Commission d'enquête sur le montage juridique et financier du projet d'autoroute a

Réunion du jeudi 11 avril 2024 à 10h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • a69
  • administratif
  • autorisation
  • dérogation
  • environnementale
  • espèce
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La réunion

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La séance est ouverte à dix heures.

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Chers collègues, nous achevons notre cycle d'auditions consacrées au volet environnemental de l'autoroute A69. Je suis heureux de recevoir deux confrères, Mme Pauline Leddet-Troadec, avocate, présidente du Cercle interprofessionnel du droit de l'environnement, et M. Arnaud Gossement, avocat, professeur associé à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, qui a fréquemment participé à des auditions parlementaires.

Mme Christine Arrighi, rapporteure, a proposé de vous auditionner afin de réfléchir, avec le concours de votre expérience professionnelle, aux relations qu'entretiennent le droit de l'environnement et la société, tout en demeurant au cœur du débat soulevé par l'autoroute A69.

Cet ouvrage a été approuvé par une majorité d'élus issus du suffrage universel, dont les positions ont été confortées par la majorité de leurs électeurs depuis trente ans. Il respecte strictement le principe de légalité, ayant fait l'objet d'une déclaration d'utilité publique (DUP), d'une attribution de concession après appel d'offres européen, et d'une autorisation environnementale. L'ensemble de ces actes ont été précédés des consultations prévues par la loi, notamment de celles de l'Office français de la biodiversité (OFB), du Conseil national de protection de la nature (CNPN) et de l'Autorité de régulation des transports (ART). Les recours en justice sont allés à leur terme.

Or, à l'instar de plusieurs projets d'infrastructure, cet ouvrage suscite des oppositions. Certaines s'expriment de manière calme et démocratique, comme dans le cadre de cette commission d'enquête ; d'autres donnent lieu à des intimidations, à des agressions contre des élus ou des employés d'Atosca, voire à des occupations illicites sous la forme de zones à défendre (ZAD).

Ce phénomène, qui n'est pas propre à l'A69, témoigne de plusieurs difficultés : un rejet des institutions au sein d'une partie, sans doute minoritaire, de nos concitoyens, alors que le projet a fait l'objet d'un débat public et d'une enquête publique, en application de la Charte de l'environnement, qui a valeur constitutionnelle ; et la complexe définition de l'intérêt général quand l'environnement est en jeu.

Nous avons tout intérêt à mieux aménager ce territoire, à le désenclaver, à le rendre plus attractif, à le dynamiser, à sécuriser les mobilités routières, sans écarter le moins du monde les équilibres écologiques, le projet ayant reçu une autorisation environnementale. Cependant les opposants au projet font valoir comme principal argument qu'il serait d'un autre temps. M. Bruno Charlier, professeur d'université, a ainsi recensé 1 800 conflits d'usage en trente ans dans des domaines variés, notamment les infrastructures, ce qui met globalement en cause la politique d'aménagement.

Vous nous indiquerez au préalable si vous avez été avocat ou conseil d'une partie prenante du chantier de l'autoroute A69 – il est important que nous en soyons tous informés.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Pauline Leddet-Troadec et M. Arnaud Gossement prêtent successivement serment.)

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Je vous remercie de participer à notre commission d'enquête. Si l'un de vous travaille davantage avec une clientèle privée et l'autre avec des personnes de droit public, vous réfléchissez tous deux aux rapports entre le droit et la société. Par-delà la question des conditions juridiques et financières du projet de l'A69, nous souhaitions élargir la perspective pour bien comprendre la situation.

Monsieur Gossement, vous avez rédigé en octobre 2023 une tribune où vous exposez le paradoxe de l'A69, ouvrage autorisé en vertu du droit de l'environnement et critiqué au nom de la protection de l'environnement – nos collègues de la commission en ont été destinataires. Cet article énonce ce que nos auditions permettent d'entrevoir : la légalité a certes été respectée, aucune entorse majeure n'ayant été relevée à ce stade ; mais un projet peut être légal tout en se fondant sur des hypothèses fragiles et des études incomplètes, voire contradictoires, car la loi qui impose de recourir à des consultations permet de ne pas suivre obligatoirement leurs conclusions. Cela illustre la place que le législateur accorde au droit de l'environnement.

Les actes juridiques relatifs à l'A69 se structurent autour de la DUP, de la mise en concession et de l'autorisation environnementale. Les décrets ou arrêtés afférents ont été précédés de la consultation de divers organes, qui ont pour certains rendus un avis négatif ou émis de fortes réserves. Ce ne sont cependant que des organes consultatifs, dont les avis sont destinés à l'État, lequel demeure libre de les suivre ou non, comme je viens de le dire. C'est sans doute là l'origine d'un premier décalage avec nos concitoyens : ils ne peuvent comprendre que, en matière environnementale, l'État puisse passer outre l'avis d'organismes qu'il s'est lui-même, par sa législation, obligé à saisir.

Il arrive même que l'État passe outre les lois qui assurent la protection de certains lieux, comme cela s'est passé à la Crémade. En l'occurrence, le rejet de l'institution se situe plutôt du côté de l'État que de ceux qui ont protégé la nature : le préfet est intervenu sans en avoir l'autorisation, le bois n'ayant pas été déclassé.

L'un des critères d'un régime démocratique est la compréhension des décisions publiques par les citoyens. En l'espèce, même si de nombreux débats publics ont été tenus, comment nos concitoyens peuvent-ils appréhender la complexité de la procédure sans être juristes ?

C'est ce lien entre le droit et la société que je souhaite analyser au regard de la procédure applicable à l'A69, qui concerne de nombreuses infrastructures lourdes. La chronologie des différents actes semble problématique, notamment la postériorité de l'autorisation environnementale par rapport à la DUP : une fois cette dernière publiée, les jeux paraissent faits. La preuve en est que M. le président ne cesse d'évoquer l'arrêt rendu par le Conseil d'État le 5 mars 2021, alors que le contrat n'était pas encore signé, que l'arrêté interpréfectoral ouvrant l'enquête publique date du 4 novembre 2022, que celle-ci s'est déroulée du 28 novembre 2022 au 11 janvier 2023 – soit à peine plus d'un mois, en période de Noël – et que l'arrêté interdépartemental qui clôt l'affaire, sans tenir compte des réserves ni des changements de méthodologie de la valeur actualisée nette socio-économique (VAN SE), date du 1er mars 2023. Comment les citoyens peuvent-ils s'y retrouver, et comment le droit peut-il s'appliquer quand tout est censé se passer avant mais que, en réalité, tout se passe après ?

Un questionnaire vous a été adressé ; il a également été communiqué à l'ensemble des membres de cette commission, car je tiens à en faire un lieu de débat démocratique. Je vous propose de le suivre autant que possible pour la bonne compréhension de l'audition, avant que nous en venions aux questions.

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Pauline Leddet-Troadec, avocate, présidente du Cercle interprofessionnel du droit de l'environnement

Je vous remercie pour votre invitation. À titre liminaire, je précise que j'interviens seulement en ma qualité d'avocate environnementaliste et non en tant que présidente du Cercle interprofessionnel du droit de l'environnement, ce réseau n'ayant pas vocation à porter un message ou à défendre un point de vue.

Il y a une différence fondamentale entre la légitimité d'un projet et sa légalité, et ce n'est pas mon rôle de m'exprimer sur la légitimité d'un grand projet d'infrastructure tel que l'autoroute A69. Je suis en revanche ravie d'apporter mon éclairage purement juridique. À cet égard, j'ai bien pris connaissance du questionnaire, très fourni, que vous m'avez transmis. Je reviendrai sur trois points.

Le premier concerne la possibilité de retirer un projet. Plusieurs questions tendaient à savoir si l'on pouvait retirer un projet une fois que la déclaration d'utilité publique était publiée. En ce cas, il faut distinguer deux hypothèses.

Quand le projet a obtenu les autorisations – DUP, autorisation environnementale, etc. – son retrait demeure possible par la voie du contentieux. Nous nous trouvons à cette étape concernant l'A69. Il appartient alors au juge administratif de se prononcer sur la légalité du projet, et non sur sa légitimité. Sur ce point, pour répondre à l'une de vos questions, la lenteur de la justice ne me paraît pas être la cause du décalage entre la légalité d'un projet et la contestation qu'il peut susciter, dans la mesure où, par essence, la contestation naît avant que le projet fasse l'objet d'un recours. Le contentieux est l'une des conséquences de la contestation, il n'en est pas l'origine.

