Intervention de Jean-Claude Raux

Séance en hémicycle du mardi 17 octobre 2023 à 15h00
Sécuriser et réguler l'espace numérique — Explications de vote

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Claude Raux :

Le groupe Écologiste – NUPES a accueilli ce projet de loi avec intérêt, dans un esprit constructif ; vous l'avez constaté tout au long des débats. Depuis longtemps, nous alertons l'opinion publique sur la nécessaire régulation de l'espace numérique. Malheureusement, le projet de loi n'est pas allé au bout de ses ambitions ; certains articles, au sujet desquels nous avons formulé de nombreuses propositions, étaient pourtant prometteurs. Les ambiguïtés et les impensés du texte, ainsi que certaines dispositions, sont venus polluer la belle idée d'un numérique régulé, qui resterait un espace de solidarité et de liberté. À cet égard, le projet de loi demeure conforme au projet de société de la majorité : une société managériale où l'argent prime et où tout un chacun est contrôlé, tant dans le monde physique que dans l'espace numérique.

Nous sommes certes heureux des quelques victoires obtenues après de longues discussions. Nous avons mené un travail solide visant à identifier l'impact environnemental du numérique, en particulier l'empreinte carbone des clouds et des data centers. Les rapports de la Commission européenne nous alertent sur la hausse de leur consommation énergétique – elle atteint presque 40 % depuis 2010. En tant qu'écologistes, nous ne pouvons qu'être satisfaits de l'intérêt que le Gouvernement manifeste enfin à ce sujet.

Il était également grand temps que la France s'aligne sur les ambitions européennes en reprenant le Digital Markets Act (DMA) et le Digital Services Act (DSA). Adopter un système reposant sur l'obligation de résultat en matière de modération nous permettra de responsabiliser les géants du numérique, dits Gafam ; face à des entreprises de cette taille, c'est la seule méthode capable de nous protéger des contenus discriminatoires, haineux et violents sur internet.

Enfin, la lutte contre le cyberharcèlement doit rester au cœur de notre combat pour un espace numérique plus sûr : 60 % des jeunes sont victimes de ce fléau et nous sommes favorables aux mesures de suspension des réseaux sociaux pour les personnes condamnées pour de tels actes. Il nous semble logique d'exclure ceux qui ont commis ces délits des espaces où ils les ont commis.

Les limites de ce texte, que nous avions déjà pointées, sont malheureusement toujours d'actualité après son examen par notre assemblée. Il manque en particulier à ce projet de loi une ambition en faveur de la protection des données personnelles et de la sanctuarisation du droit à communiquer de manière cryptée. C'est pourtant une demande forte : lorsqu'en 2021 la Commission européenne avait tenté de mettre fin au chiffrement des conversations, une consultation publique avait révélé que plus de 80 % des citoyens de l'Union européenne interrogés y étaient opposés.

Vous nous proposez également une généralisation de l'identité numérique sur internet, c'est-à-dire un nouveau degré de concentration de données au profit de l'État, procédé qui accentuera la fracture numérique affectant déjà un Français sur six. Ce texte n'évoque pas non plus le mécanisme d'interopérabilité des réseaux sociaux, alors qu'il représenterait une avancée majeure pour favoriser l'avènement de nouveaux réseaux sociaux et pour sortir de l'emprise d'Elon Musk et d'autres magnats de la Silicon Valley. En effet, ils tendent de plus en plus à créer des écosystèmes fermés sans que leur communauté rétrécisse pour autant.

Nous nous posons aussi beaucoup de questions sur les techniques déployées pour lutter contre la pornographie : devoir présenter sa carte bancaire ou d'identité à une autorité administrative pose de nombreuses questions sur le respect du droit à la vie privée, et semble une solution vouée à l'échec. C'est bien l'industrie pornographique qu'il faudrait sanctionner, tout en renforçant le contrôle parental et la prévention.

Nous aurions pu passer outre ces limites, mais le texte comporte trop de menaces pour qu'on puisse le voter. Vous ne faites preuve d'aucune ambition pour lutter contre les Jonum – jeux à objets numériques monétisables – et offrez un article sur mesure en cadeau à Sorare, ce jeu dans lequel des objets valent des dizaines de milliers d'euros et où les gains sont calculés en fonction des performances des joueurs de football lors des matchs disputés le week-end. Ce jeu est aussi aléatoire qu'un pari sportif, sur le modèle duquel il est calqué. Ce cadeau leur permet de dominer le marché, en contournant les règles imposées aux jeux d'argent et de hasard sur internet.

Bien que le pire ait été évité, des brèches ont été ouvertes dans le principe d'anonymat sur internet. Ce principe est pourtant indispensable pour garantir notre droit à l'information : il permet aux journalistes et aux lanceurs d'alerte d'agir et d'enquêter sereinement sur les abus les plus dangereux au sommet du pouvoir – mais cela ne semble plus être la boussole de la majorité, acquise à la ligne du tout-sécuritaire qui fait très peu de cas des libertés.

Des amendements, présentés en séance, visent également à élargir la nouvelle peine de bannissement des réseaux sociaux à des délits d'opinion, révélant la volonté du Gouvernement de trouver des moyens de contourner la censure du web qu'il voulait instaurer après les émeutes. Il s'agit non pas de réguler l'espace numérique mais de le museler.

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