Intervention de Christophe Caresche

Réunion du jeudi 11 mai 2023 à 14h00
Commission d'enquête relative aux révélations des uber files : l'ubérisation, son lobbying et ses conséquences

Christophe Caresche, ancien député :

Je me suis impliqué dans ce dossier bien avant qu'Uber ne s'implante en France. J'ai fait partie de l'équipe municipale de Bertrand Delanoë en 2001. Pendant sa campagne électorale, que je dirigeais, nous avions présenté un programme de développement des transports en commun à Paris, reposant notamment sur le développement des couloirs de circulation réservés aux bus et aux taxis et sur l'augmentation significative de l'offre de taxis à Paris. Une fois élus, nous avons essayé de mettre en œuvre cette disposition. Or nous n'avons jamais réussi à obtenir de la préfecture de police cette augmentation significative du nombre de taxis, mais seulement une trentaine de licences supplémentaires.

En effet, l'État s'était placé dans une situation intenable dans la gestion des taxis. La profession de taxi est réglementée. Progressivement, dans les années 1980, un marché des autorisations s'est développé de manière souterraine. Ces dernières étaient données gratuitement par l'État, à condition de respecter un certain nombre de critères de qualification. Les détenteurs de ces autorisations ont commencé à les revendre et à les échanger au fil du temps.

En 1995, le ministre de l'Intérieur, M. Pasqua, a décidé de régulariser cette situation et a donné entière satisfaction à la demande des chauffeurs de taxi en autorisant le marché des autorisations de stationnement. Cette décision n'était pas motivée du côté de l'État par des raisons de gestion, puisque ces autorisations étaient octroyées sans contrepartie financière. Elle n'était pas non plus justifiée du point de vue des consommateurs puisqu'il était clair qu'elle finirait par affecter le prix de la course.

De fait, cette décision a entraîné une véritable inflation du prix de ces autorisations, qui, au bout de dix ans, a atteint 250 000 euros à Paris et plus de 400 000 euros aux abords des aéroports. Dès lors, il est devenu impossible à l'État d'augmenter significativement le nombre de licences, pour la simple raison que cela aurait provoqué la baisse mécanique du prix des autorisations de stationnement sur le marché.

Plusieurs tentatives en témoignent : Nicolas Sarkozy avait ainsi confié une mission à Jacques Attali en 2007 sur la libération de la croissance. Parmi ses recommandations figurait l'augmentation du nombre de licences de taxis parisiens. Deux jours après la publication du rapport, les taxis ont menacé de bloquer Paris et les aéroports ; dans la soirée, le Gouvernement a indiqué qu'il renonçait à cette proposition du rapport Attali.

Aussi, quand est arrivée Uber en 2011, il s'agissait pour certains d'entre nous d'une divine surprise, puisque cette plateforme répondait finalement à la nécessité d'augmenter le nombre de taxis ou de VTC. L'anecdote veut d'ailleurs que le fondateur d'Uber ait décidé de lancer son entreprise durant un séjour à Paris en constatant le nombre insuffisant de taxis à l'aéroport de Roissy. D'ailleurs, dès 2011, Uber a connu un très grand succès. Les Parisiens y ont vu une nouvelle offre qui leur a permis de se déplacer. La tendance était d'ailleurs favorable à Uber : les utilisateurs étaient satisfaits de la qualité du service.

Les taxis n'ont pas eu tort de parler de concurrence déloyale : ils payaient un droit d'entrée exorbitant et voyaient des chauffeurs exercer leur activité sans avoir à s'en acquitter. Cependant, ce n'est pas Uber qui était en tort mais la gestion paternaliste et clientéliste de cette affaire par l'État. D'ailleurs, dans d'autres pays, Uber ne s'est pas implanté lorsque l'offre de taxis était satisfaisante.

En 2011, j'étais adjoint au maire chargé des relations avec la préfecture de police. J'étais aussi député de Paris.

À partir de là, la tension a monté et des altercations ont débuté. Les taxis étaient de plus en plus nerveux : Uber représentait en effet une forme d'innovation. À ce moment, la préfecture de police et le ministère de l'Intérieur – car la France est le seul pays où les taxis sont gérés sous un angle d'ordre purement public, et non sous un prisme économique – sont intervenus. Une mission a été confiée au député Thévenoud, qui a proposé un rapport dont est issue une proposition de loi. Ce rapport était très déséquilibré.

Lors de la présentation de la proposition de loi, Bernard Cazeneuve, alors ministre de l'Intérieur, a déclaré : «  La proposition de loi a pour objet d'empêcher les VTC de pratiquer la maraude électronique afin de préserver pleinement le monopole des taxis  ». L'objectif était donc très clair.

