Commission d'enquête sur l'attribution, le contenu et le contrôle des autorisations de services de télévision à caractère national sur la télévision numérique terrestre

Réunion du jeudi 7 mars 2024 à 14h30

Résumé de la réunion

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La réunion

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La séance est ouverte à quatorze heures trente.

La commission tient une table ronde consacrée à la représentation de la cohésion sociale et de la diversité de la société française regroupant :

- Mme Laurence Pécaut-Rivolier, membre du collège de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), présidente du groupe de travail « Protection des publics et diversité de la société française »

- Mme Sylvie Pierre-Brossolette, présidente du Haut Conseil à l'Égalité entre les femmes et les hommes (HCE), ancienne membre du Conseil supérieur de l'audiovisuel

- M. Jérémie Boroy, président du Conseil national consultatif des personnes handicapées

- Mme Amandine Seguin, journaliste et secrétaire générale adjointe de l'association « Prenons la Une »

- Mme Violette Viannay, présidente de l'association des personnes de petite taille (APPT)

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Nous avons souhaité, au cours de cette table ronde, permettre aux représentants des associations de dresser un état des lieux de la diversité sur les chaînes de la TNT. À travers vos propos liminaires, vous êtes invités à présenter vos actions et les pistes d'amélioration possibles.

Je vous remercie de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations. Dans un souci de transparence, j'invite également les députés à faire connaître tout éventuel élément de lien avec l'audiovisuel public ou privé lors de leurs interventions.

Je rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main et à dire : « Je le jure ».

(Mme Laurence Pécaut-Rivolier, Mme Sylvie Pierre-Brossolette, Mme Violette Viannay et Mme Amandine Seguin prêtent serment.)

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Laurence Pécaut-Rivolier, membre du collège de l'Arcom, présidente du groupe de travail « Protection des publics et diversité de la société française »

Nous considérons que le sujet de cette table ronde est fondateur de la manière dont notre société est représentée par nos médias. Il a, au sein de l'Arcom, une importance considérable, que nous essayons de transmettre également à l'extérieur.

En matière de diversité, deux textes fondateurs peuvent ici être rappelés : la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication tout d'abord, dont l'article 3-1 nous charge de veiller à la juste représentation de la société française dans les écrans, et la loi du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes, qui rappelle que l'image des femmes au sein des programmes ne doit pas comporter de préjugés sexistes, de stéréotypes, d'images dégradantes, de violences faites aux femmes ou commises au sein des couples. Celles-ci imposent aux éditeurs des chaînes de télévision ou de radio de communiquer des chiffres annuels attestant du respect de ces obligations.

Nous disposons, pour garantir l'application de ces dispositions, de la possibilité de sanctionner tout manquement, ainsi que de conventions grâce auxquelles nous pouvons solliciter des engagements auprès des éditeurs. Nous trouvons ainsi, dans le domaine de la diversité, des engagements assez forts, proportionnels à la capacité à chiffrer les éléments de diversité, ce qui représente un défi. Nous disposons en outre d'instruments de droit souple, que nous avons développés au fil des années, afin d'inciter les chaînes à mettre en place des actions et d'établir avec elles un dialogue efficace. En matière d'outils, nous disposons tout d'abord de chartes, notamment sur les stéréotypes sexuels et sexistes dans la publicité, sur la représentation des personnes en situation de handicap, ainsi que des chartes relatives aux questions d'accessibilité.

Nous proposons également des événements sous forme de rendez-vous thématiques annuels, qui améliorent la visibilité et le suivi de nos actions. Le sujet du sport, central cette année, nous permet par exemple de mettre en avant la question de la diversité, qu'il s'agisse des femmes, du parasport, ou encore de la représentation territoriale. Les Jeux olympiques et paralympiques représentent ainsi une formidable occasion de se saisir du sujet, grâce à des événements qui doivent permettre d'améliorer les chiffres et l'image de façon durable.

Les nombreuses études que nous menons représentent d'autre part des outils précieux pour notre dialogue avec les chaînes, puisqu'elles nous permettent d'objectiver à l'aide de chiffres les résultats de leurs efforts. Nous avons récemment publié les résultats de notre étude sur la représentation des femmes à la télévision et à la radio « Femmes devant les écrans » qui s'étend de 2016 à 2024 et dont les conclusions sont rassurantes. Nous constatons en effet un accroissement du taux de présence des femmes parmi les experts, de 30 % en 2016 à 43 % aujourd'hui. Si les motifs de satisfaction sont nombreux, des alertes doivent être maintenues, notamment en matière de temps de parole des femmes qui n'atteint que 34 %. Nous notons par ailleurs une stagnation des chiffres au cours de deux dernières années écoulées, qui nous amène à craindre un relâchement de l'attention sur le sujet et doit donc nous inciter à relancer la dynamique.

Notre baromètre, qui nous permet d'objectiver des données et d'observer l'évolution des chiffres sur le temps long, fait en revanche apparaître plusieurs motifs d'insatisfaction. En termes de représentation du handicap notamment, nous ne parvenons pas, en dépit d'une légère amélioration, à dépasser 1 %. La représentation des quartiers, de la précarité ou encore de l'âge reste pareillement insuffisante. Ces données nous permettent d'échanger avec les chaînes, pour la plupart sensibles à ces questions, sur les actions concrètes à engager afin d'améliorer la situation. Nous réfléchissons désormais, en lien avec les acteurs, à la conception de nouveaux outils qui permettraient de suivre les évolutions qualitatives et quantitatives sans recourir systématiquement à des calculs chiffrés.

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Je salue votre action, que je sais combative sur ces sujets au sein du collège de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom). Il nous semble en outre important d'aborder l'ensemble des obligations des conventions, puisque celles-ci, bien qu'elles soient moins évoquées dans la presse que celles liées par exemple au pluralisme en politique, sont fondamentales et régulièrement amplifiées par l'Arcom.

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Sylvie Pierre-Brossolette, présidente du Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCE), ancienne membre du Conseil supérieur de l'audiovisuel

Bien que je puisse m'exprimer ici à plusieurs titres, mon propos restera aujourd'hui centré sur la problématique de la présence et de l'image des femmes dans les médias.

J'ai eu la chance d'arriver au Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) au moment où la loi du 4 août 2014 présentée par Najat Vallaud-Belkacem confiait au CSA le pouvoir de réguler l'image des femmes dans les médias audiovisuels. J'ai donc, en concertation avec le secteur concerné, conduit dix-huit réunions qui ont permis d'aboutir à la délibération qui régit encore aujourd'hui les obligations et la remise de rapports annuels d'auto-évaluation des chaînes de télévision et de radio. Bien que les négociations aient été âpres, de grands progrès ont été effectués et les acteurs sont désormais habitués à ces comptes rendus. La vue de plateaux entièrement masculins apparaît de plus en plus insupportable aux téléspectateurs, et cela est en partie dû aux progrès de la régulation, particulièrement importants pour les femmes, à l'image de l'accroissement du taux d'expertes que citait Mme Pécaut-Rivolier. Il convient de louer, sur ce sujet, l'exemplarité du service public, dont les chiffres sont nettement supérieurs à ceux du secteur privé.

Si un long chemin reste encore à parcourir, il convient donc de féliciter l'Arcom pour avoir mis en place des critères qualitatifs et pour avoir affiné les critères quantitatifs afin de parvenir à une meilleure analyse. Nous avions en effet constaté, lorsque j'étais en fonction au CSA, que les moyennes masquaient des constats tels qu'une moindre présence des femmes aux heures de grande écoute, un nombre inférieur de femmes consultées sur certains sujets, ou encore leur moindre accès aux fonctions les plus importantes. Derrière l'aspect quantitatif pur, se cachaient ainsi des discriminations vivaces, qui évoluent aujourd'hui lentement, mais positivement. Le dernier rapport public de l'Arcom démontre d'ailleurs que d'importantes différences existent entre les chaînes, avec un retard notable des chaînes d'information. On constate toujours que les sujets nobles, qui occupent la moitié de l'antenne, sont généralement commentés par des journalistes hommes, les femmes étant reléguées sur les sujets les moins considérés ou à des heures de moindre écoute. Sur des sujets tels que le sport, sur lesquels les femmes sont habituellement moins consultées, on constate en revanche des progrès, et les chaînes diffusent davantage de manifestations sportives féminines.

Les efforts appréciables fournis par les chaînes sont cependant éprouvés par le vent de l'histoire et les événements inattendus. On a ainsi pu observer, lors du confinement, que les médecins qui intervenaient étaient des hommes et les infirmières des femmes. Les crises économiques sont, de même, le prétexte à faire intervenir des experts masculins sans que l'on ne trouve leurs équivalents féminins. Le temps de parole des femmes par rapport à leur taux de présence, également calculé par l'Arcom, démontre également un important déficit. J'estime donc que la dimension qualitative doit désormais prévaloir sur la dimension quantitative, qui doit néanmoins être surveillée afin de tendre vers une réelle parité. Ce travail doit être mené en bonne intelligence avec les chaînes, en recourant sans hésitation à l'outil des sanctions en cas de manquement. Les sanctions sont utiles : c'est le collège du régulateur auquel je participais qui a prononcé les sanctions les plus lourdes contre certaines émissions, qui se tiennent désormais à carreaux sur le sujet des femmes.

Je poursuis en attirant votre attention sur la nécessité d'une régulation dans le secteur du numérique. Bien que le sujet de l'audiovisuel soit central, et que l'image des femmes s'y soit considérablement améliorée, les acteurs du numérique doivent aujourd'hui se plier à l'exercice de l'auto-évaluation annuelle. M. Laurent Solly et M. Sébastien Missoffe, respectivement vice-président Europe du Sud de Meta et dirigeant de Google France, ont d'ailleurs donné leur accord pour s'auto-évaluer chaque année sur les cent séquences les plus visionnées en France afin de mesurer le degré de stéréotype et de sexisme de leurs contenus. J'estime donc que le législateur doit s'emparer de la question et imaginer, pour le secteur du numérique, une loi similaire à celle qui encadre le secteur de l'audiovisuel, au moins sur le sujet de l'image des femmes.

Je réitère, pour terminer, la proposition du HCE. Afin de favoriser une meilleure représentation des femmes sur le plan de la qualité, la loi sur l'audiovisuel doit intégrer, en plus de l'auto-évaluation, une obligation des chaînes à progresser chaque année en matière de parité et appliquer des sanctions en cas d'immobilisme.

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Amandine Seguin, journaliste et secrétaire générale adjointe de l'association « Prenons la Une »

Notre association de journalistes milite pour une plus juste représentation des femmes dans les médias et pour l'égalité au sein des rédactions. Lors de sa création en 2014, l'objectif était de dénoncer à la fois la sous-représentation des femmes dans les médias, les stéréotypes par lesquels elles étaient décrites, et le fait que seules 18 % de femmes expertes étaient à l'époque représentées dans les médias. Nous estimons que le décompte représente la meilleure manière de dénoncer les faits, et le rapport de l'Arcom nous est, à cet égard, précieux.

Nous recueillons et portons des témoignages, nous accompagnons également, depuis 2018, des journalistes victimes de harcèlement sexuel, de sexisme ou d'agression dans le cadre de leur travail, avec l'aide d'une avocate. Nous avons en outre mis en place en 2016 des outils pratiques à destination des journalistes, consistant en une dizaine de recommandations visant à mieux traiter, dans les médias, le sujet des violences faites aux femmes. En 2019, nous avons réuni 350 femmes journalistes à l'occasion des États généraux des femmes journalistes organisés à la Cité des sciences. De leur vécu, ont émergé des propositions concrètes sous la forme de cahiers de doléances. Nous intervenons enfin, depuis 2016, au sein des écoles de journalisme afin de former les nouvelles générations, pour déconstruire les stéréotypes et avoir le réflexe de recourir à des expertes.