On peut toutefois s'interroger sur l'absence d'effet suspensif des recours. En effet, la contestation s'accentue quand les travaux démarrent avant que le jugement au fond ne soit rendu. Pour autant, l'absence d'effet suspensif reposant sur un principe fondamental du droit administratif, la présomption de légalité de l'acte administratif, il ne me semble pas pertinent de la remettre en cause. Nous pourrions cependant envisager un régime spécial de contentieux au fond pour ce type de grands projets d'infrastructure, avec un délai contentieux beaucoup plus court que ce que les juridictions administratives sont en mesure de faire actuellement – c'est déjà le cas pour certains permis de construire, sur lesquels le tribunal administratif est censé se prononcer dans un délai de neuf mois. C'est une piste de réflexion.

Si le projet est validé par le juge du fond, les voies de recours sont purgées. Le retrait du projet n'est dès lors plus possible compte tenu du principe de sécurité juridique, qui implique qu'un projet légalement autorisé et validé par les juges ne peut être remis en cause. Ce principe fondamental du droit administratif permet d'apporter une stabilité importante, voire essentielle, dans un État de droit : toute personne, vous comme moi, en a besoin dans sa vie de tous les jours ; c'est d'autant plus vrai pour un porteur de projet, qui doit disposer d'une visibilité sur le long terme pour s'engager dans un grand projet d'infrastructure.

Dans cette hypothèse, seule une décision politique peut entraîner le retrait du projet. Notre-Dame-des-Landes en est un exemple, et le tribunal administratif a rendu hier un jugement examinant l'engagement de la responsabilité de l'État pour faute à raison de ce retrait. Cette décision politique peut en effet emporter des conséquences pécuniaires importantes pour l'État.

Le deuxième point concerne l'indépendance des législations, qui relève d'une logique similaire à celle du principe de sécurité juridique. En vertu de ce principe jurisprudentiel, édicté par le Conseil d'État en 1959 dans un arrêt Sieur Piard, la légalité des autorisations délivrées au titre d'une législation ne peut pas être contestée sur le fondement d'une autre législation. Il n'est ainsi pas possible d'obtenir l'annulation d'un permis de construire en se fondant sur l'absence de dérogation espèces protégées. Il est nécessaire de demander au préfet d'imposer au porteur de projet le dépôt d'une demande de dérogation espèces protégées, et d'attaquer son refus le cas échéant.

Dans le questionnaire, vous évoquiez la pertinence d'un assouplissement. À mon sens, le principe d'indépendance des législations a déjà été beaucoup assoupli par l'instauration de l'autorisation environnementale en 2017. En réunissant plus de dix régimes d'actes administratifs, auparavant tous indépendants les uns des autres, elle facilite l'accès au prétoire à deux titres – je constate bien dans ma pratique qu'il y a un avant et un après 2017.

L'intérêt à agir d'un particulier voisin d'un projet est admis sans difficulté lorsqu'il forme un recours contre une autorisation environnementale alors que, avant 2017, il n'avait intérêt à agir que contre certains des actes délivrés pour le projet, comme l'autorisation installation classée pour la protection de l'environnement (ICPE), mais pas contre une dérogation espèces protégées.

Cet assouplissement concerne aussi les moyens soulevés dans le cadre du contentieux. Depuis 2017, tous les moyens qui pouvaient être invoqués contre les actes fusionnés au sein de l'autorisation environnementale sont opérants. Avant, en vertu du principe d'indépendance des législations, un requérant ne pouvait pas invoquer le non-respect de la réglementation des monuments historiques contre une autorisation de défrichement. Le contentieux en est donc facilité.

Pour terminer je répondrai à votre question sur les dérogations espèces protégées. Depuis que j'ai commencé à pratiquer, je suis sans cesse consultée par mes clients sur ce sujet qui, loin de faiblir, prend de l'ampleur. L'article L. 411-1 du code de l'environnement pose une interdiction stricte de détruire ou de porter atteinte à une espèce protégée ou à son habitat. Des dérogations peuvent être délivrées sous certaines conditions, prévues à l'article L. 411-2. Nous avons tous en tête les trois principales : la dérogation doit être justifiée par une raison impérative d'intérêt public majeur ; il faut démontrer qu'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante ; et la dérogation ne doit pas nuire au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle.

Ces critères de dérogation, cumulatifs, font l'objet d'une application très stricte par le juge administratif. Pour répondre à votre question, madame la rapporteure, je trouve que la jurisprudence du Conseil d'État sur le sujet est certes abondante mais lisible, dans la mesure où elle est assez constante. Elle a d'ailleurs une conséquence importante : attaquer la dérogation espèces protégées est aujourd'hui le meilleur moyen d'obtenir l'annulation d'un projet – dans notre jargon, nous appelons ça l'arme de destruction massive.

Les critères sont en effet très difficiles à remplir. La raison impérative d'intérêt public majeur est une notion extrêmement forte pour un juge administratif, qui est un publiciste : elle va au-delà de l'intérêt général ou de l'utilité publique. Cette rédaction n'est pas française : elle provient de la directive n° 92/34/CEE du Conseil concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvage, dite directive habitats. Répondre ce critère, la raison impérative d'intérêt public majeur, est loin d'être évident et peu de projets y parviennent, ce qui rend cette première étape particulièrement difficile à franchir.

Le juge vérifie ensuite l'absence de solution alternative satisfaisante. Ce critère est également difficile à remplir, même quand il s'agit d'un grand projet d'infrastructure. Le tribunal administratif de Montpellier, dans le jugement n° 2303820 du 26 mars 2024, a estimé que le projet photovoltaïque attaqué bénéficiait de la présomption de raison impérative d'intérêt public majeur, en application des nouvelles dispositions de l'article R. 411-6-1 du code de l'environnement, mais qu'il existait des solutions alternatives, ce qui l'a conduit à annuler l'arrêté préfectoral concerné.

Ce régime de dérogation espèces protégées constitue une préoccupation majeure pour les porteurs de projet. Le premier conseil que je donne à mes clients est de tout faire pour s'en passer, en privilégiant l'évitement. Je ne pense pas que la démarche « éviter, réduire, compenser » (ERC) soit un faux-semblant pour justifier la compensation. L'évitement est vraiment la solution privilégiée dans la réflexion sur un projet.

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Arnaud Gossement, avocat

Je remercie ma consœur pour son excellent exposé. J'ai essayé de répondre au plus grand nombre possible de questions, madame la rapporteure, et je vous adresserai un complément écrit à l'issue de l'audition.

En tant que juriste, j'ai participé à plusieurs commissions, au cours desquelles certaines des questions que vous soulevez avaient été évoquées. Je souhaite donc faire état des débats qui ont déjà eu lieu - c'est le privilège de l'âge – et qui intéressent le projet de l'A69, mais également l'ensemble des projets d'infrastructures linéaires. Nous les avons abordés lors du Grenelle de l'environnement et lors de la commission spécialisée du Conseil national de la transition écologique sur la démocratisation du dialogue environnemental, présidée par Alain Richard en 2015, où il était notamment question du projet EuropaCity, lequel présente certaines similitudes avec celui de l'A69.

Ces questions ont également été soulevées lors des états généraux de la modernisation du droit de l'environnement qui, convoqués par Delphine Batho et pilotés par la conseillère d'État Delphine Hédary et moi-même, ont accouché de l'autorisation environnementale unique. Je vous expliquerai pourquoi nous avions fait le choix de ne pas y inclure la DUP, autrement dit d'en faire une étape distincte de l'autorisation environnementale.

Mon exposé s'articulera en deux parties : la première portera sur les projets en général et la seconde sur le projet de l'A69 en particulier. Comme ma consœur, je ne m'exprimerai ni sur la légalité, ni sur la légitimité de l'A69, qui fait l'objet de recours encore pendants.

