Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Ugo Bernalicis
Question N° 737 au Ministère de l’intérieur


Question soumise le 9 août 2022

M. Ugo Bernalicis interroge M. le ministre de l'intérieur et des outre-mer sur la réforme territoriale de la police nationale et de création de directions départementales de la police nationale (DDPN), expérimentée dans huit départements depuis 2021, portée en binôme par le ministre de l'intérieur, Gérald Darmanin et le directeur général de la police nationale, Frédéric Veaux. Annoncée dans le « Livre blanc sur la sécurité intérieure » de novembre 2020, cette réforme, voulue pour une mise en application définitive dès 2023, est très critiquée parmi les officiers de police judiciaire et les juges d'instruction. L'objectif principal affiché est que tous les services de police d'un département seront placés sous l'autorité d'un unique directeur quand, jusqu'ici, il y avait une direction différente qui coordonnait la police aux frontières, la sécurité publique, les renseignements et la police judiciaire. Le point de crispation porte sur le fait que ce nouveau directeur départemental de la police sera placé sous l'autorité fonctionnelle du préfet du département, l'autorité hiérarchique revenant au directeur zonal. Par une telle réforme organisationnelle, la volonté politique est donc de dissoudre les services régionaux de police judiciaire et de rattacher leurs effectifs à une direction départementale tricorps, placée sous la houlette d'un préfet affichant ainsi sans ambages une défiance aux rôles des procureurs de la République et des magistrats instructeurs sur les fonctions judiciaires. C'est d'ailleurs ce que l'association française des magistrats instructeurs a précisément indiqué dans un communiqué le 15 juillet 2022 en mettant en garde contre « la fin annoncée de la police judiciaire », crainte partagée par de nombreux enquêteurs de la police judiciaire, qui alertent les élus. Partageant cette analyse, M. le député regrette non seulement que cette réforme soit conduite contre les agents de terrain et la magistrature, mais également qu'elle fait porter un risque majeur de déstabilisation de la lutte contre la criminalité organisée et financière en France et plus généralement contre toute forme de délinquance grave. Que cache cette réforme ? Assurément, une première réponse tient dans une volonté de gestion de la pénurie de moyens au détriment du judiciaire. Mais le risque principal porte sur l'indépendance de la justice ! En effet, ériger une direction unique sous l'autorité du préfet conduit à porter une atteinte grave et irréversible au secret de l'enquête et de l'instruction, le directeur départemental de la police nationale étant sous l'autorité du préfet. Les risques d'ingérences, ou à tout le moins des soupçons d'ingérences, dans les enquêtes judiciaires, seront démultipliés notamment lorsqu'elles portent sur des dossiers économiques et financiers et des dossiers sensibles. Ainsi, M. le député souhaite connaître le calendrier de travail du ministère et précisément les modalités d'évaluation mise en place pour les expérimentations. Il souhaite également savoir à défaut de retrait de ladite réforme, quelles sont les garanties envisagées ou mises en place afin de protéger le secret des enquêtes et des instructions ? Comment l'indépendance des enquêteurs de la PJ sera garantie au profit de l'institution judiciaire ? Il a des interrogations sur cette chaîne unifiée de commandement, entièrement dépendante des préfets à compter de 2023 et souhaiterait avoir des clarifications sur les risques suivants : l'attribution préférentielle des moyens aux services de voie publique, dans une optique gestionnaire et de communication, le conflit de loyauté des services de PJ, au profit de l'autorité administrative et au détriment de l'autorité judiciaire, la pression, fuites ou absence de moyens concernant les enquêtes complexes, chronophages ou sensibles, la perte du libre choix, par les magistrats mandants, des services enquêteurs, la désaffection des enquêteurs pour les services de PJ et, enfin,la distorsion avec l'organisation des services de la gendarmerie nationale.

