Intervention de Bernard Cazeneuve

Réunion du jeudi 11 mai 2023 à 9h00
Commission d'enquête relative aux révélations des uber files : l'ubérisation, son lobbying et ses conséquences

Bernard Cazeneuve, ancien Premier ministre :

Il concernait l'ensemble des infractions au travail dissimulé, le non-respect des dispositions concernant la maraude – c'est-à-dire le fait que les chauffeurs d'Uber prenaient directement des clients alors qu'ils n'avaient pas le droit de le faire –, le non-respect des zones de stationnement qui devaient rester le monopole des taxis car, en réalité, à la demande d'Uber, les chauffeurs d'Uber Pop créaient les conditions d'une tension maximale afin de susciter le plus grand désordre de manière à ce que le droit évolue en leur faveur.

La stratégie était assez simple et, pour atteindre cet objectif, on ne respectait pas la maraude, on utilisait des collaborateurs dans des conditions totalement contraires au droit du travail, dans des conditions d'opacité dont la presse s'est fait largement l'écho et dont l'affaire des Uber files révèle l'ampleur. Mon objectif était de faire en sorte que toute infraction à la législation relative au transport de personnes et au travail dissimulé fût sanctionné.

Tel était le contenu de mon signalement au procureur de la République. Ayant constaté que tout cela n'était pas respecté et estimant qu'il était du rôle de l'État de faire en sorte que cela le fût, nous prenions des dispositions pour que les procureurs et magistrats agissent.

Vous avez accès à ces documents qui sont par ailleurs publics mais je les retrouverai et vous les communiquerai.

Nous avons donc été extrêmement fermes. Et je l'ai été pour ma part avec une détermination totale parce que j'étais ulcéré par le comportement d'Uber. Je ne pouvais pas accepter – en tant que ministre de l'Intérieur, c'était sans doute consubstantiel à la fonction, mais c'était aussi tout à fait conforme à mes convictions – que des sociétés étrangères liées aux « Gafam » américains viennent sur le territoire national, alors qu'ils ne payaient aucun impôt et rarement des charges sociales, pour imposer un droit conforme à leurs intérêts en bafouant ouvertement le droit voté par le souverain et dont l'État avait en charge l'application. J'étais assez remonté et il me semble que, dans les articles de presse qui ont fait état de cette affaire, le représentant d'Uber fait part des mots désagréables que j'ai pu avoir à son encontre. Je les confirme en tous points. Pour la simple et bonne raison que, de mon point de vue, si l'on commence à négocier avec ceux qui enfreignent la loi, l'État de droit n'existe plus.

Je réponds donc à votre question sur le « deal » : il n'y a pas eu de « deal » auquel j'aie participé sur ce sujet car il n'y avait pas de « deal » à avoir avec des acteurs qui estimaient qu'ils avaient à se placer au-dessus des lois au motif qu'ils étaient financièrement puissants. Ma réponse est très claire : je n'ai participé à aucun « deal » d'aucune sorte. Il n'était pas question qu'il en fût autrement compte tenu de la conception de l'action qui était la nôtre, que je viens de rappeler et qui est traçable.

Je veux aller plus loin dans la réponse : y a-t-il eu, à un moment donné, en interministériel, de la part du Gouvernement, l'évocation d'un « deal » ? Je pense que vous entendrez d'autres membres du Gouvernement mais, à ma connaissance, jamais ! Jamais dans mes conversations avec le Premier ministre, le ministre de l'Économie et des Finances ou le ministre des Transports n'a été évoqué un « deal » de cette nature. J'en aurais refusé jusqu'au principe, cela était hors de question.

Pourquoi, malgré tout, évoque-t-on un « deal » alors qu'il n'y en a pas eu ? Je sais qu'il n'y en a pas eu car il ne pouvait y en avoir sans le ministère de l'Intérieur. Des discussions ont sans doute eu lieu entre le ministre de l'Économie et des Finances et les représentants de la nouvelle économie. J'en ai eu aussi et elles n'ont pas été aimables ni nombreuses : une par téléphone et la deuxième dans mon bureau, en juin 2015. Les choses ne se sont pas bien passées et ont été dites de manière extrêmement ferme, puisque je leur ai demandé d'arrêter les activités illégales, sans aucune contrepartie – car il n'y en a aucune à donner pour l'arrêt d'activités illégales. Ce serait renoncer à l'État de droit. Les choses ont été actées puisqu'ils ont cessé leurs activités.

Des discussions ont-elles également eu lieu dans d'autres ministères ? Je l'imagine puisqu'ils avaient plus de raisons de les voir que je n'en avais moi-même. Toutefois, à aucun moment, ni avec les ministres de l'Économie et des Finances de l'époque ni avec le Premier ministre, il n'a été question d'un quelconque « deal ». Je tiens à être très clair à ce sujet parce que cela correspond à la réalité des faits auxquels j'ai été confronté lorsque j'étais au Gouvernement.

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