S'agissant des projets en général, il y a deux temps : la procédure et le contentieux. Concernant la procédure, vos questions, quoique très pertinentes, portent toutes sur la phase projet. Il y a cependant une phase préalable, celle de la planification ou de la programmation – c'est très net lorsqu'on lit les comptes rendus que vous m'avez fait parvenir. Les difficultés que vous rencontrez, qu'il s'agisse de l'A69, du barrage de Sivens, du Center Parcs de Roybon ou de Notre-Dame-des-Landes, sont nées au moment de la programmation.

En matière routière, j'ai écouté avec fascination les experts qui se sont présentés devant vous. M. Martin Malvy a notamment expliqué que la programmation de cette infrastructure datait de 1971. Cela ne révèle pas seulement l'ancienneté du projet, laquelle pourrait aussi bien être une source de légitimité, mais aussi et surtout la multitude d'instruments unilatéraux et contractuels permettant de le programmer ou non : les contrats de plan État-région (CPER), les programmes de développement et de modernisation des itinéraires (PDMI), les lois d'orientation qui se succèdent – ça fuse. Nous ne savons pas très bien ce que veut l'État, ni comment il travaille avec les territoires : les lois d'orientation ne l'évoquent pas, certains CPER en mentionnent un ou plusieurs tronçons, et l'infrastructure a, pour finir, fait l'objet de deux DUP.

Il faudrait mener une réflexion sur la phase de programmation. Le rapport de 2014 du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) proposait de créer un schéma régional intégrateur. La réforme n'a cependant pas été conduite à son terme. Elle a abouti au schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet), qui demeure un document éclaté, avec différentes autorités et un raisonnement en silo : la programmation des routes n'intègre pas les réflexions sur le carbone, et la programmation sur le carbone n'inclut pas les questions de biodiversité. Bref, les sujets sont abordés différemment, par des administrations et des experts différents. L'intérêt de votre commission d'enquête est d'envisager l'ensemble des aspects pour offrir une vision panoramique.

De grâce, réformons la programmation en France ! Nous n'arrêtons pas de planifier et de programmer, mais tellement mal ! Les mêmes difficultés se retrouvent ensuite au cours de la phase projet. Ce constat, d'une banalité affligeante, a été fait mille fois, notamment par le rapport précité.

On oublie qu'une évaluation doit être réalisée au moment du plan et du programme ; en raison de leur éclatement, nous n'avons que des morceaux d'évaluation sans cohérence. On ne sait trop ce qui en est attendu : faut-il détailler des projets qui sont en cours de planification et pas encore entrés dans la procédure d'autorisation ? Il faudrait préciser ce qui doit être fait exactement. Nous nous sommes contentés de « copier-coller » le droit de l'Union européenne sur l'évaluation des plans et programmes sans aller au-delà.

S'agissant de la participation, quel dommage d'en arriver à des drames ! Il y a eu un mort dans la contestation du barrage de Sivens, et nous connaissons aujourd'hui des situations humaines délicates, tant du point de vue des forces de l'ordre que des militants, dont je ne doute pas de la sincérité – je ne prends pas parti. Pourquoi n'avons-nous pas parlé des besoins en amont, lorsqu'on élaborait le schéma directeur d'aménagement de gestion des eaux (Sdage) et tous les autres plans ? Le public n'est consulté qu'au moment où la décision est déjà prise – le contrat de concession est dans les tuyaux, le cahier des charges est déjà rédigé – ; il se dit alors que les jeux sont faits. C'est contraire à l'article 6 de la convention d'Aarhus. S'il en est ainsi, ce n'est pas par mauvaise foi, pour agir dans le dos du public ; c'est le résultat du système juridique actuel.

Concernant la phase projet, une autre difficulté majeure ressort des auditions que vous avez menées : l'étude d'impact. En vertu de l'article 5 de la directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement, l'étude d'impact doit être fournie par le maître d'ouvrage. Cette exigence a été recopiée à l'article L. 122-1 du code de l'environnement.

Tout le monde est perdant : le maître d'ouvrage va dépenser beaucoup d'argent pour produire un document auquel on reprochera son manque de sincérité et d'objectivité ; lors des précédentes auditions, les bureaux d'études ont fait l'objet de mises en cause que je trouve injustifiées. Vous ne pouvez pas demander à un avocat d'argumenter contre les intérêts de son client. De même, le bureau d'études, quelle que soit sa qualité, répond à une commande ; c'est le maître d'ouvrage qui est responsable.

Ce dispositif me semble obsolète. Il faudrait assurer les opposants au projet de la sincérité de l'évaluation environnementale et de son suivi dans le temps. On oublie que l'étude d'impact est le carnet de santé du projet : elle n'intervient pas seulement à un instant T pour être ensuite mise dans un tiroir ; on peut opposer au pétitionnaire les engagements qu'elle contient même s'ils ne sont pas repris sous forme de prescriptions. Il faudrait également soulager les plus petits maîtres d'ouvrage : j'ai déjà rencontré dans ma carrière des collectifs découragés par le coût de l'évaluation environnementale que supposait un projet d'énergie renouvelable participatif.

Faut-il baisser le niveau d'exigence de l'étude d'impact ? Surtout pas. Faut-il déconnecter l'étude d'impact du maître d'ouvrage ? J'adorerais que votre commission d'enquête en débatte. C'est une réforme européenne, qui implique donc de convaincre le Parlement européen. S'il existait un fonds, sous la forme d'un éco-organisme, ou une autorité administrative indépendante permettant un financement mutualisé de l'étude d'impact, comme cela a été proposé lors du Grenelle de l'environnement de 2007, la sincérité de ce document d'évaluation ne pourrait être remise en cause. Les bureaux d'études travailleraient librement, sans risquer d'être accusés d'œuvrer pour leur client, et les opposants seraient rassurés par une évaluation de qualité, indépendante et suivie. C'est ma première proposition.

Si on ne peut reprocher ni au concessionnaire, ni au maître d'œuvre, d'avoir réalisé l'étude d'impact, puisque le droit le leur impose, cette dernière n'en est pas moins contestée. En outre, le juge administratif est censé se faire un avis en trois semaines sur des problèmes extrêmement complexes – c'est patent lorsqu'on lit les ordonnances de référé du tribunal administratif. Il importe donc d'avoir ce débat en amont.

Cela permettrait également d'améliorer la qualité de l'évaluation conduite par l'administration, notamment des routes, mais aussi par l'Autorité environnementale. Celle-ci, dont vous avez auditionné le président, ne remet pas en cause le sérieux de l'étude d'impact mais les données qui lui ont été fournies. Rédiger de façon différente l'évaluation environnementale permettrait de réfléchir aux données sur lesquelles elle repose. Là encore, ces propositions sont assez anciennes.

Faut-il revoir le statut de l'Autorité environnementale ? Dans le cadre de la commission sur la démocratisation du dialogue environnemental, j'avais remis un rapport qui préconisait la création d'une autorité administrative indépendante. L'Autorité environnementale a depuis prouvé son indépendance et la qualité de ses travaux, mais ses moyens demeurent insuffisants. Il arrive même qu'elle ne puisse rendre d'avis, lequel est alors réputé favorable.

Faut-il que l'avis qu'elle rende s'impose à l'État ? Non. Christophe Cassou, dont la compétence en matière de climat est incontestable, le dit lui-même : l'expertise scientifique ne doit pas faire la décision publique. À cet égard, vous avez posé une question importante sur la responsabilité : si c'était le scientifique qui décidait en rendant un avis conforme, c'est lui qui serait responsable. On mélange certes tous les rôles dans un État de droit, mais c'est à l'État de décider et d'assumer sa responsabilité. L'expertise scientifique pourrait néanmoins être repensée à travers une déconnexion entre l'évaluation environnementale et la décision.

J'en viens à la participation. Nous avons échoué, lors du Grenelle de l'environnement, à faire évoluer l'interprétation de l'article 7 de la Charte de l'environnement : actuellement, la consultation s'effectue trop souvent à un moment où la décision est déjà prise. On pourrait lire différemment cet article si on le combinait avec la Convention sur l'accès à l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice en matière d'environnement, dite d'Aarhus, document qui constitue le mantra de tous ceux qui s'intéressent à la participation du public. Le Parlement doit favoriser le dialogue environnemental. Le droit du travail a fait advenir le dialogue social, mais le droit de l'environnement n'a pas encore consacré son équivalent : il est temps de structurer le dialogue environnemental sur le modèle du dialogue social pour lequel sont prévus des lieux et auxquels sont conviés des acteurs légitimés par des critères de représentativité. Dans les institutions existantes, les échanges se limitent hélas souvent à une succession de monologues assénés autour d'une table.

