La réunion

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Audition de M. Bastien Coriton, maire de Rives-en-Seine, maire-référent sécurité civile de l'Association des maires de France

La réunion commence à neuf heures quarante.

Présidence de Mme Lisa Belluco, présidente.

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Pour notre première audition, nous accueillons les représentants de l'Association des maires de France (AMF), et plus particulièrement M. Bastien Coriton, maire de Rives-en-Seine et maire-référent sécurité civile, ainsi que M. Sébastien Leroy, maire de Mandelieu-la-Napoule. Vous êtes accompagnés de Mmes Judith Mwendo, responsable du département Action et gestion communale, et Stéphanie Bidault, chargée de mission risques.

L'AMF, fondée en 1907, est une association reconnue d'utilité publique qui représente et porte la voix des communes. Forte de l'adhésion quasi-totale des maires et des présidents d'intercommunalités, elle est pleinement légitime à relayer, de manière transpartisane, les intérêts et les préoccupations des élus.

Notre mission, composée de vingt-cinq députés de tous groupes politiques, a été créée à l'initiative du groupe Horizons et a pour rapporteur notre collègue Didier Lemaire.

Notre objectif est d'étudier, au plus près du terrain, l'organisation de la protection et de la sécurité civiles et les défis à relever, ainsi que d'imaginer les adaptations éventuelles de notre modèle.

Pour éviter de faire fausse route ou nous défaire d'idées préconçues, nous avons tenu à commencer nos travaux en rencontrant les élus et leurs associations. Présents sur le terrain, les élus sont au plus près des opérations de prévention et des interventions menées par les forces de sécurité civile ; les maires sont des acteurs de premier plan lorsque des crises surviennent, de par leur compétence de police. Ils peuvent ainsi s'appuyer sur leur propre expérience de ces situations et nous faire part de leur regard sur l'état et le fonctionnement actuel de notre système de sécurité civile.

Nous voulons faire progresser encore notre modèle de protection et de sécurité civiles. N'hésitez donc pas à nous faire part de votre analyse critique sur l'organisation actuelle de notre système, ainsi qu'à nous livrer des suggestions qui pourront utilement contribuer à nos travaux.

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Sébastien Leroy, maire de Mandelieu-la Napoule

Dans le cadre du groupe de travail dédié aux risques et crises de l'AMF que je co-préside avec Éric Ménassi, le maire de Trèbes, nous avons fait le tour des maires de France pour recueillir leur avis sur ce sujet qui nous préoccupe au plus haut point.

Nous saluons la création de la mission d'information et nous essaierons de vous faire part des expériences et des difficultés sur le terrain.

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Il nous semblait important, après les nombreuses crises que nous avons vécues, de réfléchir aux capacités d'adaptation et d'anticipation de notre modèle de sécurité civile, qu'elles concernent les services de l'État, les régions, les départements ou les communes. Nous sommes intéressés par les retours du terrain de la part de vos adhérents.

Comment l'AMF participe-t-elle aux réflexions publiques sur l'évolution du modèle de protection et de sécurité civiles ? A-t-elle récemment élaboré des documents pouvant nourrir les travaux de la mission d'information ?

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Bastien Coriton

La sécurité civile a donné lieu à une consultation des maires au début de l'année 2023. Je propose de vous transmettre le rapport qui en a été tiré en février 2023. Nos réponses au questionnaire que vous nous avez adressé viendront aussi compléter nos propos.

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Sébastien Leroy, maire de Mandelieu-la Napoule

Nous avons établi plusieurs documents, en particulier à l'attention de la mission dite Falco sur la modernisation de la sécurité civile et la protection contre les risques majeurs. Nous avons également eu de nombreux échanges avec les différents ministères – transition écologique, intérieur – sur les diverses crises auxquelles nous pouvons être confrontés. Nous vous les transmettrons bien volontiers, notamment les propositions législatives.

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Quelles sont les idées-forces qui se dégagent de ces documents ?

