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François Ruffin
Question N° 7346 au Ministère auprès du ministre de l’économie


Question soumise le 18 avril 2023

M. François Ruffin interpelle M. le ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l'industrie pour savoir si la France et l'Europe doivent devenir entièrement dépendantes de la Chine sur la lysine. « Le site Eurolysine d'Amiens est le seul, depuis 1976, à produire de la lysine pour toute l'Europe ». À l'occasion d'un conflit social, M. le député a rencontré, à l'usine Metex d'Amiens, le directeur général du site. M. David Demeestere l'a alerté sur la perte complète de la souveraineté française sur une molécule utile : « Cet acide aminé est utilisé dans la pharmacie, pour l'Aspégic par exemple, mais surtout pour la nourriture animale : les porcs, les volailles. À partir de 2015, la Chine a augmenté ses capacités de façon colossale, pour moins dépendre du soja américain. Et leurs énormes surplus, ils les écoulent ailleurs, notamment ici. D'autant que, jusqu'alors, l'Europe avait 6 % de droits de douane sur la lysine, mais en 2021, on les a supprimés, 0 %. Aujourd'hui, en Europe, 85 % du marché est désormais couvert par les importations chinoises ». Jusqu'alors, l'usine appartenait au groupe japonais Ajinomoto. « Ils ne voulaient plus de ce site : manque de compétitivité. C'était soit on fermait, sont on trouvait un repreneur. On a trouvé Metex, une start-up qui travaille sur les souches, qui a une vraie stratégie industrielle. Pour aller vers la cosmétique, le bio-sourcé, fabriquer des anti-rides. Dans le calendrier, ce développement, ça doit arriver en 2025-2026. D'ici là, il faut tenir avec la lysine ». Avec un gros souci dans le business plan : « Depuis la guerre en Ukraine, avec la hausse du prix de l'énergie, des matières premières, du sucre notamment, ça nous met dedans. Nous avons doublé nos coûts de production, nous sommes passés à 2,80 euros du kilo. Le prix de vente des Chinois, c'est 1,50 euros. Le déséquilibre, avec la Chine, c'est que nous, on paie le sucre au prix mondial. Même si tout est produit ici, en Picardie et on en consomme, rien que notre usine, 5 % de la production française... C'est passé, en un an, de 400 euros la tonne à plus de 1 000 euros. Tandis qu'en Chine, ils ont des prix en partie administrés. Et surtout, on ne tient pas compte de la pollution. Nous, ici, notre empreinte carbone, c'est cinq fois moins que les produits chinois. On économise 700 000 tonnes de carbone en produisant encore de la lysine ici. Donc on voudrait bien de l'Ajustement carbone aux frontières, mais la chimie n'est pas comprise dedans ». Du coup, la direction se rabat sur un « coût fixe » qu'elle maîtrise : les salariés. « On veut économiser deux millions d'euros sur l'intérim l'été. » Plus un emprunt : « On a dû monter une procédure de conciliation et nos partenaires, les banques, l'État, la BPI nous ont suivis. On a obtenu 73 millions ». M. le ministre a une responsabilité : la lysine est-elle une molécule importante ou non ? Peut-on devenir 100 % dépendant des importations chinoises ? Le coût écologique ne doit-il pas être intégré à l'équation ? Et autres questions : sur la betterave, comme sur l'électricité, sur des productions et des consommations nationales, doit-on s'attacher aux prix d'un marché mondial, financiarisé, spéculatif, délirant ? La Chine, en l'occurrence, ne fait-elle pas preuve d'un peu de bon sens, à imiter ? Bref, M. le député demande à M. le ministre de protéger la seule usine de lysine sur le continent européen. Et la planète. Et ses salariés. Et la conviction, profonde, ancrée, de M. le deputé : tant que régneront « libre circulation des marchandises » et « concurrence libre et complètement faussée », la ré-industrialisation, la relocalisation de l'industrie française, ne seront que des leurres. Il lui demande sa position sur ce sujet.