Plus encore, cette proposition de loi proposait de créer une application avec l'aide de l'État pour les taxis. Il ne s'agissait de rien de moins que de transférer l'innovation d'Uber aux taxis ! De même, l'obligation de retour à la base ne visait qu'à faire baisser la tension et à donner des gages aux chauffeurs de taxi. Une grande partie de ces propositions, d'ailleurs, n'a jamais été appliquée : c'est le cas de l'interdiction de la géolocalisation pour les VTC. Cette mesure était totalement virtuelle !

Nous étions donc nombreux à émettre des réserves, même si nous n'avons pas refusé toutes les propositions. Avec d'autres députés, comme Luc Belot, nous avons donc décidé de nous organiser pour défendre, non pas les VTC, mais les consommateurs, qui, le soir, attendaient parfois une heure et demie pour trouver un taxi à la sortie des gares.

Or, deux ans après, bis repetita  ! Dans une même législature, nous avons examiné deux propositions de loi sur les taxis et les VTC.

Dans le cadre de la « loi Grandguillaume », nous sommes revenus sur plusieurs dispositions. L'État a tenté d'augmenter les barrières à l'entrée, notamment avec des obligations sur la formation, ce qui a entraîné de grandes difficultés pour les chauffeurs, qui doivent très rapidement rentabiliser la location de leur véhicule. Pour ma part, je considère avoir fait mon travail d'élu parisien en défendant un service de taxis, puis de VTC. Il y en a désormais 20 000, contre 10 000 à l'époque.

Finalement, toutes ces dispositions n'ont jamais été appliquées – puisqu'elles étaient inapplicables ; de plus, les taxis se sont mis à niveau. M. Rousselet me l'avait dit lui-même : l'application de la G7 est tout à fait performante. Un effort considérable a été consenti par les taxis. Ceux-ci doublent à peu près l'offre dans Paris et la métropole et chacun a l'air semble plutôt satisfait.

Je précise qu'Uber n'a jamais été la seule plateforme de VTC. J'ai rencontré de nombreux acteurs de ce secteur. M. Rousselet m'avait d'ailleurs dit qu'il était conscient que les taxis devaient s'améliorer et qu'il avait l'intention de contribuer à cette amélioration.

Quand le dossier m'est parvenu, il se trouve que j'avais une relation qui connaissait le directeur des affaires institutionnelles d'Uber, M. Quintard Kaigre. Il m'a fait visiter le centre d'Uber dans le XIXe arrondissement. J'ai pu échanger avec des chauffeurs à cette occasion. Je ne m'en suis d'ailleurs pas caché puisque j'ai publié un tweet à ce sujet.

Par la suite, nous nous sommes revus à deux reprises, dans mon bureau. Nous n'avons jamais déjeuné ensemble. Je n'ai jamais rencontré d'autres représentants d'Uber.

S'agissant des amendements, je veux d'abord rappeler qu'il est courant que les entreprises privées aussi bien que les syndicats ou les ONG envoient des propositions d'amendements aux députés qu'ils savent sensibles sur le sujet. J'ai toujours prêté attention à ces propositions, sans jamais les reprendre dans leur totalité. Le Monde a indiqué que j'avais déposé un des amendements proposés par Uber. Si je l'ai fait, c'est qu'il était bien écrit et que j'ai considéré qu'il méritait d'être défendu au cours du débat. Cependant, ce n'était pas l'amendement d'Uber mais le mien, dès lors que je l'ai signé. Dans tous les cas, c'est bien la délibération en séance et les réponses du rapporteur et du ministre qui comptent. Je ne vois donc pas de problème majeur à cela.

En revanche, je conteste formellement l'idée d'avoir été le « VRP d'Uber » : le terme est infamant.

Par ailleurs, vous évoquez un «  lobbying agressif » : j'ai vu bien pire qu'Uber ! Vous oubliez en effet qu'Uber n'était alors qu'une petite start-up – avec, certes, une capitalisation énorme, mais une structure très faible. Elle n'avait rien à voir avec les grandes entreprises dotées d'une armée de lobbyistes, de directeurs, d'institutionnels et de services structurés. À l'époque, elle ne comptait probablement qu'Alexandre Quintard Kaigre dans son service. Nous avons échangé : je n'avais d'ailleurs pas besoin que l'on m'explique le problème, puisque j'étais déjà assez convaincu. Enfin, il ne faut pas oublier que le lobbying des taxis, lui, était au cœur même de l'État.

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