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Sébastien Leroy, maire de Mandelieu-la Napoule

Dans les réflexions du groupe de travail, reviennent systématiquement la nécessaire déconcentration, ainsi que l'importance du rôle du maire et du préfet sur le terrain. Quelle que soit la crise – sanitaire, naturelle ou de sécurité –, on note une contradiction entre les évolutions législatives et les solutions dont l'efficacité sur le terrain est avérée. En cas de crise, on a besoin de proximité, de logistique et d'organisation, lesquelles incombent au maire et à l'État, avec le soutien des départements et de la région. Or les évolutions récentes vont en sens inverse.

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Bastien Coriton

Je partage pleinement ce qui vient d'être dit. Nous sommes frappés par le décalage entre la complexité des textes et la gestion concrète de la crise.

Ensuite, la culture du risque dans notre pays est insuffisante. Certains de nos voisins sont bien plus avancés que nous en la matière, en particulier s'agissant des exercices. Le porter à connaissance sur les risques de leur territoire reste problématique pour nombre de maires, malgré les progrès de la loi Matras, loi visant à consolider notre modèle de sécurité civile et à valoriser le volontariat des sapeurs-pompiers comme des sapeurs-pompiers professionnels.

Enfin, le réarmement de l'État local est important, notamment pour venir en aide aux petites communes qui n'ont pas l'ingénierie nécessaire pour gérer les crises et s'y préparer ; les élus se retrouvent un peu seuls.

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La répartition des rôles entre le préfet et le maire dans la direction des opérations de secours est-elle assez claire ?

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Sébastien Leroy, maire de Mandelieu-la Napoule

La répartition des rôles dans la gestion de la crise mériterait aujourd'hui d'être clarifiée. Bien souvent, elle se fait au cas par cas, selon la personnalité des acteurs. De même, en matière d'anticipation et de culture du risque, les politiques varieront d'un département à l'autre et au gré des personnalités.

Pour autant, et c'est l'un des principaux problèmes auxquels nous sommes confrontés, il n'est pas possible d'imposer un modèle unique à 36 000 communes. Ainsi, le transfert de compétences aux communautés d'agglomération peut être vertueux pour les petites communes dans lesquelles les maires manquent de moyens, mais il peut être contreproductif dans d'autres territoires où les villes sont plus efficaces. Lorsqu'une crise survient, celui qui est sur le terrain, par définition, c'est le maire, et son interlocuteur privilégié, c'est l'État, à travers la personne du préfet. Il reçoit évidemment le soutien notamment du service départemental d'incendie et de secours (SDIS) si les événements laissent le temps de s'organiser. Bien souvent, malheureusement, il n'y a pas d'alerte et c'est l'improvisation totale. Il faut redéfinir les rôles et les schémas de fonctionnement.

Il convient également de s'interroger sur les contradictions législatives auxquelles nous sommes confrontés au quotidien et dans tous les domaines : quand les textes ne vont pas à l'encontre de la protection des territoires, les objectifs qu'ils nous assignent sont souvent inconciliables – on peut vous demander en même temps de sururbaniser et de désurbaniser. Face au flou qui règne, il y a les maires qui ont déjà vécu une crise et savent comment anticiper, et les autres.

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Bastien Coriton

En ce qui concerne la gestion de la crise, il est sans doute nécessaire de redéfinir les rôles – en particulier, pour savoir à quel moment le préfet prend la main dans la direction des opérations de secours. Quant à l'avant-crise, le réarmement de l'État local que nous appelons de nos vœux consiste aussi à arbitrer entre des injonctions contradictoires – densifier et désimperméabiliser par exemple – comme l'a dit M. Leroy. Sans orientation claire de la part de l'État, les maires peuvent se trouver bloqués pour aménager leur territoire.

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Sébastien Leroy, maire de Mandelieu-la Napoule

Je donne un exemple très concret. Dans les plans de prévention des risques d'inondation (PPRI), c'est l'État qui définit le risque. Or dans de très nombreux territoires, l'État se contente d'élaborer le document sans organiser aucun suivi, alors qu'il devrait sensibiliser les maires, s'assurer que le risque a bien été pris en considération et porté à connaissance des habitants, mais aussi étudier, avec chaque maire, les mesures à prendre. Sans un tel suivi, le risque est ignoré jusqu'à ce que la crise survienne.

