La réunion

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La séance est ouverte à treize heures trente-cinq.

La commission auditionne M. Christopher Baldelli, président-directeur général de Public Sénat, et M. Bertrand Delais, président-directeur général de La Chaîne parlementaire-Assemblée nationale (LCP-AN).

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Mes chers collègues, nous allons entendre les présidents des deux sociétés de programmes qui composent La Chaîne parlementaire. Je souhaite donc la bienvenue à M. Christopher Baldelli, président-directeur général de Public Sénat depuis 2021 et à M. Bertrand Delais, président-directeur général de La Chaîne parlementaire-Assemblée nationale (LCP-AN) depuis 2018.

Messieurs, je précise que vos mandats prendront fin en juin et que les bureaux des deux assemblées ont lancé les procédures d'appel à candidatures correspondantes pour les trois prochaines années.

Je vous remercie de répondre à notre invitation. Vous êtes des acteurs de la télévision numérique terrestre (TNT), comme nous avons eu l'occasion de le rappeler en auditionnant l'audiovisuel public, et votre parcours vous donne une véritable expérience du milieu de l'audiovisuel et spécifiquement des chaînes de la TNT. Votre avis et votre expertise nous seront donc utiles.

Durant une intervention liminaire d'environ cinq à dix minutes, je vous invite à nous faire part de votre avis sur l'évolution de la TNT et du paysage audiovisuel, ainsi que sur celle de vos chaînes parlementaires qui, évidemment, comptent beaucoup pour nous.

Je vous remercie également de déclarer tout intérêt privé ou public qui serait de nature à influencer vos déclarations. Dans un souci de transparence, j'invite aussi les députés membres de la commission à rappeler le passé qu'ils ont pu avoir dans le secteur de l'audiovisuel.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Christopher Baldelli et M. Bertrand Delais prêtent successivement serment.)

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Christopher Baldelli, président-directeur général de Public Sénat

Je répondrai d'abord, à l'échelle macro, à votre interrogation sur l'évolution du paysage audiovisuel français et de la TNT au cours des presque vingt dernières années, puis je me recentrerai sur la chaîne Public Sénat.

Il est incontestable que la TNT a été un succès considérable, qui structure aujourd'hui le paysage audiovisuel français. Cette réussite française est due à l'action à la fois des pouvoirs publics et du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), puisque c'est lui qui, à l'époque, a lancé les appels d'offres et retenu les candidatures.

Nous avons en effet complètement changé d'univers – et ce « nous » ne désigne pas seulement les acteurs, dont je faisais déjà partie à l'époque, mais aussi et surtout nos concitoyens, les Français, les téléspectateurs. Nous sommes passés d'un paysage très restreint où, hormis l'offre payante, l'offre gratuite de télévision accessible à tous ne dépassait pas dix chaînes – publiques et quelques privées – à une offre d'une trentaine de chaînes. Ce fut une révolution tant pour l'audiovisuel public français que pour nos concitoyens, qui ont aujourd'hui un choix beaucoup plus large de chaînes tant publiques que privées. Ainsi, avant le lancement de la TNT, il n'existait à ma connaissance qu'une seule chaîne d'information, LCI, qui était en outre payante ; or les chaînes d'information accessibles à tous nos concitoyens sont devenues nombreuses aujourd'hui, puisque nous en avons, selon les décomptes, entre quatre et six – j'en exclus les chaînes parlementaires.

Nous ne considérons pas que Public Sénat entre dans cette catégorie. Nous ne sommes pas une chaîne d'information en continu, diffusant de l'information vingt-quatre heures sur vingt-quatre, et n'avons pas de rendez-vous de journaux télévisés. Cela ne signifie évidemment pas que nous ne traitons pas l'actualité – elle représente même une grande partie de nos programmes – mais nous la traitons assez différemment des chaînes d'information. Nous nous consacrons majoritairement à l'actualité parlementaire. Les chaînes d'information en traitent aussi, mais ce n'est pas leur mission, alors que c'est la nôtre. Nous donnons donc une visibilité beaucoup plus grande, en termes de volume et d'importance, au travail du Parlement, que ce soit dans sa mission législative ou dans sa mission de contrôle telle que vous l'exercez aujourd'hui.

Nous sommes pourtant aussi une chaîne d'actualité, mais nous traitons celle-ci dans un esprit de pédagogie et de profondeur, en revenant sur certains de ses éléments. La loi du 30 décembre 1999 qui a créé nos deux chaînes a eu l'intelligence de définir leur mission en en faisant des chaînes parlementaires, mais aussi chargées d'apporter aux citoyens ce qui, dans le domaine de l'audiovisuel, peut leur être utile.

Nous sommes donc à la fois des chaînes parlementaires et des chaînes citoyennes – bien sûr publiques. Cela me semble expliquer la différence entre la ligne éditoriale et les contenus que nous proposons et ceux de la plupart des autres chaînes de la TNT, en particulier des chaînes d'information.

Pour ce qui est de la stratégie de nos chaînes, de notre différenciation et de notre utilité, sans vouloir me résumer à un slogan publicitaire, je citerai toutefois la signature adoptée par Public Sénat depuis quelques mois : « Regarder la différence ». Du fait de leur mission de chaînes parlementaires, qui est unique, des autres missions que leur assigne la loi et du travail que nous effectuons, nos chaînes réussissent vraiment – du moins en ont-elles l'ambition – à proposer des offres différentes de la plupart de celles qu'on peut trouver sur la TNT.

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Bertrand Delais

, président-directeur général de La Chaîne parlementaire-Assemblée nationale (LCP-AN). La TNT est, depuis vingt ans, une réussite évidente. Nous pouvons en rendre hommage à Dominique Baudis, qui a joué un rôle très important en ce sens lorsqu'il était à la tête du CSA. Le patron de petite chaîne que je suis lui reconnaît le mérite d'avoir offert une grande visibilité aux « chaînes de complément ». Auparavant, en effet, les opérateurs historiques écrasaient à peu près tout sur leur passage et les plus petites chaînes – dont les chaînes d'information, qui étaient alors perçues comme telles – avaient beaucoup de mal à exister.

Nous arrivons toutefois à la fin d'un cycle, ou d'un modèle. J'ignore si les jours de la TNT sont comptés, mais l'offre s'oriente aujourd'hui vers les plateformes et les chaînes doivent toutes opérer une mutation pour passer du rôle de diffuseur à celui d'éditeur de contenus pour différents supports de diffusion. Tant les pouvoirs publics, dans leur rôle d'accompagnement, que les acteurs de l'audiovisuel doivent éviter de reproduire avec la TNT ce que la France a vécu avec le Minitel, lorsque, satisfaite de cette réussite, elle a pris du retard à l'arrivée d'internet.

La réussite française de la TNT est indéniable, elle est à peu près unique en Europe, mais on observe une difficulté globale des chaînes à basculer dans la logique des plateformes de la plupart des opérateurs. C'est là, selon moi, un motif d'inquiétude, y compris pour de petites chaînes comme Public Sénat ou LCP-AN, parce que le canal 13 de la TNT nous sanctuarise, nous protège. Nous sommes très attachés à ce canal 13, qui offre sa visibilité à La Chaîne parlementaire. Nous en avons besoin et nous sommes inquiets face à un paysage en plein bouleversement, dans lequel il va falloir survivre.

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Christopher Baldelli, président-directeur général de Public Sénat

Avec la diversification et la multiplication des plateformes et des offres numériques, Public Sénat et LCP-AN ne peuvent plus se considérer seulement comme des chaînes de télévision et doivent proposer l'offre la plus large possible. Toutefois, et je parle ici davantage en tant qu'acteur du secteur qu'en qualité de président de Public Sénat, la TNT sera durablement une richesse importante – au sens existentiel plus encore que financier – pour ceux qui ont eu ou qui auront eu la chance, dans le cadre des futurs appels d'offres, d'obtenir des fréquences. J'en veux pour preuve que, l'année dernière, lorsque les fréquences de TF1 et de M6 ont été remises en jeu, celle de M6 a fait l'objet de la candidature d'un acteur majeur de l'économie française, au caractère fortement numérique. On est donc très loin de pouvoir dire que la TNT appartient au passé. Je ne préjuge pas des prochains appels d'offres ni du nombre de candidats qui y prétendront, mais on peut penser qu'au vu de l'intérêt que présentent ces chaînes, les candidatures ne manqueront pas.

Une autre dimension, très importante et qui a toujours existé, est celle de la numérotation et de l'obligation de mettre la TNT, pour ainsi dire, dans un écrin d'accessibilité. L'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) y veille pour tous les opérateurs, quels qu'ils soient – en témoigne sa nouvelle décision relative aux services d'intérêt général.

Au-delà même de la question purement technique de la diffusion, la TNT recouvre donc des enjeux très importants. Dans un monde multiple où les offres ne cessent de s'agrandir, il est très important d'avoir, en termes de référencement, une valeur différente.

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Pouvez-vous tous les deux nous rappeler vos passés respectifs dans l'audiovisuel, que nous savons riches et importants et qui nous permettront d'éclairer vos propos ?

S'agissant des chaînes d'information, au sens large, le canal 13 est en effet très important, car il vous protège par sa visibilité et son exposition. Faut-il, selon vous, pousser l'Arcom et le Gouvernement à reprendre l'idée du bloc de chaînes d'information ? Certaines devraient ainsi être déplacées, comme LCI ou France Info, pour se suivre après le chiffre 13. La loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication précise que la numérotation doit être « logique ».

Enfin, y a-t-il vraiment une ligne éditoriale dans les chaînes parlementaires ? Qui la fixe, qui y veille, comment cela fonctionne-t-il ? Vos chaînes sont complémentaires et spécifiques, et nous savons tous à l'Assemblée nationale que LCP fait toujours le maximum, et qu'elle le fait très bien, pour que l'ensemble des groupes politiques soient représentés, y compris dans la composition de son conseil d'administration. Ne voyez donc aucune critique dans cette question, qui ne vise qu'à comprendre.

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Christopher Baldelli, président-directeur général de Public Sénat

J'ai passé l'essentiel de ma vie professionnelle dans le secteur des médias. Dans les dernières années, j'ai eu des responsabilités de direction dans différents médias de presse écrite, de radio et de télévision, tant publics que privés. J'ai été directeur général de La Provence, le quotidien régional de Marseille, puis directeur général de France 2, alors constituée en société anonyme, avant de diriger les chaînes numériques du groupe M6. J'ai ensuite été le patron du groupe de radio RTL, puis vice-président du groupe M6 et aujourd'hui, si je n'oublie rien, je suis président de Public Sénat.

Pour ce qui est des blocs thématiques, il me semble que l'information est une thématique assez claire. Il faudrait se demander si nos chaînes parlementaires sont ou non des chaînes d'information, mais il me semble en tout cas incontestable qu'elles sont des chaînes d'actualité et qu'à ce titre, elles pourraient et devraient prendre place dans ce bloc. Quant à revoir les numérotations, cette faculté existe certes. Il me semble même qu'un certain acteur, qui n'est pourtant pas présent sur la TNT mais qui sera peut-être à nouveau candidat, proposait – pardon pour l'anglicisme – un ranking permanent, c'est-à-dire un classement des chaînes au fur et à mesure de leur dernière audience. Inutile de vous dire que je suis très défavorable à un tel classement, qui présente de nombreux travers. Quoi qu'il en soit, la force de la numérotation actuelle est qu'elle crée des habitudes, certaines chaînes portant même le numéro de leur canal TNT dans leur titre. Il ne me semble donc pas facile de réorganiser des blocs et je ne suis pas sûr d'y être favorable.

Sur le dernier point, il est toujours difficile de définir ce qui relève de la ligne éditoriale et ce qui relève de l'existence même de la chaîne. Pour Public Sénat – et je pense que la situation est très proche pour LCP – on peut distinguer trois blocs. Le premier est constitué par la loi qui nous définit : nous sommes une chaîne publique, une chaîne de service public, une chaîne parlementaire, qui a un rôle à jouer pour les citoyens. À moins de changer la loi, c'est déjà là une définition très importante de notre ligne éditoriale.

Ensuite, les candidats à la présidence d'une chaîne présentent un projet pour trois ans, dans le cadre d'une procédure très transparente – qui est du reste, comme vous l'avez rappelé, en cours pour les deux chaînes. Ces projets comportent une dimension de ligne éditoriale et de contenus.

Une fois élus, ils engagent un dialogue approfondi avec leur actionnaire – en l'espèce, le Sénat, l'Assemblée nationale ou leur émanation choisie, comme la délégation chargée de la communication. Nous signons alors des contrats d'objectifs et de moyens (COM) qui ont des objectifs éditoriaux importants, portant par exemple sur la part du travail parlementaire ou des documentaires dans les programmes. Ces contrats sont, par définition, négociés et font l'objet d'un accord entre les dirigeants de la chaîne et l'actionnaire.

La ligne éditoriale est définie à ces trois niveaux. Elle peut donc varier en fonction du président, choisi par le bureau de l'assemblée concernée en fonction notamment du projet qu'il a exposé, puis, en dernier ressort, du COM.

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Bertrand Delais

Pour ma part, j'ai d'abord été chroniqueur et éditorialiste politique à la radio, dans le service public, après quoi j'ai eu une expérience d'une vingtaine d'années de documentariste et de producteur de films documentaires et d'émissions pour la télévision, principalement pour le service public – et même pour « les » services publics puisqu'il m'est arrivé de travailler pour France Télévision, pour les chaînes parlementaires et pour Arte. Puis j'ai candidaté en 2018 à la présidence de LCP-AN.

Pour ce qui est de savoir qui détermine la politique éditoriale, il existe effectivement un cadre législatif. J'assume pleinement le fait d'avoir quelque peu réorienté la chaîne sur deux points. Tout d'abord, la frontière entre une chaîne qui traite de l'actualité et une chaîne d'information étant très ténue, la tentation s'est parfois manifestée de faire des chaînes parlementaires des chaînes d'information, ce qui, selon moi, n'était pas leur mission et posait en outre question en termes de moyens.

