Intervention de Dominique Potier

Séance en hémicycle du mardi 13 juin 2023 à 15h00
Discussion d'une proposition de loi — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDominique Potier :

L'étude prospective Agrimonde-Terra parue en 2020, à laquelle ont comme toujours participé des dizaines d'organisations nationales dont, pour ce qui concerne la France, l'Inrae – Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement –, le Cirad – Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement – et l'AFD – Agence française de développement –, a abouti à une conclusion totalement partagée et positive : nous pouvons nourrir les 10 milliards d'habitants que comptera le monde en 2050. Il n'y a pas de limite physique qui nous en empêcherait : c'est possible !

En revanche, pour ce faire, quelques conditions sont à respecter. Si ces conditions sont simples, elles n'en sont pas moins porteuses de bouleversements et elles nécessiteraient de sortir de nos trajectoires de développement. Ces conditions sont les suivantes : mettre un terme à l'accaparement des terres et les partager, assurer le renouvellement des générations en garantissant un revenu digne à tous les paysans partout dans le monde, et établir un commerce équitable non seulement entre les espaces ruraux et les métropoles, mais aussi entre les pays et entre les continents. Je le répète, en instaurant un commerce équitable, en assurant un revenu digne aux paysans et en protégeant les terres agricoles, nous pouvons nourrir le monde. C'est le défi de notre génération, en lien avec un autre enjeu connexe et imbriqué : celui du climat.

Le traité UE-Mercosur tient-il compte de ces défis majeurs, sur lesquels nous serons jugés par nos enfants et nos petits-enfants qui, dans trente ans, nous demanderont ce que nous avons fait, en 2023, quand nous avons eu à nous prononcer sur cette question ? Nous recherchions la formule exacte du cardinal de Retz avant la reprise de la séance, monsieur le ministre délégué : j'invite le Président de la République, la Première ministre, l'exécutif dans son ensemble, à sortir de l'ambiguïté. Dans le cas contraire, ainsi que l'affirment toutes les études, ce sont 1 million d'hectares de l'Amazonie qui pourraient être détruits au profit des cultures de soja.

Une telle issue mettrait en péril notre sécurité alimentaire, car en détruisant l'Amazonie, non seulement nous contribuerions indirectement à l'accélération du dérèglement climatique et à l'épuisement d'une partie de notre réserve de biodiversité, mais nous porterions atteinte à l'économie de nos élevages, notamment aux 5 millions d'hectares du Massif central dont l'écosystème constitue pour ainsi dire un réservoir d'eau pour l'ensemble de notre pays.

Bref, si nous nous engageons en faveur de ce traité et si vous ne sortez pas de l'ambiguïté, nous risquons d'engager des processus irréversibles dans les domaines environnemental et social, qui sont très liés, mais aussi s'agissant du respect des droits humains des peuples d'Amazonie et des paysans d'Amérique du Sud, de France et d'Europe.

Il faut donc rejeter ce traité : c'est le sens de cette proposition de résolution, et je salue à cet égard Pascal Lecamp ainsi que les collègues de droite comme de gauche qui se sont engagés en faveur de ce texte.

Nous sommes parvenus à nous réunir autour de positions communes. Manquent-elles de clarté ? Je ne le crois absolument pas.

Nous demandons que le traité commercial ne soit pas séparé du traité global : pouvez-vous nous apporter une réponse précise sur ce point, monsieur le ministre délégué ?

Pouvez-vous également nous assurer que vous militerez pour que cet accord soit un accord mixte, nécessitant donc l'approbation des assemblées des différents États membres de l'Union européenne et non de la seule Commission européenne ?

Enfin, dernière revendication – qui surplombe les deux autres –, des questions aussi importantes que celles dont il est ici question – nous parlons d'écocide et de droits humains fondamentaux – ne pourraient-elles pas être négociées de manière transparente ?

Ce traité est non seulement archaïque sur le fond – je crois que nous l'avons largement démontré – mais aussi sur la forme. Cet accord ubuesque, insensé, est élaboré dans l'opacité. S'il devait entrer en vigueur, nous permettrions, dans une forme d'hubris, à des industriels de l'automobile ou de l'aéronautique d'échanger leurs capacités de développement, ce qui ruinerait les chances de survie de l'humanité.

Au minimum, nous avons besoin de transparence. Il nous faut un traité de nouvelle génération, ou pas de traité du tout. Pouvez-vous nous donner de manière claire, monsieur le ministre délégué, la vision de la France sur cet accord ? En effet, cette proposition de résolution transpartisane vise essentiellement à faire pression sur le Gouvernement français, dont les signaux ont été pour le moins ambigus ces derniers temps, pour que lui-même fasse pression sur l'Europe.

Au nom de la défense de notre humanité et de notre santé communes et des combats qui nous rassemblent, nous disons « non » au Mercosur, du moins pour le moment. Nous n'agissons pas à des fins protectionnistes, mais au nom d'une souveraineté solidaire, afin que la France affirme ses valeurs universelles et défende ses propres intérêts, lesquels rejoignent en l'occurrence ceux de l'humanité.

Êtes-vous donc en mesure, monsieur le ministre délégué, de rassurer sans ambiguïté aussi bien le monde paysan, les ONG, que les députés que nous sommes et qui, issus de neuf groupes différents, se sont engagés et rassemblés pour mener ce combat ? Il nous faut enfin des garanties certaines afin d'éviter le pire et, peut-être, dessiner une mondialisation plus heureuse.

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