Il faut reconstruire une relation de travail entre le maire et les services de l'État – préfectures et directions départementales des territoires et de la mer (DDTM). Malheureusement, la grande pénurie d'agents les contraint à gérer l'urgence, sans avoir les moyens de faire de la prévention et d'anticiper. Dans de nombreux territoires, les dossiers prennent un retard considérable à cause du manque de personnels de l'État pour les suivre.

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Bastien Coriton

Je prends l'exemple de la construction d'un centre de secours pour laquelle l'axe de ruissellement a changé quatre fois d'emplacement au gré des interlocuteurs, ce qui nous a fait perdre un an et demi !

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Notre modèle de financement, qui repose essentiellement sur les départements et les contributions de l'État, est-il pertinent ou doit-il être revu ?

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Bastien Coriton

N'oublions pas que les communes sont un financeur important de la sécurité civile – elles contribuent à hauteur de près de 50 % au financement des SDIS.

L'AMF ne souhaite pas pour l'instant revoir le modèle de financement qui a été défini lors de la départementalisation au début des années 2000. Nous sommes attachés au principe selon lequel la contribution des communes ne peut pas augmenter plus que l'inflation. Nous l'avons dit au cabinet de la ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité cet été, mais nous attendons de connaître le détail du projet de loi de finances.

Si le département reste la zone pertinente pour l'organisation de la sécurité civile, s'agissant des risques qui dépassent les limites départementales, notamment les incendies, peut-être faut-il envisager un financement régional ? Dans ce domaine, l'État a octroyé, par le biais du pacte capacitaire, des crédits supplémentaires permettant à tous les départements de se doter de colonnes de renfort.

Une réflexion est en cours sur la taxe spéciale sur les conventions d'assurance (TSCA), dont une fraction est attribuée aux départements pour être reversée aux SDIS.

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Vous regrettez le flou sur le rôle des maires. Pourtant, la loi de modernisation de la sécurité civile de 2004 est très claire : le maire est le directeur des opérations de secours (DOS) dans sa commune ; si la crise dépasse ses compétences ou son territoire ou si le maire le lui demande, le préfet devient DOS. Un dépoussiérage de la loi pour clarifier encore davantage la fonction du maire et du préfet vous semble-t-il nécessaire ou est-elle dépassée ?

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Sébastien Leroy, maire de Mandelieu-la Napoule

Notre constat est le suivant ; il y a, d'un côté, la théorie et, de l'autre, la pratique. Selon la première, nul n'est censé ignorer la loi ni le risque. Mais la multitude de documents qui se rapportent aux risques ne favorise pas la lisibilité. La carte d'une ville représentant ces documents, en particulier les zonages qui en découlent, est incompréhensible. Un travail de pédagogie est donc nécessaire. Pour ce faire, il faudrait rétablir un dialogue, qui, bien souvent, a disparu, entre la préfecture et l'élu qui prend ses fonctions pour qu'il comprenne bien les risques auxquels son territoire est exposé. Dans ce dialogue, l'élu pourrait aussi faire remonter les contradictions des textes et les difficultés nées de leur application uniforme à des territoires différemment exposés aux risques.

J'ai vécu des réunions au cours desquelles de neuf heures à neuf heures et demie on m'invitait à anticiper et renaturer, puis de neuf heures et demie à dix heures, on me demandait de construire plusieurs milliers de logements sous peine d'amende. Tous mes collègues connaissent cette situation.

Le risque est aujourd'hui trop complexe à appréhender. Il faut expliquer les données sur lesquelles repose son évaluation, et seul l'État peut le faire.

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Si je comprends bien, vous déplorez le manque de cohérence dans l'anticipation des risques et la préparation de la gestion de crise.

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Sébastien Leroy, maire de Mandelieu-la Napoule

Il ressort des échanges avec les maires que nous avons tous le même souci : d'un côté, nous devons anticiper le risque. Encore faut-il pouvoir l'appréhender, d'autant qu'il évolue désormais de manière considérable dans des délais très courts – qu'il s'agisse d'inondations ou de feux de forêt, nous avons connu depuis quatre ans des phénomènes inédits, d'une intensité démultipliée.