En effet, la télévision française est globalement très bien produite – on s'en rend compte en comparant même avec d'autres pays européens – avec des standards de qualité très élevés – je parle bien de la production, et non de la ligne éditoriale des différentes chaînes. Nous habituons donc le téléspectateur à une certaine exigence de fabrication. Les productions qui, en raison principalement de contraintes économiques, se situent un peu en dessous de ces attentes ne peuvent pas s'inscrire dans une concurrence équilibrée.

La première chose que j'ai faite a donc été de nous sortir de l'actualité chaude, dont nous n'avions pas les moyens, pour essayer de trouver un point d'équilibre qui nous permettait de mettre plus nettement en avant notre valeur ajoutée. Je considérais que le travail de la rédaction et de la production de LCP pouvait redevenir attractif pour les téléspectateurs.

La ligne éditoriale est donc déjà plus ou moins définie, mais je me suis néanmoins fixé deux principes.

Étant la chaîne d'une institution, nous avons d'abord vocation à nous situer dans la légitimité républicaine. Cela peut faire rire, car on pourrait considérer que nous y sommes de fait, mais je vais m'expliquer avec un exemple concret. Durant la crise des gilets jaunes, nous avons reçu des gens qui soutenaient le mouvement, mais uniquement des élus. Je n'ai à aucun moment reçu un des leaders autoproclamés des réseaux sociaux, qui, selon moi, ne s'inscrivent pas dans la légitimité républicaine. Il s'agit certes d'acteurs d'un mouvement social et je comprends que des chaînes d'information les aient invités, mais pour ce qui concerne LCP, j'ai préféré inviter des élus de terrain qui, tout en étant favorables aux gilets jaunes, étaient – pour le dire avec quelque malice – revêtus de l'onction du suffrage universel. Cette ligne me semble absolument fondamentale pour la mission d'une chaîne parlementaire, et la différencie d'une chaîne d'information.

Ensuite, chacun constate bien une fracturation préoccupante de la société française, qui va vers une forme d'atomisation. Selon un sociologue allemand qui suit l'actualité française, la France est en train de devenir un archipel où il n'y a plus de ponts pour aller d'une île à l'autre. La mission d'un média de service public, et plus encore d'une chaîne parlementaire, est de construire ces ponts, d'essayer d'être un outil pour recréer du commun. C'est la deuxième mission que je me suis assignée au cours des six années de mon mandat à la tête de LCP.

En termes de gouvernance, j'ai rencontré un soutien plein et entier de la part de toutes les formations politiques qui composent le conseil d'administration. Lors de la législature précédente, alors que le Rassemblement national, force importante dont le candidat avait réuni près de 13 millions de suffrages au second tour de l'élection présidentielle, ne disposait pas d'un groupe parlementaire, j'ai pris soin de rencontrer Marine Le Pen à titre personnel, pour lui demander si elle considérait qu'elle était bien traitée sur La Chaîne parlementaire et j'ai tenu compte de ses remarques. Je considérais en effet que, même si nous étions la chaîne des groupes parlementaires, je ne pouvais pas ignorer une force politique de cette ampleur.

Au fond, cela allait avec mon mode de gouvernance. Les députés ici présents qui y siègent confirmeront que, dans cette législature comme dans la précédente, toutes les décisions du conseil d'administration ont toujours été prises à l'unanimité. J'ai en tout cas toujours recherché l'unanimité pour gouverner au mieux la chaîne.

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Compte tenu de l'objet de notre commission d'enquête, vos chaînes sont très intéressantes : elles s'acquittent très bien de leurs obligations, selon un constat assez unanime, et représentent même une certaine idée de la qualité en télévision, mais elles ne sont pas placées sous la régulation de l'Arcom. Sans prétendre qu'il serait transposable aux chaînes du secteur privé, ce modèle laisse songeur. Avez-vous cependant des relations avec l'Arcom, et de quelle nature ? Et comment s'organise chez vous le contrôle du respect de la loi ?

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Bertrand Delais

J'ai effectivement des contacts avec l'Arcom, d'abord pendant les périodes électorales, puisque l'Autorité tient le rôle de gendarme des temps de parole. Je prends soin à chaque fois de m'assurer, auprès des services du CSA hier et de l'Arcom aujourd'hui, qu'aucune réclamation concernant la chaîne que je préside ne leur a été adressée.

D'autre part, depuis son entrée en fonction, Roch-Olivier Maistre a toujours eu à cœur d'associer les chaînes parlementaires aux phases de réflexion qu'il organise. Nous avons été associés à la réflexion sur le traitement de l'information après l'attaque du Hamas contre Israël du 7 octobre 2023 par exemple, au même titre que les médias classiques, acteurs de l'information privés et publics. C'est important parce que le danger existe, puisque nos chaînes ne sont pas régulées par l'Arcom et ont une place un peu à part, que cette singularité conduise à nous marginaliser. Il y a un point d'équilibre à trouver. De ce point de vue, il me semble que l'Autorité parvient à trouver la bonne distance avec les chaînes parlementaires, tout en les laissant cultiver leur pré carré et leur singularité.

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Christopher Baldelli, président-directeur général de Public Sénat

Ne relevant en aucune façon de la régulation par l'Arcom, nous avons avec elle un dialogue non contraint et fructueux, qui porte essentiellement sur les évolutions de notre secteur, en matière économique ou de régulation. Quand l'Autorité a travaillé par exemple sur la définition du périmètre des services d'intérêt général, nous en avons discuté avec elle, comme avec nos collègues des autres chaînes.

S'agissant du pluralisme, hors période électorale, Public Sénat se base sur la composition du Sénat, la délégation qui émane du bureau du Sénat étant chargée du contrôle des temps d'antenne. En période d'élections, la tradition est de nous renvoyer aux règles définies par l'Arcom – sans y être obligé, le Sénat l'a toujours fait, depuis que je suis président en tout cas. Pendant ces périodes, notre pratique du pluralisme change donc complètement mais c'est toujours à la délégation du bureau, et non à l'Arcom, que nous rendons compte.

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À propos du fonctionnement, pourriez-vous nous préciser d'où proviennent vos audiences les plus importantes : des programmes réellement télédiffusés ou au contraire – j'ai déjà quelques éléments de réponse – des mises en ligne, de votre présence sur les réseaux sociaux ? Quelle est votre stratégie multimédia ?

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Bertrand Delais

Il existe des lois qui traversent la société dans son ensemble, pour lesquelles nous cassons complètement la grille – nous l'avons fait pour retransmettre l'intégralité des débats sur les retraites, y compris en soirée, et nous le ferons pour la fin de vie, car telle est la mission d'une chaîne parlementaire. À l'exception de ces textes, de façon générale, les activités qui relèvent de la mission de contrôle du Parlement, dans lesquelles j'inclus les questions d'actualité au Gouvernement (QAG) qui constituent une sorte de contrôle à chaud, font davantage d'audience que les sessions d'élaboration de la loi, perçues comme plus techniques et moins politiques.

Il existe une différence évidente de consommation entre les réseaux sociaux et les contenus que nous retransmettons dans la longueur. Il n'est pas rare qu'une escarmouche au cours d'un débat devienne virale sur X (ex-Twitter), atteignant les 200 000, 300 000, voire 1 million de vues. LCP gagne alors une visibilité d'autant plus grande que nous avons déjà un fil X assez performant, suivi par près de 700 000 abonnés. Les deux sortes d'audiences restent difficilement comparables. Pour toucher un public plus jeune, nous diffusons par exemple les QAG sur YouTube : sur ce dernier canal, une intervention d'un parlementaire très attendue ou un sujet brûlant peut nous assurer un complément notable, doublant parfois l'audience initiale.

L'audience des QAG et des projets de loi dépend beaucoup de l'actualité, culminant par exemple au moment de l'épidémie de Covid-19, de la réforme des retraites, ou de la crise des gilets jaunes. Plus agitée, la XVIème législature génère de l'audience, mais cela n'a rien d'automatique : il y a des ventres mous.

En dehors des pics d'audience des QAG, nous captons un public important en première partie de soirée ou prime time, notamment avec notre offre de documentaires, considérablement musclée par les arbitrages budgétaires opérés à mon arrivée. Nous n'avons plus une soirée au-dessous de 100 000 téléspectateurs.

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Christopher Baldelli, président-directeur général de Public Sénat

Je ne sais, monsieur le rapporteur, quelle sera l'audience du présent programme, que vous êtes en train de produire et que nous diffusons, mais ce qu'a dit mon ami Bertrand Delais est vrai : depuis quelques années, le travail parlementaire intéresse. La majorité relative au Parlement y contribue. Tout ne suscite pas le même engouement : les questions d'actualité, quelques lois qui touchent le grand public et sont assez médiatisées, comme celles portant sur les retraites ou sur l'immigration, intéressent davantage, tout comme certaines commissions d'enquêtes et missions d'information, nous permettant de montrer un large échantillon du travail parlementaire, conformément à notre mission.

De la même façon, l'offre de documentaires étant assez limitée sur les trente chaînes de la TNT – hormis une chaîne spécialisée diffusant des contenus très différents des nôtres – nos documentaires consacrés à des questions d'histoire et de société, souvent suivis d'un débat, comme « Un monde en doc », fonctionnent très bien en termes d'audiences. « Sens public », notre émission quotidienne de débat, fait également partie des plus regardées de la chaîne.

Concernant l'articulation avec le numérique, Bertrand l'a dit, nous multiplions les canaux de diffusion, le plus regardé en dehors de notre propre site étant sans doute YouTube. Pour vous donner des ordres de grandeurs, en un mois, une chaîne comme Public Sénat – la même chose vaudrait pour LCP – est regardée par plus de 20 millions de personnes au moins une fois. Sur l'ensemble de nos contenus numériques, tous réseaux confondus, nous sommes également au-dessus des 20 millions de vues. Ces chiffres ne sont cependant pas tout à fait comparables : concernant les spectateurs de la chaîne, Médiamétrie nous assure qu'il s'agit bien de 20 millions de personnes distinctes alors que sur les réseaux numériques, faute de pouvoir identifier les spectateurs, on ne peut compter que les connexions. L'impression que la puissance est la même cache donc une différence quant au nombre de citoyens touchés, le canal de télévision et de TNT demeurant plus fort.

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Pourriez-vous revenir sur les synergies éventuelles entre vos deux chaînes et la façon dont vous vous coordonnez ? La question d'une fusion est un serpent de mer : pourriez-vous faire le point sur vos positions à ce sujet ?

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Bertrand Delais

De synergies proprement dites, au sens industriel du terme, il n'y en a pas. Parce que nous sommes assez petits, nous pourrions réfléchir à des investissements communs. Encore faudrait-il avoir les mêmes besoins au même moment, ce qui n'est pas toujours le cas. Par contre, avec Christopher, donc depuis trois ans, nous avons réussi à développer une intelligence du canal, même si nous ne sommes pas toujours d'accord et que chacun défend sa boutique. Au moment de la réforme des retraites par exemple, il m'est arrivé de prendre l'antenne sur le temps en principe dévolu à Public Sénat et inversement, et nous sommes parvenus à nous entendre. Nous essayons d'avoir cette intelligence de l'antenne également pour ce qui est des invités : nous évitons de recevoir les mêmes à deux heures d'intervalle, car les téléspectateurs ne font pas forcément la différence entre nos deux chaînes, qui passent par le même canal.

Quant à la fusion, le propre des serpents de mer c'est qu'on ne les attrape jamais. Je ne suis pas convaincu de la pertinence de la chose, pour deux raisons. Premièrement, la TNT et les autres plateformes entrent dans un moment où les éditeurs de contenus devront exister en tant que marques. Or nos deux marques existent par elles-mêmes : je pense qu'en créer une troisième serait préjudiciable aux deux. On pourrait certes ne fusionner que les services d'appui ou back office mais sans générer d'économies significatives. Deuxième raison, nous avons des missions complémentaires, qui correspondent à celles assignées à chacune des chambres.

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Christopher Baldelli, président-directeur général de Public Sénat

Sur les synergies, Bertrand a dit l'essentiel. J'ajouterai que nous produisons et diffusons ensemble plusieurs émissions, régulièrement ou de façon exceptionnelle, en fonction de l'actualité, par exemple à l'occasion de la marche du 12 novembre pour la République et contre l'antisémitisme. Depuis que nous sommes l'un face à l'autre, nous faisons également en commun toutes les soirées électorales – présidentielles, législatives, et bientôt les européennes.

Concernant la fusion, mon expérience du public et du privé me conduit à vous répéter ce que j'ai dit aux sénateurs : l'argent de nos chaînes est employé avec beaucoup d'efficacité. Même en cumulant les deux budgets, nous avons de loin le montant le plus bas parmi les chaînes publiques, et la plupart des chaînes privées ont plus. Les fusions se font généralement pour des raisons économiques, ce qui n'est pas un sujet de préoccupation central en l'occurrence.

Sur le fond, je ne donnerai pas un avis qui ne relève pas de ma responsabilité, mais de nos deux actionnaires, le Sénat et l'Assemblée. L'organe décisionnaire qui me concerne, le bureau du Sénat, ne m'a pas interpelé une seule fois en trois ans à propos de la fusion.

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Vos contrats d'objectifs et de moyens ne sont pas rendus publics sur vos sites internet. Pourquoi ? S'agit-il d'un oubli ou d'une volonté ?

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Christopher Baldelli, président-directeur général de Public Sénat

La chaîne Public Sénat est régie par le bureau du Sénat ou son émanation, qui décide donc des conditions de la publicité des COM. Son choix est, pour le moment, celui que vous mentionnez.

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Bertrand Delais

LCP a prévu d'ajouter dans sa démarche de responsabilité sociale des entreprises une thématique de déontologie et de transparence, qui sera prioritaire pour toute l'année 2024 et effective à la fin de l'année. Dans ce cadre, nous mettrons en avant certains éléments du COM de façon transparente. Pour autant, nous n'avons pas décidé de le publier intégralement, par exemple sur le site de la chaîne.

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Public Sénat mentionne l'existence et la composition du fameux comité relatif à l'honnêteté, à l'indépendance et au pluralisme de l'information et des programmes (Chipip), bien connu des membres de notre commission ; ce n'est pas le cas sur LCP. Ces comités existent-ils bel et bien ? Se réunissent-ils ? Vous est-il arrivé de les saisir ?