Il faut réviser la fonction du conseil départemental de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques (Coderst). Avant de décider, l'État consulte les corps intermédiaires – syndicats de salariés, associations de défense de l'environnement, élus – au sein du Coderst, qui se réunit, comme la commission départementale de la nature, des paysages et des sites (CDNPS), à la préfecture. Il convient de réformer ces commissions afin d'aboutir à une véritable construction commune de la décision publique : le préfet décidera toujours, mais il ne sera plus le seul à le faire ; il sera accompagné de commissions composées de personnes représentatives et dotées de moyens. Il y a quinze ans, j'étais administrateur de France nature environnement (FNE), fédération qui fait ce qu'elle peut grâce au travail de ses bénévoles répartis dans plus de 2 500 commissions administratives : l'État vit grâce à ce bénévolat, mais il y a lieu de professionnaliser le système en donnant à ces personnes les moyens de travailler et de contribuer effectivement à la décision publique de manière transparente et contrôlée, afin que les intérêts éventuels de chacun soient connus de tous et que les autres parties, notamment les maîtres d'ouvrage, soient rassurées. Il ne suffit pas de se présenter au nom d'une association pour être légitime, il faut dévoiler son parcours et l'endroit d'où l'on parle.

Grands absents du dialogue environnemental, les corps intermédiaires sont débordés par d'autres collectifs et personnalités qui savent s'adresser aux médias. Je regrette que l'on ne ménage pas, comme dans le champ du droit du travail, les conditions d'une réflexion de qualité avec les corps intermédiaires.

L'État doit décider, mais ne conviendrait-il pas d'approfondir l'obligation de motivation des actes administratifs ? Celle-ci existe depuis 1959, mais le simple alignement de visas et de justifications aux fins de dissuader le juge d'annuler une décision pour défaut de motivation me semble insuffisant. Pourquoi l'État délivre-t-il, à un moment donné, l'autorisation environnementale d'un projet ? Quelles décisions prend-il ensuite ? Vos questions font apparaître l'articulation entre la DUP et l'autorisation environnementale : l'État ne doit-il prendre qu'une seule décision ? Cette proposition avait été avancée dans la commission convoquée par Delphine Batho : j'y étais favorable, mais j'ai changé d'avis. À l'époque, l'administration des routes et les porteurs de projet avaient refusé cette évolution, au motif qu'il n'était pas possible d'arrêter un périmètre foncier en amont – la DUP ne contient pas de prescriptions environnementales, elle vise à déterminer l'utilité publique d'un projet, ce qui lui confère un objectif différent malgré la présence de l'étude d'impact. Il a été décidé de revenir sur la fusion entre le permis de construire et la DUP, appliquée entre 2014 et 2017, pour répondre à un besoin de souplesse, qui recèle, lui aussi, une dimension écologique car il faut pouvoir changer d'avis sur le périmètre du foncier ; en effet, plus les années passent, plus l'artificialisation des sols est contrainte afin de consommer moins d'espace : cette logique diffère de celle d'il y a vingt ans. Pour épouser cette nouvelle démarche dans l'état des connaissances disponibles, on peut apprécier différemment l'utilité publique du projet, d'où l'importance de ne pas la fossiliser et de la distinguer de l'autorisation environnementale, même si aucun système n'est exempt d'inconvénients.

Dans le domaine du contentieux, les associations réclament depuis longtemps la suspension de l'exécution des autorisations données par l'État, dès l'introduction d'un référé-suspension ; cela revient à demander l'introduction d'une brèche dans le privilège du préalable, qui permet à l'administration de prendre des décisions exécutoires indépendamment des recours formés devant le juge. Je ne soutiens pas leur requête car certains projets doivent être déployés immédiatement pour l'environnement. À titre personnel, l'essentiel de ma clientèle est constitué d'acteurs de l'économie circulaire et des énergies renouvelables : si le simple dépôt d'un recours suspendait l'exécution des autorisations environnementales, il n'y aurait plus d'éoliennes ; leur financement est tellement complexe que l'introduction d'un poids supplémentaire ferait disparaître de nombreux projets.

Certaines dispositions du projet de loi d'orientation agricole vont à rebours de l'orientation qu'il faudrait suivre, à savoir l'apaisement. L'objectif du contentieux est d'ailleurs d'apaiser, mais force est de constater qu'il exacerbe parfois le climat, ce que je déplore. Le temps de la justice ne sera jamais celui de la décision politique : n'espérons pas qu'un juge statue rapidement tout en respectant les principes du procès contradictoire – droits de la défense, échanges des pièces ; d'ailleurs, les avocats sont parfois les premiers à demander du temps. L'urgence est l'une des deux conditions nécessaires à la suspension d'une décision par le juge en référé ; or le juge du référé étant un juge unique doté de peu de moyens, il peut être tenté de refuser d'accéder à la demande du requérant pour renvoyer l'affaire au juge du fond qui a le temps d'analyser les dossiers complexes. Il conviendrait de modifier l'appréciation de l'urgence telle qu'elle est actuellement faite : le Conseil d'État vient d'ailleurs de rendre une décision très importante dans laquelle il a affirmé que le début des travaux ne supprimait pas automatiquement l'urgence de suspendre la décision administrative.

Il convient néanmoins de veiller à ne pas créer d'insécurité juridique : l'intérêt de tous les acteurs est de faciliter l'instruction des référés-suspension en modifiant la preuve de l'urgence et de donner la possibilité au juge des référés d'organiser une médiation – j'ai déjà formulé cette demande, jusqu'à présent sans succès. Au lieu de déposer un référé, on pourrait se parler pour apaiser les climats passionnels entourant certains projets ; on trouverait parfois des solutions entre gens de bonne volonté. Dans ce cadre, on pourrait suspendre l'exécution trois semaines au maximum : ce serait du temps gagné pour tout le monde, y compris pour le maître d'ouvrage, car on profiterait de cette période pour organiser une médiation sur certains points du projet. À l'issue de cette phase, le juge des référés prendrait sa décision.

Sur le fond du contentieux, il convient de cesser de complexifier la procédure en permanence. L'un des avantages de la procédure administrative contentieuse était sa simplicité, mais celle-ci est rongée par les multiples régimes particuliers créés par la loi.

Sur le projet de l'autoroute A69, vous avez deux solutions : soit vous respectez la parole de l'État et attendez que le juge fasse son office – option peu satisfaisante –, soit vous utilisez la consultation locale, prévue par l'article L. 123-20 du code de l'environnement. Cet instrument, auquel je n'étais pas favorable, a été créé à l'initiative de l'ancien ministre, député et sénateur Alain Richard pour répondre à des situations comme celles qu'étudie votre commission d'enquête ; le texte pointe d'ailleurs les projets venant d'être déclarés d'utilité publique. Le Parlement a élaboré cette procédure pour répondre aux situations de conflit sans remettre en cause le vote des personnes élues au suffrage universel : sa seule application n'a pas été probante puisque l'État a laissé mourir une DUP en faisant courir le délai de dix ans, la rendant ainsi caduque – dans le cas qui nous intéresse, les deux DUP sont récentes, donc cette méthode n'est probablement pas transposable. Néanmoins, cette procédure pourrait être utile pour des mesures d'aménagement, d'accompagnement, de suivi ou de compensation : le débat démocratique ne porterait pas sur le principe du projet – cette question est désormais du ressort du juge, et je me garderai bien de donner mon opinion –, mais il permettrait de montrer que la contestation a été entendue et que toutes les paroles sont intéressantes. Le respect des gens est indispensable au dialogue environnemental.

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Je suis d'accord avec vous sur l'opportunité de réfléchir à l'encadrement de la procédure contentieuse. Tous les acteurs, qu'ils soutiennent ou qu'ils critiquent un projet, pâtissent de la longueur des délais judiciaires ; actuellement, les opposants à l'autoroute A69 créent d'inacceptables tensions dans le Sud du Tarn, à Saïx en particulier, où des règlements de compte violents dégradent tous les week-ends des biens privés. Reste à définir la durée du temps contraint que vous proposez.