De l'autre côté, les réglementations sont tellement lourdes et complexes qu'elles empêchent toute transformation des territoires : les procédures en matière d'environnement peuvent bloquer pendant plus d'une décennie des projets pourtant vitaux – et reconnus comme tels par l'État – pour la protection des biens et des personnes. Pour se préparer aux crises, le maire ne peut agir que sur les moyens logistiques.

Il n'y a pas de contrôle a posteriori. En revanche, du fait de l'addition des contrôles a priori, entre douze et quinze ans seront nécessaires pour réaliser un aménagement qui ne sera plus adapté lorsqu'il sera enfin achevé. C'est la dichotomie entre la théorie – on doit faire pour anticiper – et la réalité – on ne peut rien faire – que vivent tous les maires de France.

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Bastien Coriton

On en revient au nécessaire arbitrage. Face à des injonctions contradictoires, l'État doit aider les maires à trouver un chemin. Sinon cela bloque et nous perdons du temps. M. Leroy a raison, le projet est dépassé lorsqu'il voit le jour, ce n'est pas cohérent.

Les préfets doivent arbitrer. Je comprends leur réticence puisqu'ils endosseront la responsabilité, mais ils doivent faire confiance aux maires : nous ne leur soumettrons pas des choix délirants, nous voulons aussi protéger nos populations.

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Stéphanie Bidault, chargée de mission risques auprès de l'AMF

L'AMF est très attachée à la loi de 2004 qui répartit clairement les rôles entre maire et préfet. Mais les textes adoptés depuis cette date sont venus brouiller la lisibilité du dispositif. Je pense à la compétence Gemapi instaurée au profit des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre, ou à la création des plans intercommunaux de sauvegarde (PICS). L'arsenal législatif continue de promouvoir de nouveaux outils dont la gouvernance n'implique pas seulement le maire et le préfet. Il faut redonner du sens et clarifier l'organisation, pour que chaque acteur sache quel est son rôle dans la gestion de crise. En ce qui concerne les régions, l'AMF est favorable à leur implication dans le financement mais pas dans l'organisation des secours. L'abondance de nouveaux outils pour faire face aux crises nous éloigne de l'esprit de la loi de 2004 au risque de perdre la cohérence d'ensemble. Le binôme maire-préfet doit rester central.

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J'ai bien compris vos remarques concernant le couple maire-préfet. Je relèverai simplement que le préfet, quant à lui, est formé. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle l'État lui a confié cette mission. Les maires ne le sont pas toujours. Certains ont reçu une formation ou ont de l'expérience. D'autres, non. C'est par exemple le cas de ceux nouvellement élus en 2020. J'étais adjoint au maire de Dijon, au moment où il a fallu assurer son intérim dans la gestion d'événements majeurs. Nous n'avions pas tous le même niveau de formation, le même accès aux informations, et l'organisation du travail avec les pompiers et la préfecture fut parfois assez approximative. Il faut éviter que les maires ne se retrouvent dépassés par la situation, car cela complique et retarde la prise de décision, alors qu'il faut au contraire agir vite.

Il serait judicieux de prévoir un volet de formation, ne serait-ce que pour inculquer la culture du risque aux élus. Je le sais pour avoir été élu local : trop souvent, aucune formation n'est délivrée à l'élu qui se retrouve chargé d'un dossier qu'il ne sait comment aborder.

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Si je comprends bien vos remarques, madame Bidault, vous ne contestez pas l'intérêt des dispositifs, mais vous regrettez leur surabondance en ce qu'elle amoindrirait leur efficacité. Par exemple, alors qu'il était demandé dans un premier temps aux communes d'établir un plan communal de sauvegarde, il est à présent prévu qu'elles adoptent également un plan intercommunal de sauvegarde – quand bien même les élus n'ont pas forcément compris comment définir le premier de ces deux plans. Selon vous, on ne devrait pas imposer de nouvelles obligations aux communes tant que les principes fondamentaux ne sont pas maîtrisés.

