Intervention de Hervé Street

Réunion du jeudi 4 mai 2023 à 9h00
Commission d'enquête relative aux révélations des uber files : l'ubérisation, son lobbying et ses conséquences

Hervé Street, ancien sous-traitant FedEx :

C'est en effet à partir de 2014 que l'ubérisation s'est intégrée aux plateformes de messageries express à travers Amazon, qui les a chargées de la livraison de colis. Très peu chère, la livraison des produits Amazon est aujourd'hui devenue gratuite. C'est également en 2015 qu'UPS a manqué le rachat de TNT, dont l'autorisation a finalement été obtenue par FedEx. La situation n'a cessé d'empirer depuis lors : les prix diminuent en permanence et de manière très brutale. Ainsi, l'une de mes tournées, qui me garantissait un chiffre d'affaires de 5 500 euros hors taxe ne me rapportait plus que 1 800 euros hors taxe un mois plus tard.

Ces plateformes incitent donc le client à être livré à très peu de frais ou gratuitement ; mais dans le même temps, le sous-traitant est contraint d'adopter des méthodes frauduleuses pour survivre. Nous n'avons de cesse de relancer les donneurs d'ordre – par écrit, par huissier, par recommandé –, mais ils restent aux abonnés absents. Le récent cas de Fast Despatch, qui avait Amazon pour unique client et qui a dû licencier 1 500 salariés, est emblématique. DPD, GLS et UPS se trouvent dans la même situation.

Parmi les témoignages que je reçois, 50 à 80 % des sous-traitants reconnaissent l'emploi de méthodes frauduleuses dans le secteur des transports. En voici un exemple : «  à un moment donné, on ne s'en sort plus financièrement, à moins de faire du transport illicite. Si seulement on était tous solidaires, on n'en serait pas là aujourd'hui, à travailler gratuit et dans l'illégalité  ».

Un sous-traitant sur deux ne se paie pas ; un sous-traitant sur deux a recours à la fraude et au travail dissimulé. À ces méthodes s'en ajoute une troisième, qu'un chef de centre m'a conseillée personnellement : déclarer mes chauffeurs sans déclarer d'Ursaff ni de TVA, avant de déposer le bilan au bout de deux ans, en me donnant la garantie d'être repris sans passer par la procédure d'appels d'offres. Ainsi, régulièrement, des sous-traitants déposent le bilan avec 300 000 euros de dettes au tribunal de commerce. Étant donné qu'ils n'ont commis aucune faute de gestion mais qu'ils ne sont simplement pas assez payés, la dette est prise en charge par le fonds de garantie. L'État indemnise les salariés qui seront repris plus tard par leur patron. Ce dernier recrée une boîte, à son nom ou celui d'un membre de sa famille. Comme me l'a récemment confirmé un cadre toujours en activité chez FedEx, certaines sociétés sont reprises jusqu'à onze fois sous différents noms.

En 2017, je suis arrivé avec toutes ces preuves dans le bureau de la présidente Mathilde Goffard. J'étais loin de me douter que c'était elle qui avait organisé ce système. J'ai même dû embaucher les chauffeurs d'un autre sous-traitant ayant déposé le bilan en attendant qu'il recrée son entreprise au nom de sa femme, sous la menace de perdre mon contrat. Ces méthodes sont un manque à gagner énorme pour l'État.

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