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Bertrand Delais

Pour ce qui me concerne, il existe formellement, mais est pour ainsi dire en sommeil : je n'ai jamais eu à le saisir en six ans.

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Christopher Baldelli, président-directeur général de Public Sénat

Pour ma part, ce comité est constitué et sa composition est publique. Je n'ai jamais eu à le saisir, mais il est périodiquement réuni pour avoir un échange au sujet de la chaîne et anticiper d'éventuels problèmes.

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Vos chaînes ont-elles une charte déontologique ?

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Christopher Baldelli, président-directeur général de Public Sénat

Sur Public Sénat, il n'y a pas de charte déontologique.

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Bertrand Delais

Une charte concernant la pratique journalistique et le traitement de l'information en général est en cours d'élaboration chez nous avec les salariés, principalement les journalistes. Une démarche participative m'a semblé le meilleur moyen d'associer toutes les intelligences.

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En 2021, un litige a opposé la direction de Public Sénat et sa responsable des documentaires, Mme Hélène Risser, à propos de la diffusion d'un film portant sur l'Occupation : Monsieur Baldelli, vous aviez formulé une demande de suppression de plusieurs minutes au début du documentaire, que Mme Risser avait relayée, tout en protestant. Le 11 mars dernier, son licenciement a été jugé nul et le conseil de prud'hommes de Paris a sommé la chaîne de réintégrer cette salariée et de lui verser, en sus des salaires non perçus, 100 000 euros de dommages et intérêts pour « violation de ses libertés fondamentales d'opinion et d'expression ». Pouvez-vous revenir brièvement sur les raisons ayant motivé votre demande et sur les suites que vous comptez donner à cette décision de justice, outre son exécution évidemment ? Pensez-vous modifier les processus internes de Public Sénat pour éviter toute nouvelle affaire de cette nature ?

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Christopher Baldelli, président-directeur général de Public Sénat

Il s'agit d'une affaire judiciaire en cours. Vous avez fait état d'un jugement en première instance, mais qui n'a encore été communiqué à aucune des parties. Les commentaires formulés pour l'instant, s'ils sont, j'imagine, conformes à ce que sera le jugement, restent donc sans fondement. La chaîne a décidé a priori de faire appel – a priori car une telle possibilité ne s'ouvre pas avant la communication du jugement. Vous comprendrez que, même devant votre commission, je fasse donc très peu de commentaires.

Je rappellerai juste les éléments de départ. Il s'agit d'un documentaire livré à la chaîne par une société extérieure, sur la base d'une commande émise par le département des documentaires. Ce dernier le réceptionne, et le visionne le cas échéant pour vérifier s'il est conforme à nos demandes et convient pour une diffusion sur la chaîne. Or plusieurs éléments du début de ce documentaire relevaient d'une forme de révisionnisme, développant en gros la thèse selon laquelle Pétain n'aurait pas seulement été le bouclier, mais aurait pu au cours de l'Occupation devenir le glaive, celui qui aurait armé la Résistance extérieure – thèmes bien connus de la défense de Pétain, dont il n'a apporté aucune preuve, comme le montre l'issue de son procès. J'ai bien sûr consulté mon comité de direction, mais diffuser des éléments révisionnistes sur une chaîne évidemment soumise à la loi, et qui plus est publique, me posait évidemment un problème majeur, en tant que responsable légal. Nous avons donc demandé au département des documentaires de faire part de ces problèmes au producteur. La diffusion étant prévue seulement trois jours plus tard, nous nous sommes directement adressés à ce producteur, qui a proposé des modifications parant aux risques que nous avions vus.

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Que faites-vous, et quels sont vos projets, pour améliorer l'accessibilité des programmes sur des chaînes aussi importantes pour nos concitoyens ?

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Bertrand Delais

Pour pouvoir étendre l'accessibilité, LCP-AN va lancer, avec Public Sénat, un appel d'offres en ce sens dès le début de la semaine prochaine, pour des prestations qui commenceront en octobre 2024.

Aujourd'hui, plus de 40 % du temps d'antenne est rendu accessible aux personnes handicapées. Nous sommes une petite chaîne et les coûts nous empêchent d'aller au-delà, comme nous le souhaiterions. Le budget consacré à l'accessibilité est de 90 000 euros par an ; il faudrait le porter à 160 000 euros pour atteindre 60 % du temps d'antenne, ce qui serait très lourd.

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Christopher Baldelli, président-directeur général de Public Sénat

L'accessibilité est une préoccupation, évidemment, et notre COM contient des actions d'amélioration. Il faut toutefois préciser que sous-titrer une émission diffusée en direct, comme cette audition, coûte beaucoup plus cher que de sous-titrer une émission de stock. Or il est essentiel que les personnes qui ne peuvent pas entendre ou regarder les interventions puissent prendre connaissance du travail parlementaire. Nous sommes tous convaincus de l'importance du problème.

Nous avons publié un appel d'offres afin de diminuer notre coût d'accès au dispositif en augmentant le volume de programmes. De plus, les moyens techniques ne cessent de se développer ; ils permettront sûrement de diminuer les frais, donc d'élargir l'offre.

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Hier, l'Assemblée nationale a adopté par scrutin public la proposition de loi visant à prévenir les ingérences étrangères en France, que Sacha Houlié, Thomas Gassilloud et moi-même avions déposée. Je crois qu'elle sera examinée au Sénat dans un avenir proche. L'an dernier, l'Assemblée a organisé une commission d'enquête relative aux ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères ; une commission d'enquête sur les politiques publiques face aux opérations d'influences étrangères est en cours au Sénat. La manipulation de l'information et la désinformation préoccupent les deux chambres, car elles présentent de réels dangers. Les opérations Doppelgänger et Matriochka, que nos autorités ont « attribuées », comme on dit, à la Fédération de Russie, ont récemment illustré les dégâts potentiels. Des sites de médias classiques ont été dupliqués et de fausses informations massivement diffusées, par exemple à l'aide d'un faux journal télévisé de France 24. Quels mécanismes de prévention avez-vous déployés pour informer et sensibiliser les journalistes et les salariés de vos chaînes ?

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Christopher Baldelli, président-directeur général de Public Sénat

Je participe également aux états généraux de l'information, où je préside un groupe de travail consacré à l'avenir des médias d'information et du journalisme. Un autre groupe s'intéresse à la souveraineté et à la lutte contre les ingérences étrangères.

D'abord, nous pouvons partager un constat objectif : les fausses nouvelles ou fake news et les éléments de manipulation diffusés dans le cadre d'opérations d'ingérence sont très peu présents dans les médias de notre pays. C'est vrai des médias publics et de la plupart des médias privés, qui en cela se distinguent des réseaux sociaux, quels qu'ils soient. Ils sont épargnés parce qu'ils sont régulés et qu'ils emploient des professionnels, convaincus d'avoir une responsabilité sociale. Les journalistes respectent une déontologie et des procédures internes de vérification. Le temps et le travail de vérification constituent donc un aspect essentiel dont nous devons avoir conscience et qu'il faut encore renforcer. Hélas, on le sait, il est très difficile de trouver des solutions adaptées aux réseaux sociaux, que ce soit au niveau européen ou au niveau français.

S'agissant de Public Sénat, j'ajoute que nous ne sommes pas une chaîne d'information comme les autres. Nous cherchons l'audience parce que notre rôle consiste à toucher nos concitoyens, mais elle ne nous obsède pas, parce que son niveau n'a pas de conséquences économiques directes, ou alors marginales. Nous prenons donc le temps du travail et de la vérification. Nous avons récemment été confrontés à des informations que d'autres médias commençaient à reprendre : avant de les diffuser, notre rédaction a préféré les décrypter pour comprendre ce qui s'était passé et essayer de vérifier l'existence et la fiabilité des sources. C'est un travail constant, mais nous sommes faits pour cela.

J'ajoute que l'audiovisuel public et privé est soumis au contrôle de l'Arcom, qui est aussi chargée de garantir l'indépendance et l'honnêteté de l'information – même si nos chaînes y échappent, comme cela a été souligné. Certes, on peut diffuser une fake news sans être malhonnête, parce qu'on en est soi-même victime, mais la régulation du secteur et le travail journalistique sont tout de même une garantie. Néanmoins, il faut prendre garde à la course à l'audience. Pour l'avoir vécue avec des médias privés, je le dis pour tout le monde, y compris ma propre chaîne : la course au scoop constitue un danger. En la matière, les réseaux sociaux n'ont ni réserve ni pudeur : chez eux, la diffusion part très vite. Certains médias ont tendance à penser que si tous les réseaux parlent d'un sujet, ils doivent faire de même, mais ce n'est pas toujours vrai.

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Bertrand Delais

Je souscris pleinement à ce qui vient d'être dit concernant le travail de rédaction. La concurrence effrénée et la recherche du scoop des plus grosses machines d'information entraînent des réflexes pavloviens ; notre logique est un peu différente, ce qui nous protège des fake news.

Dans le cadre de la mission citoyenne qui nous incombe, nous devons mener un travail sur ce sujet. LCP-AN s'y emploie de trois façons. Premièrement, nous avons établi un accord avec le Centre de liaison de l'enseignement et des médias d'information (Clemi) : par son intermédiaire, nous pouvons intervenir auprès des classes, lorsque des enseignants le demandent. Deuxièmement, avec Thomas Huchon et Rudy Reichstadt, nous avons produit une série de programmes courts, appelée « Conspirations ? » . Une autre saison est prévue. Nous avons choisi ce format, diffusé en interprogrammes sur l'antenne, donc avec une moindre visibilité, parce que les épisodes étaient prioritairement destinés aux réseaux sociaux – c'est là qu'il fallait mener notre travail de pédagogie, puisque le problème s'y pose bien plus que sur la TNT. Troisièmement, comme l'actualité parlementaire qui émerge sur les réseaux est souvent totalement déformée, notre journaliste Valérie Brochard crée régulièrement des clips à l'intention du public jeune. Nous sommes même dorénavant présents sur TikTok, avec des programmes natifs dédiés.

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Merci messieurs pour vos contributions, qui dépassent le cadre des chaînes que vous représentez. Cette audition nous donne l'occasion de vous remercier également pour votre travail, qui accompagne la vie parlementaire.

Un questionnaire vous a été remis, auquel vous nous répondrez par écrit. Si vous pensez que d'autres documents pourraient servir nos travaux, n'hésitez pas à nous les transmettre.

La commission auditionne d'anciens ministres de la culture et de la communication : M. Jacques Toubon, M. Renaud Donnedieu de Vabres, Mme Fleur Pellerin, Mme Roselyne Bachelot et Mme Rima Abdul-Malak.

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Mes chers collègues, nous achevons les auditions de notre commission d'enquête sur l'attribution, le contenu et le contrôle des autorisations de services de télévision à caractère national sur la télévision numérique terrestre (TNT) en entendant cinq anciens ministres de la culture et de la communication.

À cette occasion, j'ai une pensée émue pour Frédéric Mitterrand, qui nous a quittés il y a une semaine. Je salue l'homme de télévision et de cinéma qu'il a été. En publiant La Récréation, en 2013, il nous a laissé, au jour le jour, le témoignage le plus personnel et littéraire de ses années rue de Valois. Il a défendu la culture pour chacun. Il a été l'instigateur de grandes politiques audiovisuelles, qu'il s'agisse de la protection des œuvres et de la lutte contre le piratage, avec la loi du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet puis la loi du 28 octobre 2009 relative à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet – dites « lois Hadopi 1 et 2 » –, ou de la régulation des services de médias audiovisuels à la demande (Smad), puisque le premier décret dans ce domaine a été pris lorsqu'il était ministre. Il a œuvré en faveur de la numérisation de notre patrimoine culturel. Je le remercie du fond du cœur pour tout ce qu'il m'a transmis, avec générosité et mélancolie, à un moment où je me posais des questions sur mon avenir. Je ne serais pas ici aujourd'hui si je n'avais pas bénéficié de ses conseils et de ses encouragements.

Je regrette également l'absence de M. Jack Lang, qui n'a pas souhaité donner suite à notre invitation. Eu égard au respect que nous lui portons, nous ne l'avons pas fait amener par la police, mais son absence ne fait pas honneur à ses anciennes fonctions ministérielles ni à celles qu'il exerce toujours dans un institut culturel public. Les règles s'imposent à tout le monde.

Je souhaite la bienvenue, par ordre d'ancienneté, à

– M. Jacques Toubon, ancien député, ancien garde des sceaux, ancien membre de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (Hadopi), ancien Défenseur des droits, ministre de la culture et de la francophonie du 30 mars 1993 au 18 mai 1995 ;

– M. Renaud Donnedieu de Vabres, ancien député, ancien ministre délégué chargé des affaires européennes, ministre de la culture et de la communication du 31 mars 2004 au 18 mai 2007 ; à

– Mme Fleur Pellerin, ancienne ministre déléguée chargée des PME, de l'innovation et de l'économie numérique, créatrice du fonds d'investissement Korelya Capital, membre des conseils d'administration des Eurockéennes de Belfort et de Reworld Media, ministre de la culture et de la communication du 6 août 2014 au 11 février 2016, qui est avec nous en visioconférence ;

– Mme Roselyne Bachelot, ancienne députée, ancienne ministre de l'écologie, de la santé et des solidarités, ministre de la culture du 6 juillet 2020 au 20 mai 2022 ;

– Mme Rima Abdul-Malak, ancienne conseillère à la présidence de la République, ministre de la culture du 20 mai 2022 au 10 janvier 2024.

Mesdames et messieurs les ministres, je vais vous inviter à prononcer un propos liminaire de quelques minutes, qui vous permettra de décrire votre vision de la TNT et de présenter votre action dans le domaine de l'audiovisuel lorsque vous étiez ministres de la culture et de la communication. Je vous remercie également de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations. Dans le même souci de transparence, j'inviterai les députés à rappeler, lors de leurs interventions, le passé qu'ils ont pu avoir dans l'audiovisuel.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Jacques Toubon, M. Renaud Donnedieu de Vabres, Mme Fleur Pellerin, Mme Roselyne Bachelot et Mme Rima Abdul-Malak prêtent serment.)

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Jacques Toubon, ancien ministre de la culture et de la francophonie

Je souscris pleinement aux propos que vous avez tenus il y a quelques instants, monsieur le président, à l'égard de Frédéric Mitterrand. J'aurais été heureux qu'il soit avec nous, ici, cet après-midi. Il nous manque.

Je suis flatté d'avoir été convié à cette audition alors que je ne suis plus rien. Je suis également, d'une certaine façon, amusé et intrigué, parce que ce dont nous allons parler n'existait pas lorsque j'ai exercé des responsabilités. Nous n'en avions même pas l'idée !

Après ces réserves quelque peu ironiques, je vais essayer de vous présenter mon point de vue, par définition totalement détaché, en espérant qu'il ne sera pas vain.

Lorsque j'ai été ministre de la culture, entre 1993 et 1995, nous traitions bien entendu de tous les sujets traditionnels. J'ai notamment préparé et mis en œuvre la loi de programme du 31 décembre 1993 relative au patrimoine monumental, qui est une compétence essentielle du ministre de la culture. J'insisterai cependant sur deux aspects plus originaux de mon travail.

Le premier tient à ce que l'on a appelé, à l'époque, l'« exception culturelle », une notion qui a ensuite été dévergondée pour laisser place à la « diversité culturelle », sans que je n'aie jamais vraiment compris pourquoi – j'espère que ce n'était pas pour l'affaiblir. Nous avons essayé de faire en sorte que, quelles que soient nos obligations en termes de souveraineté au niveau mondial ou européen, nous soyons toujours capables de conduire une politique culturelle française ou, à tout le moins, européenne.

Le deuxième marqueur de mon mandat a été l'action en faveur de la langue française, qui a été diversement appréciée et même parfois moquée parce qu'elle ne s'inscrivait pas dans le courant dominant favorable à l'anglais. Alors que nous fêterons cette année le trentième anniversaire de la loi du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française, je suppose que l'Assemblée nationale et plus particulièrement les parlementaires spécialistes des affaires culturelles auront à cœur de souligner ou de renouveler cette action en faveur de la langue française, à laquelle beaucoup de ceux qui l'avaient autrefois négligée, notamment dans le monde économique où il fallait toujours s'aligner sur le modèle anglo-saxon, sont désormais de plus en plus sensibles. Aidés par les nouvelles technologies numériques, nous avons dorénavant la possibilité d'utiliser notre langue sans dommage ni handicap économique.

À partir du mandat de député européen que j'ai exercé de 2004 à 2009, je n'ai plus assumé aucune fonction dans le domaine de la culture. J'ai donc du mal à juger de toute l'évolution qui s'est produite depuis 2005, au moment de l'arrivée de la TNT.

Je ne sais pas si la diversité de l'offre peut être qualifiée de suffisante, mais elle me paraît en tout cas assurée. Nos modèles économiques entraînent bien entendu des positions dominantes et la formation de groupes, mais la réglementation, qui prévoit un certain nombre de seuils, les aides publiques et les mesures de défiscalisation ont permis d'atteindre un certain niveau d'égalité et de diversité dans le paysage audiovisuel, sans que nous soyons tombés dans l'étatisation et la bureaucratisation. Je jette donc un regard plutôt positif sur la situation actuelle. Dans les périodes où j'ai assumé des responsabilités, dans les années 1970 et au milieu des années 1980, la concentration du secteur audiovisuel, dominé par quelques-uns, pouvait susciter des inquiétudes. Trente ans après, on peut dire que les pouvoirs publics et les entreprises ont plutôt fait le nécessaire pour que nous ne tombions pas dans ce travers et que l'offre de chaînes permette à toutes les opinions de s'exprimer, donne satisfaction à tous les publics et ne soit pas exclusivement conditionnée par les moyens financiers des acteurs du secteur.

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Renaud Donnedieu de Vabres, ancien ministre de la culture et de la communication

Je suis très heureux d'être devant vous pour faire un rapide exercice d'archéologie politique. Lorsque j'ai pris mes fonctions, en 2004, il n'y avait que six canaux de télévision pour l'ensemble du pays.

Nous avons dû faire face à l'irruption du numérique. C'était un défi redoutable, notamment en matière de droits d'auteur, qui a suscité des débats parlementaires enflammés et des difficultés majeures pour le gouvernement, lequel devait essayer de convaincre qu'il pouvait exister une offre légale à l'ère numérique. Ce débat sur les droits d'auteur a débouché sur la création de l'Autorité de régulation des mesures techniques (ARMT), l'ancêtre de la Hadopi. Il nous a donné l'occasion de réaffirmer un certain nombre de valeurs – par exemple, le fait que le travail, la liberté et le talent des artistes méritaient d'être rémunérés et soutenus. Voilà pour le volet culturel et artistique.

S'agissant des médias audiovisuels, nous avons vécu une période très riche marquée par une articulation particulièrement féconde entre l'Élysée, le gouvernement, l'Assemblée nationale, le Sénat et, à l'époque, le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA). Pour être franc, nous n'étions absolument pas dans une atmosphère de commission d'enquête : dans le respect des responsabilités, de l'autonomie ou de l'indépendance de chacun, nous nous appliquions à définir un objectif commun et nous cherchions les moyens d'y parvenir. Je me souviens d'un déplacement que j'ai fait à Londres avec Dominique Baudis, le président du CSA, pour étudier concrètement la façon dont s'était passé le déploiement du numérique et de la TNT en Grande-Bretagne et la possibilité d'adapter chez nous un certain nombre de dispositions prises dans ce pays.

Dans le prolongement de la loi de 1986 relative à la liberté de communication, qui était une loi fondamentale et qui reste, malgré de nombreuses modifications, le socle des principes républicains qui guident notre action, nous avons fait voter deux lois : la première, la loi du 9 juillet 2004, a ouvert le champ de la TNT et permis le passage de six à dix-huit chaînes – je reviendrai par la suite sur quelques-unes de ses modalités pratiques –, tandis que la seconde, la loi du 5 mars 2007, visait à organiser le basculement de l'analogique vers le numérique.

Il y avait, comme toujours, une sorte de décalage entre Paris, où tout est plus facile, où l'offre culturelle et l'offre de communications sont très larges, et le reste du territoire national. Lors d'un déplacement dans le Jura ou dans le Doubs, alors que j'avais un peu d'avance dans mon programme, je me suis arrêté dans une station-service et j'ai invité les gens qui m'accompagnaient à prendre un café. Au bout de la table, j'ai entendu un gendarme dire à son collègue que les décodeurs allaient être très vite épuisés et qu'il fallait donc se dépêcher d'en acheter un. Or, à l'époque, ni le Doubs ni le Jura n'étaient couverts ni sur le point d'être couverts par la TNT. Cet échange montrait non seulement un vrai décalage, mais également que l'explosion de l'offre gratuite était perçue comme une chance.

La question du pluralisme ne se posait pas du tout dans les mêmes termes qu'aujourd'hui. Par définition, le passage de six à dix-huit chaînes allait être une chance incroyable, en termes de diversité des programmes ou de diversité des sources d'information. Certains d'entre vous sont peut-être trop jeunes pour se rappeler que France 5 et Arte se partageaient alors la même zone de diffusion. France 4 n'existait pas, les chaînes d'information en continu non plus. Cela paraît antédiluvien !

Ce pluralisme permis par la technologie devait s'inscrire au sein d'une offre accessible à tous. Nous avons ainsi eu un débat très technique sur le choix des normes de compression – je n'entrerai pas dans les détails car ce n'est pas le sujet de votre commission d'enquête. Contre l'avis d'un certain nombre d'opérateurs et même, en quelque sorte, du CSA, le gouvernement a choisi pour les chaînes gratuites la norme la plus accessible et la plus facile à mettre en œuvre, le MPEG-2, et pour les chaînes payantes une autre norme. Cette réforme technologique, qui représentait un progrès absolument essentiel, a donc donné lieu à un combat s'agissant des modalités techniques de sa mise en œuvre.

La seconde loi, celle de 2007, a organisé de manière implacable le basculement définitif de l'analogique vers le numérique, ce qui a permis l'apparition de plusieurs chaînes d'information supplémentaires et le passage de certaines chaînes du payant au gratuit. Le pluralisme de l'offre était rendu possible par une gestion politique de la diversité technologique.

J'en viens à l'articulation de notre travail avec celui du CSA de l'époque, devenu l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) depuis sa fusion avec la Hadopi. Nous avons d'abord connu une phase de concertation, de coopération, dans le respect rigoureux de nos compétences respectives et de l'autonomie du Conseil. Par la suite, ce dernier a assumé ses missions, notamment celle du choix des opérateurs, de manière totalement indépendante.

L'Arcom actuelle n'est pas une institution hors-sol. Dans une période particulièrement violente et tendue, dans l'actualité internationale comme en politique intérieure, sa mission essentielle consiste non seulement à veiller au respect du pluralisme dans l'expression des différentes sensibilités de l'arc-en-ciel politique, mais également à défendre un certain nombre de valeurs parmi lesquelles figure la diversité culturelle. Cette notion, apparue sur la scène internationale lorsque nous avons réussi à faire adopter la Convention de l'Unesco sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, paraît moins arrogante que celle d'exception culturelle, alors qu'il s'agit, au fond, de la même chose. Elle nous a permis de disposer d'un instrument juridique pour échapper à l'économie marchande.

La TNT est une chance. Les chaînes regroupées en son sein sont soumises à des règles juridiques certes perfectibles, mais extraordinairement précises comparées à la jungle des réseaux sociaux. Ne soyons pas injustes ! Ce n'est pas parce qu'il y a des choses à améliorer qu'il faut remettre en cause l'équilibre trouvé entre les opérateurs et les investisseurs et dissuader ces derniers d'investir dans la création audiovisuelle et l'information. Je cherche plutôt à les remercier, parce que nous avons besoin de partenaires qui s'engagent et soutiennent les causes que sont la promotion de la diversité culturelle et le respect de l'information.

Dans cet air du temps particulièrement violent, le travail et la déontologie des journalistes sont sacrés. Ce sont des valeurs absolument essentielles qu'il convient de défendre. En tant que président du Festival international de photojournalisme, je sais de quoi je parle : selon qu'elle est signée ou non, une photo représente la réalité ou la déforme. À côté des journalistes qui travaillent, les commentateurs, les analystes et les éditorialistes ont le droit de se contredire et de s'étriper – et heureusement, car c'est la liberté qui caractérise une démocratie vivante !

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Fleur Pellerin, ancienne ministre de la culture et de la communication

Vous avez rappelé, monsieur le président, que j'ai été en poste du 26 août 2014 au 11 février 2016. Dans le cadre de mes fonctions, j'ai essentiellement travaillé sur trois sujets audiovisuels entrant dans le champ de votre commission d'enquête.

Je me suis tout d'abord attelée à la mise en œuvre de la loi du 15 novembre 2013 relative à l'indépendance de l'audiovisuel public, qui a renforcé l'indépendance et les pouvoirs du CSA. Je crois d'ailleurs c'est sur les conditions d'application de cette loi que vous souhaitez m'entendre lors de cette audition. J'ai demandé à Marc Schwartz de me remettre un rapport afin que le gouvernement, qui ne nommait plus les présidents de l'audiovisuel public – une prérogative désormais dévolue au CSA, comme avant la présidence de Nicolas Sarkozy –, puisse fixer le cadre d'action et la feuille de route de France Télévisions. Comme le recommandait ce rapport, il a été décidé de permettre au groupe public de proposer la création d'une chaîne d'information sur la TNT. Je vous renvoie au compte rendu de mon audition du 15 mars 2015 par la commission des affaires culturelles de l'Assemblée nationale.

Mon deuxième axe de travail a été la préparation du deuxième dividende numérique, qui a fait l'objet d'une proposition de loi déposée par Bruno Le Roux, Patrick Bloche et la regrettée Corinne Erhel et qui est devenue la loi du 14 octobre 2015 relative au deuxième dividende numérique et à la poursuite de la modernisation de la TNT. J'avais en réalité déjà travaillé sur ce sujet en tant que ministre déléguée chargée des PME, de l'innovation et de l'économie numérique, notamment pour préparer la réattribution des fréquences de la bande 700 MHz, jusqu'alors utilisées par les opérateurs audiovisuels, aux opérateurs de téléphonie mobile dans le cadre du déploiement de la 4G.

Troisièmement, j'ai travaillé à la préparation de la loi du 14 novembre 2016 visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias, dite « loi Bloche », qui a été adoptée après la fin de mes fonctions. Les trois dispositifs principaux prévus dans le cadre de ce texte étaient l'extension du droit d'opposition des journalistes de l'audiovisuel public, l'obligation faite aux entreprises de presse d'adopter des chartes déontologiques corédigées par les directions et les représentants des journalistes, ainsi que l'instauration d'une protection pour les lanceurs d'alerte, qui s'adressait plus particulièrement aux journalistes.

En ce qui concerne plus généralement le champ des travaux de votre commission, je me souviens que la modification, par le déploiement de la TNT, du paysage audiovisuel suscitait à l'époque deux sujets principaux de préoccupation que mes prédécesseurs ont déjà évoqués.

Je pense tout d'abord à la difficulté de concilier le maintien de la diversité culturelle et des opinions avec la nécessité d'attirer des groupes suffisamment solides d'un point de vue économique pour investir massivement dans des programmes d'information ou de création, dans un contexte marqué par la concurrence naissante des plateformes américaines et chinoises dotées de moyens économiques et financiers considérables.

Notre deuxième sujet de préoccupation touchait au rôle essentiel et central du service public pour contribuer à cette diversité des programmes, qu'avait notamment rappelé le rapport Schwartz.

Je précise enfin que je ne suis plus administratrice de Reworld Media depuis février 2021 mais que je suis membre du conseil d'administration de Gaumont et présidente du Festival international des séries de Cannes.

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Roselyne Bachelot, ancienne ministre de la culture

Vous m'entendez comme ancienne ministre chargée de la culture, et donc de la communication, mais aussi comme éditorialiste officiant sur la chaîne d'information BFM TV. C'est bien volontiers que je répondrai à vos questions sur ces deux registres.

