Intervention de Danielle Simonnet

Réunion du jeudi 11 mai 2023 à 9h00
Commission d'enquête relative aux révélations des uber files : l'ubérisation, son lobbying et ses conséquences

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDanielle Simonnet, rapporteure :

J'entends votre argumentation, mais vous comprendrez qu'à l'époque les chauffeurs de taxi se sentaient reconnus en tant que profession réglementée, et défendus en cela par votre ministère et par celui des transports. S'ils ne savaient pas à quel point les liens entre le ministère de l'Économie et les dirigeants d'Uber étaient proches – ils l'ont découvert par les Uber files –, ils avaient bien compris que l'orientation idéologique du ministre de l'Économie, Emmanuel Macron, penchait en faveur de la déréglementation, y compris de leur secteur, et allait dans le sens de l'ubérisation agressive qui se développait. Cette question des deux arrêtés a été vécue de manière totalement différente par les acteurs en question, les uns ayant considéré le second arrêté comme une victoire, les autres au contraire comme une renonciation au contrôle – quoi qu'en dise le préfet Laurent Nuñez, que nous avons entendu.

Selon les révélations Uber files, c'est Emmanuel Macron qui a choisi le terme de « deal » conclu avec Travis Kalanick.

En janvier 2015 a lieu une deuxième rencontre entre Travis Kalanick et Emmanuel Macron. Certes, Uber fait alors face à des enquêtes judiciaires pour travail dissimulé et l'on assiste à des arrestations de chauffeurs d'UberPop. Toutefois, selon les éléments livrés par les Uber files, un dirigeant lobbyiste d'Uber, présent lors de cette deuxième rencontre à Bercy, envoie un compte rendu aux avocats de l'entreprise. À propos d'Emmanuel Macron, il indique que ce dernier est favorable à une licence « light » pour les VTC et, par conséquent, à un allégement significatif des conditions requises renforcées par la « loi Thévenoud ». L'objet du « deal » sera le suivant : « Nous nous sommes mis d'accord avec EmmanuelMacron sur un process en deux temps : 1/ proposer un ou plusieurs amendements à la loi Macron avant demain soir afin de modifier la réglementation actuelle introduite par la loi Thévenoud. » Il s'agissait donc d'une volonté de déconstruire cette loi. Il poursuivait : « 2/ nous avons une fenêtre de quatre semaines pour mener une campagne de communication avec Macron afin de faire accepter l'idée qu'une licence VTC « light » serait une solution pour l'emploi et la mobilité. Dans ce contexte, il s'agira de trouver le moment opportun pour rédiger un décret abolissant le régime proposé par la loi Thévenoud et introduire une réglementation plus souple. »

Durant cette période, nous avons donc d'une part des ministres très attachés à l'État de droit – le ministère de l'Intérieur, le ministère des Transports et, je pense, le Premier ministre de l'époque, que nous interrogerons – et, d'autre part, un ministre de l'Économie qui juge nécessaire, par disruption et choix idéologique, de déréglementer très fortement. Jusque-là, à la limite, il s'agit d'un débat politique : au Premier ministre d'arbitrer et au débat parlementaire de définir l'intérêt général de manière transparente.

Le problème est que la multiplication des rencontres entre Emmanuel Macron et le lobby d'Uber intervienne dans l'opacité la plus totale. Leurs rendez-vous ne sont inscrits dans aucun agenda et ne sont pas connus. On sent qu'il existe une volonté stratégique et manœuvrière de la part du cabinet et de l'équipe du ministre de l'Économie de l'époque d'imposer un débat, avec un réseau de députés qui vont défendre des amendements, cela dans une totale opacité.

Sur la stratégie des amendements, nous avons entendu M. Luc Belot. Selon les journalistes, il avait été acté entre l'équipe d'Uber et l'équipe d'Emmanuel Macron que le ministre de l'Économie donnerait un avis défavorable sur certains amendements qui visaient à remettre en cause le retour au garage des chauffeurs de VTC. Ces amendements servaient de leurre pendant que se préparait l'allègement de la formation. Pendant que des ministères faisaient appel à Thomas Thévenoud et, par la suite, à Laurent Grandguillaume pour trouver un compromis qui soit le plus respectueux de l'État de droit et qui réponde aux enjeux, une autre stratégie était développée par Emmanuel Macron.

Que pouvez-vous dire de ce qui se décidait entre vous et de la connaissance que vous aviez de toutes ces stratégies de manœuvres opérées par le biais de parlementaires ?

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion