Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Réunion du lundi 25 septembre 2023 à 14h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • LPFP
  • PIB
  • croissance
  • dette
  • hypothèse
  • optimiste
  • prévision
  • trajectoire
  • écart

La réunion

Source

La commission entend M. Pierre Moscovici, président du Haut Conseil des finances publiques sur l'avis du Haut Conseil relatif au projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous recevons, en sa qualité de président du Haut Conseil des finances publiques (HCFP), M. Pierre Moscovici, afin qu'il nous présente l'avis qu'a rendu le Haut Conseil des finances publiques sur les hypothèses actualisées relatives au projet de loi de programmation des finances publiques (PLPFP) pour les années 2023 à 2027.

Je rappelle que ce projet de loi de programmation des finances publiques avait été déposé il y a un an et que le Haut Conseil avait alors rendu un premier avis. Le HCFP est en effet chargé d'émettre un avis sur les prévisions macroéconomiques et l'estimation de PIB potentiel, mais également d'apprécier la cohérence de la programmation envisagée au regard de l'objectif de moyen terme retenu et des engagements européens de la France. Dans la mesure où les prévisions macroéconomiques qui fondent ce texte, ainsi que la trajectoire qui est proposée ont évolué depuis lors, il est heureux que le Haut Conseil ait à nouveau été saisi et qu'il ait pu rendre un nouvel avis, dont nous pouvons débattre avant d'entamer l'examen du texte en nouvelle lecture

Permalien
Pierre Moscovici, président du Haut Conseil des finances publiques

Je vous remercie de m'avoir invité devant votre commission, en tant que président du Haut Conseil des finances publiques, afin de vous présenter les principales conclusions de notre avis relatif à la révision du projet de loi de programmation des finances publiques 2023-2027, puisque le Gouvernement a choisi de ne pas déposer un nouveau projet. Comme j'ai eu maintes fois l'occasion de le dire, en particulier devant vous, je considère qu'il est indispensable que la France se dote d'une loi de programmation des finances publiques. Je me félicite donc de la reprise, dans cette enceinte, de la discussion sur ce projet.

Il ne me revient pas de porter un regard politique sur le contenu des dispositions de ce projet de loi, mais, en tant que président du HCFP, je souhaite rappeler son importance pour la gestion des finances publiques de notre pays. D'abord, l'adoption d'une loi de programmation des finances publiques (LPFP) constitue une obligation que le Parlement s'est donnée. C'est une partie intégrante de notre ordre public financier : la nécessité de fixer des perspectives de moyen terme de nos finances publiques au travers d'une LPFP figure à la première ligne de notre constitution financière, inscrite dans la loi organique de décembre 2012. Dès lors, l'absence d'une loi de programmation constituerait un enjeu politique incontestable, dont j'estime qu'il pourrait à un moment donné soulever un problème constitutionnel.

L'adoption d'une LPFP représente également une nécessité politique et de bonne gestion : elle fixe une trajectoire de solde et de dette qui donne un cap aux gestionnaires et aux responsables publics. Elle rend plus prévisible et plus lisible l'action publique pour les citoyens, pour les acteurs économiques, pour nos partenaires européens. Par ailleurs, l'adoption d'une LPFP répond aux engagements communautaires de la France : en adhérant à l'Union économique et monétaire, notre pays a accepté de coordonner ses politiques budgétaires avec ses partenaires européens. Nous leur devons et nous nous devons de respecter les engagements juridiques pris, qui supposent notamment de nous doter d'une programmation pluriannuelle. Enfin, l'adoption de la LPFP est un engagement pris par la France dans le plan national de relance et de résilience (PNRR) et conditionne donc le paiement de financements européens importants pour notre pays. Je me félicite donc que le gouvernement ait choisi de présenter ce projet de loi de programmation des finances publiques révisé. Conformément à la loi organique, il a saisi le HCFP des nouvelles prévisions macroéconomiques – le contexte économique ayant changé depuis la présentation du projet initial – et de la trajectoire de finances publiques mise à jour.

J'en viens maintenant aux observations détaillées du HCFP, que je présenterai en trois temps : dans un premier temps, ses observations sur l'estimation de la croissance potentielle ; dans un second temps, ses observations sur les prévisions macroéconomiques du gouvernement pour la période 2023-2027, et, dans un troisième temps, ses observations sur la trajectoire de finances publiques.

Le Haut Conseil est chargé par la loi organique de porter une appréciation sur l'évaluation, par le gouvernement, de l'activité potentielle. Il a ainsi examiné, d'une part, l'estimation d'écart de production du gouvernement, c'est-à-dire son estimation de la position de l'économie française dans le cycle économique ; et d'autre part, celle de la croissance potentielle, c'est-à-dire la croissance tendancielle que connaîtrait l'économie en l'absence de chocs conjoncturels. Cela peut paraître technique, mais votre commission sait que le cadre potentiel retenu est un élément déterminant de la crédibilité de la trajectoire de finances publiques.

À cet égard, le Haut Conseil considère que les deux hypothèses retenues dans le projet de LPFP, l'hypothèse d'écart de production et l'hypothèse de croissance potentielle, sont optimistes. S'agissant de l'estimation de l'écart de production, le gouvernement a légèrement révisé à la baisse son estimation du PIB potentiel sur le passé, pour prendre en compte un impact plus fort des crises sanitaire et énergétique. Il estime ainsi que l'écart de production sera un peu moins creusé en 2023 qu'il ne le prévoyait il y a un an, soit -1,2 % au lieu de -1,4 %.

Toutefois, cette évaluation traduit toujours, du point de vue du HCFP, une appréciation optimiste sur la capacité de rebond de l'économie française au-delà de 2023. Elle suppose en effet que l'économie française se situe dans un creux conjoncturel et qu'elle dispose donc de capacités de production inutilisées importantes, qui permettraient à la croissance future d'excéder la croissance potentielle. Mais la persistance de tensions sur les recrutements, qui demeurent à un niveau historiquement élevé même si elles ont un peu diminué dans les derniers mois, laisse au contraire penser que la capacité de rebond est limitée par les facteurs d'offre.

S'agissant de la croissance potentielle, le gouvernement a conservé sa prévision à 1,35 % par an sur la période 2023-2027. Le Haut Conseil estime également qu'elle est optimiste. Si d'autres prévisions s'en rapprochent, comme celle de l'OFCE pour le début de la période de programmation, ou celle du FMI à l'horizon 2027, elle demeure la plus élevée de toutes les prévisions disponibles, supérieure à celle de l'OCDE, de la Banque de France ou encore de la Commission européenne.

Cette prévision résulte en effet de la conjonction d'hypothèses favorables. Elle suppose que la productivité globale des facteurs, qui traduit le progrès technique et l'efficacité des facteurs de production, se remette à croître conformément aux tendances antérieures à la crise sanitaire. Elle suppose aussi un dynamisme important de l'investissement des entreprises, malgré le durcissement des conditions de crédit actuel. Enfin, s'agissant de la contribution de l'emploi à la détermination de la croissance potentielle, le gouvernement retient les effets des réformes du marché du travail, mises en œuvre ou envisagées, que le HCFP estime trop importants et trop rapides.

Certes, l'estimation de l'impact de la réforme des retraites se trouve confortée par les dernières projections de population active de l'Insee, qui retiennent même un impact un peu plus fort de la réforme des retraites que le gouvernement. Mais les effets attendus des autres réformes du marché du travail, et notamment celle de l'assurance chômage, paraissent nettement surestimés. Le HCFP estime donc que les hypothèses de croissance potentielle et d'écart de production sont optimistes.

Passons à présent aux prévisions macroéconomiques du gouvernement pour la période 2023-2027. Pour 2023, la prévision de 1 % retenue par le gouvernement, qui est inchangée par rapport à celle du Programme de stabilité, est désormais plausible. Cette prévision avait été jugée « un peu élevée » par le HCFP l'année dernière à la même époque. Permettez-moi un rappel important ici : la qualité d'une prévision économique se juge à son réalisme au moment où elle est réalisée, en fonction des informations disponibles. Elle doit être dépourvue de biais et cohérente avec les données constatées, les données d'enquête, les indicateurs avancés. Elle doit être « centrale », disent les économistes. Or cela n'était clairement pas le cas à l'époque, puisque la prévision du gouvernement était supérieure à celle de l'ensemble des autres prévisions alors disponibles, et qu'elle supposait donc, pour se réaliser, une conjonction de facteurs favorables. Je referme cette parenthèse, mais elle est importante, car elle éclaire également les travaux d'aujourd'hui pour lesquels le HCFP continue, avec constance, d'exercer son expertise : indiquer si les prévisions d'aujourd'hui sont dépourvues de biais et cohérentes avec les informations disponibles et centrales.