Monsieur Gossement, vous avez indiqué que les gens n'étaient consultés qu'après la prise de décision. J'ai participé à de très nombreuses réunions publiques sur le projet d'autoroute A69, mais une fois que le débat a eu lieu dans le cadre de la Commission nationale du débat public (CNDP), la concertation doit cesser et l'action débuter. Quel est votre point de vue sur la question ?

Je suis d'accord avec votre constat sur la consultation locale. Celle-ci a été envisagée, certes sous une forme différente de celle que vous avez exposée. Néanmoins, comme vous l'avez dit, on ne peut la conduire qu'avec des gens raisonnables. Le préfet de région et le préfet du Tarn ont convoqué l'ensemble des associations et des élus, quelle que soit leur opinion sur le projet, à la préfecture de Castres pour discuter des mesures environnementales possibles ainsi que du projet du territoire, mais certaines associations ont répondu par une fin de non-recevoir – la rapporteure et moi-même avons assisté à cette réunion. Pour elles, le préalable à tout dialogue était la suspension des travaux. La tentative de consultation a donc achoppé, alors qu'elle devait en effet constituer un facteur d'apaisement. Actuellement, les gens qui occupent la ZAD sont tous masqués et cagoulés et veulent en découdre avec les forces de l'ordre et les vigiles des sociétés privées : ce ne sont pas des personnes raisonnables. Je suis favorable à la discussion avec des interlocuteurs modérés, mais celle-ci n'a pas été possible pour ce projet, devenu chantier. Il se révèle difficile d'organiser une consultation locale.

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Pauline Leddet-Troadec, avocate, présidente du Cercle interprofessionnel du droit de l'environnement

Il ressort de vos questions, madame la rapporteure, que l'ordre dans lequel sont rendus la DUP, le contrat de concession et l'autorisation environnementale ne vous semble pas pertinent. En tant que juriste, placer l'autorisation environnementale avant la DUP serait très étrange car il faudrait alors choisir le porteur de projet avant la DUP : celui-ci devrait donc s'engager sans bénéficier de la sécurité juridique apportée par la DUP, document qui n'a pas le même objectif que l'autorisation environnementale. Cette option me semble très compliquée à déployer sur le plan opérationnel.

Un autre choix, qui rejoint la proposition de mon confrère, consisterait à décorréler l'étude d'impact environnemental de l'autorisation environnementale et à positionner l'ensemble des études – celle sur la faune et la flore, celle sur l'archéologie préventive, etc. – au stade de l'autorisation environnementale et avant la DUP, afin que celle-ci puisse les intégrer dans son bilan des coûts et des avantages du projet. Comme le porteur de projet n'est pas encore connu, c'est l'État qui devrait assurer cette étape. Une telle évolution assurerait certes davantage d'indépendance et de transparence, mais je reste dubitative sur une telle option car les opposants au projet luttent contre l'État ; par conséquent, une évaluation environnementale et une étude d'impact réalisées par l'État seraient-elles perçues comme plus indépendantes ? Je l'ignore. Enfin, le coût de ces études, qui atteint plusieurs centaines de milliers d'euros, serait à la charge de l'État et non du porteur de projet.

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Arnaud Gossement, avocat

Le sentiment que la décision est prise avant la concertation découle de la chronologie : l'approbation du contrat de concession, obtenue à la fin de l'année 2022, est intervenue avant l'autorisation environnementale, qui est l'étape clé. Je ne doute pas de la sincérité de ceux qui ont organisé les débats, laquelle transparaît dans les comptes rendus que j'ai pu lire ; en outre, je ne souhaite pas réduire la contestation à quelques personnes car nombreux sont ceux à être légitimement inquiets du changement climatique : je comprends l'anxiété des jeunes sur le sujet, laquelle percute ces projets et notre droit. La légalité d'un projet ne doit pas nous dispenser de réfléchir à la révolution que nous vivons actuellement dans ce domaine.

Oui, des décisions sont prises avant certaines concertations, non par mauvaise foi mais parce que la chronologie le commande. En prévoyant ces consultations en amont non du projet mais de la planification des besoins et du potentiel, le dialogue serait plus fécond. Les citoyens ne se déplacent pas pour participer aux enquêtes publiques sur les plans et les programmes et ne le font pas toujours pour les projets. Il y a lieu de rendre le débat sur la programmation plus attractif : on pourrait élaborer moins de plans mais les concevoir de manière plus panoramique ; il convient d'éviter le raisonnement en silos et la multitude des acteurs dans le schéma intégrateur dont je vous parlais.

Je ne propose pas que l'État procède à l'évaluation : sa réalisation doit rester du ressort du maître d'ouvrage mais de manière déconnectée. Une proposition, dont je ne suis pas à l'origine et qui est discutée depuis des années, vise à transférer le financement de l'évaluation du maître d'ouvrage vers un fonds, un éco-organisme ou une autorité administrative indépendante de l'État, ce dernier restant responsable de l'instruction du projet et de la décision. Le dispositif de l'éolien en mer s'approche d'un tel système ; on peut imaginer qu'une évaluation indépendante des besoins du territoire soit réalisée au stade de la planification par la puissance publique, puis que des personnes privées ou publiques lancent le projet. Il y aura toujours des contestations, mais la présence du maître d'ouvrage réduit le risque d'annulation devant le juge ; le juge administratif est très attentif à l'avis de l'autorité environnementale – si un préfet ne suit pas l'avis de cette dernière ou de ses services, le risque d'annulation est bien plus élevé. Il est possible d'accomplir de grands progrès sur l'évaluation environnementale, mais cela suppose de saisir vos collègues du Parlement européen, lequel s'apprête à être renouvelé.

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Cette discussion est extrêmement intéressante. Comme vous l'avez dit, monsieur Gossement, certaines propositions viennent de loin et nous ne les découvrons pas aujourd'hui. Nous regrettons qu'elles ne prospèrent pas davantage et nous constatons que chaque projet, qu'il soit centré sur les énergies renouvelables ou sur les émissions de gaz à effet de serre comme l'autoroute A69, génère des interrogations et des combats, certes menés par des gens différents. Le cadre législatif est désormais inadapté, d'autant que le dérèglement climatique, incontestable scientifiquement, renforcera les contestations de projets comme celui de l'A69, qu'ils s'étalent sur plusieurs années ou non. Les oppositions sont mues par des considérations très diverses, que l'on pense, par exemple, à la préservation des paysages pour refuser l'implantation d'éoliennes. Les écologistes sont extrêmement conscients de la nécessité de réformer ce système et défendent cette position à l'échelle européenne ; il ne faut néanmoins pas attendre indéfiniment les décisions de l'Union européenne pour agir au niveau national.

Nos échanges inscrivent les travaux de notre commission d'enquête dans une perspective d'élaboration de propositions d'évolution du droit et de son articulation, celle-ci créant davantage d'incompréhensions que celui-là. Monsieur le président, vous ne cessez d'insister sur les violences perpétrées par certains à l'encontre du chantier : je réprouve ces agissements, mais n'oublions pas, comme vous le faites, la violence institutionnelle qui s'est déployée pendant plusieurs semaines à l'encontre de personnes qui protégeaient l'environnement, comme vous l'avez souligné, monsieur Gossement, en toute légalité ; ce sont d'ailleurs les pouvoirs publics qui ne respectaient pas cette dernière puisqu'ils se sont attaqués à un bois protégé qui n'avait pas été déclassé. Le non-respect du droit par la puissance publique a entraîné des débordements, qui posent la question des responsabilités dans une telle situation. Je n'avais pas l'intention d'aborder cet aspect, mais il faut remettre les choses à leur place et nous interrogerons prochainement le préfet du Tarn sur ce thème.

Dans le projet de l'autoroute A69, la préfecture a autorisé une dérogation à la protection de 162 espèces animales et végétales. Ce chiffre est-il courant pour un tel dossier ? La puissance publique ne le gonfle-t-elle pas pour se couvrir ? Il recouvre des dérogations pour cinq espèces de flore, quatre de poissons, sept de reptiles, dix d'amphibiens, vingt-cinq de chiroptères, cinq de mammifères, quatre-vingt-dix-neuf d'avifaunes et sept d'insectes.

