Intervention de Roselyne Bachelot

Réunion du jeudi 28 mars 2024 à 13h00
Commission d'enquête sur l'attribution, le contenu et le contrôle des autorisations de services de télévision à caractère national sur la télévision numérique terrestre

Roselyne Bachelot, ancienne ministre de la culture :

Vous m'entendez comme ancienne ministre chargée de la culture, et donc de la communication, mais aussi comme éditorialiste officiant sur la chaîne d'information BFM TV. C'est bien volontiers que je répondrai à vos questions sur ces deux registres.

Comme l'a excellemment rappelé Renaud Donnedieu de Vabres, le paysage médiatique est beaucoup moins concentré aujourd'hui qu'il ne l'était il y a quarante ans. Cela est particulièrement vrai pour la télévision : trente chaînes sont actuellement diffusées sur la TNT, dont vingt-cinq accessibles gratuitement, alors que le téléspectateur devait se contenter de six chaînes analogiques au début des années 2000. Le passage au numérique a favorisé l'arrivée de nouveaux entrants ; certains ont revendu leurs chaînes aux groupes historiques, mais d'autres se sont installés durablement. À cela s'ajoute une diversité de notre paysage radiophonique unique au monde. Alors que les Français n'avaient accès, jusqu'en 1980, qu'à la radio publique et à quelques radios périphériques, ils peuvent aujourd'hui choisir entre plus de 1 200 radios publiques, commerciales ou associatives. Les caméras sont entrées dans les studios radiophoniques et les images des interviews des matinales sont reprises dans les podcasts et dans les autres médias.

Les défis posés sont donc de trois ordres : tout d'abord, la protection du pluralisme, en particulier du pluralisme de l'information, qui est un principe constitutionnel ; ensuite, le financement de la création et son corollaire, la qualité des contenus proposés aux téléspectateurs, y compris gratuitement ; enfin, la préservation de la souveraineté culturelle – je n'entrerai pas dans le débat amorcé par Jacques Toubon et Renaud Donnedieu de Vabres sur la différence entre diversité et exception culturelle. En fait, ces trois enjeux sont étroitement liés.

Se pose alors la question de l'efficacité des régulations, d'autant qu'elles diffèrent d'un média à l'autre et qu'elles se focalisent sur l'audiovisuel hertzien et la presse papier en ignorant les nouveaux modes de diffusion. Du reste, elles ne tiennent pas suffisamment compte de l'audience ou de la nature des différents médias concernés.

La fonction de régulation est assurée par l'Arcom, une autorité que j'ai moi-même installée en tant que ministre et qui est explicitement chargée de garantir « l'honnêteté, l'indépendance et le pluralisme de l'information et des programmes qui y concourent ». La mise en œuvre de ces principes repose sur les conventions que l'Arcom conclut avec les éditeurs. La loi du 25 octobre 2021 relative à la régulation et à la protection de l'accès aux œuvres culturelles à l'ère numérique a élargi et renforcé les pouvoirs d'enquête de l'Autorité vis-à-vis de l'ensemble des acteurs relevant de son champ de compétence.

Les procédures de sanction sont longues, mais c'est la contrepartie de l'État de droit et du respect du contradictoire. Certains estiment que l'Autorité ne sanctionne pas assez durement les dérapages, mais en tant que ministre respectueuse de l'indépendance du régulateur, je me suis toujours refusée à commenter ses décisions ou à exercer quelque influence occulte. Si d'autres l'ont fait, cela n'a pas été porté à ma connaissance.

Il n'est pas inutile de rappeler que d'autres missions sont confiées à l'Arcom, compétente dans tout le champ des contenus : lutte contre le piratage, protection des mineurs, lutte contre la désinformation et la haine en ligne, promotion de la diversité musicale.

La question est moins d'assouplir ou de durcir la réglementation que de l'adapter aux usages actuels, car il faut trouver le moyen d'isoler dans le vaste univers numérique ce qui relève du pluralisme des médias et de l'information. Faut-il aller jusqu'à englober des acteurs qui ne sont pas les éditeurs des contenus qu'ils diffusent, par exemple sur les réseaux sociaux ? Comment imaginer des critères globaux qui concerneraient à la fois les médias traditionnels et les nouveaux usages ?

La loi de 1986 modifiée interdit à un opérateur de détenir plus de sept chaînes sur la TNT. Ce plafond de diffusion hertzienne me paraît légitime. La ressource hertzienne fait partie du domaine public et est octroyée gratuitement à des opérateurs privés : il est donc normal qu'un accaparement des fréquences par un même acteur économique soit empêché. Mais cette règle présente des limites évidentes au regard de l'objectif de pluralisme qu'elle est censée protéger. Elle ne tient pas compte de l'audience des chaînes – l'autorisation d'une chaîne qui rassemble 20 % de l'audience compte comme celle d'une chaîne qui n'en représente que 1 % – et est indifférente à la nature de la programmation – une chaîne d'information compte autant qu'une chaîne de divertissement ou de culture, ce qui contraste d'ailleurs avec les règles applicables à la presse écrite.

La question ne concerne pas tant les pouvoirs de l'Arcom que le contenu même des conventions, que l'on pourrait muscler, par exemple, en fixant une part minimale de la grille consacrée à des émissions d'information ou de reportages, par opposition aux émissions de débats à faible coût ou low cost et aux chroniques d'éditorialistes, voire en imposant un taux de recours à des journalistes professionnels.

Par ailleurs, il me paraît légitime d'encadrer la concentration multimédias car il faut veiller à ce qu'un même acteur ne puisse acquérir, dans chacun des secteurs, une position qui mettrait en cause le pluralisme, sans toutefois entraver à l'excès les stratégies plurimédias des acteurs, ce qui serait contre-productif. La règle dite des « deux sur trois », interdisant à un même opérateur d'être dans plus de deux des trois situations de concentration, mérite d'être repensée car elle n'est que peu contraignante au niveau national alors qu'elle présente, au niveau local, les mêmes limites que les règles monomédias puisqu'elle n'appréhende que les modes de diffusion traditionnels.

Les phénomènes de concentration comportent une part de danger et les règles capitalistiques des seuils de détention devraient s'appliquer à l'ensemble de la production, de contenu ou de contenant, qu'il convient de ne pas dissocier. Il convient donc de faire rentrer les « tuyaux » des télécommunications dans la sphère de régulation.

Certains voudraient modifier la loi Bloche du 14 novembre 2016 et proposent de conférer un statut juridique aux rédactions. Cela recouvre en fait plusieurs réalités sur lesquelles je reviendrai plus tard. De la même façon, je répondrai volontiers à vos questions sur la façon dont j'exerce mes fonctions à BFM TV, ainsi que sur la procédure de fichage des intervenants lancée par l'Arcom et le Conseil d'État.

Au moment où la guerre informationnelle, les réseaux sociaux et les nouvelles technologies déstabilisent le fonctionnement de nos démocraties, vos travaux mériteront certainement d'être complétés. Ils sont néanmoins utiles, et j'y participe dans un esprit de totale coopération.

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