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Violette Viannay, présidente de l'association des personnes de petite taille (APPT)

Notre association regroupe à la fois des personnes atteintes de nanisme et des parents ou proches vivants avec un enfant présentant cette condition. Son action s'articule autour de trois axes principaux, qui sont la participation à la recherche médicale, l'accompagnement des adhérents dans leurs démarches administratives et la sensibilisation de la société à cette différence qui est avant tout un handicap. Je me permets de rappeler que la condition des personnes de petite taille est la résultante d'environ 500 maladies génétiques ou hormonales, que l'on qualifie de rares bien que 10 000 personnes soient concernées en France.

Être touché par ce handicap en France signifie non seulement interagir au sein d'une société insuffisamment accessible, faire avec une maladie impliquant des douleurs chroniques, mais également conjuguer quotidiennement avec le regard de l'autre. C'est précisément sur ce point que la question de la représentation de la diversité dans les médias est capitale, non seulement pour les personnes de petite taille, mais pour l'ensemble des personnes en situation de handicap. Le nanisme est une différence marquée, visible, et malheureusement toujours porteuse de stéréotypes qui, pour être correctement intégrée, doit avant tout être comprise et donc vue. Il est ainsi nécessaire, afin de transformer les regards, d'assurer une juste représentation. Le rapport annuel de l'Arcom sur la représentation de la société française dans les médias, présenté en juillet 2022 au Parlement, faisait état de 1% de personnes en situation de handicap représentées parmi les personnes indexées. S'agissant des personnes de petite taille, 90 % d'entre elles étaient affiliées à des programme du genre fantastique. En 2022, notre association avait également lancé une enquête nationale qui faisait état de données concernant l'intégration scolaire, sociale ou professionnelle des personnes de petite taille. Celle-ci concluait que 70 % d'entre elles étaient régulièrement victimes de discriminations, majoritairement au sein de l'espace public, avec un phénomène nouveau de photos prises sans consentement et parfois diffusées sur les réseaux sociaux.

Les représentations de la diversité ont un impact sur les comportements et sur la cohésion sociale. Or, si des notions telles que la santé mentale ou le harcèlement scolaire sont aujourd'hui des priorités du Gouvernement, les origines liées aux discriminations sont encore insuffisamment considérées.

Derrière la question de la représentation de la diversité, se cache également celle de l'altérité. S'il est important que chacun puisse se voir lui-même représenté dans les médias, il est également essentiel de retrouver l'autre, avec sa différence, et d'apprendre à le respecter lorsqu'il investit l'espace public de manière juste.

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Nous accueillons M. Jérémie Boroy, à qui je remercie de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations. Je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main et à dire : « Je le jure ».

(M. Jérémie Boroy prête serment)

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Jérémie Boroy, président du Conseil national consultatif des personnes handicapées

Je me dois, en préambule, de dénoncer les inacceptables dysfonctionnements rencontrés par la personne sourde que je suis dans les conditions d'accessibilité de cette réunion. Il n'a pas pu avoir de solution d'accessibilité mise en œuvre pour la tenue de cette réunion.

Le Conseil national consultatif des personnes handicapées a pour mission de faciliter la participation des représentants de personnes en situation de handicap au débat public et à l'élaboration des politiques publiques. Les cadres principaux de notre action sont la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, et la Convention relative aux droits des personnes handicapées des Nations unies ratifiée par la France en 2010.

Beaucoup de chaînes ont, depuis vingt ans, effectué de remarquables progrès dans l'accessibilité de leurs programmes, grâce à la loi, mais également à l'implication de divers acteurs tels que l'Arcom. Des progrès restent néanmoins à accomplir, à l'image des télévisions locales, des programmes d'information en période électorale, ou encore de La Chaîne parlementaire dont le statut particulier l'exempte des règles de fonctionnement des médias et éloigne de nombreuses personnes de l'information de l'Assemblée nationale.

Sur le sujet de la représentation des personnes handicapées à l'écran, le précieux baromètre de l'Arcom nous permet de mesurer les progrès réalisés. Différents programmes ont notamment été développés sur les chaînes de télévision publiques et privées, à l'image de l'émission « Les Rencontres du Papotin », de la série Vestiaires, et d'autres initiatives qui contribuent à faire progresser la place des handicapés à l'écran. L'institut Odoxa a réalisé pour la Fondation Ahadi en février 2024 un sondage sur la perception du handicap et des personnes handicapées par la société. La partie de l'enquête qui porte sur les médias nous enseigne que les Français identifient plus fortement la présence de personnes en situation de handicap dans le divertissement (37 % chez les humoristes et 26 % chez les artistes musicaux) que chez les experts interviewés (17 %), les journalistes de radio (17 %), ou encore les animateurs (15 %). En comparaison avec les résultats des autres pays européens, la France est le pays dans lequel les personnes en situation de handicap semblent le moins représentées dans les médias.

Ces constats nous ont conduits à mettre en place différentes actions. La première concerne la formation et l'accès aux écoles qui conduisent aux métiers du journalisme, de l'audiovisuel ou du cinéma. Une charte a ainsi été signée par le CSA en 2014 avec les chaînes de télévision et les principales écoles qui destinent à ces métiers. Il serait intéressant d'en connaître le bilan afin de mesurer les progrès accomplis en matière d'accessibilité. L'autre levier incontournable est celui de l'accessibilité des plateaux et des studios de télévision, car la venue des personnes concernées est parfois empêchée physiquement.

Une autre question essentielle est celle de la représentation des personnes handicapées. Doit-on attendre d'elles qu'elles représentent et parlent de handicap, ou qu'elles soient tout simplement témoins ou acteurs des échanges en fonction de leurs compétences ? Des progrès restent à accomplir sur ce point, puisque la visibilité reste généralement cantonnée à des programmes qui traitent de la question du handicap. De belles opportunités se présentent néanmoins, à l'image des Jeux olympiques, qui sont l'occasion d'une remarquable mobilisation de l'Arcom pour favoriser une meilleure visibilité, ainsi que des chaînes publiques qui ont pris l'engagement de couvrir l'intégralité des Jeux paralympiques.

Je tiens, pour terminer, à souligner d'une part la qualité de nos relations avec l'Arcom, qui œuvre dans une logique de dialogue et de co-construction des recommandations, et la culture partagée à France Télévisions depuis plusieurs années.

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Vous avez raison de souligner la problématique de l'accessibilité de nos auditions. Nous vous prions, ainsi que toutes les personnes empêchées de suivre les échanges pour cette raison, de nous en excuser, et nous engageons, pour la prochaine table ronde du 13 mars, à garantir une accessibilité optimale.

Nous partageons par ailleurs le constat sur l'importance centrale des Jeux olympiques et paralympiques comme une étape à ne pas rater, ainsi que sur la nécessité d'aboutir à une meilleure concertation dans le cadre des contrats d'objectifs et de moyens, de manière à pouvoir permettre ce type de contribution.

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Votre discours, extrêmement constructif, ne vise pas à pointer des responsabilités, mais plutôt à établir un diagnostic. Afin d'entrer davantage dans le détail, pouvez-vous préciser ce qui, selon vous, aurait pu être mieux fait ces dernières années, et par qui ? Certains indicateurs sont en effet particulièrement inquiétants, notamment sur le handicap, et il me semble important d'établir une distinction entre les acteurs qui ont fait un effort et ceux qui ne l'ont pas suffisamment fait.

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Violette Viannay, présidente de l'association des personnes de petite taille (APPT)

S'agissant du handicap, la situation s'améliore notablement. Un nombre croissant de programmes traitent du sujet, bien qu'il s'agisse le plus souvent de personnes en situation de handicap dans des programmes réservés aux personnes en situation de handicap. La question du regard de l'autre ne sera pas réglée tant qu'on ne trouvera pas ces personnes dans des rôles accessibles à tout le monde et dans lesquels chacun puisse se retrouver.

Sur la question de la responsabilité des chaînes ou des groupes, bien que je salue le travail effectué par France Télévisions, je constate une persistance des stéréotypes sur les personnes de petite taille. Je m'interroge ainsi sur ce contraste entre les moyens déployés pour améliorer les représentations afin que chacun s'y retrouve, et la diffusion, à une heure de grande audience, d'un certain programme qui entretient ces stéréotypes, notamment chez les jeunes générations. Il est donc légitime de s'interroger sur les moyens qui peuvent être mobilisés, au-delà des lois, dispositions juridiques et outils qui me semblent aujourd'hui suffisants, car le travail mené au quotidien ne suffit pas encore à éradiquer ces représentations biaisées et néfastes.

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Laurence Pécaut-Rivolier, membre du collège de l'Arcom, présidente du groupe de travail « Protection des publics et diversité de la société française »

Le sujet est extrêmement complexe, dans la mesure où notre pouvoir d'intervention face aux manquements sur les stéréotypes se limite à ceux qui portent atteinte aux femmes. Bien que nous portions une réelle attention aux autres types de préjugés et puissions être amenés à intervenir lorsque la situation le justifie, notre outil principal reste le dialogue.

Le rapport de l'Arcom pour 2023 indique qu'en matière de sport, 60 % des plateaux sont toujours entièrement masculins. Les inégalités perdurent également en matière de politique, puisque le temps de parole des femmes se limite à 11 %. La responsabilité est donc collective, et il nous appartient à tous de pointer le caractère inadmissible de ces constats persistants. Si les mesures législatives contribuent à la lutte contre les stéréotypes, les médias ne sont pas seuls responsables et c'est un éveil général des consciences qui permettra le progrès.

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Jérémie Boroy, président du Conseil national consultatif des personnes handicapées

Pointer les mauvais élèves n'est pas suffisant, et il est nécessaire de poursuivre l'accompagnement, la formation et l'éducation de tous les acteurs de la chaîne, car c'est bien tout le circuit de production, de conception et d'écriture qui est concerné. Du fait de son impact sur nos représentations, le sujet de la publicité me paraît à cet égard central. Je constate également, et la responsabilité est partagée entre les gouvernements et les parlementaires, que les missions confiées au régulateur, sans cesse renforcées pour répondre aux attentes de la société, ne sont pas en cohérence avec les budgets alloués. Ainsi, l'accompagnement, la régulation, le contrôle, la négociation et le suivi des conventions, qui sont aujourd'hui les seuls moyens dont nous disposons pour amener les médias à atteindre les objectifs fixés, doivent-ils être correctement accompagnés.

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Vos propos rejoignant les conclusions de M. Olivier Schrameck sur le manque de moyens alloués à l'Arcom, ce sujet figurera de façon certaine au sein de mon rapport.

Parmi les biais récurrents de la représentation télévisuelle, la diversité sociale représente probablement, après le handicap, la distorsion la plus importante. Existe-t-il, dans ce domaine, des organisations sur lesquelles peut s'appuyer l'Arcom pour promouvoir une meilleure visibilité et sensibiliser les acteurs ? Pouvez-vous nous donner des éléments sur les stratégies mises en œuvre par les groupes ces dernières années ?

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Laurence Pécaut-Rivolier, membre du collège de l'Arcom, présidente du groupe de travail « Protection des publics et diversité de la société française »

Peu d'organisations représentatives existent en effet sur cette problématique, que notre baromètre identifie sous deux angles. Il s'agit tout d'abord de la représentation des catégories socioprofessionnelles, qui fait apparaître d'importantes distorsions puisque l'on constate 74 % de représentation des catégories socioprofessionnelles supérieures pour environ 26 % de réalité dans la société, et le critère de la précarité, qui fait également apparaître une sous-représentation voire une inexistence. La précarité et les catégories socioprofessionnelles inférieures très peu montrées à l'écran renvoient aux discours sur la part de rêve des médias et à un sentiment de honte lié à ces catégories, alors que notre société doit au contraire être représentée dans toute sa réalité et dans toute sa diversité.

