Intervention de Jean-Baptiste Rivoire

Réunion du jeudi 7 mars 2024 à 14h30
Commission d'enquête sur l'attribution, le contenu et le contrôle des autorisations de services de télévision à caractère national sur la télévision numérique terrestre

Jean-Baptiste Rivoire, ancien rédacteur en chef adjoint de « Spécial Investigation » sur Canal+ :

Je suis entré à Canal+ en 2001, à l'époque de Vivendi et de Jean-René Fourtou. Au début des années 2000, nous avons fait l'objet de pressions de la part des chiraquiens notamment. À l'époque, le groupe était dirigé par Rodolphe Belmer et Bertrand Méheut. Par exemple, nous avions réalisé un reportage montrant l'armée française en Côte d'Ivoire qui tirait dans la foule – faisant plusieurs dizaines de victimes – et des hélicoptères qui tiraient sur des ponts. C'était bien entendu dans un contexte particulier car les Français craignaient que leur camp militaire ne soit envahi. À l'époque, Michèle Alliot-Marie martelait dans la presse que l'armée française n'avait pas tiré. Notre équipe revenait de Côte d'Ivoire avec des images qui démentaient ces propos. Le Gouvernement était furieux et sous une très forte pression, Rodolphe Belmer s'est vu contraint d'empêcher la rediffusion de ce reportage. Les pressions politiques existaient donc avant l'arrivée de Vincent Bolloré.

Cependant, elles n'étaient pas de même nature. Nous avons rencontré diverses difficultés dans les quelques années qui ont précédé les élections présidentielles de 2007. Un reportage sur le passé politique de José Manuel Barroso et une enquête sur Nicolas Sarkozy en qualité de présidentiable réalisée en 2004 ont également été concernés. Rodolphe Belmer nous a fait savoir que ces enquêtes ne pourraient pas passer à l'antenne. Nous étions, à l'époque de « 90 Minutes », une équipe interne à Canal+. Nous travaillions sur des gros sujets depuis six mois et ceux que nous avions filmés attendaient que les reportages soient diffusés. Nous sommes montés dans le bureau de Rodolphe Belmer pour lui demander d'au moins regarder les reportages avant de les supprimer, ajoutant que cela posait un problème de fonctionnement. Il a réfléchi et finalement, il a fait diffuser les trois enquêtes jugées problématiques. L'année suivante, en 2006, il a appuyé sur un bouton, faisant disparaître l'émission « 90 Minutes ». Tous les reporters d'investigation qui pouvaient venir dans son bureau et demander à pouvoir effectuer leur travail se sont alors retrouvés dehors et dès lors, les enquêtes d'investigation ont été confiées à des producteurs extérieurs. La direction se retrouvait dans une situation plus confortable, libre de refuser les sujets proposés par ces derniers, leur expliquant qu'ils ne correspondaient pas à la ligne éditoriale souhaitée. Cela évite tout scandale de censure car le producteur extérieur dispose de nombreux autres sujets qui peuvent remplacer celui qui a été refusé. Pour lui, être payé cent mille euros pour un reportage est très attractif, et il a donc tout intérêt à se taire. Tout le monde s'est donc tu entre 2006 et 2015. Néanmoins, à l'époque, 90 % des sujets proposés devant le comité d'investigation ont été validés. Certains sujets étaient tabous comme par exemple le football. Il est par exemple délicat de proposer un reportage sur des supporters racistes. J'ai voulu proposer un jour un reportage sur l'argent du Festival de Cannes, qui a été refusé aussi. En dehors de ces sujets, nous étions libres à 95 %. Au moment de l'arrivée de Vincent Bolloré, quasiment plus aucun sujet n'était accepté.

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