Comme l'a excellemment rappelé Renaud Donnedieu de Vabres, le paysage médiatique est beaucoup moins concentré aujourd'hui qu'il ne l'était il y a quarante ans. Cela est particulièrement vrai pour la télévision : trente chaînes sont actuellement diffusées sur la TNT, dont vingt-cinq accessibles gratuitement, alors que le téléspectateur devait se contenter de six chaînes analogiques au début des années 2000. Le passage au numérique a favorisé l'arrivée de nouveaux entrants ; certains ont revendu leurs chaînes aux groupes historiques, mais d'autres se sont installés durablement. À cela s'ajoute une diversité de notre paysage radiophonique unique au monde. Alors que les Français n'avaient accès, jusqu'en 1980, qu'à la radio publique et à quelques radios périphériques, ils peuvent aujourd'hui choisir entre plus de 1 200 radios publiques, commerciales ou associatives. Les caméras sont entrées dans les studios radiophoniques et les images des interviews des matinales sont reprises dans les podcasts et dans les autres médias.

Les défis posés sont donc de trois ordres : tout d'abord, la protection du pluralisme, en particulier du pluralisme de l'information, qui est un principe constitutionnel ; ensuite, le financement de la création et son corollaire, la qualité des contenus proposés aux téléspectateurs, y compris gratuitement ; enfin, la préservation de la souveraineté culturelle – je n'entrerai pas dans le débat amorcé par Jacques Toubon et Renaud Donnedieu de Vabres sur la différence entre diversité et exception culturelle. En fait, ces trois enjeux sont étroitement liés.

Se pose alors la question de l'efficacité des régulations, d'autant qu'elles diffèrent d'un média à l'autre et qu'elles se focalisent sur l'audiovisuel hertzien et la presse papier en ignorant les nouveaux modes de diffusion. Du reste, elles ne tiennent pas suffisamment compte de l'audience ou de la nature des différents médias concernés.

La fonction de régulation est assurée par l'Arcom, une autorité que j'ai moi-même installée en tant que ministre et qui est explicitement chargée de garantir « l'honnêteté, l'indépendance et le pluralisme de l'information et des programmes qui y concourent ». La mise en œuvre de ces principes repose sur les conventions que l'Arcom conclut avec les éditeurs. La loi du 25 octobre 2021 relative à la régulation et à la protection de l'accès aux œuvres culturelles à l'ère numérique a élargi et renforcé les pouvoirs d'enquête de l'Autorité vis-à-vis de l'ensemble des acteurs relevant de son champ de compétence.

Les procédures de sanction sont longues, mais c'est la contrepartie de l'État de droit et du respect du contradictoire. Certains estiment que l'Autorité ne sanctionne pas assez durement les dérapages, mais en tant que ministre respectueuse de l'indépendance du régulateur, je me suis toujours refusée à commenter ses décisions ou à exercer quelque influence occulte. Si d'autres l'ont fait, cela n'a pas été porté à ma connaissance.

Il n'est pas inutile de rappeler que d'autres missions sont confiées à l'Arcom, compétente dans tout le champ des contenus : lutte contre le piratage, protection des mineurs, lutte contre la désinformation et la haine en ligne, promotion de la diversité musicale.

La question est moins d'assouplir ou de durcir la réglementation que de l'adapter aux usages actuels, car il faut trouver le moyen d'isoler dans le vaste univers numérique ce qui relève du pluralisme des médias et de l'information. Faut-il aller jusqu'à englober des acteurs qui ne sont pas les éditeurs des contenus qu'ils diffusent, par exemple sur les réseaux sociaux ? Comment imaginer des critères globaux qui concerneraient à la fois les médias traditionnels et les nouveaux usages ?

La loi de 1986 modifiée interdit à un opérateur de détenir plus de sept chaînes sur la TNT. Ce plafond de diffusion hertzienne me paraît légitime. La ressource hertzienne fait partie du domaine public et est octroyée gratuitement à des opérateurs privés : il est donc normal qu'un accaparement des fréquences par un même acteur économique soit empêché. Mais cette règle présente des limites évidentes au regard de l'objectif de pluralisme qu'elle est censée protéger. Elle ne tient pas compte de l'audience des chaînes – l'autorisation d'une chaîne qui rassemble 20 % de l'audience compte comme celle d'une chaîne qui n'en représente que 1 % – et est indifférente à la nature de la programmation – une chaîne d'information compte autant qu'une chaîne de divertissement ou de culture, ce qui contraste d'ailleurs avec les règles applicables à la presse écrite.

La question ne concerne pas tant les pouvoirs de l'Arcom que le contenu même des conventions, que l'on pourrait muscler, par exemple, en fixant une part minimale de la grille consacrée à des émissions d'information ou de reportages, par opposition aux émissions de débats à faible coût ou low cost et aux chroniques d'éditorialistes, voire en imposant un taux de recours à des journalistes professionnels.

Par ailleurs, il me paraît légitime d'encadrer la concentration multimédias car il faut veiller à ce qu'un même acteur ne puisse acquérir, dans chacun des secteurs, une position qui mettrait en cause le pluralisme, sans toutefois entraver à l'excès les stratégies plurimédias des acteurs, ce qui serait contre-productif. La règle dite des « deux sur trois », interdisant à un même opérateur d'être dans plus de deux des trois situations de concentration, mérite d'être repensée car elle n'est que peu contraignante au niveau national alors qu'elle présente, au niveau local, les mêmes limites que les règles monomédias puisqu'elle n'appréhende que les modes de diffusion traditionnels.

Les phénomènes de concentration comportent une part de danger et les règles capitalistiques des seuils de détention devraient s'appliquer à l'ensemble de la production, de contenu ou de contenant, qu'il convient de ne pas dissocier. Il convient donc de faire rentrer les « tuyaux » des télécommunications dans la sphère de régulation.

Certains voudraient modifier la loi Bloche du 14 novembre 2016 et proposent de conférer un statut juridique aux rédactions. Cela recouvre en fait plusieurs réalités sur lesquelles je reviendrai plus tard. De la même façon, je répondrai volontiers à vos questions sur la façon dont j'exerce mes fonctions à BFM TV, ainsi que sur la procédure de fichage des intervenants lancée par l'Arcom et le Conseil d'État.

Au moment où la guerre informationnelle, les réseaux sociaux et les nouvelles technologies déstabilisent le fonctionnement de nos démocraties, vos travaux mériteront certainement d'être complétés. Ils sont néanmoins utiles, et j'y participe dans un esprit de totale coopération.

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Je vous remercie, madame la ministre. Grâce à vous, M. le rapporteur dispose de plusieurs pistes, s'il le souhaite. Vous avez proposé deux très belles idées, qui viennent parfaitement répondre à certains constats faits au cours des auditions. Votre présence va peut-être changer le cours de cette commission d'enquête !

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Rima Abdul-Malak, ancienne ministre de la culture

Je vous remercie de votre invitation. Cette commission d'enquête est importante et se présente à un moment-clé : c'est la première fois qu'autant d'autorisations de diffusion arrivent à échéance la même année, dans un paysage audiovisuel qui n'a cessé d'évoluer, avec une concurrence des géants du numérique de plus en plus forte et une régulation qui a elle-même évolué. Les interventions de mes illustres prédécesseurs montrent bien quelles étapes ont été franchies au long de ces trente dernières années et comment notre modèle de régulation a su s'adapter.

Vous l'avez rappelé à plusieurs reprises au cours de vos auditions, les canaux de diffusion de la TNT utilisent des ondes radioélectriques qui sont un bien public. Les fréquences appartiennent à l'État et c'est l'Arcom qui les attribue gratuitement, en contrepartie de règles et d'obligations. Ces principes de fonctionnement sont en fait assez complexes et méconnus. Je salue l'existence même de votre commission d'enquête et la médiatisation de vos auditions, qui possède une vertu pédagogique, à l'heure où la confiance des Français dans les médias se dégrade. Près de 60 % d'entre eux considèrent qu'il faut se méfier de ce que disent les médias sur les grands sujets d'actualité, selon le dernier baromètre La Croix-Kantar Public sur la confiance des Français dans les médias.

Or cette confiance dans les médias est un enjeu vital pour l'avenir de notre démocratie. Sur quoi se fonde-t-elle ? Est-ce que tous les Français se sentent représentés dans les médias ? Est-ce que l'honnêteté, l'indépendance et le pluralisme de l'information et des programmes qui y concourent, pour reprendre les termes de la loi de 1986, sont respectés ? Le baromètre que je mentionnais montrait que près des deux tiers des Français considèrent que les journalistes ne sont pas totalement indépendants.

Quels repères peut-on avoir dans la jungle des réseaux sociaux ? Un Français sur deux se dit confronté plusieurs fois par semaine à de fausses informations sur les réseaux sociaux. Face à la puissance des algorithmes et aux nouveaux défis posés par l'intelligence artificielle, ce sont des constats assez vertigineux. Nous avons collectivement un défi majeur à relever : contribuer à rétablir la confiance des Français dans les médias. Chacun peut y prendre sa part. Quand j'ai été ministre, de mai 2022 à janvier 2024, cette tentative de contribuer, autant que possible, à rétablir la confiance des Français dans les médias a constitué un fil rouge de mon action pour tous les sujets liés au champ de l'audiovisuel et de la presse, qui s'est traduit par de nombreux chantiers.

Ma priorité a été de renforcer l'audiovisuel public et de l'accompagner dans les mutations qu'il a à faire face à tous ces défis : un nouveau mode de financement, une visibilité pluriannuelle sur cinq ans au lieu de trois, une trajectoire budgétaire négociée en hausse jusqu'à 2028, des objectifs stratégiques clarifiés.

Je me suis aussi attachée à consolider, autant que possible, le modèle de la filière presse, dans un contexte d'inflation très important. Nous avons ainsi pu offrir un soutien exceptionnel aux éditeurs de presse. J'ai aussi eu à cœur d'explorer toutes les voies pour préserver la solidité des chaînes privées, en lançant notamment une réflexion sur les secteurs interdits à la publicité, pour aller vers des assouplissements, et en conservant une position assez claire de statu quo sur la publicité dans l'audiovisuel public, de sorte à ne pas revenir sur l'interdiction après 20 heures et à préserver les recettes publicitaires des chaînes privées. Nous avons aussi eu des débats très riches, au niveau national comme européen, en vue de l'adoption du règlement (UE) 2022/2065 du 19 octobre 2022 relatif à un marché unique des services numériques, dit Digital Services Act (DSA), qui contient des mesures de lutte contre la désinformation, et de la proposition de règlement établissant un cadre commun pour les services de médias dans le marché intérieur – législation européenne sur la liberté des médias –, le futur European Media Freedom Act (EMFA).

En parallèle, nous avons anticipé des mutations plus globales qui touchent aussi la filière audiovisuelle, grâce au plan France 2030. Nous avons investi massivement dans le développement des studios de tournage, dans celui de la formation aux métiers du son, de l'image et du numérique, avec l'objectif de doubler nos capacités de formation à l'horizon 2030. Cette relève des métiers et des talents est aussi un enjeu vital pour assurer la pérennité et la souveraineté de nos industries culturelles, dont fait partie le secteur de l'audiovisuel.

Nous avons également anticipé les défis liés au développement de l'intelligence artificielle (IA), en créant le comité interministériel de l'intelligence artificielle générative sous l'égide de la Première ministre, Élisabeth Borne. En articulation avec ce comité, j'avais installé un groupe d'experts pour travailler plus spécifiquement sur l'impact de l'IA sur la culture et la question de la fiabilité de l'information. Pendant les vingt mois où j'ai été ministre de la culture, je m'en suis toujours tenue à mon rôle, en prenant soin de préciser, chaque fois que nécessaire, ce qui relève du rôle de l'Arcom, régulateur strictement indépendant, et en rappelant le cadre légal qui s'applique.

Le paysage audiovisuel a été bouleversé par deux révolutions successives : la multiplication des chaînes d'information, puis l'envahissement des réseaux sociaux. Une troisième révolution est à l'œuvre, celle de l'intelligence artificielle. Nous vivons un moment crucial, qui nous amène à réfléchir tous ensemble à ce que la nation doit attendre des chaînes d'information. Certains avancent que l'existence de quatre chaînes d'information en continu en clair nécessite qu'elles se distinguent les unes des autres, ce qui pourrait aller jusqu'à justifier que certaines deviennent un jour des chaînes d'opinion, quitte à faire évoluer la loi pour les autoriser. Je ne le pense pas. À mes yeux, il nous faut être de plus en plus vigilants quant à la véracité et à la fiabilité de l'information ainsi qu'au respect de la loi, et combattre les complots et les fake news. Indépendance, fiabilité, pluralisme, ces trois mots doivent rester la boussole de la TNT, tout en respectant, évidemment, la liberté éditoriale des médias.

Ces derniers mois, avant de quitter le Gouvernement, j'avais commencé à travailler, avec mon équipe et mes services, à un projet de loi, que j'espérais pouvoir présenter après les états généraux de l'information, relatif à la confiance dans les médias. Ça n'allait pas être un grand soir législatif, mais une actualisation de la loi de 1986, notamment sur les questions de concentration. Je rejoins d'ailleurs complètement les propositions de Roselyne Bachelot qui a énormément œuvré sur ces sujets. Nous en avions beaucoup discuté quand j'étais à l'Élysée. Un rapport commandé en 2022 à l'Inspection générale des affaires culturelles et à l'Inspection générale des finances sur la concentration des médias nous a beaucoup aidées.

J'espère que vos travaux, ceux de la mission d'évaluation de la loi Bloche, les travaux antérieurs de la commission d'enquête du Sénat menée par Laurent Lafon et David Assouline et les états généraux de l'information permettront d'affiner toutes ces réflexions pour réfléchir ensemble à la meilleure manière de renforcer la fiabilité, le pluralisme et l'indépendance de l'information dans notre pays.

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Je vous remercie, madame la ministre.

Je vais poser, dans le même ordre chronologique, une question à chacun d'entre vous. Nous avons organisé une table ronde sur la représentation de la diversité de la société française sur les chaînes de la TNT. Monsieur Toubon, quel regard portez-vous, en tant que citoyen, ancien ministre et ancien Défenseur des droits, sur celle-ci, sur le travail fait par l'Arcom pour veiller à son respect et sur les indicateurs existants ?