En l'absence d'interlocuteurs extérieurs, le seul moyen d'action dont nous disposons est celui des relais médiatiques, qui s'appuient sur les chiffres de notre baromètre pour dénoncer ces situations. Là encore, si ce sont les données chiffrées qui peuvent favoriser le dialogue et les prises de conscience dans l'opinion publique afin de nous aider à progresser, nous peinons encore à trouver les moyens de contraindre les chaînes.

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Lorsque j'ai évoqué ce sujet, à l'occasion d'une précédente table ronde, avec les grandes sociétés de production, 90 % d'entre elles n'ont pas souhaité endosser la responsabilité de ce problème systémique. Le groupe Banijay estimait par exemple représenter les classes populaires avec des émissions telles que « Drag race » et « Miss France ». Aussi, en vue de sortir de cette apparente impasse, existe-t-il un plan d'action visant à amener les chaînes et les sociétés de production à assumer leurs responsabilités ?

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Laurence Pécaut-Rivolier, membre du collège de l'Arcom, présidente du groupe de travail « Protection des publics et diversité de la société française »

Ainsi que je l'évoquais précédemment, le principal moyen d'action de l'Arcom est la publication d'études, dont certains résultats éloquents peuvent contribuer aux évolutions sociétales. Un exemple, qui me semble particulièrement frappant, est celui de la représentation des personnes perçues comme non-blanches. 15 % des individus sont perçus, dans les médias, comme non-blancs, et en 2022 ces derniers étaient perçus comme ayant, dans les journaux télévisés, un rôle négatif à plus de 40 %. Les chiffres de ce baromètre nous ont ainsi permis d'alerter les chaînes sur le caractère inadmissible de ce constat et sur les effets inacceptables du manque d'attention porté au sujet, et ce chiffre est tombé à 22 % l'année suivante.

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Vos propos, Madame Pécaut-Rivolier, auraient mérité d'être entendus hier dans le cadre du travail mené actuellement sur une proposition de loi visant à lutte contre le racisme. L'idée que le racisme pouvait être systémique dans la société y a été largement battue en brèche, alors que les chiffres que nous indiquez contribuent au contraire à étayer cette hypothèse.

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Sur l'enjeu central de la représentation des femmes expertes sur les plateaux télévisés, quel est, Madame Seguin, votre regard sur l'évolution, les difficultés, et le travail qui reste à accomplir pour intégrer concrètement les expertes ? Les responsabilités vous semblent-elles incomber plutôt aux directeurs de l'information, aux rédacteurs en chef ou à l'existence de réseaux fermés déjà constitués d'experts ?

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Amandine Seguin, journaliste et secrétaire générale adjointe de l'association « Prenons la Une »

Si l'on note, sur ce sujet, une progression au cours des dernières années, la principale difficulté se situe dans l'existence de listes déjà constituées d'experts sollicités sur des sujets spécifiques. Il existe cependant un annuaire web intitulé « Les expertes » regroupant plus de 7 000 spécialistes dans divers domaines, financé à son lancement par Radio France et France Télévisions et auquel peuvent avoir recours les journalistes. Je signale néanmoins que l'arrêt du financement de ce site par France Télévisions depuis cette année est susceptible d'entraver son fonctionnement.

C'est également pour contribuer à faire évoluer la formation des journalistes que nous intervenons dans les écoles, afin qu'ils comprennent la nécessité éthique de donner la parole à des personnes qui représentent toute cette diversité.

Certains médias, à l'image du groupe France Médias Monde, utilisent en outre des outils de décompte du temps de parole basés sur les interviews données par leurs journalistes. Un service dédié existe également à la BBC, intitulé « Fifty-fifty », qui consiste à donner une note régulière aux journalistes et à les alerter en cas de sous-représentation des femmes parmi leurs invités. La France pourrait s'inspirer de ces modèles sans attendre la publication des rapports annuels.

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Sylvie Pierre-Brossolette, présidente du Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCE), ancienne membre du Conseil supérieur de l'audiovisuel

J'ai moi-même beaucoup œuvré sur cette question des expertes. Les chaînes de radio et de télévision avançaient auparavant de nombreux arguments liés aux obligations familiales, à la personnalité ou à l'expertise des femmes pour justifier leur absence des plateaux. Or, plusieurs exemples de réussites sont venus contredire ces discours, à l'image de « C dans l'air » et « Les informés », qui ont œuvré pour instaurer la parité, prouvant ainsi qu'il suffit de le décider pour y parvenir. Il est nécessaire d'aller chercher les femmes d'excellence au sein de leurs différents espaces d'intervention, mais la tâche est ardue, et il est plus aisé et plus rapide, pour des journalistes déjà surchargés, de faire appel à des hommes, davantage féconds dans des domaines tels que la production littéraire.

Il me semble qu'à la nécessaire surveillance doit donc être ajoutée la possibilité pour l'Arcom de sanctionner, ce que la loi actuelle ne permet pas, les chaînes devant simplement s'acquitter de comptes rendus. Nous ne pouvons qu'exhorter les chaînes à faire mieux, et seules les atteintes sexistes peuvent faire l'objet de sanctions. Les bons résultats globaux de certaines chaînes masquent ainsi des émissions composées exclusivement d'hommes, qui ne sont pas pointées dans les rapports, et le législateur doit aujourd'hui donner davantage de pouvoir à l'Arcom pour sanctionner, outre le sexisme, le manque de représentation de la diversité.

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Je souhaite revenir sur la méthodologie du dernier baromètre de l'Arcom sur la représentation de la société française, qui alerte sur une stagnation voire un recul de la place des femmes se traduisant notamment par un temps de parole en décrochage par rapport au temps d'antenne. Au cours de la présentation de ce baromètre, qui a été l'occasion d'une intervention de l'Institut national de l'audiovisuel (INA) sur le recours à l'intelligence artificielle (IA) dans le comptage, j'ai été interpellée par la différence entre les déclarations des chaînes et les résultats de l'outil, qui soulève la question du niveau de confiance que l'on peut accorder aux chaînes. Madame Pécaut-Rivolier, pouvez-vous nous indiquer quels sont les développements prévus pour l'avenir de cette coopération entre l'INA et l'Arcom, et plus globalement, de la place de la technologie dans ces contrôles ?

Je tiens également à remercier Mme Sylvie Pierre-Brossolette de mettre en lumière les objectifs de progression qui incombent au législateur car, si l'incitation est nécessaire, elle est effectivement insuffisante pour soutenir nos objectifs de progression.

Je souhaite enfin revenir sur le sujet de la diversité et notamment de l'origine perçue, qui est l'un des sept critères du baromètre de la diversité de l'Arcom. Lorsque l'on évoque la mise en place d'outils de mesure, des mises en garde se font jour face à ce qui pourrait apparaître comme des statistiques ethniques et contrevenir à nos valeurs fondamentales. Or, les mises en garde similaires qui existaient au sujet des politiques de discrimination positive envers les femmes ont pu être dépassées. Ainsi, comment percevez-vous les limites de la loi et de notre Constitution pour pousser davantage le constat sur ces origines perçues, afin de combattre davantage le racisme et d'améliorer la représentativité ?

Pour terminer, je souhaite revenir sur les propos issus de l'audition d'Olivier Schrameck au sujet d'une plus grande association du public de la TNT aux missions de l'Arcom. Comment le public ou les associations peuvent-ils, selon vous, être davantage associés pour évaluer et alerter sur les manques de représentativité ? Comment penser d'autres modèles participatifs qui pourraient renforcer la confiance du public dans les médias ?

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Laurence Pécaut-Rivolier, membre du collège de l'Arcom, présidente du groupe de travail « Protection des publics et diversité de la société française »

Toutes ces questions sont au cœur de nos réflexions.

L'étude sur les femmes, dont la méthodologie classique consistait à se baser sur les chiffres fournis par les chaînes, va prochainement être arrêtée, du fait même de cette impossibilité de vérification et de recours à l'intelligence artificielle. Le baromètre sera désormais la seule étude produite sur le sujet, et contiendra toujours un baromètre spécifique sur la question des hommes et des femmes. Nous menons, en parallèle, un important travail avec l'INA visant à développer les outils d'intelligence artificielle, qui nous permettra notamment d'harmoniser les sphères de calcul, avec une prise en compte de critères tels que les visages et les prénoms. Nous souhaiterions également que ces outils soient étendus aux problématiques de vécu comme non-blanc. Nous cheminons toutefois avec prudence pour les raisons que vous avez indiquées. Compte tenu des limites de l'IA, des outils manuels restent cependant nécessaires pour distinguer, par exemple, un expert d'un chroniqueur.

La question des statistiques ethniques, bien que sensible, ne représente pas un blocage dans le cadre de notre baromètre, puisque le sujet qui nous intéresse est celui de la perception du spectateur, de laquelle découlent ses représentations. Le sujet du point de comparaison est en revanche embarrassant, puisque l'on ignore à quoi sont comparées, dans la population globale, les 15 % de personnes perçues comme non-blanches, et cela ne permet donc pas d'étudier les éventuels décrochages.

J'estime, enfin, qu'une meilleure association de la société civile permettrait non seulement de nous éclairer et d'éclairer les chaînes, mais également de mieux sensibiliser l'opinion. Si je suis, tout comme Olivier Schrameck, pleinement favorable à ce principe, les modalités devront être étudiées afin de donner du sens à cette participation et d'en garantir l'efficacité.

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Je souhaite vous interroger, Madame Pécaut-Rivolier, au sujet du rapport présenté le 5 mars 2024 par l'Arcom concernant la représentation des femmes à la télévision et à la radio. La synthèse évoque, pour la télévision, une progression de 5 points pour les plateaux de télévision entre 2016 et 2023, et onze chaînes ont par ailleurs atteint la parité sur ces mêmes plateaux. On constate toutefois, à moins de trois mois des Jeux olympiques et paralympiques, que le temps de parole des femmes sur les plateaux sportifs reste faible, puisqu'il atteint 11 %. Si le rapport propose d'encourager les éditeurs à signer une charte pour une plus grande égalité entre hommes et femmes dans les rédactions sportives, existe-t-il selon vous d'autres pistes de réflexion à envisager pour améliorer ce taux de représentativité sur les plateaux sportifs ?

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Laurence Pécaut-Rivolier, membre du collège de l'Arcom, présidente du groupe de travail « Protection des publics et diversité de la société française »

Deux problèmes sont à distinguer sur le sujet du sport : celui qui concerne les plateaux et celui qui est lié aux événements eux-mêmes. Bien que nous ne disposions pas de chiffres récents, les derniers datant de 2021 permettent de mesurer l'ampleur des dégâts. On compte ainsi 4,8 % de retransmissions d'événements sportifs féminins pour plus de 74 % d'événements masculins. Les événements sportifs féminins doivent donc être représentés de manière beaucoup plus importante, et les éditeurs convaincus de l'intérêt du public pour ces manifestations. Une étude récente démontre d'ailleurs une réelle appétence des téléspectateurs pour ces événements, ainsi que pour le parasport. La féminisation des plateaux, qui devrait logiquement découler d'une meilleure retransmission des événements, reste également à conquérir, puisque les événements sportifs féminins sont encore couverts à 67 % par des commentateurs masculins.

Il convient donc, comme je l'indiquais précédemment, de pointer le caractère inadmissible de ces plateaux exclusivement masculins et d'indiquer aux chaînes qu'ils ne sont plus acceptables.

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Ma prochaine question s'adresse à Madame Violette Viannay. J'ai eu récemment l'occasion d'échanger, avec plusieurs membres du bureau de votre association, sur les discussions constructives menées avec France Télévisions sur le sujet de l'émission « Fort Boyard », dans laquelle apparaissent des personnes de petite taille. D'autres programmes télévisuels ayant également abordé cette question, pensez-vous qu'il s'agisse d'un débat plutôt positif ou négatif ? S'agit-il, selon vous, d'une représentation ou d'une forme de curiosité déplacée ? Le fait que ces personnes aient accepté ce rôle permet-il de dénoncer l'image véhiculée ?

