Intervention de Annie Genevard

Séance en hémicycle du lundi 13 novembre 2023 à 16h00
Restitution des restes humains appartenant aux collections publiques — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAnnie Genevard :

Cette proposition de loi d'origine sénatoriale portant sur la restitution des restes humains faisant partie des collections publiques et provenant d'un État étranger a fait l'objet d'une procédure accélérée, lancée par le Gouvernement en juin 2023.

La proposition de loi a pour objectif d'introduire, par une loi-cadre appliquée aux restes humains, une dérogation globale à l'un des principes fondamentaux qui protègent le caractère inaliénable des biens culturels publics suivant lequel ce n'est qu'à titre exceptionnel et par une loi que l'État français se dessaisit de certaines pièces ou objets qui appartiennent à la nation. Le ministre de la culture est le garant du respect de ce principe, envié dans le monde entier.

La proposition de loi vient substituer à la décision du législateur une procédure administrative générale en confiant au Premier ministre, par la voie d'un décret en Conseil d'État, la décision de sortie des collections publiques, sur la base d'un rapport établi par le ministre de la culture et d'un rapport scientifique.

Les restes humains ne sont, à l'évidence, pas des biens comme les autres. Certains ont une valeur particulière – religieuse, culturelle, voire cultuelle – qui motive une demande de restitution pouvant être parfaitement légitime, mais dont il convient à chaque fois de questionner la pertinence. Ce questionnement, vous avez décidé d'en priver le Parlement au seul motif de la nécessité de la rapidité de la procédure. Quand on songe à l'ancienneté de certains restes humains – je rappelle que la borne a été fixée à l'an 1500 –, et quand on constate la rapidité avec laquelle on peut examiner une proposition de loi – ce texte en est l'illustration –, cet argument ne tient pas. D'ailleurs, on voit bien que la loi-cadre est inadaptée aux biens ultramarins. Cela plaide en faveur de la loi d'espèce.

C'est donc ailleurs qu'il faut chercher la cause de la procédure retenue. Je crois, madame la ministre, que vous en avez fait votre combat personnel. J'en veux pour preuve l'enthousiasme que vous avez exprimé en commission à la perspective de la présentation d'une troisième loi-cadre, laquelle ne sera pas d'initiative sénatoriale, mais de votre propre chef. Restituer les biens spoliés aux juifs pendant la seconde guerre mondiale est juste ; redonner aux restes humains la dignité dont on a privé une personne de son vivant est juste. Il n'y a aucune ambiguïté de ma part en la matière. Mais votre intervention a porté presque exclusivement sur les biens – vous avez même convoqué Antigone pour ce faire – et non sur la procédure retenue, qui fait l'objet de mon propos. C'est habile, mais insatisfaisant. Pourquoi changer aussi radicalement les règles qui protègent le principe d'inaliénabilité ? Vous passerez, madame la ministre, comme nous tous, mais les principes fondateurs doivent demeurer.

Le caractère inaliénable des collections existe depuis l'Ancien Régime, époque de la première prise de conscience d'une propriété collective des biens par les citoyens, qui en deviennent les gardiens. Cette idée est consubstantielle à l'idée de patrimoine. Y déroger ne peut passer que par une loi au cas par cas, c'est-à-dire par le législateur. Le problème est que cette loi-cadre tue la loi et lui substitue un décret au motif discutable de la simplification, dont je rappelle qu'elle a fait disparaître la Commission nationale scientifique des collections, dans laquelle le Parlement était représenté. La dérogation administrative pourrait devenir la règle : c'est un véritable renversement de doctrine. C'est cela que nous refusons. C'est la raison pour laquelle j'avais souhaité présenter, au nom de mon groupe, deux amendements restaurant le Parlement dans ses droits, amendements hélas déclarés irrecevables, et un troisième pour revenir à la finalité funéraire de la restitution des restes humains, laquelle ne doit être ni diplomatique, ni politique, ni réparatrice des politiques du passé.

Madame la ministre, votre responsabilité est grande si un mésusage est fait un jour de ces lois-cadres dont vous avez fait une priorité de votre action. Mes chers collègues, votre responsabilité l'est tout autant, si vous consentez à cette réduction de votre pouvoir de législateur. Certains parmi vous conspuent régulièrement l'usage du 49.3 ou des ordonnances mais ne voient pas de problème en l'espèce, car la défense du patrimoine leur semble politiquement moins importante.

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