Que dire des prévisions de croissance du gouvernement pour les années 2024 à 2027 ? S'agissant de l'année 2024, le gouvernement présente une hypothèse de croissance de 1,4 %. Le HCFP estime que cette prévision est élevée : le consensus des économistes l'estime à 0,8 % et la Banque de France à 0,9 %. Pour les années qui suivent, de 2025 à 2027, le HCFP réitère son diagnostic : les hypothèses de croissance du gouvernement, c'est-à-dire une croissance de 1,7 % en 2025 et 2026 puis 1,8 % en 2027, sont optimistes. En effet, ce scénario s'appuie, de nouveau, sur une hypothèse de recul important du taux d'épargne des ménages pour le ramener à son niveau d'avant la crise, recul que l'on peut souhaiter, mais que rien n'annonce actuellement. Il suppose également un niveau d'investissement élevé des entreprises, ce qui semble peu compatible avec le resserrement des conditions de crédit qui résulte de la politique de rehaussement des taux d'intérêt conduite par la Banque centrale européenne (BCE). Enfin, ce scénario repose sur une contribution légèrement positive du commerce extérieur à la croissance, ce qui, au vu des tendances passées, apparaît comme une hypothèse favorable.

Quant aux prévisions d'inflation du gouvernement, elles sont, du point de vue du HCFP, plausibles pour les années 2023 et 2024. Le repli ultérieur de l'inflation attendu par le gouvernement peut néanmoins paraître un peu rapide. Ainsi, comme en septembre dernier, le scénario macroéconomique du gouvernement, bien qu'il ne repose pas sur une prévision totalement irréaliste, combine des hypothèses favorables, ce qui est de nature à fragiliser la réalisation des objectifs de finances publiques qui y sont présentés.

Le troisième et dernier point concerne la trajectoire des finances publiques. Le Haut Conseil a examiné la cohérence de la programmation avec l'objectif à moyen terme, d'une part, et celle des engagements européens de la France, d'autre part. Rappelons ici que la clause dérogatoire générale du pacte de stabilité et de croissance (PSC), qui permet aux États membres de s'écarter des exigences normalement applicables, sera désactivée fin 2023. Au-delà, en 2024, le PSC devrait donc retrouver sa pleine application. Se pose également la question du périmètre du pacte, dans sa forme actuelle ou dans une forme modifiée. Comme vous le savez, des discussions sont en cours entre les États membres pour adopter une réforme des règles de gouvernance économique européennes, que je souhaite voir adoptée. J'ai déjà eu l'occasion d'en parler devant vous à plusieurs reprises, dans ma qualité actuelle et dans des qualités antérieures. Je considère ainsi que le pacte actuel est procyclique, illisible et finalement un peu confus d'un certain point de vue ; mais j'ignore ce qui se passera. Les propositions initiales de la Commission européenne conservent la limite de 3 % de déficit et celle de 60 % du PIB pour la dette.

Par ailleurs, les propositions sur la table impliquent la présentation, par les États membres, de plans d'ajustement budgétaire de quatre ans en principe, qui permettent d'installer le ratio de dette sur une trajectoire durablement descendante à partir de la fin des premiers plans. Le ratio de dette devrait être inférieur en fin de période à son niveau initial. La durée des plans pourrait être allongée à sept ans si des réformes ou des investissements publics pertinents le justifient.

Dans la mesure où les nouvelles règles ne sont pas encore adoptées, le Haut Conseil des finances publiques a examiné la trajectoire présentée par rapport aux règles existantes. À cet égard, l'objectif de moyen terme de la France est d'atteindre un déficit structurel d'au plus 0,4 point de PIB. Cet objectif est confirmé par le présent projet de loi de programmation. Alors même qu'il paraît difficile d'atteindre un tel objectif sur la période de programmation, compte tenu du niveau élevé du déficit initial, force est de constater que la réduction du déficit prévue reste lente. L'amélioration programmée du déficit structurel d'une année sur l'autre est de 0,5 point de PIB en 2024. Il se réduit progressivement ensuite, alors que, selon les règles actuelles applicables à la France, il devrait être supérieur à 0,5 point de PIB chaque année. En outre, le déficit structurel s'établirait à 2,7 points de PIB, soit un niveau très éloigné de l'objectif de moyen terme que se fixe la France.