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Sébastien Leroy, maire de Mandelieu-la Napoule

La multiplication des lois est un problème. Les élus doivent connaître les risques qu'encourt leur commune et maîtriser les moyens d'y répondre. C'est la base. Les plans communaux de sauvegarde, les plans intercommunaux de sauvegarde, la journée de sensibilisation, sont autant de dispositifs louables, mais ils ne suffiront pas si personne ne sait appliquer un plan communal de sauvegarde. Les nouveaux élus doivent être formés, c'est vrai, mais pour cela il faut surtout que l'État puisse échanger avec eux. Il arrive fréquemment qu'un élu ne rencontre jamais les services de la DDTM ni de la préfecture et n'évoque pas le sujet des risques pendant des années !

Certaines communes ont été dévastées par des inondations il y a deux ans, alors qu'elles n'avaient pas adopté de PPRI. Nous devons redéfinir la démarche autour du couple maire-préfet, qui est essentiel. En multipliant les acteurs, les intervenants, les textes, en transférant une grande partie des compétences aux communautés d'agglomération – ce qui peut être salutaire ou dévastateur selon les cas –, on perd la différenciation sur le terrain, la subsidiarité qui est essentielle à l'efficacité. Plus personne ne sait quel rôle il doit jouer, ce qui peut conduire à des situations inextricables lorsqu'un drame survient. Le premier à se retrouver sur le terrain, dans ces cas-là, c'est bien souvent le maire. C'est lui qui appellera la préfecture pour essayer de comprendre ce qu'il se passe. C'est à lui que le préfet demandera des informations. Il faut redéfinir cette relation pour la clarifier. Quand on multiplie les responsables, finalement plus personne ne l'est. C'est pour cette raison que j'insiste sur le couple maire-préfet et sur la nécessité de permettre à ce dernier de mener des actions reposant sur des contrôles qui s'exerceraient a posteriori et non a priori. Aujourd'hui, le préfet est soumis à ses services et il arrive que les débats n'en finissent plus, par exemple avec la DDTM ou la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal), autour de sujets qui n'ont plus rien à voir avec la protection, mais qui suffisent à tout bloquer.

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Bastien Coriton

Le PICS ne fait que compléter le plan communal de sauvegarde, puisque le président ou la présidente de la communauté d'agglomération ou de la communauté de communes ne dispose pas de pouvoirs de police, sauf s'ils lui ont été délégués. Je ne sais pas s'il faut améliorer la procédure, mais une chose est certaine, il faut partager l'établissement du plan communal de sauvegarde avec les élus. C'est ce que j'ai fait dans ma commune. Si vous ne prenez pas le temps de leur expliquer comment est construit un tel plan, ni la manière dont il est déclenché, ou encore le rôle de chacun dans la gestion de la crise, il ne servira à rien.

La loi Matras prévoit que les SDIS puissent désigner des référents « sûreté et sécurité ». Je suis vice-président du SDIS en Seine-Maritime : nous avons organisé quatre réunions pour présenter à plus de 400 élus le rôle du référent. Toutes les communes ont l'obligation de prévoir des crédits dédiés à la formation dans leur budget. Les plus petites ne les consomment jamais. Si on se retrouve démunis face à une crise, c'est parce qu'on n'a pas été formés pour y faire face. J'ai suivi une formation à la gestion de crise au début de mon premier mandat : en six ans, je ne sais même pas si 5 % des maires auront été formés ! Je ne suis pas certain qu'il faille l'ériger en obligation, mais qu'au moins il soit établi un vrai schéma de formation en partenariat avec les SDIS car toutes les communes sont confrontées à au moins un risque.

Le porter à connaissance est un document qui peut s'avérer utile, mais il s'écoule parfois trop de temps entre les différents porter à connaissance. Dans l'intervalle, les risques ont évolué et le maire n'en est pas averti. Des exercices doivent également être prévus. Je ne parle pas d'un exercice type pour tout le département comme ceux qui ont lieu dans les écoles ! Il n'est pas forcément utile d'apprendre à gérer une inondation quand on vit sur une colline, ni un camion qui se renverse quand aucune route départementale ou nationale ne traverse la commune. Nous n'avons pas la culture de l'exercice et nous devons progresser en ce domaine.

La journée nationale de la résilience face aux risques naturels et technologiques est intéressante. Dans notre territoire, nous avons créé la Semaine de la sécurité, afin de sensibiliser le grand public, les professionnels et les établissements scolaires à la sécurité au sens large. Nous leur proposons des ateliers, des visites, des conférences.

