Intervention de Arnaud Gossement

Réunion du jeudi 11 avril 2024 à 10h00
Commission d'enquête sur le montage juridique et financier du projet d'autoroute a

Arnaud Gossement, avocat :

En ce qui concerne la dérogation espèces protégées, il faut distinguer deux questions. Premièrement, dois-je demander la dérogation à l'interdiction de détruire des espèces protégées ? Si je réponds positivement – ou si l'administration me demande de répondre positivement – je vais déposer une demande d'autorisation de déroger. Se pose alors la seconde question : ai-je droit de le faire, et à quelles conditions ?

Le droit applicable, celui de l'Union européenne, date des années 1970. Dans l'histoire de sa formation, la première question n'a pas été abordée, mais seulement la seconde. Le droit positif comporte des critères permettant de savoir si l'administration peut accorder l'autorisation de dérogation à la destruction d'espèces protégées. Il faut savoir que ce terme de destruction s'étend au simple fait d'approcher une espèce protégée, de la cueillir, bref de perturber son « état de conservation favorable ». Si vous allez sur ce terrain, ce sera passionnant car le principe même de ce droit est contesté par des écologistes qui regrettent que l'on attende qu'une espèce figure sur une liste pour la protéger. Scientifiquement, les notions de vie ordinaire ou d'espèces nuisibles n'ont certainement aucun sens.

Quoi qu'il en soit, s'agissant de la première question, le juge comble un vide. Dans un avis du 9 décembre 2022, le Conseil d'État s'est prononcé de la manière la plus poussée possible pour un juge ; mais il y aurait beaucoup à dire.

Le Parlement est encouragé à créer des régimes de présomption de raison d'intérêt public majeur. On l'a vu lors de l'examen des lois « industrie verte » ou « énergies renouvelables ». Autrement dit, la première des trois conditions de délivrance de la dérogation serait présumée. À mon sens, en faisant cela, vous compliquez la situation.

D'abord parce qu'il s'agit d'une présomption simple, et non irréfragable : la directive indique que cette condition doit être étudiée dans le cadre d'une mise en balance des intérêts. Même si l'on présume que le porteur de projet a une raison d'intérêt public majeur, cette présomption pourra donc être combattue devant le juge.

Ensuite, si l'on dit au juge de moins se préoccuper de la première condition, il va se tourner vers les deux autres, dont ce que l'on appelle les solutions alternatives. Or, on le voit dans votre dossier, ce point est très compliqué car le droit ne nous dit pas ce que cela signifie. Concrètement, le porteur de projet va là où il y a du foncier. C'est aussi selon ce critère que s'est construit le parc nucléaire français, et non simplement en fonction des paramètres météorologiques, climatiques, etc. Dans ce contexte, que veut dire une solution alternative ? Faut-il comparer un projet routier à un autre projet routier, à un projet cyclable, à l'absence de projet ? Le droit ne répond pas à cette question et c'est l'administration qui doit s'en dépatouiller au cas par cas.

Pour en revenir à la dérogation espèces protégées, cela ne me choque pas qu'autant d'espèces soient concernées dans le cas de l'A69. Même pour un parc éolien, le nombre peut atteindre plusieurs dizaines.

Quoi qu'il en soit, le cadre juridique actuel n'est pas satisfaisant et on est en train de le compliquer sous couvert de le simplifier.

En ce qui concerne la planification, le géographe Rémi Bénos a confirmé à votre commission d'enquête, lors de son audition, que l'autoroute n'apparaît pas sur les documents de planification, dont le Sraddet ; mais celui-ci n'a pas pour première vocation de programmer les projets d'infrastructures linéaires de transport. Cela relève surtout des contrats de plan.

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