Réponse émise le 22 novembre 2022

Tournée vers les territoires, guidée par les principes d'efficacité et de proximité, menée en partenariat avec les acteurs du continuum de sécurité, la politique du Gouvernement vise à améliorer la sécurité des Français dans leur vie quotidienne. Pour atteindre cet objectif, il convient de renforcer les moyens des forces de l'ordre. Tel est le sens du « plan 10 000 » policiers et gendarmes supplémentaires mené à bien au cours du précédent quinquennat et de la hausse de près de 3 milliards d'euros des crédits alloués à la police nationale et à la gendarmerie nationale entre 2017 et 2022. D'importantes réformes ont également permis de renforcer et d'adapter l'arsenal juridique. Ces efforts vont se poursuivre avec le prochain projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur, particulièrement ambitieux et qui aura vocation à être enrichi par le Parlement. La hausse des effectifs doit être conjuguée à une action résolue en termes de gains d'efficacité. Sont en effet essentielles les questions de gouvernance, d'organisation et d'adaptation aux évolutions de la délinquance. La police nationale poursuit à cet égard le chantier de rénovation de son organisation pour optimiser ses capacités et son ancrage dans les territoires, avec notamment la création en 2020 et 2022, de directions territoriales de la police nationale (DTPN) dans les territoires d'outre-mer. Préconisation du Livre blanc de la sécurité intérieure et mis en route au terme du « Beauvau de la sécurité », le projet de création de directions départementales de la police nationale (DDPN) répond à une ambition d'efficacité, de déconcentration et de proximité, avec pour objectif de mieux adapter l'action aux exigences des territoires. Il s'agit de placer sous un commandement unifié l'ensemble des services de la police nationale dans les départements. Porteuse de synergies, de rationalisation et d'optimisation des moyens pour une meilleure efficacité au bénéfice de nos concitoyens, cette direction de police unique permettra d'améliorer l'efficacité de la gouvernance territoriale et les capacités opérationnelles de la police nationale, notamment sa présence sur la voie publique. La réforme a été engagée à titre expérimental dans trois départements de métropole en janvier 2021, puis étendue à cinq départements supplémentaires au premier trimestre 2022. Elle sera généralisée à l'horizon 2023. Cette organisation unifiée ne remet pas en cause les filières métiers auxquels sont attachés les policiers (sécurité et paix publiques, renseignement territorial, frontières et immigration irrégulière). Elle ne remet notamment pas en cause la filière police judiciaire. Au contraire, elle ambitionne de mieux l'organiser de manière intégrée, et d'en améliorer le pilotage, dans toutes ses composantes, avec des structures centrales, zonales, départementales et locales. Sur le plan national, une direction nationale de la police judiciaire (DNPJ) concevra et mettra en œuvre la doctrine de la police judiciaire et sera responsable de l'ensemble de la filière investigation. Elle restera le pilote des structures opérationnelles à compétence nationale de l'actuelle direction centrale de la police judiciaire (DCPJ), qui seront maintenues. Les offices centraux en particulier - ancrés dans le temps et au savoir-faire reconnu - subsisteront. Les antennes territoriales des offices seront également maintenues et chaque département disposera d'une filière judiciaire. Ainsi, loin de disparaître, la filière police judiciaire sera renforcée et forte de près de 23 000 personnels, contre 5 600 agents aujourd'hui au sein de la DCPJ. Aucun policier de PJ ne fera autre chose que ce qu'il fait aujourd'hui, sur son lieu d'affectation actuel. Il ne sera pas demandé aux enquêteurs de PJ de mener les enquêtes actuellement dévolues à la sécurité publique. Ils pourront au contraire se concentrer sur ce qu'ils savent le mieux faire en bénéficiant du soutien logistique et de gestion de la nouvelle direction départementale (surveillances de gardes à vue, gestion administrative, etc.). La cartographie de l'actuelle Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) ne sera pas modifiée, si ce n'est pour la renforcer, en créant, par exemple, de nouvelles antennes d'offices centraux. Pour le dire clairement : aucune antenne PJ, aucun office ni aucun service ne sera supprimé. L'échelon zonal sera toujours compétent pour la criminalité organisée ou les affaires liées à la probité des élus. Quant aux moyens dédiés au traitement de la grande criminalité, ils seront augmentés dans le cadre de la future loi d'orientation et de programmation du ministère de l'Intérieur. La réforme doit, naturellement, se faire dans la concertation, afin notamment de répondre aux inquiétudes que suscite cette réforme au sein de la police judiciaire. Elle a été présentée aux organisations syndicales de la police nationale à plusieurs reprises avec, depuis le mois de juin 2022, une association des chefs territoriaux qui ont été chargés de déterminer les organisations territoriales dans le respect des grands principes fixés au niveau national. Enfin, un bilan de la création des directions territoriales de la police nationale dans les outre-mer et des expérimentations des directions départementales de la police nationale a été confié à l'inspection générale de l'administration et à l'inspection générale de la police nationale. L'inspection générale de la justice y est associée en ce qui concerne les relations entre les autorités judiciaires et la police judiciaire. Ce bilan sera effectué au début de l'année 2023. L'objectif est de finaliser la réforme au deuxième semestre 2023 en s'appuyant tant sur les conclusions de ce bilan que sur le fruit des concertations en cours et celles qui s'engageront avec les organisations syndicales à l'issue des élections professionnelles de décembre.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette question.

Inscription
ou
Connexion