incompatibles avec les ambitions de la France dans le domaine de la protection de l'environnement et de la biodiversité. Le Gouvernement défend actuellement sa décision de ne pas donner suite au projet devant les juridictions administratives françaises, vers lesquelles s'est tournée la Compagnie Minière de la Montagne d'Or. Il défendra également cette décision, au titre de son droit légitime à réglementer pour la défense de l'environnement et de la biodiversité, dans le cadre de la procédure d'arbitrage international intentée en juin 2021 contre la France par les actionnaires russes du projet, les sociétés Severgroup et KN-Holding, sur le fondement du traité bilatéral d'investissement en vigueur entre la France et la Fédération de Russie. Le Gouvernement est représenté dans le cadre de la procédure d'arbitrage international par la direction des affaires juridiques du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, qui bénéficie de l'assistance du cabinet Gide Loyrette Nouel. Le déroulé de la procédure arbitrale est ralenti compte tenu des mesures restrictives européennes touchant les actionnaires des sociétés demanderesses. Le travail du tribunal arbitral sur l'organisation et la mise en place de la procédure est actuellement suspendu. En cas de reprise de l'instance arbitrale, le tribunal devra en particulier se prononcer sur le degré de publicité de l'affaire, à laquelle le Gouvernement est évidemment attaché, notamment aux fins de la bonne information de la représentation nationale.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette question.

Inscription
ou
Connexion