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Violette Viannay, présidente de l'association des personnes de petite taille (APPT)

Ce sujet n'est pas nouveau, et l'association alerte depuis plusieurs années sur la présence de ces figurants dans cette animation de divertissement. En octobre 2022, nous avions ainsi pu faire part de nos revendications à une représentante de France Télévisions à l'occasion d'une table ronde organisée au ministère des solidarités. Bien que celle-ci nous ait fait part de sa compréhension et nous ait indiqué que le nombre de figurants de petite taille n'évoluerait pas, nous avons appris en mai dernier la venue d'un nouvel individu féminin, dont le surnom « Mauvaise passe » stigmatisait à la fois les personnes de petite taille et les femmes. Saisi à la suite de cet événement, l'Arcom nous a proposé une médiation avec France Télévisions, qui nous a reçus en posture d'écoute active et de bienveillance et dont la présidente nous a présenté des excuses. La négociation, bien qu'actuellement engagée, est en revanche complexe avec la production, Adventure Line Productions (ALP) arguant du caractère volontaire de la participation des figurants.

Si nous dénonçons la représentation de ces personnes, c'est donc en raison de leur assignation à un rôle spécifique, lié exclusivement, notamment du fait de leur mutisme, à leur condition physique. Sans qu'il ne soit nécessaire de revenir sur l'histoire ou la sociologie du regard porté sur le nanisme, il est nécessaire de garder à l'esprit la difficulté pour les personnes de petite taille d'être considérées et prises au sérieux. Nous ne parviendrons par à sortir de ces représentations dans lesquelles une différence marquée est prétexte à rire tant que France Télévisions proposera, à une heure de grande audience, un programme mettant en scène ces personnes dans des comportements stéréotypés ou dégradants. Mon objectif est donc de donner la parole aux personnes concernées et de faire évoluer leur rôle, dans une démarche de pédagogie et de sensibilisation, afin de leur permettre de sortir de ces stéréotypes. Si j'ignore quelle sera l'issue des travaux en cours avec France Télévisions et ALP, ce sujet de la dignité des personnes porte en lui des questions éthiques et politiques fondamentales, et je continuerai donc à me battre pour ces évolutions, en exigeant des résultats d'ici au mois de juillet. Compte tenu des enjeux financiers, l'émission « Fort Boyard » ne sera pas supprimée, mais la représentation de ces personnes doit changer afin que le regard de la société puisse évoluer.

Les médias ont donc une immense part de responsabilité dans la persistance des préjugés au sein de la société et des cours d'école. Bien que les acteurs de France Télévisions se soient aujourd'hui saisis du sujet, ils sont responsables de la diffusion, pendant plus de trente ans, d'un programme qui participe à perpétuer des stéréotypes tenaces.

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Laurence Pécaut-Rivolier, membre du collège de l'Arcom, présidente du groupe de travail « Protection des publics et diversité de la société française »

Ce sujet, auquel je suis particulièrement sensible, est révélateur des difficultés de positionnement que rencontre l'Arcom. Bien qu'elle véhicule de façon évidente des stéréotypes négatifs, l'émission « Fort Boyard » ne contient aucun manquement caractérisable au vu des textes existants, ne nous permettant pas d'agir autrement que par des actions de médiation.

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Violette Viannay, présidente de l'association des personnes de petite taille (APPT)

En Espagne, une loi a été votée par le parlement afin d'interdire les spectacles récréatifs avec des personnes en situation de handicap. La France, en revanche, n'a pas souhaité aller plus loin qu'un arrêté interdisant le « lancer de nain », et nous ne disposons ainsi d'aucun outil juridique qui pourrait aller à l'encontre de la liberté individuelle dès lors qu'elle touche à la dignité de ces personnes. C'est ainsi que l'on a vu apparaître, dans certaines communes de France, des spectacles de « tauromachie de nain », sans qu'aucune voix, à l'exception celle de Mme Fadila Khattabi, ministre déléguées chargée des personnes handicapées, ne s'élève pour dénoncer ce type de divertissements. Cette légitimation nous semble être la conséquence de la persistance d'un système qui dénigre les personnes en situation de handicap et de petite taille spécifiquement, et je reviendrai prochainement vers vous, Monsieur le président, sur ce sujet bien précis.

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Vous savez pouvoir compter sur moi, et votre témoignage, qui éclaire le rôle, la responsabilité et l'influence des médias sur ces sujets sociétaux, est essentiel pour cette commission.

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Je vous remercie pour ces propos qui viennent souligner la portée et l'enjeu de cette commission d'enquête. Je regrette simplement de ne pas avoir pu auditionner une association orientée sur la question de l'antiracisme qui aurait pu apporter un témoignage complémentaire à celui que nous avons entendu sur la situation des personnes de petite taille. Des échanges visant à alimenter les conclusions du rapport seront donc organisés dans un cadre moins formel.

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Jérémie Boroy, président du Conseil national consultatif des personnes handicapées

Je termine en partageant avec vous l'action d'une association engagée sur la représentation des habitants des quartiers politique de la ville et des banlieues, qui a mené, avec les médias et l'Arcom, un travail de construction d'un répertoire composé de personnes volontaires pour répondre aux sollicitations des médias. Cette action, qui était liée, au moment des émeutes, au sujet de la responsabilité de BFM TV et des chaînes d'information en continu dans la représentation des quartiers, illustre les initiatives qui peuvent être prises en lien avec le sujet de cette commission.

Je m'intéresse d'autre part, indépendamment de la question du handicap, aux sujets de la lutte contre la discrimination et de la promotion de la diversité et de l'égalité, et j'entends souvent dire que la question de la représentation des femmes n'est pas celle de la diversité puisque les femmes sont majoritaires. Je tiens donc à préciser que parler de diversité ne signifie pas parler de minorité ou de majorité, mais de la possibilité d'assurer une représentation de la diversité de la société dans son ensemble.

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Mesdames, messieurs, je souhaite vous remercier. Vous pouvez nous faire part de tout élément complémentaire qui permettra d'améliorer nos travaux. Notre engagement à vos côtés sur ces sujets ne cessera pas à la fin de la commission d'enquête, et vous pouvez compter sur nous pour faire résonner vos voix et œuvrer à faire accélérer cette progression.

La commission auditionne M. Jean-Baptiste Rivoire, ancien rédacteur en chef adjoint de « Spécial Investigation » sur Canal + et fondateur du site Off investigation

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La séance est reprise.

Mes chers collègues,

Nous concluons nos auditions du jour en entendant le journaliste d'investigation M. Jean-Baptiste Rivoire à sa demande. Il nous a semblé extrêmement important, avec M. le rapporteur, de donner suite à sa requête, le but de notre commission d'enquête étant bien d'établir la vérité, toute la vérité. Je vous remercie donc d'avoir répondu à notre convocation. Ancien enquêteur de l'émission « 90 Minutes » puis rédacteur en chef adjoint de l'émission « Spécial Investigation » sur Canal+, et ancien délégué syndical du Syndicat national des journalistes (SNJ-CGT) au sein du groupe Canal+, vous êtes coauteur de nombreuses investigations télévisées et auteur de trois livres. En 2021, après avoir quitté Canal+ dans le cadre d'un plan de départ volontaire, vous avez fondé Off investigation, un site de presse et d'investigation en ligne.

Cependant, c'est votre témoignage et vos révélations dans le documentaire Le Système B, produit par Reporters sans frontières et diffusé en octobre 2021, qui vous ont mis sur le devant de la scène ainsi qu'une décision de justice largement relayée par la presse qui semble en être la conséquence. En effet, lorsque vous étiez délégué syndical au sein du groupe Canal+, vous aviez engagé deux procédures pour discrimination salariale et pour discrimination syndicale. Parallèlement à la rupture conventionnelle de votre contrat de travail, vous avez conclu, en février 2021, un accord de transaction avec votre employeur, mettant fin à ces procédures. En échange d'une indemnité transactionnelle, vous vous êtes désisté de ces procédures et vous avez pris des engagements réciproques de confidentialité, de loyauté et d'interdiction de tous propos nuisibles à la réputation du groupe Canal+. Or le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt vous a condamné le 23 février dernier à verser 151 500 euros à Canal+, sans doute pour avoir rompu lesdites clauses – mais vous pourrez éventuellement nous le confirmer. Vous avez annoncé faire appel. Selon la presse, votre défense repose essentiellement sur l'absence de limite temporelle prévue pour ces engagements de loyauté et de confidentialité, et vous ne semblez donc pas contester le fait que vous n'ayez pas tenu ces engagements. Vos propos liminaires pourront préciser ces éléments.

Nous vous rappelons qu'une commission d'enquête peut, dans son objet, être arrêtée par les procédures judiciaires en cours. Cependant, nous n'avons pas souhaité retenir cette lecture afin de pouvoir vous entendre.

Je vais vous donner la parole pour une intervention liminaire.

Je vous remercie également de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations. M. le rapporteur aura la possibilité de vous poser une première série de questions. Si d'autres collègues nous rejoignent entre-temps, ils pourront également le faire. Le rapporteur pourra reprendre la parole ensuite.

Auparavant, je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

Je vous invite donc, Monsieur, à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. Jean-Baptiste Rivoire prête serment.)

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Je vous remercie et je vous donne immédiatement la parole pour communiquer des compléments sur les informations liminaires que j'ai communiquées et pour apporter tout élément qui vous semble utile à cette commission d'enquête. Nous accusons réception des documents que vous nous avez transmis en amont.

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Jean-Baptiste Rivoire, ancien rédacteur en chef adjoint de « Spécial Investigation » sur Canal+

Effectivement après six années à Canal+ ou je me suis senti sous la pression de Vincent Bolloré, pour pouvoir quitter le groupe normalement, j'ai dû, comme des centaines de journalistes syndicalistes, humoristes, signer une transaction qui incluait tout un tas de clauses qui m'ont paru attentatoires à ma liberté d'expression. Pour avoir simplement parlé de Vincent Bolloré dans un documentaire de Reporters sans Frontières, la direction de Canal+ nommée par Vincent Bolloré m'a réclamé 175 000 euros et en première instance, les prud'hommes de Boulogne viennent de me condamner à payer 151 000 euros. Je précise que nous contestons avec mes avocats l'accusation d'avoir violé ces clauses puisque j'avais seulement repris des informations déjà diffusées dans la presse et exprimé un avis sur Vincent Bolloré. Nous espérons que la Cour d'appel prendra un peu plus au sérieux les questions de liberté d'expression en France. Sinon, soit je ne vous raconte pas ce que j'ai vu à Canal+, soit je vous mens, mais je ne suis pas venu ici dans l'intention de vous mentir. J'espère que je ne serai pas de nouveau attaqué et condamné à payer 150 000 euros. À ce compte, vous risquez d'avoir du mal à comprendre ce qui se passe dans les médias.

J'approuve le fait que votre commission s'intéresse à l'ensemble des chaînes et à l'ensemble des propriétaires de médias…

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Je précise à toutes fins utiles que les propos qui sont tenus au sein d'une commission d'enquête ne peuvent pas vous valoir d'être attaqué pour diffamation. Vous êtes protégé à cet égard.

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Jean-Baptiste Rivoire, ancien rédacteur en chef adjoint de « Spécial Investigation » sur Canal+

Je vous remercie infiniment. Cependant je n'ai jamais été attaqué pour diffamation par le groupe Canal+. Pour en revenir à mon propos, je pense que même si parmi les grands industriels qui prennent le contrôle de grands médias pour, soit développer leurs affaires, soit aider leurs amis politiques, et même si parmi ceux-là Vincent Bolloré est l'exemple le plus caricatural, il n'est pas seul. Je pense par exemple à la manière dont, ces derniers mois, Patrick Drahi utilise ses chaînes i24News ou BFM TV pour relayer avec quelque complaisance la propagande du gouvernement Netanyahou, lequel tue actuellement des dizaines de civils palestiniens à Gaza. Je pense aussi à Bernard Arnault, qui a pris le contrôle du Parisien et des Échos et qui, depuis plusieurs années, les utilise soit pour protéger Emmanuel Macron, soit pour empêcher ces journaux d'enquêter sur son empire du luxe. Nous avons donc affaire à un problème général en France : beaucoup de propriétaires de presse instrumentalisent la presse pour des mauvaises raisons.