Enfin, j'approuve l'idée d'une pause législative. La loi prévoit plusieurs mesures : laissons-leur le temps de s'appliquer et de produire leurs fruits. De nombreuses communes n'ont pas encore de plan communal de sauvegarde, faute d'avoir su ou pu l'adopter. Il faut les aider. Quant au document d'information communal sur les risques majeurs (Dicrim), je pense qu'il faut d'abord appliquer les mesures législatives avant d'aller plus loin.

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Concernant le financement, le rapport Falco émet des propositions intéressantes. Qu'en pensez-vous ?

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Bastien Coriton

La TSCA a été créée pour financer les SDIS, mais son affectation pose problème et nous en avons discuté avec le cabinet de la ministre chargée des collectivités territoriales cet été. Cela fait bien longtemps que les SDIS ne sont plus financés à parts égales par les départements et les communes, mais on ne peut pas aggraver encore davantage la charge des communes. Les budgets sont importants et il faut laisser aux territoires le soin d'organiser la répartition de la contribution. La définition de critères à l'échelle nationale pour le calcul de la contribution des communes a été envisagée, mais nous avons réussi à convaincre le Gouvernement que cette proposition était risquée. Les contributions des communes sont principalement fondées sur ce qu'elles payaient au moment de la départementalisation. Les simulations ont montré qu'en fixant des critères au niveau national, les contributions pouvaient exploser de plus de 1 000 % ou régresser jusqu'à moins 500 %. C'est une usine à gaz. Il est donc préférable de réfléchir à mieux répartir le financement des SDIS entre les départements et les communes. Par exemple, les départements ne reversent pas la totalité du produit de la TSCA qu'ils perçoivent. D'autre part, pourquoi ne pourrions-nous pas faire participer les entreprises qui génèrent des risques ? C'est vrai, elles paient des impôts locaux, mais cela ne suffit pas forcément à couvrir le risque important qu'elles font courir à la commune. Ainsi, nous avons défini avec EDF, lorsqu'une centrale nucléaire est installée sur la commune, un nouveau financement qui permettrait de renforcer le nombre de sapeurs-pompiers professionnels. C'est la même chose pour les communes qui comptent un grand port maritime. Les sociétés participent au financement des postes de sapeurs-pompiers professionnels pour couvrir le risque d'incendie des navires.

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Sébastien Leroy, maire de Mandelieu-la Napoule

Nous l'avons répété à la mission Falco : si les régions étaient appelées à abonder financièrement, il faudrait que l'organisation reste au niveau du département, sinon ce sera une grande usine à gaz qui nous conduira à l'échec. D'autre part, il faut avoir conscience que le financement des SDIS par les communes ne se résume pas aux mesures à prendre pour protéger et préserver le territoire, il englobe tout ce qui a trait à l'aménagement, l'entretien, l'équipement – jusqu'aux véhicules d'intervention des polices municipales si elles se rendent dans des secteurs exposés. Or la situation financière des communes est extrêmement tendue.

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Bastien Coriton

Je suis d'accord. Le principe d'un cofinancement peut être une bonne idée s'il se limite, par exemple, aux moyens aériens, à la lutte contre les feux de forêt, qui nécessitent un budget important, mais il faut s'en tenir à l'échelle de la zone de défense et de sécurité et au couple maire-préfet pour la gestion du risque, sinon on risque la cacophonie ! Surtout, évitons de remanier à nouveau les conseils d'administration au sein desquels l'équilibre est plutôt préservé entre les communes et le département. Il y a bien sûr des exceptions mais, en général, il est possible d'y discuter des financements et des besoins.

Les pactes capacitaires sont une bonne solution de financement pour permettre l'acquisition de matériels spécifiques. Il fut une époque où l'État finançait en partie les SDIS par l'intermédiaire d'un fonds d'aide à l'investissement, dont la dotation était annuellement répartie par zones de défense. Les enveloppes qui lui étaient allouées n'ont cessé de diminuer au fil du temps et ce fonds a aujourd'hui disparu. Le pacte capacitaire est un effort. Peut-être conviendrait-il de pérenniser l'effort d'aide à l'investissement pour les SDIS.