Ainsi, la trajectoire révisée par le gouvernement envisage un retour sous 3 points de PIB uniquement en 2027, avec un déficit effectif anticipé à 2,7 points de PIB. Certes, cette trajectoire est un peu améliorée par rapport au projet initial de LPFP, mais le passage sous la limite européenne reste tardif. J'aimerais souligner ici que, dans les programmes de stabilité déposés en avril – il y a certes déjà cinq mois – aucun de nos principaux partenaires de la zone euro ne prévoyait un retour du déficit sous 3 points de PIB aussi tardif. L'Irlande, la Grèce, l'Allemagne, le Portugal et les Pays-Bas présentent déjà un déficit inférieur à 3 points de PIB en 2022. L'Espagne vise le respect du seuil de 3 points de déficit en 2024, l'Italie en 2025 et la Belgique en 2026. Ainsi, en 2027, nous serions accompagnés de la seule Slovaquie.

Enfin, dans ce projet de LPFP révisé, le gouvernement vise une baisse un peu plus forte du ratio de dette publique que dans le projet initial, ce dont je me félicite. Le Haut Conseil des finances publiques a régulièrement appelé à une meilleure prise en compte de l'impératif de désendettement et je ne peux donc que saluer cette amélioration. Dans la trajectoire du gouvernement, la dette publique diminuerait d'un peu moins de 4 points entre 2022 et 2027, pour s'établir à 108,1 points en 2027. Cependant, cette réduction de l'endettement demeure bien modeste, partant qui plus est d'un niveau très élevé. Elle ne suffira pas à améliorer la position relative de la France au sein de la zone euro, qui s'est dégradée au cours des dernières années.

Au total, cette trajectoire paraît peu ambitieuse par rapport aux engagements européens, même si elle est un peu meilleure que dans le projet initial. Pour autant, la trajectoire de finances publiques prévue manque encore à ce jour de crédibilité. Elle repose en effet sur une maîtrise de la dépense nécessairement plus forte que dans le projet initial de 2022, afin de compenser l'alourdissement de la charge d'intérêts de la dette par rapport à celui-ci. Pour respecter la trajectoire prévue, compte tenu de l'alourdissement anticipé de la charge de la dette, les dépenses hors charges d'intérêts devraient être quasiment stables sur la période 2024-2027, avec une croissance de 0,1 % en volume. Or cela représente une trajectoire bien plus ambitieuse que celle réalisée par le passé.

À titre de comparaison, la période pendant laquelle la croissance de la dépense a été la plus contenue au cours des vingt dernières années est la période 2010-2014, c'est-à-dire pendant la crise des dettes souveraines en zone euro. Les dépenses hors charges d'intérêts augmentaient alors de 0,9 % en volume. Selon la trajectoire prévue, cette progression très limitée des dépenses reposerait notamment sur un effort marqué de réduction des dépenses de l'État à moyen terme, qui baisseraient de 0,9 % en volume.

Dans cet ensemble, certaines dépenses seront plus dynamiques en raison des lois de programmation sectorielles, par exemple pour la défense, qui ont d'ailleurs été examinées par le Haut Conseil. Aussi, les autres dépenses de l'État qui ne sont pas couvertes par des lois de programmation devront très fortement diminuer. La maîtrise de la dépense reposerait également sur la baisse des dépenses de fonctionnement des collectivités locales, qui s'établirait à 0,5 % par an en moyenne sur la période 2024-2027, et cela sans mécanisme contraignant pour y parvenir ; ainsi que sur l'hypothèse d'une baisse de leurs investissements conforme aux évolutions habituelles à ce stade du cycle électoral communal. Ces évolutions prévues pourraient toutefois être en partie contrariées par les investissements nécessaires à la transition écologique, qui sont massifs.

Enfin, les dépenses des administrations de sécurité sociale augmenteraient en moyenne de 0,8 % en volume sur la période 2024-2027, soit un rythme inférieur à celui du PIB. Ce scénario repose sur la montée en charge progressive de la réforme des retraites promulguée au printemps, mais aussi sur une progression des dépenses sous objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) limitée à 2,9 % en fin de période, ce qui suppose un effort de maîtrise important. L'Ondam n'intègre pas de surcoût lié à la dépendance, en dépit de la hausse des besoins résultant du vieillissement de la population.