Il faut également aborder la question de la délégation de l'État au concessionnaire, puisque la privatisation du domaine routier entraîne celle des procédures, ainsi que le recours à des structures qui travaillent pour le concessionnaire et qui n'ont pas les mêmes ambitions que celles des contestataires du projet.

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Pauline Leddet-Troadec, avocate, présidente du Cercle interprofessionnel du droit de l'environnement

Pour un grand projet d'infrastructure comme l'A69, le chiffre ne me choque pas. Les listes d'espèces protégées sont longues car ces espèces sont très nombreuses, constat sur lequel je n'ai pas à me prononcer. Cela ne signifie pas que 162 espèces seront détruites, car la protection concerne également leurs habitats.

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Pauline Leddet-Troadec, avocate, présidente du Cercle interprofessionnel du droit de l'environnement

Je ne connais pas le chiffre, mais il y en a des milliers.

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Les cartes du Sraddet ne mentionnent pas l'A69. Or ce document vise à fixer les grandes orientations régionales sur les infrastructures, à partir desquelles seront déclinés les schémas de cohérence territoriale (Scot), les plans locaux d'urbanisme (PLU) et les plans locaux d'urbanisme intercommunal (PLUI). À ce titre, l'absence de l'A69 est un problème, car le projet de cette autoroute est ancien et que le contenu du Sraddet répond à une prescription légale. Les défaillances de la planification prouvent qu'il aurait été nécessaire d'ouvrir des discussions sur le projet au moment de l'élaboration du Sraddet. Certains élus opposés à la construction de cette autoroute ont financé, sur leurs propres deniers et grâce à une petite aide de la région octroyée à la demande des élus écologistes, une étude proposant une autre solution que la concession autoroutière, portant sur la RN126. Le droit est respecté, mais certains manquements font que la participation n'est intervenue que très tardivement alors qu'elle aurait pu être organisée en amont du projet.

Je voudrais revenir sur l'étude d'impact et sur l'obligation de motivation des actes administratifs – quand on regarde l'arrêté interdépartemental du 1er mars 2023, on voit bien que, de considérant en considérant, et ils sont nombreux, on se prive d'un instrument de participation et d'appropriation du dossier par les citoyens.

Comment articuler une raison impérative d'intérêt public majeur de niveau national et l'organisation d'une consultation locale conformément au code de l'environnement ?

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Arnaud Gossement, avocat

En ce qui concerne la dérogation espèces protégées, il faut distinguer deux questions. Premièrement, dois-je demander la dérogation à l'interdiction de détruire des espèces protégées ? Si je réponds positivement – ou si l'administration me demande de répondre positivement – je vais déposer une demande d'autorisation de déroger. Se pose alors la seconde question : ai-je droit de le faire, et à quelles conditions ?

Le droit applicable, celui de l'Union européenne, date des années 1970. Dans l'histoire de sa formation, la première question n'a pas été abordée, mais seulement la seconde. Le droit positif comporte des critères permettant de savoir si l'administration peut accorder l'autorisation de dérogation à la destruction d'espèces protégées. Il faut savoir que ce terme de destruction s'étend au simple fait d'approcher une espèce protégée, de la cueillir, bref de perturber son « état de conservation favorable ». Si vous allez sur ce terrain, ce sera passionnant car le principe même de ce droit est contesté par des écologistes qui regrettent que l'on attende qu'une espèce figure sur une liste pour la protéger. Scientifiquement, les notions de vie ordinaire ou d'espèces nuisibles n'ont certainement aucun sens.

Quoi qu'il en soit, s'agissant de la première question, le juge comble un vide. Dans un avis du 9 décembre 2022, le Conseil d'État s'est prononcé de la manière la plus poussée possible pour un juge ; mais il y aurait beaucoup à dire.

Le Parlement est encouragé à créer des régimes de présomption de raison d'intérêt public majeur. On l'a vu lors de l'examen des lois « industrie verte » ou « énergies renouvelables ». Autrement dit, la première des trois conditions de délivrance de la dérogation serait présumée. À mon sens, en faisant cela, vous compliquez la situation.

D'abord parce qu'il s'agit d'une présomption simple, et non irréfragable : la directive indique que cette condition doit être étudiée dans le cadre d'une mise en balance des intérêts. Même si l'on présume que le porteur de projet a une raison d'intérêt public majeur, cette présomption pourra donc être combattue devant le juge.

Ensuite, si l'on dit au juge de moins se préoccuper de la première condition, il va se tourner vers les deux autres, dont ce que l'on appelle les solutions alternatives. Or, on le voit dans votre dossier, ce point est très compliqué car le droit ne nous dit pas ce que cela signifie. Concrètement, le porteur de projet va là où il y a du foncier. C'est aussi selon ce critère que s'est construit le parc nucléaire français, et non simplement en fonction des paramètres météorologiques, climatiques, etc. Dans ce contexte, que veut dire une solution alternative ? Faut-il comparer un projet routier à un autre projet routier, à un projet cyclable, à l'absence de projet ? Le droit ne répond pas à cette question et c'est l'administration qui doit s'en dépatouiller au cas par cas.

Pour en revenir à la dérogation espèces protégées, cela ne me choque pas qu'autant d'espèces soient concernées dans le cas de l'A69. Même pour un parc éolien, le nombre peut atteindre plusieurs dizaines.

Quoi qu'il en soit, le cadre juridique actuel n'est pas satisfaisant et on est en train de le compliquer sous couvert de le simplifier.

En ce qui concerne la planification, le géographe Rémi Bénos a confirmé à votre commission d'enquête, lors de son audition, que l'autoroute n'apparaît pas sur les documents de planification, dont le Sraddet ; mais celui-ci n'a pas pour première vocation de programmer les projets d'infrastructures linéaires de transport. Cela relève surtout des contrats de plan.

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Arnaud Gossement, avocat

Le problème est que la planification n'intéresse personne, ni les citoyens, ni la presse. Des initiatives ont été prises, comme la création de conférences citoyennes ou de groupes citoyens, mais, objectivement, elles ne fonctionnent pas très bien. Il faudrait rendre le sujet plus attractif par des documents plus simples, plus prescriptifs, moins panoramiques, moins en silo, moins « techno ». Mais cela implique de dire à toutes les autorités qui pilotent des plans – de l'établissement public de coopération intercommunale (EPCI) à l'État – de réduire le nombre de décideurs et de plans.

D'ailleurs, l'évaluation pourrait commencer à ce stade et être permanente, au lieu d'évaluations ponctuelles. En droit de l'Union européenne, l'évaluation environnementale est un processus. Le rapport n'en est que l'un des éléments, nous dit la directive de 2011. Un processus permanent d'évaluation permettrait de décharger le maître d'ouvrage de cette tâche, ce qui pourrait rassurer beaucoup d'opposants.

J'ai déjà parlé de l'étude d'impact.

En ce qui concerne l'obligation de motivation des actes administratifs, attention : les considérants sont précieux. Je propose que l'on aille un peu au-delà de ce qui existe depuis 1959, c'est-à-dire l'explication par l'administration des raisons de sa décision – qu'il faut bien sûr conserver, car elle pourra être discutée ensuite. Il serait souhaitable que les corps intermédiaires s'expriment dans la troisième phase de l'autorisation environnementale, la phase de décision. En France, on a besoin d'une démocratie représentative et d'une démocratie participative – il serait idiot de penser que l'une remplace l'autre – et celle-ci implique les citoyens, directement, mais aussi les corps intermédiaires. Or ces derniers ne s'expriment quasiment pas. Le Coderst et la CDNPS n'intéressent pas grand-monde ; leur existence est vécue comme une source de risque juridique par les uns, comme un exutoire par les autres. Tout cela devrait être restructuré.

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Dans des cas comme celui de l'A69, l'ensemble des présidents des chambres – de commerce et d'industrie, d'agriculture, des métiers et de l'artisanat – sont très présents au côté des entrepreneurs et des élus au sein des comités de projet. Ils interviennent donc, même si ce n'est peut-être pas au bon stade.

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Arnaud Gossement, avocat

J'aime bien comparer le droit de l'environnement au droit du travail – le jour où le premier atteindra le degré de maturité du second, on aura fait un grand pas. Il ne s'agit pas seulement que les corps intermédiaires soient présents, mais aussi de structurer leur dialogue, ce qui requiert d'établir des critères de représentativité et de légitimité. C'est le travail qu'avait entamé Nathalie Kosciusko-Morizet au lendemain du Grenelle de l'environnement et qui n'a malheureusement pas abouti. Vous avez là un vrai chantier. Il nous faut des partenaires environnementaux dans une démocratie environnementale.