À la défense de M. Vincent Bolloré, après tout, vu l'attitude des pouvoirs publics en France depuis une dizaine d'années, il aurait peut-être tort de se priver d'agir de la sorte vu la faiblesse des sanctions qui sont appliquées, et de l'absence de menace qu'elles représentent pour leur modèle économique. On pourrait donc aussi s'interroger quant à l'attitude des pouvoirs publics.

J'aimerais à présent évoquer ce que j'ai vécu dans le système Canal+. Comme vous le savez, Vincent Bolloré est monté au capital de Vivendi entre 2012 et 2015 puis il a pris le pouvoir au printemps 2015 au sein du groupe Canal+. Nous avions été alertés par le fait qu'une filiale du Crédit mutuel basée à Monaco acceptait des valises d'argent liquide et encourageait ses clients les plus fortunés à pratiquer l'exil fiscal en Suisse et cela nous a paru intéressant de mener l'enquête sur cette affaire. Canal+ avait accepté et nous travaillions déjà sur le sujet depuis plusieurs mois. Nous avions réalisé des entretiens contradictoires puis nous avions annoncé que notre reportage était prêt et que son contenu allait faire trembler les banques. Un mystérieux mail a alors circulé au sein de Canal+, de la part d'un mystérieux responsable de la programmation, annonçant la déprogrammation de ce reportage.

Personne n'a su nous en expliquer les raisons. On nous a demandé de fournir en urgence un film de remplacement et ce n'est qu'à l'été 2015, à travers un article de Mediapart, que nous avons découvert que le président du Crédit mutuel, Michel Lucas, avait appelé son ami Vincent Bolloré – qu'il aide financièrement à grimper au capital de Vivendi – pour que cette enquête soit refusée. Vincent Bolloré a alors appelé Rodolphe Belmer pour lui signifier que ce problème devait être « réglé ».

Nous nous étions retrouvés discrédités. Pendant tout l'été, les abonnés de Canal+ nous ont écrit, sur la page Facebook de « Spécial Investigation », pour demander si nous enquêtions sur Subway parce que Vincent Bolloré n'était pas actionnaire de Subway. Ils se sont moqués de nous, constatons que bien que prétendant pratiquer du journalisme d'information, nous n'étions plus libres de choisir nos sujets d'investigation.

Le 3 septembre 2015, Vincent Bolloré vient personnellement devant le comité d'entreprise de Canal+. Il assume alors cette censure du reportage sur le Crédit mutuel dans les termes suivants : « S'il y a dans cette maison des gens qui n'arrêtent pas de taper sur ces clients ou partenaires, elle n'en aura bientôt plus du tout. Attaquer la BNP [une enquête sur BNP Paribas avait également été censurée], LCL ou le propriétaire de l'immeuble serait une bêtise. » Nous avons essayé d'en savoir plus car quand on travaille pour une chaîne nationale et que quatre-vingts producteurs dans Paris nous proposent des projets à longueur de journée, on a une éthique à respecter. Nous avons donc réclamé des explications écrites à la direction, lui demandant sur quels types de sujets nous étions autorisés à travailler. Maxime Saada, nommé par Vincent Bolloré, nous a fait répondre par écrit le 16 septembre 2015 : « La direction estime qu'il est préférable d'éviter les attaques frontales ou polémiques à l'encontre de partenaires contractuels actuels ou futurs. »

De quels partenaires s'agissait-il ? Ceux de Vincent Bolloré, de Canal+, de Vivendi, de leurs filiales ? Comment pouvions-nous connaître les « partenaires futurs » que nous ne devions pas importuner ? Nous en avons conclu que la direction s'autorisait à censurer n'importe lequel de nos reportages, nous plaçant dans l'incapacité de travailler. L'affaire ne s'arrête pas là puisque le 8 septembre 2015, Maxime Saada fait déprogrammer un deuxième documentaire intitulé Hollande-Sarkozy, guerre secrète dans lequel nous nous étions intéressés aux coups bas que s'échangeaient les deux candidats à la présidentielle à l'époque. Lorsque cette information est relayée par Le Monde le 13 septembre, Maxime Saada reprogramme le reportage en catastrophe et nous ordonne de ne plus jamais communiquer aux auteurs de reportages la date de leur diffusion. C'est comme ne pas informer un écrivain de la publication de son roman. La raison de ceci est que les auteurs des films documentaires extérieurs à Canal+ ne peuvent plus s'apercevoir que leur reportage a été censuré étant donné qu'aucune date de programmation n'est plus communiquée. On peut alors leur promettre pendant des mois voire des années que leur film est en attente d'être programmé.

Le 22 octobre, l'affaire du Crédit mutuel se solde de manière intéressante dans la mesure où un important responsable de Vivendi, Stéphane Roussel, est présent à la réunion du comité d'entreprise de Canal+. Nous l'avons naturellement interrogé sur cette affaire et il nous a alors répondu que Vincent Bolloré détestait qu'une investigation soit uniquement à charge – nous avions proposé au Crédit mutuel de s'exprimer mais il avait décliné l'invitation – et que le patron du Crédit mutuel avait appelé Vincent Bolloré, prétendant ne pas avoir pu se défendre et demandant que le reportage soit refusé. Stéphane Roussel a conclu en disant que peu importe si Michel Lucas et Vincent Bolloré étaient amis, qu'il n'en avait rien à faire et qu'il n'avait même pas regardé le programme. Quelques semaines plus tard, Philippe Labro, conseiller de Vincent Bolloré, déclarera sur France 2 dans « Complément d'Enquête » : « Vincent Bolloré a souhaité que ce documentaire ne passe pas. Il a fait ce qu'il souhaitait faire. Il l'a déprogrammé. »

De nombreuses affaires similaires se sont succédé. Des reportages ont été déprogrammés et la direction éprouvait un sentiment de totale impunité à cet égard. Quant aux journalistes, ils étaient totalement discrédités.

Le 9 octobre, je suis nommé représentant syndical et j'ai naïvement essayé de défendre le journalisme d'investigation et notre éthique. Je rappelle au passage que nos programmes plaisaient beaucoup aux abonnés. J'ai annoncé ma nomination le 9 octobre à mon responsable. Deux heures plus tard, Maxime Saada m'a fait adresser un courrier de convocation à un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement. Cette procédure était totalement illégale puisque j'avais été nommé responsable syndical à 8 h 07 et que le courrier a été rédigé l'après-midi. J'avais un excellent dossier et de très bons états de service à Canal+ depuis vingt ans. Le dossier disciplinaire était vide. Pour moi, l'affaire était compliquée mais cette action était illégale à mes yeux et relevait du pénal.

Mon téléphone portable a sonné pendant tout le week-end et mon responsable a fini par m'appeler pour m'expliquer que la direction voulait simplement que je parte en échange d'un chèque. Je lui ai répondu que je ne voulais pas recevoir un chèque mais continuer à exercer mon métier de journaliste. Mon responsable a alors ajouté qu'il était question d'un « gros chèque ». Peu importe, ma réponse était inchangée.

Quelques mois plus tard, nous avons essayé désespérément de proposer quelques autres enquêtes à la direction. Sur onze propositions, nous essuyons sept refus. Je vous communique les titres des reportages refusés car cela me semble intéressant :

- « Volkswagen, l'entreprise de tous les scandales » : l'enquête portait sur les logiciels antipollution truqués chez Volkswagen, ce qui était un sujet d'intérêt général et de santé publique ;

- « Le monde selon YouTube » ;

- « Attentats de 2015 : des dysfonctionnements des services de renseignement » : sujet majeur sur des événements qui ont causé plus de 130 morts à Paris ;

- « François Homelande : les guerres du président socialiste et leurs effets pervers » ;

- « Les emplois fictifs dans la haute fonction publique » ;

- « Répression Made in France » : un reportage sur les matériels de guerre et de maintien de l'ordre exportés massivement par la France dans des pays peu recommandables ;

- « Nutella : les tartines de la discorde ».

Tous ces sujets ont donc été refusés par la direction nommée par Vincent Bolloré. Il me semble que ce dernier exploite des champs d'huile de palme en Afrique, ce qui explique qu'il ait pu être gêné par le dernier sujet.

Le Canard Enchaîné a rédigé un article évoquant une « liste noire » que Vincent Bolloré voudrait « karcheriser » parmi les salariés de Canal+, une liste dont je faisais partie. En juin 2016, Vincent Bolloré met fin à l'émission « Spécial Investigation ». Deux de mes collègues ont été reclassés mais aucun poste ne m'a été proposé.

En tant que délégués du personnel, nous avons alerté le CSA mais ce dernier n'a pas réagi. La quasi-absence de réaction a procuré à ces personnes un sentiment d'impunité. Ainsi par exemple, le 1er juin 2016, Maxime Saada va devant l'Assemblée nationale, où il déclare, à propos de l'enquête sur le Crédit mutuel : « Il n'y a jamais eu aucune censure, aucune instruction d'où qu'elle vienne. Je suis très attaché à l'investigation ». Trois semaines plus tard, « Spécial Investigation » était supprimé. Ces propos ont « intoxiqué » la représentation nationale, les députés ignorant qu'ils étaient faux.

En 2017, ce sentiment d'impunité aboutit à une situation assez surréaliste. Vincent Bolloré cherchait à signer des contrats avec l'État togolais. Le Togo est un peu relativement peu démocratique. Le peuple manifestait depuis six mois et le président avait ordonné de tirer. Toute la presse nationale en parlait. Un reporter de Canal+ a finalement été envoyé sur place pour faire un reportage pour l'émission « L'Effet Papillon » afin de couvrir ces événements dramatiques. On découvrira par la suite que la direction de Canal+ a fait retirer le reportage en catastrophe de la plateforme de rattrapage (ou replay ) de la chaîne et on apprendra que le président togolais s'était plaint à propos de ce reportage auprès de Vincent Bolloré. Le reportage sera ensuite rediffusé « par erreur » par quelqu'un qui sera immédiatement licencié. Comme si cela ne suffisait pas, quelques semaines plus tard, la direction de Canal+ nommée par Vincent Bolloré fait diffuser à 7 heures du matin, en toute illégalité, un publireportage sur le dictateur africain sans préciser qu'il s'agissait d'un publireportage. Là encore, l'instance de régulation ne s'en est pas aperçue. Il faudra qu'un média indépendant talentueux, Les Jours, repère ce publireportage pour que le CSA s'en préoccupe et inflige une sanction symbolique au groupe Canal+.

Nous avons essayé de comprendre les tenants et aboutissants de cette affaire. Nous avions affaire cette fois à Frank Cadoret, haut responsable de Canal+. Il a expliqué devant le comité d'entreprise que ce reportage n'avait peut-être pas plu au président togolais. Selon lui, aller dans un pays où la télévision payante est très régulée pour y attaquer le président de la République n'était pas une démarche très adroite, tant pour le business que pour les salariés de Canal+. Nous nous sommes donc retrouvés complètement entravés dans notre travail de journalisme en raison de liens entre Vincent Bolloré et certains acteurs. Il était devenu impossible de travailler.