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Il y a un an, le Président de la République s'était engagé à débloquer 150 millions d'euros pour aider les SDIS. C'est chose faite depuis quinze jours. Ainsi, le SDIS des Deux-Sèvres reçoit près de 2 millions d'euros, mais tous les SDIS de France auront été aidés par l'État cette année.

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Bastien Coriton

C'est vrai. Et cette aide nous permettra d'acheter des véhicules.

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Notre système de sécurité civile fait intervenir de de nombreux acteurs publics et associatifs. Est-il lisible et cohérent ?

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Bastien Coriton

Notre modèle repose sur le volontariat, ce qui nous rend dépendants de la capacité de nos concitoyens à donner de leur temps. L'enjeu managérial est réel. Comment recruter ? Comment faire pour que le temps que les sapeurs-pompiers sont prêts à donner soit librement consenti ? Nous devons aussi nous appuyer sur les associations de sécurité civile, les réserves départementales de sécurité civile qui sont en train de se constituer. La multiplicité des acteurs n'est pas forcément négative, dès lors qu'ils parviennent à se coordonner.

En Seine-Maritime, nous avons voulu fédérer, sous la houlette du SDIS, l'ensemble des acteurs de la sécurité civile. À condition de réussir à coordonner leurs actions, c'est un système préférable à la fusion, qui risque de décourager bon nombre d'acteurs et de les faire partir. Nous réfléchissons à organiser, chaque année, une journée d'assises, pour que les acteurs se rencontrent et puissent échanger. Le choix d'un numéro unique pour appeler les services de secours est également important. Il faudrait surtout que, sur le terrain, on parvienne à installer un outil unique pour les services de secours. Ce n'est pas pour tout de suite !

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Sébastien Leroy, maire de Mandelieu-la Napoule

Le rôle des acteurs publics de la sécurité civile est bien défini et le dispositif est clair, même si nous pourrions encore l'améliorer. La situation est plus compliquée dès que des associations interviennent. Il faut gérer leurs éventuels conflits et rivalités. De surcroît, leurs dénominations entretiennent parfois la confusion avec des organismes publics, ce qui peut poser problème lorsqu'elles délivrent des formations ou prétendent établir des plans communaux de sauvegarde. C'est une vraie nébuleuse et les élus peuvent s'y tromper en pensant, en toute bonne foi, qu'ils ont affaire à des organismes publics agréés alors qu'il s'agit de sociétés privées. Il faudrait songer à clarifier ce système.

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Bastien Coriton

C'est dans cet esprit que nous avons voulu fédérer les associations de sécurité civile. C'est d'ailleurs la première fois que nous avons réussi à faire signer tout le monde. La réserve départementale de la sécurité civile et la maison de la sécurité civile qui ouvrira bientôt ses portes sont les fruits de ce travail. Peut-être conviendrait-il de reproduire ce modèle au niveau national.

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Il reste à savoir qui prendrait l'initiative d'une telle opération et qui coordonnerait les différents organismes.

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Je souhaiterais aborder le sujet de l'entretien des cours d'eau, qui est souvent problématique pour les maires. Il relève théoriquement de la responsabilité du propriétaire ou de l'exploitant riverain. Dans les faits, la situation est plus complexe car les propriétaires sont multiples, des parcelles sont abandonnées, des propriétaires peuvent ignorer qu'ils le sont parce que le cours d'eau est entré dans leur famille des générations auparavant. Une taxe Gemapi, qui est une taxe facultative, a été créée pour les collectivités locales. Le système actuel vous semble-t-il pertinent ? Serait-il nécessaire de le simplifier, en donnant par exemple aux collectivités locales les outils qui leur permettraient de gérer elles-mêmes ces cours d'eau ? Faut-il légiférer pour rappeler leurs obligations aux propriétaires de ces parcelles ?

D'autre part, une partie de ces cours d'eau sont à la charge de l'État. C'est le cas de l'Aude, fleuve de mon département. L'État dédie-t-il suffisamment de moyens financiers et techniques à leur entretien ?