Réponse émise le 11 juillet 2023

La dépendance de la France et de l'Europe vis-à-vis de la Chine pour la lysine est aujourd'hui une question primordiale. La lysine est un acide aminé essentiel pour l'alimentation animale et la production pharmaceutique et la perte de souveraineté de l'Europe sur cette molécule pourrait avoir des conséquences économiques et stratégiques réelles. Les services de l'État saluent les efforts fournis par l'entreprise Metex pour maintenir une production de lysine française tout en limitant les émissions de gaz à effets de serre ; en effet, ces efforts entrent pleinement dans l'ambition gouvernementale de réindustrialisation verte de la France. L'État a donc mis en œuvre différents moyens afin d'accompagner Metex dans son développement et dans le traitement de ses difficultés. L'entreprise a bénéficié d'activité partielle de septembre 2022 à février 2023, permettant d'écouler ses stocks de production et de limiter ses dépenses. L'état a suivi de près et accompagné la résolution du conflit social qui a duré du 5 au 14 avril 2023. D'autres leviers d'accompagnement sont en cours d'instructions d'un dossier dans le cadre d'un appel à projet du plan d'investissement France 2030, lequel est en cours d'insstructions par les opérateurs. Plus généralement, afin de répondre à la crise énergétique, le Gouvernement a mis en place un dispositif complet prenant en charge une partie des hausses des factures d'électricité et de gaz des entreprises. Dès le mois de février 2022, la fiscalité sur l'électricité (TICFE) a été abaissée à son minimum légal européen. Cette baisse est reconduite en 2023 et représente un soutien de 8,4 milliards d'euros pour les entreprises. En outre, en réponse à la crise ukrainienne, l'Union européenne a adapté son cadre juridique pour permettre de soutenir les entreprises. Un encadrement temporaire de crise des aides d'État a été adopté par la Commission européenne le 23 mars 2022 ouvrant notamment la possibilité pour les États membres de mettre en place des aides afin de couvrir les surcoûts dus à une augmentation exceptionnellement importante des prix du gaz naturel et de l'électricité. Le guichet d'aide gaz et électricité a été ouvert sur cette base dès le mois de juillet 2022. Enfin, pour faciliter les démarches des entreprises, un ensemble de documentation est mis à leur disposition sur le site impots.gouv.fr. Chaque entreprise peut également solliciter son conseiller départemental de sortie de crise pour obtenir plus d'informations. La lysine fait aujourd'hui l'objet d'un droit de douane de 6,3 % à l'importation. Sous réserve de satisfaire un certain nombre de conditions, la règlementation européenne permet l'ouverture de contingents tarifaires autonomes pour certains produits insuffisamment disponibles au sein de l'Union européenne. Sur demande de plusieurs États-membres, un contingent tarifaire s'est ouvert sur la lysine depuis 2020. À ce jour, ce contingent permet d'importer 300 000 tonnes de lysine par an en exemption de droits de douane. Dans le cadre des négociations de ce contingent qui ont lieu chaque année, l'État a continuellement défendu les intérêts de l'entreprise Metex auprès de la Commission européenne. Par ailleurs, l'inclusion des produits chimiques, comme la lysine, dans le champ d'application du Mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF), n'a pas été retenue à ce stade pour deux raisons principales : la forte complexité de la chaine de valeur, qui rend difficile la traçabilité des produits, ainsi qu'un risque de substitution par d'autres produits chimiques. Ces raisons sont détaillées dans l'analyse produite par la Commission européenne en novembre 2022 dans le cadre du groupe de travail du Conseil sur le MACF. Les produits inclus dans le périmètre du MACF, qui étaient alloués pour lutter contre les délocalisations liées au coût du carbone, ne percevront plus de quotas gratuits à horizon 2034, mais bénéficieront du MACF. À l'inverse, les produits non couverts par le MACF et exposés au risque de fuite de carbone, comme la lysine, continueront à percevoir des quotas gratuits, mais ceux-ci se réduiront progressivement en lien avec la réduction des plafonds d'émissions du système européen d'échange de quotas. Aussi, la Commission européenne doit analyser la possibilité d'étendre le périmètre du MACF à d'autres produits, dont les produits chimiques organiques comme la lysine, et ce pendant la phase de transition du mécanisme (1er octobre 2023 – 31 décembre 2025). Comme l'indique l'analyse évoquée plus tôt, « l'inclusion des produits chimiques organiques se caractérise par une grande complexité technique. Des consultations approfondies avec les États membres et les parties prenantes de l'industrie seraient nécessaires pour soutenir le développement de méthodologies et de valeurs par défaut pertinentes pour les émissions des produits chimiques organiques les plus importants. » À l'issue de cette évaluation, la Commission pourra formuler une proposition législative pour amender le règlement MACF et potentiellement étendre son périmètre aux produits chimiques organiques. Selon le résultat du processus législatif qui aurait lieu, il pourrait donc y avoir une inclusion de ces produits avant la montée en charge du MACF en parallèle de la diminution des quotas gratuits (à compter du 1er janvier 2026). Une inclusion ultérieure pourrait également intervenir, la Commission devant réaliser des rapports d'évaluation biannuels (le premier à réaliser avant fin 2027) portant notamment sur l'extension du périmètre du MACF et pouvant faire l'objet de propositions législatives. Monsieur le ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l'industrie et ses équipes assurent leur pleine mobilisation sur le sujet, ainsi que leur détermination dans l'accompagnement de l'activité industrielle française.

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