Le CSA a très peu réagi, Vincent Bolloré a imposé chez CNews Jean-Marc Morandini, mis en examen pour corruption de mineurs, puis Éric Zemmour, plusieurs fois condamné pour provocation à la haine raciale. Cela devenait compliqué à gérer…

Le problème n'est pas tellement que Vincent Bolloré défende ou fasse défendre les thèses du Rassemblement national ou de Reconquête. C'est son droit d'adhérer aux idées de l'extrême-droite après tout… Le problème est qu'il pense qu'en tant qu'actionnaire, il est tout-puissant, c'est-à-dire apte à contrôler l'information et le travail des journalistes. Il se sent autorisé à forcer les journalistes à violer leur déontologie professionnelle. Le pire est que la quasi-absence de réaction des autorités face à ces agissements illégaux l'autorise à aller encore plus loin. Il a mis en place une véritable omerta, imposant le silence par l'intermédiaire de clauses contractuelles à tous ceux qui quittent le système qu'il a mis en place. Des centaines de syndicalistes, humoristes ou journalistes ne pourront jamais s'exprimer sur le sujet sous peine de violer ces clauses de confidentialité. Dans mon cas, les clauses n'avaient aucune limitation de durée. Dans vingt-cinq ans, au moindre tweet maladroit, Vincent Bolloré pourra encore faire venir des huissiers devant chez vous pendant dix ans et vous faire restituer l'intégralité des fonds.

Les centaines de personnes qui savent ce qui s'est passé à l'intérieur de Canal+ ne pouvant pas témoigner, les dirigeants du groupe se sentent autorisés à nier le problème devant la représentation nationale. Qui pourra remettre en cause leur parole ? Telle est la situation actuelle.

Pour résumer, Vincent Bolloré censure les médias qu'il contrôle pour protéger ses partenaires en affaires. C'est interdit par la loi du 30 septembre 1986, elle-même renforcée par la loi du 14 novembre 2016 visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias, dite « loi Bloche » : un actionnaire ne peut pas entraver la liberté éditorialiste pour protéger ses affaires. Vincent Bolloré influence en permanence la ligne éditoriale de Canal+ mais aussi, en coulisses, du cinéma. Il est compliqué d'évoquer certains sujets sur Canal+ comme la pédophilie dans l'Église ou des usines occupées. Mépris des chartes déontologiques, mensonges devant le Parlement, corruption d'agents publics étrangers… Vincent Bolloré a reconnu des affaires en Afrique où il avait aidé des potentats africains dans leur campagne en échange de marchés. Il a fait diffuser des fausses nouvelles ou fake news et des séquences sexistes, racistes et homophobes de manière répétée. Il a finalement contraint au silence des centaines de journalistes. Ces pratiques ne sont rien d'autre qu'un gigantesque bras d'honneur à l'éthique de l'information.

Comment se fait-il que les pouvoirs publics n'aient pas réagi depuis dix ans ? Pourquoi la représentation nationale se laisse-t-elle mépriser à ce point de la part de quelqu'un qui viole les lois en quasi-impunité – les quelques sanctions du CSA n'ayant pas eu d'effet ? Pourquoi ne faites-vous pas respecter les lois ?

Je suis prêt à répondre à vos questions.

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Merci M. Rivoire. Avant de passer la parole au rapporteur, j'aimerais vous demander quelles sont, selon vous, les lois qui ont été violées, qui était votre responsable à l'époque où vous travailliez chez Canal+, et comment vous en êtes venu à la conviction que Vincent Bolloré était directement intervenu. Vous avez cité Maxime Saada à plusieurs reprises mais quels indices vous induisent à penser que celui-ci avait reçu des consignes ?

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Jean-Baptiste Rivoire, ancien rédacteur en chef adjoint de « Spécial Investigation » sur Canal+

À plusieurs reprises, des proches de Vincent Bolloré ont participé au comité d'entreprise. Leurs propos ont été consignés dans les procès-verbaux de l'instance. Ils ont déclaré que Vincent Bolloré était intervenu personnellement. Lui-même avait participé directement au comité d'entreprise, et il a alors assumé son intervention pour faire censurer le reportage sur le Crédit mutuel. Quand vous ne pouvez plus travailler pendant des mois et que l'on menace de vous licencier dès que vous prenez un mandat syndical, vous comprenez rapidement qui est le patron. D'ailleurs, des responsables bien au-dessus de nous comme Rodolphe Belmer et Ara Aprikian ont été expulsés très brutalement du groupe Canal+ à l'arrivée de Vincent Bolloré à l'été 2015. Il considère qu'il peut agir comme il l'entend y compris avec les dirigeants de l'entreprise, donc comment voulez-vous qu'un salarié de base puisse s'opposer à lui ? Divers responsables nous ont confirmé sans hésiter que Vincent Bolloré était intervenu. Les procès-verbaux font foi. Il intervient sans se cacher car il est quasiment certain de son impunité.

Pour répondre à votre question sur les violations de la loi, la plus sérieuse me semble être celle de la loi de 1986 qui prévoyait déjà l'impossibilité pour un actionnaire d'entraver la liberté éditoriale pour défendre les intérêts de ses affaires. Si l'on permettait à des industriels de prendre le contrôle de médias importants en France, puis d'entraver le travail des journalistes, il deviendrait compliqué pour ces derniers d'exercer leur métier. Sinon on ne parlerait plus de médias mais d'instruments de propagande. C'est interdit depuis 1986 mais cette loi n'est absolument pas respectée. En 2016, devant la multiplication des scandales, notamment à Canal+, François Hollande a lancé l'idée de la loi Bloche, qui renforce celle de 1986. À l'époque, nous étions plutôt satisfaits mais cela n'a rien changé à la situation. La loi Bloche a instauré des comités d'éthique. Vincent Bolloré a créé un tel comité mais il a pris soin d'y nommer au moins trois membres sur six qui soient en lien d'affaires avec lui. La ficelle était tellement grossière que le CSA a demandé à Vincent Bolloré de nommer des personnes qui ne seraient pas liées à lui en affaires mais c'est toujours lui qui nomme les membres de ce comité. C'est une vaste blague ! En tant que délégué syndical, j'ai demandé à participer aux réunions, afin de mettre au point une charte de déontologie, mais je n'ai pas été invité. J'ai saisi l'inspection du travail mais celle-ci était débordée et je n'ai eu aucune réaction avant trois ans.

Peut-on admettre qu'un animateur accusé d'agressions sexuelles, en l'occurrence Jean-Marc Morandini, soit désigné comme vitrine d'une chaîne d'information ? Une centaine de mes collègues d'I-Télé ont considéré que c'était inacceptable mais ils ont perdu la bataille et leur emploi. La direction était prête à attendre pendant six mois que les grévistes abandonnent la partie. Au bout de cinq semaines, ne pouvant plus payer leur loyer ou nourrir leurs enfants, mes collègues ont fini par partir. Maxime Saada a déclaré la semaine dernière que chacun était libre de signer ou non les accords de confidentialité et que ceux qui les signaient devaient les respecter. Cette argumentation semble imparable mais cela suppose que l'employé soit au même niveau que l'employeur. Or ce n'est pas du tout le cas dans le système mis en place par Vincent Bolloré.

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Qui est l'auteur du mail de déprogrammation de l'enquête sur le Crédit mutuel ?

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Jean-Baptiste Rivoire, ancien rédacteur en chef adjoint de « Spécial Investigation » sur Canal+

À l'époque, j'étais le rédacteur en chef adjoint de « Spécial Investigation ». Ce que je sais, c'est que notre interlocuteur direct à l'époque était Rodolphe Belmer - Maxime Saada n'est arrivé que début juillet. Sans qu'il nous en ait parlé, Stéphane Haumant, le présentateur de « Spécial Investigation », qui était mon responsable, a appris que quelqu'un de la programmation avait envoyé un mail pour faire déprogrammer le reportage. Nous ne savions rien d'autre à l'époque. Nous devions trouver un autre sujet en catastrophe pour remplacer ce programme. Pendant plusieurs semaines, nous avons essayé de comprendre sans obtenir de réponse.

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Nous avons auditionné Rodolphe Belmer, qui a qualifié les interventions de Vincent Bolloré comme relevant du « micro-management ». Cette appréciation vous paraît-elle appropriée ?

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Jean-Baptiste Rivoire, ancien rédacteur en chef adjoint de « Spécial Investigation » sur Canal+

J'ignore le sens de son propos mais je peux seulement vous dire qu'il était le responsable de Canal+ en mai 2015 quand ce sujet a été déprogrammé. Je sais que Vincent Bolloré a reconnu avoir appelé Rodolphe Belmer pour lui faire part du courroux du président du Crédit mutuel et que, d'après l'article de Mediapart publié en juillet 2015 qui n'a jamais été démenti, Vincent Bolloré aurait expliqué à Rodolphe Belmer qu'il fallait en quelque sorte renvoyer l'ascenseur à ceux qui avaient apporté leur aide, et donc que son ami ne devait plus être ennuyé. Rodolphe Belmer pensait encore à l'époque qu'il pourrait se maintenir à la tête de Canal+ malgré l'arrivée musclée de Vinent Bolloré. À l'époque déjà, Vincent Bolloré avait annoncé son intention de supprimer les « Guignols de l'Info ». Rodolphe Belmer a donc cédé dans un premier temps mais ce n'était pas très glorieux et donc, il a décidé de ne pas nous l'annoncer. Lorsque nous avons essayé de comprendre qui avait pris la décision, personne ne nous a répondu, puis en juillet, lorsque Rodolphe Belmer sera brutalement expulsé de son bureau, quasiment sans avoir le droit de prendre ses affaires, il n'a jamais parlé, ou très peu.

Maxime Saada vous a déclaré qu'il ignorait si Rodolphe Belmer a signé une clause de confidentialité. Je ne suis pas certain que Vincent Bolloré ait laissé un directeur de chaîne partir sans lui imposer de très sévères clauses de confidentialité.

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Vous avez cité plusieurs sujets qui ont été refusés par la direction de Canal+ à l'époque où vous étiez encore en poste mais quels autres sujets ont été acceptés ?

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Jean-Baptiste Rivoire, ancien rédacteur en chef adjoint de « Spécial Investigation » sur Canal+

Il me semble que parmi les quatre sujets acceptés sur onze, il y en avait un sur les ours polaires dans l'Arctique et un sur la chasse aux trésors sous les mers.

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Nous allons essayer de retrouver ces programmes.

Maxime Saada a présenté cette clause comme une clause de non-dénigrement. Pouvez-vous en préciser le périmètre ? S'agit-il de ne pas dénigrer Canal+, « Spécial Investigation », Vincent Bolloré, les activités de Vivendi ? Comment le dénigrement est-il caractérisé, sachant qu'exprimer une vérité peu reluisante ne constitue pas nécessairement un dénigrement ?

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Jean-Baptiste Rivoire, ancien rédacteur en chef adjoint de « Spécial Investigation » sur Canal+

Pendant cinq ans, j'ai refusé de signer ces clauses de silence qui m'apparaissaient inacceptables. Mais venir tous les jours au bureau pendant cinq ans sans rien avoir à faire, il faut être solide pour affronter cela. J'ai trois enfants, un prêt immobilier, et j'ai fini par céder en faisant un peu modifier les clauses. Je m'engageais tout d'abord à renoncer à tous mes droits en justice. J'avais trois procédures en cours contre Canal+, dont un à propos d'un faux témoignage de la part d'une responsable concernant mon affaire. Ce témoignage écrit a été envoyé aux prud'hommes, ce qui avait donc vocation à tromper la justice. J'ai donc porté plainte mais Canal+ a très fortement insisté pour que cette plainte soit retirée. Ces clauses m'interdisaient aussi de témoigner dans le cadre de procès. Je devais aussi m'engager à ne rien dire qui puisse porter atteinte à l'honneur de Vincent Bolloré, ses subordonnés, ses entreprises et leurs filiales – dont je ne connais pas la liste – et surtout sans limite de date – et c'est la raison pour laquelle nous faisons appel. Il est tout à fait concevable qu'une entreprise puisse demander à un ancien employé de ne pas la dénigrer ou de travailler pour la concurrence pendant un an, et ce genre de clause est tout à fait classique, mais en l'occurrence, dans mon cas, cette clause n'avait aucune limite de durée. Quand on voit l'importance que Vincent Bolloré a prise dans les médias français et les maisons d'édition, comment est-il envisageable de faire signer de telles clauses à des centaines de journalistes ? Cela revient à les bâillonner. C'est d'autant plus compliqué à gérer que l'existence même de ces clauses est confidentielle. Lorsque mes collègues partaient de Canal+, ils ne pouvaient même pas organiser de pot de départ car ils n'avaient pas le droit de leur annoncer qu'ils avaient conclu une transaction. Sinon, Vincent Bolloré les aurait poursuivis et leur aurait réclamé de restituer les fonds. Ils partaient donc en rasant les murs sans pouvoir parler à personne. Et j'imagine que la situation n'était pas différente au JDD, à Paris Match ou à Europe 1. Vincent Bolloré a acheté le silence de centaines de personnes. C'est la réalité.