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Jacques Toubon, ancien ministre de la culture et de la francophonie

Je ferai deux appréciations. Premièrement, jamais – et c'est plutôt l'ancien Défenseur des droits qui parle – nous n'atteindrons une perfection juridique, c'est-à-dire une situation d'égalité qui ignore toute discrimination, dans ce domaine comme dans d'autres. C'est pour cela qu'il faut mettre en œuvre toutes les institutions et tous les mécanismes pour essayer de lutter contre les discriminations et rétablir sinon l'égalité du moins l'équité autant que possible, dans ce domaine comme dans d'autres. J'ai notamment travaillé, comme Défenseur des droits, sur l'égalité entre les étrangers et les nationaux, qui n'est toujours pas assurée dans notre pays.

Deuxièmement, les mécanismes existants me paraissent plutôt satisfaisants. Je n'ai pas l'impression qu'en dehors de quelques secteurs, de quelques personnalités ou opinions, que je qualifierais de minoritaires et exceptionnels, quiconque puisse prétendre ne pas être représenté. Je ne crois pas que le système doive conduire à assurer à la seconde près, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, une sorte d'égalité parfaite entre toutes les cases et toutes les propositions. D'une part, ce serait totalement détestable et, d'autre part, absolument contraire à un principe que nous souhaitons tous protéger : la liberté. Nous sommes, à mon sens, dans un équilibre plutôt satisfaisant entre la liberté et les contraintes du pluralisme.

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Monsieur Donnedieu de Vabres, jugez-vous que la promesse de la TNT ait été tenue, notamment en matière de diversité de chaînes ? Quelles sont vos pistes d'amélioration générale de son offre ?

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Renaud Donnedieu de Vabres, ancien ministre de la culture et de la communication

L'objectif qui est atteint, c'est que tout le territoire national est couvert. En 2007, on avait été obligés de prévoir un dispositif satellitaire pour rendre toutes les chaînes de la TNT accessibles à l'ensemble du territoire national.

Le foisonnement de l'offre est également une réalité puisque nous sommes passés de six chaînes à trente-et-une.

Quant aux progrès, ce n'est ni à l'Arcom ni, d'une certaine manière, au Gouvernement de se substituer aux entrepreneurs qui décident de se lancer dans la création d'une chaîne d'information, culturelle ou de distraction. Certains aspects ne sont peut-être pas complètement couverts, mais il faut des opérateurs pour réaliser des programmes et les diffuser. J'espère qu'il y aura une multitude de candidatures pour répondre à l'appel d'offres, même si ce n'est pas certain, en raison des difficultés financières et économiques et de la complexité de la tâche à accomplir.

Pendant cette fameuse période 2004-2007, on a créé France 24. Il ne s'agissait pas de proposer une chaîne d'information supplémentaire, mais d'avoir, face à CNN, à la BBC et à Al-Jazira, un média d'esprit français et européen diffusé en langue arabe, à un moment particulièrement grave pour notre pays, puisque des journalistes français étaient retenus en otage en Irak, au prétexte que la laïcité n'était pas respectée en France. Le Président de la République a forcé le trait et m'a demandé d'aller le plus vite possible pour créer cette nouvelle chaîne d'information.

Parfois, effectivement, lorsqu'il s'agit de la sphère publique, il peut y avoir des initiatives. De ce point de vue, je regrette que la chaîne d'information de France Télévisions ait démarré très tardivement. Si Marc Tessier avait été reconduit dans sa fonction de président de France Télévisions, il aurait certainement créé très rapidement cette chaîne, alors que ce n'était pas le souhait de Patrick de Carolis, auquel on ne pouvait pas se substituer. La tâche du Gouvernement en ce qui concerne l'audiovisuel public, c'est, comme vous le savez, de préempter des canaux de diffusion.

Il faut souhaiter que la réponse à l'appel d'offres soit la plus large possible. J'ai suivi un certain nombre de vos débats : il n'y a pas d'excuse pour ne pas se porter candidat. Ce n'est pas la peine d'anticiper le fait qu'on ne va pas être choisi pour ne pas être candidat. Du point de vue culturel, on peut souhaiter que Paris Première, qui diffuse des émissions de spectacle vivant, passe du payant au gratuit. J'espère en tout cas que l'effervescence sera au rendez-vous.

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Monsieur le ministre, je me permets de rebondir sur vos propos et je vais vous demander de répondre avec une très grande franchise à mes deux questions.

Estimez-vous que France 24 réponde aujourd'hui à ce qu'avait annoncé Jacques Chirac, une grande CNN à la française ? Est-on au niveau en matière d'influence, de pouvoir de convaincre ou soft power ?

N'y a-t-il pas une forme d'hypocrisie dans le système de renouvellement ? On imagine difficilement que des groupes comme M6 ou TF1, qui ne sont pas les plus sanctionnés, qui ont une place historique dans le paysage audiovisuel, puissent être balayés quand leur fréquence est renouvelée.

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Renaud Donnedieu de Vabres, ancien ministre de la culture et de la communication

S'agissant de France 24, tout est perfectible. Mais, dans l'incandescence du monde actuel, avoir un média qui s'exprime dans de très nombreuses langues étrangères – on pourrait d'ailleurs imaginer d'autres langues de diffusion que le français, l'anglais, l'arabe et l'espagnol – pour porter non pas la voix de la France au sens de la voix de l'Amérique, mais un message de vérité factuelle, historique et politique, me semble essentiel. S'il y a des moyens à donner, ce serait certainement très important de le faire, en articulation peut-être avec d'autres médias. À l'époque, cela avait surpris, nous avions organisé un partenariat entre TF1 et France Télévisions, pour additionner les moyens.

Je persiste à penser que ces grands groupes sont des chances pour le pluralisme et pour l'audiovisuel. Ces clauses de rendez-vous ne sont pas automatiques. Elles permettent aussi au régulateur de fixer de nouveaux objectifs, après avoir fait le constat du bon fonctionnement ou des éléments perfectibles. On peut donc parfaitement imaginer que cette redéfinition d'objectifs donne lieu à des documents très opérationnels. Il faudrait voir de quelle manière organiser, au moment de ces renouvellements, l'articulation avec les réseaux sociaux.

Saluons ces chaînes qui émettent sur la TNT, soumises à toutes les obligations – je ne dis pas le carcan – qui pèsent sur leurs épaules. Sachons les soutenir et réjouissons-nous de l'intérêt des investisseurs, pour peu qu'il s'agisse de moyens supplémentaires et non d'un rétrécissement du spectre.

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Madame la ministre Fleur Pellerin, en 2015, notamment dans Les Échos, vous aviez parlé de la recomposition du paysage audiovisuel, du fait de l'émergence de nouveaux acteurs, comme Netflix et Amazon. Quelle évolution avez-vous perçue depuis cette interview ? Comment voyez-vous l'avenir et la place de nos groupes audiovisuels français vis-à-vis de ces acteurs, à un moment où un grand nombre d'entre eux mettent en place une stratégie de plateforme numérique ?

Olivier Schrameck a fait part de pressions de la part du Président de la République François Hollande pour déconseiller deux candidats pressentis à la présidence de France Télévisions, dont les noms ont été depuis donnés par la presse. À aucun moment, vous n'avez été citée dans cette affaire par le président Schrameck – c'est important de le redire. Quelle était votre vision de l'indépendance à ce moment-là ?

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Fleur Pellerin, ancienne ministre de la culture et de la communication

S'agissant des plateformes, 2015 semble une époque assez lointaine. Je ne sais plus exactement quand Netflix a commencé à émettre en France, mais je crois que c'était aux alentours de 2014. C'était donc extrêmement récent et je me souviens qu'il y avait une grande inquiétude et une grande nervosité de la part des éditeurs et des diffuseurs français, qui pensaient que c'était la fin de l'exception culturelle française et que Netflix allait devenir le canal de diffusion du courant majoritaire culturel anglo-saxon. Je me souviens de montants d'investissement dans les contenus et la création de l'ordre de 7 à 10 milliards d'euros par an, soit des montants qui n'avaient rien à voir avec ce que pouvaient investir des acteurs économiques français.

Finalement, conscients de cette puissance économique, les gouvernements successifs et l'Union européenne ont fait en sorte d'imposer des obligations à ces plateformes, notamment d'investissement dans le financement de la création. Ils n'ont pas établi une parfaite égalité du terrain de jeu mais cela a permis de mettre les plateformes à contribution pour financer la création, y compris française. Le raz-de-marée craint n'a pas eu lieu. Il est réel en matière de nombre d'abonnements et de profondeur des catalogues proposés par ces plateformes. Il l'est aussi dans la difficulté des opérateurs français à proposer des alternatives nationales. On peut dire, en le regrettant, que, malgré des initiatives très intéressantes, comme LaCinetek, à destination de publics de niche, les acteurs français n'ont pas vraiment été capables de proposer une autre voie face à ces grosses plateformes américaines. Le bilan est donc mitigé. Je regrette l'absence d'émergence d'un acteur européen susceptible de concurrencer ces plateformes, tout en ayant la satisfaction d'avoir réussi, au niveau européen et français, à mettre à contribution ces plateformes dans le financement de la création.

Je rappelais, dans mon propos liminaire, qu'une loi avait été votée pour modifier la procédure de nomination des présidents non seulement de France Télévisions mais de tout l'audiovisuel public. C'était un engagement de campagne du candidat Hollande. Cette loi a été votée le 15 novembre 2013. Elle prévoyait que c'était le Conseil supérieur de l'audiovisuel qui nommait le président de France Télévisions et non plus le Président de la République. Nous avions, en revanche, pensé qu'il était légitime et utile que le Gouvernement définisse la feuille de route de France Télévisions et que cela ait lieu en amont de la nomination, afin que les candidats puissent connaître en toute transparence le cadre dans lequel leur candidature s'inscrivait et leur pertinence serait appréciée.

Imaginer que le Président de la République, qui avait souhaité cette loi, ait pu faire pression dans un sens comme dans l'autre, en conseillant ou en déconseillant des individus particuliers, me paraît très difficile. Connaissant François Hollande, je peux même complètement l'exclure. Je ne dis pas que M. Schrameck a menti sous serment, mais que ce à quoi il a voulu faire référence, c'est au fait que le Président de la République avait fixé un cadre dans lequel les candidats à un mandat public ne devaient pas être des présidents ou des directeurs généraux en charge d'établissements publics qui venaient d'être nommés ou de voir leur mandat renouvelé. Cela n'est pas de bonne gestion, car cela oblige à jouer aux chaises musicales et à procéder à des nominations en cascade.

François Hollande avait donc dit, publiquement je pense, qu'il ne souhaitait pas que des personnes en poste dans des établissements publics culturels soient candidats, lors d'un appel à candidatures, pour un autre établissement public culturel. M. Schrameck a dû en déduire que cela rendait inéligibles un certain nombre de candidatures. Je pense que c'est à cela qu'il a voulu faire référence. Mais je ne pense pas du tout que cela puisse être assimilé en aucune manière à une pression – le terme n'est certainement pas adéquat.

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C'est vrai que cette règle visant à empêcher les candidatures de ceux déjà en poste à des fonctions de direction d'établissements publics n'était pas présente dans la loi et qu'elle mettait de côté deux candidats qui n'ont pas été auditionnés.

Madame la ministre Roselyne Bachelot, vous qui êtes notamment chez RTL et BFM TV, je vais vous parler du pluralisme. Imaginons que, dans trois ans, je ne sois pas réélu et que je souhaite aller sur des plateaux de télévision. Comment l'Arcom doit-elle me définir ? Est-ce que je reste une personnalité politique, même si je n'ai plus ma carte dans un parti ? Cette question du fichage est très difficile. L'Arcom et Reporters sans frontières nous ont bien dit que l'on n'allait pas vers un grand catalogage ou fichage.

Mais il me semble, et ces propos m'appartiennent, que vous faites partie des victimes collatérales de tout ceci, puisque votre temps de parole sera de nouveau décompté. Ce principe, qui voudrait que les interventions de personnalités qui ont été en politique à un moment donné soient comptabilisées presque à vie, montre toute la dangerosité du système. Quel est votre sentiment sur ce sujet qui vous concerne doublement ? Je sais que c'est aussi très compliqué pour l'Arcom, qui organise des rendez-vous avec les personnes concernées pour savoir dans quelle mesure elles souhaitent participer à de nouvelles élections ou comment elles se projettent.

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Roselyne Bachelot, ancienne ministre de la culture

J'ai été éberluée – le mot est faible –, j'ai été indignée par cette catégorisation qui m'a été imposée. Je ne savais pas que, parmi les missions de l'Arcom, figurait la recherche académique sur les sensibilités et les idéologies politiques. Et j'aimerais savoir quelle est la matrice de la réflexion qui a conduit à désigner une catégorie divers droite. Jamais je n'ai été sollicitée pour échanger avec l'Arcom sur le fait d'avoir été ainsi fichée. J'ai simplement reçu un coup de téléphone d'une collaboratrice de l'Arcom qui m'a signalé que j'étais classée dans cette catégorie divers droite, au motif que j'étais une personnalité politique de première importance. Timeo Danaos et dona ferentes ! – Je crains les Grecs, même quand ils apportent des cadeaux !

On arrive à une incongruité totale : on a l'impression que l'on a réuni, dans un sac poubelle ou dans un placard aux supplices, des gens qui n'ont strictement rien à voir les uns avec les autres. C'est ainsi qu'à ma stupéfaction je suis classée dans la catégorie divers droite avec M. Philippe de Villiers. Autant j'ai la plus grande considération pour M. Philippe de Villiers, acteur incontournable de la vie économique et culturelle de ma chère région des Pays de la Loire, autant sur l'ensemble du champ de la sensibilité et de l'idéologie politiques, je n'ai rien à voir avec lui. Et puisque cette démarche est justifiée par la proximité des élections européennes, je ne rappellerai pas que nous avons conduit, en 2004, deux listes européennes différentes et fortement opposées sur des questions de fond. Je ne veux même pas évoquer les sujets sociétaux qui m'opposent à Philippe de Villiers ; ils sont connus de l'opinion publique.