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Sébastien Leroy, maire de Mandelieu-la Napoule

Le système n'est ni satisfaisant, ni efficace. Contrairement à ce qui est prévu pour l'entretien des terrains en vue de prévenir les incendies, aucune disposition légale ne permet aux collectivités locales d'entrer sur un terrain privé pour y faire réaliser les travaux dont le propriétaire ne s'acquitte pas et de lui présenter la facture ensuite. Aujourd'hui, la collectivité ne peut se substituer au propriétaire si elle n'a pas obtenu une déclaration d'intérêt général, ce qui prend cinq ou six ans. La procédure qui suit est très lourde, puisqu'il faut prévoir plusieurs envois de courrier en recommandé et des relances, selon un calendrier précis. Or, certains vallons comptent plus de 450 propriétaires, dont certains sont injoignables ou ont disparu. Le même problème se pose pour le débroussaillement des terrains. Nous avons essayé, avec la direction générale de la prévention des risques (DGPR), de simplifier la procédure, qui prend entre six et huit mois et mobilise des agents à temps plein pour toutes les communes. Nous avons en partie réussi. Je pense qu'en l'espèce, il serait pertinent de recourir aux nouvelles technologies, en particulier les drones qui permettraient de détecter les cours d'eau ou les terrains non entretenus. Cette demande nous a été refusée, alors que nous gagnerions un temps considérable.

D'autre part, la loi relative à l'eau et diverses mesures de protection environnementale sont très contraignantes pour les collectivités locales. Ainsi, si le curage d'un cours d'eau n'intervient pas dans les quinze jours qui suivent une crue majeure ou une grave intempérie, il faut se lancer dans toutes les études que la loi prévoit pour garantir la protection de la biodiversité, ce qui peut prendre jusqu'à trois ans.

Le traitement et le stockage des sédiments retirés des cours d'eau est un autre problème. Considérés comme des polluants, ils doivent en effet être apportés dans des décharges spécialisées, ce qui représente un coût faramineux pour les collectivités concernées.

Des mesures devraient être prises pour alléger les coûts et simplifier une réglementation dont la complexité ne se justifie pas.

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Bastien Coriton

Ma commune compte quatre rivières et est traversée par la Seine. Je partage donc les inquiétudes de M. Rancoule. En Seine-Maritime ont été créés des syndicats mixtes de bassins versants qui gèrent le risque de ruissellement et détiennent la compétence sur les rivières. Les propriétaires paient une taxe qui permet d'entretenir la rivière. Le dispositif fonctionnait plutôt bien jusqu'à ce que les agences de l'eau considèrent que l'entretien des rivières ne leur incombe pas, ou est inutile, et décident d'arrêter de financer les postes d'agents d'entretien des rivières. C'est bien dommage. Nous avons créé un syndicat interdépartemental qui regroupe l'Eure, la Seine-Maritime, le Calvados et l'ensemble des EPCI. Il est chargé de la Gemapi, notamment de celle des bords de Seine. L'enjeu est colossal et coûteux, du fait du changement climatique et du risque grandissant de catastrophe naturelle suite à une montée des eaux, sans parler de l'absence de financement par l'État. Je suis assez inquiet. J'ai dû annoncer récemment à une entreprise que ce serait bientôt à elle de se protéger des risques de débordement du fleuve. La taxe Gemapi, c'est bien, mais cela reste une taxe supplémentaire.

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Je vous remercie. Nous aurons d'autres occasions d'échanger avec l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalités autour des sujets que nous n'avons pas pu aborder.

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Je vous remercie pour la richesse de vos réponses. Nous aurons sans doute intérêt à vous entendre de nouveau à la fin des travaux de notre mission.

L'audition s'achève à dix heures quarante.

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur les capacités d'anticipation et d'adaptation de notre modèle de protection et de sécurité civiles

Réunion du jeudi 7 septembre 2023 à 9 h 30

Présents. – Mme Lisa Belluco, M. Benoît Bordat, M. Jean-Marie Fiévet, M. Didier Lemaire, M. Julien Rancoule.

Excusés. – M. Xavier Batut, M. Bertrand Bouyx, Mme Catherine Couturier, Mme Alexandra Martin, M. Éric Pauget.