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Pour mesurer le caractère pour le moins singulier de la gouvernance d'entreprise exercée par Vincent Bolloré, il me semble utile de revenir sur la période qui précède sa prise de contrôle du groupe. Avez-vous déjà eu affaire à ce genre de pressions ou de censure de la part des prédécesseurs de Vincent Bolloré ?

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Jean-Baptiste Rivoire, ancien rédacteur en chef adjoint de « Spécial Investigation » sur Canal+

Je suis entré à Canal+ en 2001, à l'époque de Vivendi et de Jean-René Fourtou. Au début des années 2000, nous avons fait l'objet de pressions de la part des chiraquiens notamment. À l'époque, le groupe était dirigé par Rodolphe Belmer et Bertrand Méheut. Par exemple, nous avions réalisé un reportage montrant l'armée française en Côte d'Ivoire qui tirait dans la foule – faisant plusieurs dizaines de victimes – et des hélicoptères qui tiraient sur des ponts. C'était bien entendu dans un contexte particulier car les Français craignaient que leur camp militaire ne soit envahi. À l'époque, Michèle Alliot-Marie martelait dans la presse que l'armée française n'avait pas tiré. Notre équipe revenait de Côte d'Ivoire avec des images qui démentaient ces propos. Le Gouvernement était furieux et sous une très forte pression, Rodolphe Belmer s'est vu contraint d'empêcher la rediffusion de ce reportage. Les pressions politiques existaient donc avant l'arrivée de Vincent Bolloré.

Cependant, elles n'étaient pas de même nature. Nous avons rencontré diverses difficultés dans les quelques années qui ont précédé les élections présidentielles de 2007. Un reportage sur le passé politique de José Manuel Barroso et une enquête sur Nicolas Sarkozy en qualité de présidentiable réalisée en 2004 ont également été concernés. Rodolphe Belmer nous a fait savoir que ces enquêtes ne pourraient pas passer à l'antenne. Nous étions, à l'époque de « 90 Minutes », une équipe interne à Canal+. Nous travaillions sur des gros sujets depuis six mois et ceux que nous avions filmés attendaient que les reportages soient diffusés. Nous sommes montés dans le bureau de Rodolphe Belmer pour lui demander d'au moins regarder les reportages avant de les supprimer, ajoutant que cela posait un problème de fonctionnement. Il a réfléchi et finalement, il a fait diffuser les trois enquêtes jugées problématiques. L'année suivante, en 2006, il a appuyé sur un bouton, faisant disparaître l'émission « 90 Minutes ». Tous les reporters d'investigation qui pouvaient venir dans son bureau et demander à pouvoir effectuer leur travail se sont alors retrouvés dehors et dès lors, les enquêtes d'investigation ont été confiées à des producteurs extérieurs. La direction se retrouvait dans une situation plus confortable, libre de refuser les sujets proposés par ces derniers, leur expliquant qu'ils ne correspondaient pas à la ligne éditoriale souhaitée. Cela évite tout scandale de censure car le producteur extérieur dispose de nombreux autres sujets qui peuvent remplacer celui qui a été refusé. Pour lui, être payé cent mille euros pour un reportage est très attractif, et il a donc tout intérêt à se taire. Tout le monde s'est donc tu entre 2006 et 2015. Néanmoins, à l'époque, 90 % des sujets proposés devant le comité d'investigation ont été validés. Certains sujets étaient tabous comme par exemple le football. Il est par exemple délicat de proposer un reportage sur des supporters racistes. J'ai voulu proposer un jour un reportage sur l'argent du Festival de Cannes, qui a été refusé aussi. En dehors de ces sujets, nous étions libres à 95 %. Au moment de l'arrivée de Vincent Bolloré, quasiment plus aucun sujet n'était accepté.

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Combien de fois avez-vous rencontré ou été en contact direct avec Vincent Bolloré ?

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Jean-Baptiste Rivoire, ancien rédacteur en chef adjoint de « Spécial Investigation » sur Canal+

Devant la représentation nationale, il se défend d'intervenir, affirmant qu'il n'en a pas le pouvoir, et d'ailleurs en 2015, Vincent Bolloré ne dirigeait pas Canal+, il n'était pas censé communiquer de consignes, faire disparaître des reportages ou protéger ses amis dictateurs. Pour lui, l'argument imparable consiste à dire que cela n'entre pas dans le cadre de ses fonctions. Il ne se prive pourtant pas de le faire. Je l'ai rencontré une seule fois en juillet 2015, alors qu'il venait de décapiter les « Guignols de l'Info » en faisant partir tous leurs auteurs. Ils étaient autorisés à reprendre l'émission en septembre mais sans parler de politique… Un jour, j'étais seul dans l'équipe de « Spécial Investigation » car mes collègues étaient en vacances et j'ai vu une charge de production de Canal+ faire son arrivée avec un homme bronzé qui portait un magnifique costume. J'ai compris que c'était celui dont tout le monde parlait. Je lui ai serré la main. Il a regardé le panneau où étaient affichés les sujets de nos futures enquêtes d'investigation. Il y a vu par exemple un sujet sur la famille Mulliez (propriétaire d'Auchan) qui s'était installée en Belgique pour des raisons fiscales, un autre sujet sur une célébrité, et il a alors désapprouvé des reportages sur des personnes. Je lui ai rétorqué sur le ton de la plaisanterie que nous pensions éventuellement faire un sujet sur Vincent Bolloré. Il a éclaté de rire, affirmant qu'il n'avait rien à cacher. C'est le seul contact personnel que j'ai eu avec lui. J'ai senti qu'il était inutile de tenter d'amorcer un quelconque dialogue, au sujet par exemple de la censure du reportage sur le Crédit mutuel. J'ai eu le sentiment que la personne face à moi n'allait pas répondre de manière sincère. Vous aurez peut-être cette impression la semaine prochaine…

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Nous auditionnerons effectivement M. Bolloré le 13 mars à 15 heures. Comment la pression politique à propos de la Côte d'Ivoire s'est-elle manifestée ? Via Rodolphe Belmer ? Comment a-t-il expliqué le retrait du sujet ? S'est-il caché derrière des considérations techniques ou de traitement de l'information ?

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Jean-Baptiste Rivoire, ancien rédacteur en chef adjoint de « Spécial Investigation » sur Canal+

À l'époque, en 2004, j'étais simple reporter à « 90 Minutes », émission dirigée par Paul Moreira. La relation de confiance entre la direction de l'émission et la direction de la chaîne était plus forte à l'époque. Avant l'arrivée de Vincent Bolloré, nous avions encore affaire à des humains normaux qui nous traitaient avec un minimum de respect. Nous avons bien senti que lui-même était sujet à des pressions très fortes. Nous avons compris qu'il était problématique de diffuser nos images alors que la ministre de la Défense affirmait que l'armée française n'avait pas tiré. Le Canard Enchaîné avait d'ailleurs publié un article quelques jours avant la diffusion, annonçant que nous avions des images qui prouvaient le contraire. Pas besoin d'être grand clerc pour en déduire que cela dérangeait en haut lieu. Il n'était donc pas question que ces images soient rediffusées. Il a fallu que Paul Moreira se batte activement pour qu'une équipe puisse réaliser un complément d'enquête sur place quelques mois plus tard.

Au sujet de José Manuel Barroso, « patron » de l'Europe sur qui nous ne devions plus travailler, nous avions le sentiment que Canal+ était en train de négocier avec l'Union européenne une opération avec des enjeux importants pour la chaîne.

Quant à Nicolas Sarkozy, j'ignore pourquoi son portrait politique devait disparaître. Après la diffusion de ce reportage, j'ai croisé son chargé de communication Franck Louvrier dans un commissariat parisien. Je lui ai annoncé une « suite » prochaine sur le ton de la plaisanterie et il m'a répondu « ça m'étonnerait ». Deux ans plus tard, l'émission était supprimée…

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Comment la charte de déontologie du groupe était-elle rédigée ?

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Jean-Baptiste Rivoire, ancien rédacteur en chef adjoint de « Spécial Investigation » sur Canal+

Je suis plutôt mal placé pour répondre car je devais participer à la rédaction de cette charte quand elle a été rendue obligatoire par la loi Bloche. Elle est devenue obligatoire fin 2016 et le conflit d'I-Télé a culminé en octobre et novembre 2016, à trois semaines de l'entrée en vigueur de cette loi. Vincent Bolloré a répété obstinément aux journalistes d'I-Télé qu'il n'y aurait pas de charte déontologique, même si c'était obligatoire. Ils ont tous craqué avant. Après cela, Canal+ a fait mine d'ouvrir des discussions sur la charte mais j'ai été exclu de ces réunions alors que j'étais le seul journaliste à siéger au comité d'entreprise. Pendant six mois, nous avons échangé des courriers recommandés sur les raisons pour lesquelles je n'étais pas invité, ce qui relevait à mon sens de la discrimination. Ces chartes déontologiques sont assez insipides et ne sont pas respectées. Les mesures de la loi Bloche, qui interdisent à l'actionnaire d'intervenir sur le contenu éditorial, sont bien retranscrites, mais elles n'ont que la valeur du papier où elles sont inscrites. Nous avons affaire à des personnes qui ne s'embarrassent guère de respecter la loi, alors les chartes déontologiques… Peut-être une charte a-t-elle finalement été rédigée, comme un comité éthique a été constitué avec trois membres en lien d'affaires avec Vincent Bolloré.

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Hier, au sein de la commission des affaires culturelles et de l'éducation, la mission d'évaluation de la loi Bloche a présenté son rapport et nous avons effectivement vu les limites de ces comités d'éthique qui n'ont pas de moyens et qui d'ailleurs ne sont pas forcément associés aux travaux de l'Arcom. J'imagine que le comité d'éthique a déjà eu l'occasion d'évoluer parce que de tous les comités d'éthique que nous avons reçus, c'était celui de Canal+ qui était le plus productif. Je pense que ces comités d'éthique partaient d'une bonne intention mais qu'ils souffrent d'une insuffisance de moyens.

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Vous êtes parti en 2021 après avoir été « mis au placard » pendant cinq ans. Pouvez-vous nous décrire ce placard ?

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Jean-Baptiste Rivoire, ancien rédacteur en chef adjoint de « Spécial Investigation » sur Canal+

C'est mon interprétation et la direction de Canal+ pourrait vous présenter éventuellement une autre version. Pendant 2015 et 2016 s'est produite une partie de bras de fer au sujet de l'avenir de cette émission. Elle a été maintenue mais en chômage technique. La direction a refusé d'organiser les comités d'investigation qu'elle nous avait imposés quelques années auparavant et sans lesquels nous ne pouvions lancer aucun dossier. Faute de temps, Maxime Saada n'organisait pas les réunions et nous pouvions guère lancer d'enquêtes. Je me suis ensuite exprimé publiquement, en ma qualité de délégué du personnel, à propos du refus de sept propositions sur onze, et la direction, par mécontentement, a supprimé l'émission en juin.