La simple description de cette affaire déconsidère complètement la démarche qui voudrait ficher des éditorialistes dans une catégorie quelconque. Je signale par ailleurs que, depuis douze ans, je ne suis membre d'aucun parti politique. Et encore faudrait-il que l'on compte, dans mes déclarations sur BFM TV, le nombre de fois où je ne suis pas d'accord avec M. Macron et celui où je vais être d'accord avec lui, tout en considérant que, dans la même phrase, j'ai peut-être émis une nuance… Quand j'ai appris ce fichage par l'Arcom, je me suis dit que j'allais envoyer à son président une lettre saignante. Mais, puisque je voulais vous réserver la primeur de mes propos, je considère avoir dit à l'Arcom tout le mal que j'en pensais.

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Ce classement commun avec Philippe de Villiers est en effet plus que surprenant !

Madame Abdul-Malak, notre système de chronologie des médias est unique, et justifié en partie par la présence d'un groupe privé fort, avec un haut niveau d'investissement dans le cinéma. Ce mécanisme intègre la vidéo à la demande, les chaînes de télévision et la TNT, qui fait l'objet de cette commission d'enquête. Comment voyez-vous son avenir ? La stabilité vous paraît-elle une bonne chose ? Faut-il aller plus loin que trois ans ? L'inclusion des plateformes comme Netflix est une avancée. Même la Commission européenne a souligné que la France demande plus aux plateformes que les autres pays européens : c'est ainsi que nous pouvons faire vivre la création française.

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Rima Abdul-Malak, ancienne ministre de la culture

La chronologie des médias, qui peut paraître complexe, reflète nos spécificités, qui font la force de notre modèle, à commencer par l'importance des salles de cinéma : nous disposons d'un tissu inégalé de salles qui sont autant de leviers d'attractivité culturelle et économique de nos territoires, et qu'il faut préserver. La présence d'un acteur privé déterminant dans le financement du cinéma comme Canal+ est une autre spécificité, qui justifie une place particulière dans la chronologie des médias. Nous avons réussi à faire entrer les plateformes dans ce modèle : elles sont devenues des partenaires de notre modèle de financement. Certes, elles jouissent d'une hégémonie mondiale, mais en Europe et en France, elles peuvent aussi être des partenaires de la création : non seulement nous les taxons, mais nous leur imposons des obligations de financement de la création, à hauteur de 20 % de leur chiffre d'affaires. Il me semble dès lors justifié qu'elles entrent plus tôt dans la chronologie des médias, comme cela a été fait. Cette évolution, qui a exigé de longues concertations avec tous les segments du secteur – Mme Bachelot peut en témoigner –, a abouti à un schéma à mon sens assez juste.

Quand je suis arrivée à la tête du ministère, Disney menaçait de ne plus sortir ses films en France : à ma demande, le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) a engagé de nouvelles discussions, qui ont abouti à un accord entre Disney d'un côté et TF1, M6, France Télévisions, les grandes chaînes de la TNT… de l'autre.

Il reste des ajustements à apporter : cette chronologie ne doit pas être figée. Le sens de l'histoire est sans doute qu'elle avance un peu, peut-être d'un mois – la fenêtre de la vidéo à la demande peut se discuter. Mais il faut aussi se laisser un temps de stabilité : les évolutions ont été nombreuses, il faut en dresser le bilan avant d'envisager la suite. Je fais entièrement confiance aux différents acteurs, notamment le CNC, et à la nouvelle ministre de la culture pour mener ces travaux.

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Merci pour ces propos, qui nous permettent de mesurer la profondeur historique des sujets que nous traitons. Vous me pardonnerez de revenir à des considérations immédiates.

Madame Abdul-Malak, dans une interview au Monde du 16 janvier 2023, vous faisiez part de votre souhait de « responsabiliser les présentateurs, les chroniqueurs, mais aussi les patrons de chaînes, pour leur rappeler que l'autorisation d'utilisation gratuite de leurs fréquences s'accompagne d'obligations, comme celle de traiter les affaires judiciaires avec mesure, celle de respecter le pluralisme des opinions, etc. » Et vous ajoutiez : « Lorsqu'on arrivera, en 2025, au moment de l'analyse de leur bilan pour la reconduction de leurs autorisations de diffusion, l'Arcom saura regarder comment elles ont respecté ces obligations. »

Pouvez-vous rappeler dans quel contexte vous avez fait cette déclaration, et le cas échéant préciser votre propos ?

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Rima Abdul-Malak, ancienne ministre de la culture

Le contexte est essentiel, en effet. Au moment où je suis nommée ministre en mai 2022, le sujet de la concentration des médias et de son impact sur la démocratie occupe largement les débats parlementaires. Quelques mois avant, il y a eu une commission d'enquête au Sénat sur ce sujet. Vivendi avait lancé son offre publique d'achat (OPA) pour prendre le contrôle de Lagardère. Plusieurs mois auparavant, il y avait eu des turbulences à Europe 1 : l'OPA se préparait déjà, des animateurs et des journalistes emblématiques étaient partis, les journalistes s'inquiétaient, des manifestations de l'intersyndicale et de la société des rédacteurs ont eu lieu ; ils disaient tous craindre « l'emprise croissance de Vincent Bolloré ». Au cours de l'été qui a suivi ma nomination, une nouvelle crise survient à Paris Match, avec la une sur le cardinal Sarah qui provoque des protestations de la société des journalistes puis le départ de Bruno Jeudy visiblement licencié à la suite de ces événements. Une motion de défiance contre la direction est votée par 97 % de la rédaction.

Il est évident qu'à la rentrée, où que j'aille, on me demande ce que je pense des événements des mois précédents, puisque cela occupe l'actualité et que cela crée un émoi. La première fois que je suis interrogée, c'est dans l'émission « Quotidien », sur TMC, en septembre.

L'automne apporte son lot de nouveaux dérapages dans l'émission « Touche pas à mon poste ! » (TPMP) de Cyril Hanouna, sur C8 : le 5 octobre, les insultes à l'encontre d'Anne Hidalgo ; le 18 octobre, les propos de Cyril Hanouna concernant le meurtre de la jeune Lola ; le 10 novembre, ce que l'on appelle désormais l'affaire Louis Boyard, qui crée beaucoup d'émotion.

Au mois de décembre, je suis interviewée par Le Parisien. J'ai toujours pris soin de bien préciser les rôles de chacun et notamment de l'Arcom – je l'ai vérifié avant de venir vous répondre. Le journaliste du Parisien me demande si je crois l'Arcom impuissante et ce que je pense de cette succession de dérapages. Vous noterez qu'à chaque fois, je n'ai fait que répondre aux journalistes : je n'ai jamais fait de tribune, ni même de tweet ; je n'ai pas pris la parole spontanément pour donner mon avis.

Voici ce que je dis au Parisien-Aujourd'hui en France : « L'Arcom dispose déjà d'une large palette de sanctions pour agir, définie par la loi, qui vont de l'amende au retrait d'autorisation de la chaîne, en passant par la suspension du programme. Faut-il renforcer encore ce cadre ? Les états généraux du droit à l'information permettront de discuter d'éventuelles évolutions législatives. C8 a déjà été sanctionnée. Quand Cyril Hanouna insulte un invité de son émission, qu'il soit élu ou non, quand il appelle à une justice expéditive dans l'affaire Lola, c'est à la justice et à l'Arcom de se prononcer. Mais ce sont des processus longs ; le temps de la justice ne peut pas être un temps expéditif. C'est ce qui fait que nous sommes dans un État de droit. Pour ma part, je condamne fermement ces propos ! Et c'est le rôle de l'Arcom de renouveler les autorisations des chaînes. […] Lorsque l'Arcom délivre une autorisation de diffusion sur la TNT, cette autorité étudie les demandes en prenant en compte le comportement passé ou encore le projet éditorial. Des règles existent, notamment une obligation de traiter les affaires judiciaires avec mesure. Lorsque l'échéance arrivera, l'Arcom examinera le respect des règles sur l'ensemble des années passées… C'est le travail du régulateur, pas celui du Gouvernement. Le ministère de la culture ne peut pas sanctionner ou censurer tel ou tel programme : ce n'est pas notre rôle. » J'ai cité longuement cette interview parce qu'elle en a déclenché d'autres, sur lesquelles je ne reviendrai pas : vous le constatez, je n'ai fait que rappeler le cadre du renouvellement des fréquences, les obligations des chaînes de la TNT et le rôle de l'Arcom. Cela a été ma ligne constante.

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Le sujet ne s'est en effet pas épuisé. Dans un communiqué, le groupe Canal+ s'est déclaré « profondément choqué » de vos déclarations, ajoutant : « En laissant à nouveau entendre que les licences de nos chaînes ne mériteraient pas d'être renouvelées en 2025 alors même qu'elle se refuse de commenter la procédure de renouvellement d'autres acteurs de l'audiovisuel, Mme la ministre prend parti, sort de sa réserve et ne respecte pas l'indépendance de notre régulateur. » Le président du directoire du groupe Canal+, Maxime Saada, avait même estimé qu' « un ministre ne devrait pas dire ça ».

Considérez-vous que vos déclarations, qui rappelaient le cadre législatif, pourraient être comprises comme une influence indirecte que vous exerceriez sur l'Arcom ?

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Rima Abdul-Malak, ancienne ministre de la culture

Non. Si je vous ai relu en détail l'interview du Parisien, c'est pour montrer à quel point j'ai pris soin de respecter l'indépendance de l'Arcom et de séparer son rôle de celui du Gouvernement. Peu de temps après mon interview sur France Inter au mois de février, l'Arcom a infligé à C8 une sanction de 3,5 millions d'euros à la suite de l'affaire Louis Boyard : peut-être a-t-il alors paru nécessaire de détourner les regards pour ne pas affronter ce sujet. Mais mon rôle n'était pas d'entrer dans un débat sur ce sujet avec Canal+ ou avec le groupe Vivendi. Vous pouvez reprendre toutes mes déclarations : à aucun moment je n'ai dit souhaiter que l'Arcom retire des fréquences à qui que ce soit. Je n'ai jamais pensé cela, je ne l'ai jamais dit. J'ai seulement dit que l'Arcom ferait son travail, ce qui sera le cas.

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Ces déclarations vous ont valu ce qui a pu être considéré comme une riposte concertée : en une semaine, les médias du groupe Vivendi vous ont consacré trente-six sujets et débats sur C8 et CNews ; il y a eu plusieurs articles, dans Le Journal du dimanche et dans Paris Match notamment, et une campagne de publicité élaborée par l'agence Havas sur la liberté d'expression. Les sociétés des journalistes de Paris Match et du JDD s'en sont émues, considérant qu'il fallait voir là une réponse coordonnée.

Estimez-vous avoir fait les frais d'une campagne de dénigrement personnel de la part des médias du groupe Vivendi ? Si oui, considérez-vous qu'il faudrait parler d'intimidation politique ?

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Rima Abdul-Malak, ancienne ministre de la culture

Non. Je ne me suis pas sentie intimidée. Je n'ai aucun moyen de prouver ce que vous dites : je ne peux donc rien affirmer. En revanche, j'ai vu que les sociétés des journalistes elles-mêmes ont parlé de réponse coordonnée. Des médias ont fait les comptes des plateaux qui m'attaquaient et qui déformaient mes propos. Je le constate.

Ce qui m'intéresse, ce n'est pas tant le commentaire de ce que disent les journalistes – mon respect pour eux me laisse tout de même imaginer que les articles et les éditoriaux sont uniquement guidés par leurs convictions – mais le constat que l'affaire a rebondi politiquement, notamment au Parlement. Il est ainsi intéressant que certaines formules – je serais dans une dérive totalitaire, je voudrais censurer la liberté d'expression – aient été reprises par des parlementaires, notamment le sénateur Reconquête Stéphane Ravier. Une phrase m'a marquée : il me traitait de « ministre de la censure », ajoutant : « La chaîne C8 collectionne, elle, près de 6,7 millions d'euros d'amende depuis six ans pour, disons-le, “non-respect de l'idéologie dominante” ». Le cadre légal des obligations des chaînes devient une idéologie dominante dont il faudrait s'affranchir ! C'est grave. La liberté d'expression ne permet pas d'insulter un député, ou qui que ce soit d'ailleurs : l'injure publique est un délit. La liberté d'expression, ce n'est pas de qualifier d'assassin, de voleur, de violeur les mineurs isolés : dans la République, dans la nation des droits de l'homme, le racisme n'est pas une opinion mais un délit. La liberté d'expression, ce n'est pas non plus de prendre la main d'une chroniqueuse pour la mettre sur son sexe sans l'avoir prévenue et sans avoir recueilli son consentement : cela, c'est, aux termes du code pénal, une agression sexuelle. Je ne cite que trois exemples, au sein de la longue liste de mises en garde, de mises en demeure et autres sanctions prises par l'Arcom à l'encontre de C8 et de CNews.

Si d'autres chaînes avaient connu le même type de dérapages, et reçu les mêmes sanctions, j'en aurais parlé de la même manière. Il se trouve que j'avais regardé : au cours des années précédentes, il n'y a eu aucune intervention de l'Arcom à l'encontre de TF1 et de M6, deux à l'encontre de France Télévisions. À l'époque, j'avais parlé d'une vingtaine d'interventions à l'égard de C8 et CNews, mais je m'étais trompée : on était déjà plus proches de trente ou quarante. Comment se fait-il que deux chaînes forcent si souvent le régulateur à intervenir ? Comment se permettent-elles si souvent de ne pas respecter la loi et leurs obligations ? Que ce non-respect de la loi soit transformé dans le débat public, par un sénateur, en « non-respect de l'idéologie dominante », c'est là le point le plus grave et qui doit être signalé à votre commission d'enquête.

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Vincent Bolloré a rencontré Emmanuel Macron en septembre 2023. Vous étiez encore ministre de la culture. Avez-vous été informée de cette rencontre ? Connaissez-vous la teneur de leurs échanges ? A-t-il été question de la TNT et du renouvellement des autorisations ?

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Rima Abdul-Malak, ancienne ministre de la culture

Je n'étais pas au courant de ce rendez-vous ; je l'ai appris dans l'article du Monde paru au mois de décembre.

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Un membre du pouvoir exécutif vous a-t-il, à un moment quelconque, demandé d'influencer, ou de tenter d'influencer, la procédure d'attribution et de renouvellement des autorisations ?

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Rima Abdul-Malak, ancienne ministre de la culture

Absolument pas. Cette décision ne relève pas du ministère de la culture.

