Intervention de Inès Bernard

Réunion du jeudi 11 mai 2023 à 9h00
Commission d'enquête relative aux révélations des uber files : l'ubérisation, son lobbying et ses conséquences

Inès Bernard, juriste salariée d'Anticor :

Selon un sondage publié en 2019, 79 % des citoyens considèrent que les décideurs sont trop influencés par les lobbys. Nous estimons que la décision publique doit être « libérée » de l'emprise des lobbys. Parfois, ces activités d'influence peuvent même donner lieu à des infractions pénales, au premier rang desquelles figurent le trafic d'influence et la corruption. Par exemple, si un lobbyiste promet ou accorde un avantage quelconque à un décideur public pour le conduire à prendre une décision, l'infraction de corruption peut se trouver caractérisée. Le trafic d'influence, quant à lui, peut prendre la forme d'une invitation ou d'un voyage offert. De fait, la frontière est souvent ténue entre certaines pratiques des lobbys et les infractions à la probité.

Il est extrêmement important d'éviter ces dérives. Par conséquent, l'activité des lobbys auprès des décideurs publics doit être rigoureusement encadrée. Nous avons analysé la « loi Sapin 2 », laquelle constitue une avancée considérable, puisqu'elle a créé le répertoire des représentants d'intérêts, qui est hébergé sur le site de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Cependant, il nous semble que son décret d'application a vidé une partie du dispositif de sa substance et de son effectivité.

Un certain nombre de points nous semblent particulièrement gênants donc perfectibles. Le premier concerne la définition du lobbying prévue par la loi, qui circonscrit les activités d'influence à celles intervenues à l'initiative des décideurs publics. Or des groupes de lobbying sont extrêmement installés auprès des décideurs et ces derniers peuvent être conduits à les consulter directement. Nous considérons également que les décideurs publics ont, en outre, une responsabilité dans le choix des personnes qu'ils consultent. Nous estimons donc que cette définition doit être modifiée.

De même, la définition des décideurs publics nous apparaît très restrictive. Par définition, le Président de la République n'est pas considéré comme un décideur public, ce qui nous semble assez peu compréhensible. Par ailleurs, depuis la loi du 1er juillet 2022, la définition des décideurs publics a été étendue aux décideurs locaux. À ce titre, la loi s'applique uniquement aux maires des communes de plus de 100 000 habitants. Nous considérons que ce seuil est trop élevé : des maires de communes de plus de 50 000 habitants peuvent être aussi soumis à des opérations d'influence importantes. Nous pensons donc qu'ils devraient être inclus dans cette réglementation.

Ensuite, un certain nombre de groupes sont exclus de la définition commune et ne sont pas soumis à l'obligation de déclaration, ce qui nous pose là aussi une difficulté. Il s'agit notamment des associations à objet cultuel qui peuvent pourtant mener des actions d'influence importantes dans les sujets qui les concernent. De la même manière, un certain nombre de personnes morales de droit public sont également exclues de la définition des activités d'influence, qu'elles exercent pourtant fréquemment. Je pense notamment aux États, comme en témoigne le « Qatargate » récemment dévoilé au sein du Parlement européen, qui a concerné à la fois le Maroc et le Qatar. Il nous semble ainsi dommage d'exclure les États et la plupart des personnes morales de droit public du champ des acteurs susceptibles d'exercer une activité d'influence. Il en va de même pour les associations d'élus et un certain nombre de syndicats, qui sont partiellement exonérés.

Une autre difficulté a trait au risque de contournement des critères de définition, dans la mesure où ceux-ci sont très complexes. Pour qu'une personne morale soit soumise à l'obligation de déclaration à la HATVP, il faut, soit que la représentation d'intérêts constitue son activité principale (c'est-à-dire qu'elle y consacre plus de la moitié de son temps), soit qu'elle l'exerce de manière régulière (c'est-à-dire qu'elle ait effectué plus de dix actions de représentation d'intérêts sur une période de douze mois). Ce dernier élément est apprécié de manière individuelle pour les personnes morales. À la lecture de ces conditions, il apparaît donc bien que le contournement de la réglementation est assez simple à réaliser.

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