Mon placard est assez simple à décrire. J'ai été reçu en entretien en août 2016 au sujet de mon reclassement après la disparition de l'émission. Deux de mes collègues ont été reclassés mais aucun poste ne m'a été proposé. Après plusieurs mois, on m'a proposé de surveiller la tendance documentaire mondiale depuis un petit bureau. On me demandait de rédiger un mail mensuel pour résumer ce sujet. Je leur ai répondu que c'était déjà ce qui avait été proposé à Francis Kandel, syndicaliste CGT qui était au placard depuis dix ans. On m'a alors proposé de me charger des prévisions de l'Agence France-Presse (AFP) mais dans la mesure où nous étions déjà abonnés aux prévisions de l'AFP, cela me semblait peu utile. Le but était de me faire accepter un poste puis de me reprocher un manque de sérieux dans mon travail. Nous avons joué un jeu de dupes. Voyant que l'inspection du travail s'intéressait à mon cas, ils ont fini au bout de trois ans par me proposer un travail. Pendant un an environ, j'ai ainsi travaillé sur les tueurs en série, et notamment sur l'affaire du petit Grégory, qui a déjà donné lieu à quatorze documentaires. Je leur ai demandé s'ils pensaient que j'allais pouvoir découvrir la vérité. Ils ont jugé que le sujet était très important et j'ai donc travaillé dessus pendant plusieurs semaines sur un projet, puis mon responsable m'a dit qu'il était inutile que je poursuive car Netflix avait déjà produit un documentaire sur le sujet. On m'a ensuite demandé de travailler sur Guy Georges, un tueur en série. Fait particulier, j'étais censé enquêter alors que tous mes abonnements de presse avaient été supprimés par la direction au moment de la disparition de « Spécial Investigation ». J'ai alors engagé un bras de fer avec ma direction, me plaignant de ne pas pouvoir enquêter dans ces conditions. On m'a alors demandé d'effectuer des recherches sur Google, ce qui était gratuit. J'ai échangé des courriers recommandés pendant six mois pour avoir le droit de lire la presse en tant que rédacteur en chef. Cela m'a été refusé pendant six mois puis j'ai eu à nouveau accès à des abonnements. J'ai alors pu travailler sur un sujet sur Guy Georges qui sera refusé par la direction, puis sur Nordahl Lelandais pendant un mois et demi, et une nouvelle fois le projet ne sera pas accepté.

Nous avons finalement conclu qu'il était préférable de nous séparer. Un troisième plan social venait d'être annoncé et j'étais prêt à en profiter avec le minimum légal car j'avais besoin de rembourser mes emprunts et de nourrir mes enfants. C'est alors que la direction m'a demandé de signer des transactions de silence.

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Dans quelle mesure les personnes que vous citez sont-elles objectivement dépendantes de Vincent Bolloré ? Ont-elles été nommées par lui ? Nous cherchons à déterminer à quel point elles dépendent de lui. Nous comprenons quelle est son influence mais avait-il le pouvoir de licencier vos supérieurs ?

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Jean-Baptiste Rivoire, ancien rédacteur en chef adjoint de « Spécial Investigation » sur Canal+

Je ne suis pas dans le secret de Canal+ mais il me semble que lorsque Vincent Bolloré décide d'évincer très brutalement Rodolphe Belmer le 3 juillet 2015, c'est lui qui décide que Maxime Saada le remplacera. Vincent Bolloré joue donc un rôle très important dans les nominations. L'actionnaire n'a pas besoin d'agir directement. Il commence par nommer des personnes qui dirigent le média, qui eux-mêmes nomment des cadres intermédiaires qui jouent un rôle important dans le choix de la ligne éditoriale, dans les recrutements, etc. Une relation de confiance s'engage entre l'actionnaire et tous les cadres de direction. Certains chez CNews peuvent déclarer qu'à leur sens, ils ne sont jamais censurés et que Vincent Bolloré n'intervient jamais mais en réalité, ce dernier s'est assuré que tous ceux qui y travaillent soient alignés sur ses idées politiques. La puissance de l'actionnaire est donc totale.

Je pourrai également citer quelques exemples invérifiables. Canal+ est un groupe très important à travers l'information et le football. Il est très puissant en Afrique. Canal+ y organise des concerts, où les candidats à la présidentielle ont l'occasion de monter sur scène pour se faire acclamer par la jeunesse de leur pays, et une fois élus, ils accordent un contrat portuaire à Vincent Bolloré… Voilà comment il utilise la marque Canal+ en Afrique. Il use de son influence en permanence et il est quasiment impossible de lui résister. L'évincement de Rodolphe Belmer et d'Ara Aprikian avait vocation à montrer que si quelqu'un se désolidarisait, ce serait terminé pour lui.

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Pensez-vous donc que plus qu'une intervention directe de Vincent Bolloré, il est question la plupart du temps d'une forme d'autocensure ou d'anticipation des souhaits ?

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Jean-Baptiste Rivoire, ancien rédacteur en chef adjoint de « Spécial Investigation » sur Canal+

Oui. Nous avons affaire à un système pyramidal. À l'époque où nous étions ridiculisés à propos de la censure du reportage sur le Crédit mutuel, les producteurs ont compris qu'ils ne pourraient plus proposer de reportages sur les banques à Canal+. Lorsque les sept projets que je vous ai cités ont été refusés début 2016, ils ont rajouté sur la liste des sujets tabou la pollution chez les constructeurs automobiles, les sujets politiques, la vente d'armes par la France, etc. Ils ont donc eu tendance à éviter de faire travailler leurs équipes sur ce genre de sujets. Il s'agit donc d'une forme implicite de censure. Lorsqu'en 2015, la direction de Canal+ déclare qu'elle souhaite évoquer les polémiques vis-à-vis des partenaires actuels ou futurs, nous avons cherché pendant des mois à connaître le périmètre qui nous était interdit, sans jamais obtenir de réponse. Il n'est pas envisageable de travailler sur une enquête d'investigation pendant des mois et d'impliquer des partenaires pour découvrir finalement que le sujet n'est pas accepté. Cela peut même mettre en danger nos sources. Des cadres du Crédit mutuel ont remarqué que des valises remplies de billets arrivaient régulièrement dans les filiales à Monaco et en Italie et que les clients riches étaient invités à pratiquer l'exil en Suisse. Dans un premier temps, ils ont cherché à prévenir leur direction mais cette dernière les a menacés d'un licenciement. C'est par désespoir qu'ils ont alors contacté Mediapart et nous avons finalement eu vent de l'affaire. Les personnes que nous interviewons prennent des risques lorsqu'elles témoignent face à une caméra – nous devons parfois préserver leur identité. Les sources comme les journalistes peuvent être menacés. L'investigation est fondamentale pour le journalisme. Sans investigation, les journalistes animent des débats polémiques. J'ai l'impression que notre rôle d'information n'intéresse pas beaucoup. Je considère que nous avons affaire à une violation constante des règles éthiques de l'information. Les journalistes sont censurés et invités à violer leur charte déontologique à longueur de journée.

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En plus de vous censurer, vous a-t-on proposé de travailler sur des sujets qui seraient plus conformes à la vision du monde de Vincent Bolloré ou des chaînes de son groupe ?

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Jean-Baptiste Rivoire, ancien rédacteur en chef adjoint de « Spécial Investigation » sur Canal+

Je n'en ai pas le souvenir, mais cela ne veut pas dire que cela n'est jamais arrivé. Nous cherchions surtout à obtenir le droit d'effectuer notre travail.

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Avez-vous des éléments complémentaires au sujet des documents que vous nous avez transmis ?

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Jean-Baptiste Rivoire, ancien rédacteur en chef adjoint de « Spécial Investigation » sur Canal+

J'aimerais émettre une opinion à propos de l'autorité de régulation, que nous avons tenté d'alerter à plusieurs reprises. D'ailleurs, avant 2015, je vivais dans la peur constante que nous soyons réprimandés par le CSA si nous oubliions de flouter le visage d'un manifestant. La direction de Canal+ était très attentive à des sujets d'apparence anodine. Une juriste regardait notre émission avec nous toutes les semaines. Nous étions chargés de la validation éditoriale et elle était chargée de la validation sur le plan juridique. Elle vérifiait notamment le respect du contradictoire. Il nous semblait donc normal de nous inscrire dans le cadre imposé par le CSA.

Vu l'ampleur des dérives à partir de 2015, nous avons saisi le CSA à plusieurs reprises, par l'intermédiaire d'Olivier Schrameck puis de Roch-Olivier Maistre. J'ai toujours été sidéré par la lenteur de réaction de cet organisme. Vous lui envoyez un courrier recommandé avec de nombreuses pièces pour étayer les faits, vous attendez plusieurs mois une éventuelle réponse, qui parfois se limite à accuser réception des éléments reçus et à promettre de les examiner. Les réponses sont extrêmement lénifiantes, et parfois une légère sanction est infligée. Lorsque nous essayons de faire comprendre qu'il s'agit là d'une atteinte profonde à la démocratie à travers la perversion de l'information devant le public, des mois s'écoulent avant une nouvelle réponse insatisfaisante, puis encore des mois, etc. J'ai reçu plusieurs réponses de l'Arcom par l'intermédiaire de Roch-Olivier Maistre, qui sont totalement insuffisantes eu égard à la gravité de l'enjeu. C'est le résultat de six ans de courriers recommandés envoyés au CSA.

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Sentez-vous une évolution dans le traitement et l'accueil des plaintes entre le CSA et l'Arcom, autorité indépendante ?

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Jean-Baptiste Rivoire, ancien rédacteur en chef adjoint de « Spécial Investigation » sur Canal+

Tout d'abord, j'ignore si cette autorité est véritablement indépendante. Par qui le responsable de l'Arcom est-il nommé ?

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Par le Président de la République mais le collège de décision de l'Arcom est nommé en partie par l'Assemblée nationale et par le Sénat. Des magistrats en font également partie. Le président de l'Arcom n'est qu'un membre de ce collège et sa voix n'est pas prépondérante.

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Jean-Baptiste Rivoire, ancien rédacteur en chef adjoint de « Spécial Investigation » sur Canal+

Roch-Olivier Maistre a donc été nommé par le Président de la République.

À partir du moment où une personne condamnée à plusieurs reprises pour provocation à la haine raciale se retrouve en vitrine d'une chaîne d'information, ou bien un animateur qui a fait l'objet de plaintes pour harcèlement sexuel, je m'interroge sur le rôle de l'Arcom. Le Conseil d'État a d'ailleurs incité cette dernière à une plus grande vigilance. Peut-être aussi l'Arcom n'a-t-elle pas suffisamment de pouvoirs pour faire un travail plus strict. Quoi qu'il en soit, de ce que j'en ai vu chez Canal+, les sanctions n'ont guère dérangé, comme le fait d'infliger une amende de cinquante euros à un avocat qui gagne dix mille euros par mois.

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L'audition d'Olivier Schrameck ce matin apporte des éléments importants sur les moyens dont disposait et dispose encore l'Arcom pour instruire ce genre de dossiers. Vous apportez aussi des éléments importants pour notre commission d'enquête, eu égard notamment à la capacité de l'Arcom à accomplir sa mission. Votre témoignage apporte finalement des éléments qui paraissent presque trop clairs et éloquents. J'aimerais que vous nous fournissiez les courriers que vous avez échangés avec le CSA et avec l'Arcom. Auditer leur fonctionnement fait partie du périmètre de notre commission d'enquête.

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Jean-Baptiste Rivoire, ancien rédacteur en chef adjoint de « Spécial Investigation » sur Canal+

Je vous remercie pour votre attention.

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N'hésitez pas à nous transmettre tous les éléments qui vous sembleraient utiles à nos travaux. Avant de lever la séance, je précise que nos auditions reprendront le mercredi à quinze heures avec M. Vincent Bolloré, qui a accepté notre invitation.

La séance s'achève à dix-huit heures trente-trois.

Membres présents ou excusés

Présents. – M. Quentin Bataillon, Mme Céline Calvez, M. Philippe Frei, M. Aurélien Saintoul

Excusée. – Mme Constance Le Grip