J'étais ministre de la culture au moment où la fréquence de M6 a été remise en jeu : je n'ai reçu aucun des candidats, ni échangé avec eux dans le cadre de cette procédure. Je n'en ai pas parlé avec l'Arcom, je n'ai pas donné mon avis. Je n'en ai parlé ni avec l'Élysée, ni avec Matignon, ni avec aucun de mes collègues du Gouvernement, puisque cela ne relevait pas de nous. Je n'ai eu aucune consigne à ce sujet. Il en est allé de même pour les autres fréquences concernées par l'appel à candidatures qui fait l'objet de votre commission.

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Ce serait illégal, évidemment, mais serait-il possible à un ministre de la culture d'influer sur le processus de renouvellement des autorisations ?

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Rima Abdul-Malak, ancienne ministre de la culture

Ce n'est ni possible, ni souhaitable.

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Savez-vous, ou le pensez-vous, s'il existe un lien entre le fait que vous n'ayez pas été reconduite dans vos fonctions de ministre et la rencontre de Vincent Bolloré et d'Emmanuel Macron ?

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Rima Abdul-Malak, ancienne ministre de la culture

Nous nous battons tous ici contre le complotisme qui mine notre démocratie : ce type de question, qui relève de la politique fiction, pourrait laisser penser que votre commission est gagnée par ce fléau !

Plus sérieusement, la réponse est non. Si ce rendez-vous a eu lieu, imaginez-vous le Président et Vincent Bolloré discuter d'un remaniement qui aurait peut-être lieu en janvier ? Les imaginez-vous composer ensemble un gouvernement ? C'est absurde, enfin ! C'est impossible, je ne peux pas l'imaginer.

Mes déclarations ont été faites pour la plupart avant l'été, or il y a eu un remaniement en juillet 2023 : si elles avaient déplu en haut lieu, si on avait eu quelque chose à me reprocher, pourquoi aurais-je été reconduite à ce moment ? Si on cherche des liens, cherchons jusqu'au bout, et on se rendra compte que la logique n'est pas celle-ci. Ni le Président de la République, ni la Première ministre n'ont formulé de réserves au moment où je me suis exprimée : à chaque fois, je le redis, je n'ai fait que rappeler la loi et les obligations qui s'imposent. Le reste, c'est de la politique fiction.

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Vous évoquez un remaniement en juillet 2023, mais la rencontre entre Vincent Bolloré et le Président de la République a eu lieu au mois de septembre. Il n'y a pas forcément de lien, mais la question me paraît légitime, même si nous n'avons pas forcément la réponse.

Pouvez-vous confirmer qu'au moment du rachat du Journal du Dimanche (JDD), la question de l'éventuelle expression des ministres dans la nouvelle formule de ce journal s'est posée, et qu'elle a été traitée au niveau de Matignon ?

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Rima Abdul-Malak, ancienne ministre de la culture

J'ai cherché dans mes notes : au cours de l'été, nous n'avons pas discuté de ce sujet. En revanche, un séminaire gouvernemental s'est tenu début septembre. Le Président de la République et la Première ministre avaient mis les questions de communication à l'ordre du jour. Nous avions ainsi parlé de TikTok, qui ne respectait pas les règles de protection des données et qui faisait l'objet de débats européens nourris, mais aussi du JDD. Le Président a dit – je ne me rappelle plus ses mots exacts – que chaque ministre était libre de s'exprimer là où il l'estimait pertinent, et que s'exprimer dans tel ou tel média ne signifiait pas valider la stratégie de l'actionnaire. La consigne, s'il devait y en avoir une, c'était plutôt de ne rien exclure.

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Il est inhabituel de vous entendre ensemble, et de profiter d'une telle profondeur de champ et hauteur de vue. J'aimerais vous interroger sur un sujet très proche de celui de la commission d'enquête : celui de l'avenir de l'audiovisuel public, dont nous avons tant besoin. Pourriez-vous nous donner votre point de vue sur la réforme de sa gouvernance et sur les modalités de pérennisation de son financement pour lui garantir stabilité et sécurité ?

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Rima Abdul-Malak, ancienne ministre de la culture

Les échanges sur ce sujet ont été nombreux et riches, au Sénat comme à l'Assemblée nationale, tout au long de la période durant laquelle j'étais ministre. Nous sommes, je crois, tous d'accord sur le fond : un audiovisuel public fort est indispensable dans le contexte actuel, et face à la concurrence des plateformes ; il est aussi nécessaire de renforcer ses missions de service public, dans différentes directions : la jeunesse ; le numérique ; la proximité, avec le rapprochement des forces de France 3 et de France Bleu. Il faut aller vers une information encore plus fiable, encore plus approfondie, d'une qualité encore meilleure. Les investissements dans la création, comme la place du sport – spécificité du service public –, doivent être maintenus.

La nécessité de rapprochement sur certains champs prioritaires a toujours fait l'objet d'un certain consensus. Mais le chemin pour y arriver a été source de débats. Je m'autoriserai à citer Mme Roselyne Bachelot, car mon travail s'est placé dans la continuité du sien. Entendue par la commission des affaires culturelles du Sénat au sujet du budget pour 2022, elle déclarait : « La holding avait pour objectif d'améliorer les coopérations entre les sociétés de l'audiovisuel public mais je pense que ces coopérations peuvent être mises en œuvre sans structure chapeau, qui aurait été source de conflit et de dépenses supplémentaires – président, directeur, secrétaires, frais de fonctionnement, etc. Par ailleurs, elle était rejetée par l'ensemble des personnels des différents établissements. »

Après avoir poursuivi ces réflexions et organisé une grande concertation sur la gouvernance et les missions de l'audiovisuel public, j'en suis arrivée à la même conclusion : tout ne peut pas toujours être rapproché. Sur le numérique, ainsi, on voit que la BBC a décidé de séparer à nouveau sa plateforme audio de sa plateforme vidéo. La proposition de loi relative à la réforme de l'audiovisuel public et à la souveraineté audiovisuelle de Laurent Lafon comme le rapport de la mission d'information sur l'avenir de l'audiovisuel public présidée par Jean-Jacques Gaultier et rapportée par vous, monsieur le président, ont été de nouvelles sources de réflexion. Vous le savez, puisque j'ai répondu plusieurs fois à vos questions : j'estime qu'une holding, préalable ou pas à une fusion, n'est pas indispensable ; des rapprochements sont à mon sens possibles par le bas, en faisant confiance aux équipes et en fixant des objectifs précis, en inscrivant des réformes dans les contrats d'objectifs et de moyens, avec une trajectoire sur cinq ans et une enveloppe budgétaire complémentaire accessible sous conditions, comme nous l'avons fait. Nous pensions ainsi arriver à des synergies sans grand meccano institutionnel. J'avais regardé ce qui s'était passé quand France Télévisions est devenue France Télévisions : pour construire cette holding, puis faire la fusion envisagée, il faudrait neuf à douze ans. Face à l'urgence imposée par les réseaux sociaux et l'hégémonie des plateformes, il m'a paru préférable de mettre ce temps et l'énergie nécessaire au service de nos priorités stratégiques.

J'entends que le débat est rouvert ; il est légitime. Je ne suis plus en position d'influencer son cours. Peut-être y a-t-il eu des évolutions qui laissent penser qu'une holding est finalement indispensable parce que les coopérations naturelles mettent du temps à se concrétiser. Je respecte le chemin évoqué par Rachida Dati, puisque nous sommes d'accord, je crois, sur l'objectif final.

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Roselyne Bachelot, ancienne ministre de la culture

J'ai été excellemment citée par Rima Abdul-Malak.

Je suis une vieille bête de la vie politique ; depuis le temps qu'on nous vend des fusions comme devant conduire à des économies et à un meilleur fonctionnement, et qu'on ne voit que des dérives des coûts de gestion des holdings, on ne me la fait plus ! On en parlait sur l'intercommunalité, sur la fusion des régions… On en parle maintenant pour l'audiovisuel public.

On achètera un superbe immeuble, qu'on peuplera avec un président, qui aura une voiture de fonction, des directeurs et des directrices, qui se soucieront de la diversité et de l'égalité entre les hommes et les femmes, des collaborateurs… Et pour cela, on mettra à feu et à sang les sociétés de l'audiovisuel public.

Si quelqu'un avait cette mauvaise idée, et si Mme Abdul-Malak et moi-même pouvions l'en décourager, je n'y verrais que des avantages !

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Il faudra que nous en discutions, madame la ministre, car je suis pour ma part très en faveur de la holding ! La situation a évolué, en effet : les synergies sont toutes à l'arrêt, et on voit les limites de la tutelle de l'État.

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Roselyne Bachelot, ancienne ministre de la culture

Nous n'avons jamais dit que chacun doit courir dans son couloir, qu'il n'y a pas besoin de synergies ! Mais une holding n'est vraiment pas nécessaire.

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Renaud Donnedieu de Vabres, ancien ministre de la culture et de la communication

Nous vivons une période grave : la guerre est en Europe ; un proviseur de lycée est obligé de quitter ses fonctions. Pour moi, la mission de l'audiovisuel public, dans toute sa diversité, est de créer des liens, et, à quelques semaines de l'élection européenne, d'essayer de faire partager aux différents citoyens des différents pays européens, le lien qui les unit.

Je vais être caricatural : chaque minute passée à des réflexions structurelles certainement très importantes mais moins urgentes, moins stratégiques, est une minute passée à ne pas réfléchir, face à la violence de l'air du temps, aux liens, à la paix, au respect, à l'identité de chacun. Revenons-en à l'essentiel et à l'urgence. L'urgence, c'est aujourd'hui le feu qui règne dans les cœurs et les esprits ; elle n'est pas dans les débats de structure.

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Jacques Toubon, ancien ministre de la culture et de la francophonie

Je ne peux qu'être à 200 % d'accord avec ce qui vient d'être dit. Très franchement, et je me permets de le dire comme ancien député, le Parlement ne rendrait pas service au pays en décidant de mettre le doigt dans l'engrenage d'un débat qui serait au mieux superfétatoire, et plus probablement détestable. Mes collègues ont dit très exactement ce qu'il fallait dire – ou alors, cela voudrait dire qu'on n'a aucune idée sur l'audiovisuel, sur son rôle dans la culture, sur les questions de liberté de l'information, de diversité et d'absence de concentration, et qu'on préfère appliquer à toutes ces questions parfois difficiles, douloureuses, un placebo qui s'appellerait la fusion.

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Fleur Pellerin, ancienne ministre de la culture et de la communication

J'ai quitté mes fonctions il y a très longtemps : je ne connais pas de près les discussions qui ont eu lieu et les projets qui ont été évoqués depuis. Je me souviens très bien que la question de la holding se posait déjà à l'époque, pour essayer de dégager des synergies et d'optimiser le financement de l'audiovisuel public dans une période de dégradation du déficit public – encore plus marquée aujourd'hui.

La contribution de l'audiovisuel public à la diversité des opinions et au pluralisme des idées est beaucoup plus importante que des réflexions structurelles dont, comme l'ont dit mes collègues, on n'est absolument pas sûr qu'elles apporteraient les fameuses synergies et ne seraient pas, au contraire, des cataplasmes coûteux. L'adjonction d'étages de gouvernance ne garantirait pas un meilleur fonctionnement, un meilleur respect de ces principes auxquels nous sommes très attachés ni une meilleure utilisation des deniers publics. Je suis donc moi aussi plutôt opposée à ce que l'on perde du temps sur ces questions.

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Jacques Toubon, ancien ministre de la culture et de la francophonie

On s'apprête à fêter les cent cinquante ans de ce qui est considéré comme la naissance de l'impressionnisme. Aurait-on fait à l'époque ce que Monet, Pissarro et les autres ont fait, et grâce à quoi cette date est un événement de l'histoire de l'art au même titre que ce qui s'est passé pendant la Renaissance ou au 1er siècle avant Jésus-Christ, si on s'en était remis à la seule raison et au seul calcul des polytechniciens ?

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Sujet passionnant, mais je vous rassure, mesdames et messieurs les ministres : il ne s'agit pas seulement des polytechniciens ; sans rouvrir le débat, la demande d'une holding émane de trois des quatre patrons des entités publiques concernées, d'une majorité à l'Assemblée et d'une majorité au Sénat. Il faut prendre en compte cette très forte volonté du Parlement.

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Jacques Toubon, ancien ministre de la culture et de la francophonie

Si vous nous demandez de venir pour que nous donnions nos opinions, les voilà. S'il s'agit simplement de vous dire ce que vous avez envie d'entendre…

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Non, sinon je vous l'aurais envoyé avant, monsieur le ministre !

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Il me plaît de pouvoir dire que je suis d'accord avec d'anciens ministres divers droite !

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On aura compris que cette catégorie est très large aux yeux de l'Arcom.

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Jacques Toubon, ancien ministre de la culture et de la francophonie

Ça va jusqu'à divers gauche !

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Sur cette note d'humour, je vais mettre fin à l'audition en vous remerciant, mesdames et messieurs les ministres, de nous avoir accordé de votre temps. C'était très important et précieux pour la commission d'enquête. Je vous propose de compléter nos échanges en répondant au questionnaire qui vous avait été transmis ainsi qu'en nous faisant parvenir tout élément qui vous semblerait utile.

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Renaud Donnedieu de Vabres, ancien ministre de la culture et de la communication

Faut-il répondre à toutes les questions ?

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Seulement à celles qui ont un lien direct avec votre activité de ministres de la culture et, éventuellement, de la communication. Si besoin, le rapporteur reviendra vers vous avec des questions complémentaires.

Notre programme d'auditions touche à sa fin. Nous aurons tenu quarante-quatre auditions. Je remercie le rapporteur, l'ensemble des députés présents et les administrateurs su secrétariat de la commission d'enquête.

La réunion d'examen du rapport devrait avoir lieu le mardi 7 mai à seize heures trente, à huis clos. Le rapport sera consultable par les membres de la commission dans les jours qui précèdent.

La séance s'achève à seize heures cinquante-cinq.

Membres présents ou excusés

Présents. – M. Quentin Bataillon, Mme Constance Le Grip, Mme Sophie Mette, Mme Béatrice Piron, M. Aurélien Saintoul