Il y a de l'expertise et des gens formidables au sein des associations ou des chambres d'agriculture, mais il faut organiser tout cela et que chaque corps intermédiaire respecte l'autre. Vous savez comment les choses se passent : tel acteur économique va se demander qui est derrière telle association, si ses membres ne sont pas payés par son concurrent – j'entends cela tout le temps en tant qu'avocat – ou un acteur politique va supposer qu'ils émanent de l'opposition au conseil municipal – en période électorale, des associations viennent vous contester.

L'obligation de motivation devrait imposer à l'administration non pas simplement de présenter ses motifs, mais aussi de répondre aux interpellations et aux expertises, lors de l'enquête publique mais également dans la phase de consultation, si importante, qui précède la décision du préfet.

La consultation locale et la raison d'intérêt public majeur sont deux régimes juridiques totalement différents. Je ne propose pas qu'on soumette à la consultation locale la question des critères de la dérogation : c'est un travail tellement lourd, tellement expert ! Je le répète, j'étais contre la consultation locale. C'est aussi un facteur de fragilisation des projets : il va être difficile d'en faire de nouveaux si on organise une consultation locale au moindre problème. Il y a là une vraie source de crispation. On le voit bien dans votre dialogue, monsieur le président, madame la rapporteure. Mais de votre conflit peut naître quelque chose de très intéressant – c'est ce que Patrick Viveret appelait la conflictualité positive. C'est pour cela que nous sommes là : pour faire émerger quelque chose de constructif.

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Merci beaucoup pour ces pistes de réflexion ; il est très important pour nous de recueillir vos avis. Je vous prie de bien vouloir m'excuser : j'ai un engagement que je ne peux manquer. Je cède donc la présidence à Mme Karen Erodi.

Présidence de Mme Karen Erodi, vice-présidente de la commission d'enquête.

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J'aimerais préciser que seuls 22 % des élus tarnais se sont prononcés pour l'autoroute lorsque l'association des maires du Tarn a publié une tribune en ce sens. On entend dire tous les jours et à chaque audition que tous les élus du Tarn sont favorables à cette autoroute ; c'est faux.

M. Terlier – je regrette qu'il soit parti – a également fait référence à la fameuse réunion qui a eu lieu à la préfecture de Castres en présence de Mme Arrighi, des élus et des associations. Elle a été organisée en hâte à la suite de la venue de M. Brail à Paris et de sa grève de la faim et de la soif, et toutes les associations et tous les élus n'y ont pas été conviés. Cela n'était pas très correct.

Monsieur Gossement, vous avez appelé de vos vœux des médiations entre les associations, les élus et le concessionnaire pour apaiser localement les tensions. Nous allons essayer, en tant qu'élus, de travailler à modifier les pratiques.

Que pensez-vous du fait que les motivations de la décision du 6 octobre 2023 sur la requête en référé déposée par les associations environnementales locales au sujet de la validité de l'autorisation environnementale ont été communiquées par voie de presse ?

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Pauline Leddet-Troadec, avocate, présidente du Cercle interprofessionnel du droit de l'environnement

Voulez-vous dire que le référé n'a pas été publié sur la plateforme Télérecours – que nous utilisons tous les jours – ni envoyé aux avocats ?

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Apparemment, les associations n'ont pas été mises au courant. Je ne sais pas ce qu'il en est de la publication sur la plateforme.

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Pauline Leddet-Troadec, avocate, présidente du Cercle interprofessionnel du droit de l'environnement

Je ne suis pas au courant ; sans éléments, il est difficile de se prononcer. Mais, normalement, le jugement est publié sur Télérecours, ce qui permet aux avocats d'en être informés aussitôt.

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N'y a-t-il pas d'obligation d'informer les requérants du résultat de leur requête ?

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Arnaud Gossement, avocat

Si. Comme le dit ma consœur, nous ne savons pas ce qui s'est passé en l'occurrence, mais le système fonctionne très bien : j'ai toujours eu l'ordonnance, l'arrêt ou le jugement en même temps que les avocats des autres parties, tandis que la presse ne les reçoit qu'ensuite. Je n'ai jamais vu de cas contraire. Je ne dis pas que ces personnes mentent ; je dis simplement que je ne sais pas ce qui s'est passé.

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Un autre exemple emblématique est le barrage de Caussade, dans le Lot-et-Garonne. L'ouvrage avait été autorisé par la préfecture, le tribunal administratif n'a pas validé l'autorisation, mais le barrage a été construit, bien qu'il ait été déclaré illégal. Comment peut-on en arriver là ? C'est aussi beaucoup d'argent public qui est en jeu. Comment modifier le droit, ou procéder dans le bon ordre du point de vue juridique, pour éviter de telles aberrations ? Le barrage de Sivens a, lui aussi, été déclaré illégal.

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Pauline Leddet-Troadec, avocate, présidente du Cercle interprofessionnel du droit de l'environnement

En pratique – je le constate tous les jours – dès lors qu'un recours a été déposé, la majeure partie du temps, le porteur de projet ne construit pas, car il ne peut obtenir de financement bancaire et se trouve en situation d'insécurité juridique. J'ai plusieurs dossiers en cours dans lesquels le porteur de projet attend l'issue du contentieux pour lancer son projet. Le contentieux est donc une vraie arme des opposants pour gagner du temps.

Cela me ramène à la question de la médiation dans le cadre du référé. À titre personnel, je n'y suis pas favorable. Depuis que la médiation a été instaurée devant les tribunaux administratifs, leurs présidents en collent à tout-va ; du coup, les contentieux durent non plus dix-huit mois, mais deux ans ou deux ans et demi parce que la médiation fait perdre six mois. C'est un outil formidable pour faire perdre du temps à un projet, du moins quand celui-ci n'a pas encore démarré.

La médiation implique qu'il est possible de parvenir à une décision commune, à un compromis. Or, dans le cas de projets comme celui-là, fortement contestés, les opposants veulent l'arrêt pur et simple du projet, non son aménagement, tandis que le porteur de projet, lui, veut mener son projet à bien. J'ai un peu de mal à croire que l'on puisse entraîner tout ce petit monde dans une médiation qui fonctionne. En outre, dans le cadre d'un référé, c'est en trois semaines qu'il faudrait l'organiser : je trouve mon confrère très optimiste.

Pour en revenir aux projets qui se font alors qu'ils ont été déclarés illégaux, j'ose espérer que ce sont des exceptions. Pour être honnête, je ne connais pas très bien les faits dans les deux affaires citées. Quoi qu'il en soit, en vertu de la jurisprudence toute récente du Conseil d'État dont nous avons parlé, dans le cadre d'un référé, l'état d'avancement des travaux – dans le cas d'espèce, il était de 90 % – ne permet pas d'écarter la condition d'urgence requise pour les suspendre. Autrement dit, cette condition doit être examinée même s'il ne reste que 10 % à faire.

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Arnaud Gossement, avocat

La médiation est un point de désaccord entre ma consœur et moi. Pour moi, ce qui fait perdre du temps, ce sont l'appel, la cassation, les autres recours. Peut-être perdra-t-on un peu de temps du fait de la médiation, mais, au moins, on se parlera. J'ai dans mes dossiers des exemples de contentieux qui ont pris fin grâce à une médiation, dans l'éolien et dans la méthanisation. Se parler permet parfois de dissiper des malentendus et des fantasmes. « L'autre en face, il veut juste me faire perdre mon projet » ; « Eux, ils font ça pour l'argent, c'est une société privée », etc. Avec la médiation, l'aspect humain entre en jeu : on se rend compte qu'en face, il y a des gens, qu'on peut même prendre un café, se détendre un peu. Cela donne des résultats.

La médiation nous fera gagner du temps. On n'y parviendra pas en supprimant le passage par le tribunal administratif pour aller directement devant la cour administrative d'appel, puisque celle-ci est elle-même engorgée. De plus, les associations, soumises au ministère d'avocat, arrivent déjà mécontentes devant le juge. Bref, on exacerbe les passions alors que notre rôle d'avocats est aussi de les canaliser, d'en faire du droit – comme vous, législateur.

Dans le cas du barrage de Caussade – un exemple terrible – c'est un peu différent. Évidemment, l'État doit respecter les décisions de justice. Il peut même arriver, dans certains cas extrêmes, que le concours de la force publique soit refusé pour l'exécution d'une décision de justice. Dans l'affaire du Teknival de Marigny – première application de la Charte de l'environnement – le préfet n'a pas souhaité exécuter la mesure d'interdiction. Mais la responsabilité de l'État a ensuite été recherchée, comme elle le sera probablement dans l'affaire du barrage de Caussade.

J'aimerais en revanche citer un exemple tiré de l'actualité qui est vraiment un cas pratique pour vous. Dans cette histoire, rien ne va ! Le tribunal administratif d'Amiens a annulé l'autorisation – environnementale, j'imagine – de construire une route qui, en réalité, est déjà terminée depuis un an. Je n'ai qu'un article de presse, mais j'ai hâte de lire le jugement.

Le juge s'est prononcé longtemps après la demande. On dit que la justice est trop longue, mais prendre du temps est important : la vérité judiciaire ne se forme pas comme un objet sort d'un distributeur. D'abord, le temps permet d'apaiser les esprits. Souvent, au début d'un procès, les parties sont remontées à cran et, parfois, certains avocats exacerbent aussi les passions. Le temps permet aussi, au fil des écritures, de discriminer les questions superflues des vraies questions et, bien souvent, peu avant l'audience, c'est l'essentiel qui reste ; et c'est fréquemment ce mémoire-là qui sera discuté à l'audience. De ce fait, il y a des cas où, malheureusement, le juge se prononce après coup.

N'attendons donc pas tout du juge. Organisons les choses différemment en amont, au cours de la procédure de planification et d'autorisation. Pourquoi pas aussi un contrôle du juge en amont ? Il existe dans le code minier une prévalidation par une cour administrative d'appel, uniquement sur le plan de la légalité externe, de l'autorisation de travaux donnée à un exploitant. Je n'en ai pas de bilan, mais l'idée est de permettre au juge d'intervenir tout de suite concernant des questions – de motivation, de compétence, de procédure – qui peuvent être réglées rapidement. Il reste ensuite les questions de fond, qui demanderont un peu plus de temps. Mais il y aura eu une première réunion entre les parties devant le juge.

Nous sommes en régime de séparation des pouvoirs. Si on décide qu'il faut juger en dix mois, que se passera-t-il si ce n'est pas le cas ? On va priver un avocat de produire un mémoire ? On va empêcher d'intervenir une partie qui voulait le faire ? L'exécutif n'a aucun moyen pour dire au Conseil d'État qu'il est trop long !

Cela fait des années que j'entends parler de ces histoires de délais. Je viens d'avoir un dossier à l'audience au tribunal administratif de Marseille, trois ans après avoir déposé la requête pour mon client ; il s'agit d'un projet d'énergie renouvelable qui a été suspendu pendant toute la procédure. Les confrères sur place m'ont dit que j'avais de la chance : pour eux, c'est plutôt quatre ans. Ce n'est pas que les juges ne veulent pas : c'est une question de moyens, d'hommes et de femmes que vous mettez à disposition. La justice n'a pas les moyens de ses missions. Ce sont des sous qu'il faut, pas des textes !

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Pauline Leddet-Troadec, avocate, présidente du Cercle interprofessionnel du droit de l'environnement

J'abonde totalement dans le sens de mon confrère. Voilà des années qu'on entend parler de simplification, mais on n'arrête pas de compliquer la matière. On fait du marketing, de nouvelles lois, une loi majeure tous les six mois alors que les décrets d'application des lois promulguées il y a deux ans ne sont même pas parus. Il y a de vrais enjeux environnementaux et une volonté réelle, mais les moyens manquent, aux ministères pour publier les décrets d'application, aux administrations locales pour instruire plus rapidement les dossiers ou même pour les appréhender. Leur calendrier ne sera jamais celui de la décision politique, mais il n'est même pas celui du porteur de projet, qui n'a pas envie de perdre des années. Quand on aura réglé cette question de moyens, on aura résolu beaucoup de problèmes.

Je ne suis donc pas favorable à de nouveaux textes. Essayons déjà de bien appliquer ceux qui existent.

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En vous écoutant, nous buvons du petit-lait !

Revenons sur terre. Je ne suis pas défavorable à une médiation telle que vous l'avez décrite : débutant bien en amont, dès la planification ; se poursuivant par une vraie prise en compte de la parole des corps intermédiaires, qu'il faut restructurer ; restant possible, enfin, si des désaccords ou des incompréhensions subsistent. Cette approche est adaptée à un projet très localisé, bien identifié – un porteur de projet, éventuellement quelques habitants. Mais, s'agissant de projets d'infrastructures qui concernent des milliers de personnes, plusieurs dizaines de corps intermédiaires et de collectivités locales et dont les effets environnementaux ne se limitent pas au département du Tarn – la molécule de carbone émise ne restera pas au-dessus de Castres ou de Verfeil – la médiation me paraît moins opportune.

En revanche, tout ce qui a été dit concernant la planification, l'évaluation, l'étude d'impact et la décorrélation entre autorisation environnementale et DUP devrait être défendu même par ceux qui soutiennent ces projets, ne serait-ce que pour s'épargner le risque de contentieux. Il faut plus de moyens pour les services publics partout ; or on en économise aussi en évitant le contentieux et en prenant des décisions légitimes qui ont d'ailleurs été défendues par des personnes de différents bords politiques, pas toujours écologistes – Delphine Batho, mais aussi Jean-Louis Borloo ou Nathalie Kosciusko-Morizet.

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Arnaud Gossement, avocat

Lors d'un drame comme celui de Sainte-Soline, il y a toujours des médiateurs – entre les forces de l'ordre et les associations, par exemple – sauf qu'on ne les connaît pas. Ce que je vous propose, c'est que l'on structure cette médiation. Elle peut concerner l'accompagnement, l'organisation, le déroulement des événements. Dans un cas comme celui de l'A69, où des personnes se mettent en danger, il faut une instance dans un processus structuré. La CNDP pourrait avoir cette compétence au niveau national.

Il y a vraiment un problème d'acculturation dans ce domaine. La médiation administrative supposerait que l'on rompe avec l'idée reçue selon laquelle la médiation est faite pour décider. Elle est faite pour que l'on s'écoute.

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Bien sûr, c'est important : il faut respecter la parole de l'autre, s'écouter, ne pas s'opposer systématiquement. Mais au bout du compte, quand certains décident en 2023, en connaissant les données scientifiques, de construire l'A69, ce sont deux projets politiques qui s'affrontent, et toute tentative de médiation se heurtera à l'irresponsabilité que cette décision suppose. S'agissant des projets comme ceux que j'évoquais, la médiation peut être intéressante pour trouver une issue. Mais, pour les uns, l'issue est d'arrêter un projet quand, pour les autres, elle consiste à l'accompagner dans les meilleures conditions possibles.

En revanche, je plaide comme vous pour un renforcement des juridictions administratives, qui vont être de plus en plus sollicitées dans les années à venir en raison des conséquences du dérèglement climatique ainsi que du développement des énergies renouvelables et du nucléaire. Comme législateur, je ferai tout pour alerter sur ces sujets, car c'est essentiel pour l'intérêt général.

Merci encore de vos propositions et de votre grande expertise. Peut-être permettront-elles à certains et certaines de se rendre compte des urgences – je garde toujours espoir !

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Je suis d'accord avec Mme la rapporteure, mais aussi avec M. Gossement en ce qui concerne la structuration de la médiation, notamment dans le projet qui nous occupe, au moins jusqu'au jugement du recours au fond, qui est le plus important – il est faux de dire que tout a été jugé – pour apaiser les esprits dans le département.

Comme législateur, nous allons travailler sur tous les sujets dont vous nous avez parlé. Je vous remercie.

La séance s'achève à onze heures quarante.

Membres présents ou excusés

Présents. – Mme Christine Arrighi, M. Frédéric Cabrolier, Mme Karen Erodi, Mme Sylvie Ferrer, Mme Anne Stambach-Terrenoir, M. Jean Terlier