Au total, le respect de la trajectoire suppose la réalisation d'un montant important d'économies, toujours peu documentées à ce jour. Le gouvernement escompte 12 milliards d'euros d'économies pérennes en 2025, réparties entre l'État et la sphère sociale, issues de l'exercice de revues de dépenses dont le contenu concret reste à détailler. D'autres économies demeurent à préciser, au-delà de l'impact de la réforme des retraites et de l'assurance chômage.

Le HCFP a estimé qu'en l'absence de précision sur la nature de ces économies, il ne pouvait juger le réalisme de la trajectoire de dépenses ni en apprécier les conséquences sur le scénario macroéconomique. Ainsi, la baisse attendue du ratio de dette publique est fragile, puisqu'elle s'appuie sur une prévision de croissance optimiste et une cible exigeante de dépenses, dont le respect n'est aujourd'hui pas garanti par des annonces concrètes.

Pour conclure, permettez-moi de tirer quelques enseignements qui ressortent de l'analyse du projet de loi de programmation qui vous est présenté. Le point saillant qu'il me semble important de retenir est l'augmentation spectaculaire de la charge de la dette qui est attendue, alors même que la baisse du ratio de dette prévue dans le projet de loi de programmation n'est pas assurée. La Cour des comptes et le Haut Conseil ont depuis longtemps alerté sur la progression du service de la dette et les risques qu'elle entraîne. Il ne s'agit plus d'une hypothèse, la hausse des taux est là et le poids de l'endettement devient massif. L'État, principalement, et les administrations publiques, en général, s'apprêtent à verser 57 milliards d'euros d'intérêts en 2024 ; ce montant devrait atteindre 84 milliards en 2027, soit un montant supérieur au budget de l'éducation nationale, premier budget de la nation.

Il ne s'agit plus de s'inquiéter, mais d'ouvrir les yeux sur ce que cela implique pour aujourd'hui et pour notre capacité d'agir demain. Je ne suis pas venu aujourd'hui vous vanter une potion amère ou préconiser l'austérité. J'ai une longue expérience de la chose publique, je crois à l'action publique et à la volonté politique. Je suis personnellement convaincu que le volant d'économies envisagé n'est pas impossible à réaliser. D'autres pays l'ont fait avant nous et ont fait même beaucoup plus. Mais pour y arriver, nous devons modifier nos comportements collectifs vis-à-vis de la dépense. Nous devons accepter de revoir les dépenses qui ne sont pas efficaces et d'opérer différemment quand cela est possible. C'est d'autant plus nécessaire qu'en dépit de dépenses élevées et du dévouement des femmes et des hommes qui y travaillent, nos services publics ne sont pas toujours au niveau de qualité attendu par nos concitoyens.

Ni le rabot, ni la pensée magique qui espère tout de la croissance et de l'augmentation indéfinie des recettes, ne résoudront notre équation de finances publiques. Leur situation demande une action déterminée et collective sur la dépense. Cela n'est pas aisé, mais le gouvernement a engagé des revues de dépenses, une première étape indispensable sur le chemin de la maîtrise de nos finances publiques. Pour être totalement probante, cette démarche doit être élargie et prolongée. Il est important que la revue se fasse dans la durée et que le débat soit très ouvert, bien au-delà d'un dialogue réservé à quelques administrations. Ceci est fondamental si nous voulons dégager des marges de manœuvre pour que notre pays puisse financer ses investissements, en particulier dans la transition écologique.

Le rapport de Jean Pisani-Ferry et de Selma Mahfouz a fait l'objet de réactions spécifiques, mais il existe un point de consensus : le niveau de dépenses à consacrer à la transition écologique, soit 30 à 35 milliards d'euros par an. Comment y parvenir avec 84 milliards d'euros de charges de la dette ? Nous sommes donc face à une équation compliquée. Personne ne souhaite que notre pays se trouve dans une situation où des tensions sur la dette conduiraient à des coupes brutales dans la dépense, ou à des augmentations massives d'impôt, avec dans les deux cas, des conséquences fortes pour les ménages et les entreprises. On ne peut pas dire que ce risque nous guette aujourd'hui, mais la sagesse recommande de ne pas attendre qu'il apparaisse pour agir. Il serait en effet alors trop tard.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Vous avez évoqué le rapport de Jean Pisani-Ferry et de Selma Mahfouz et mentionné la question du désendettement. Finalement, je me demande s'il ne faudrait pas que le Haut Conseil des finances publiques intègre dans son raisonnement une autre forme de dette, la dette écologique. Dans les préconisations produites dans leur rapport, au nom de la dette écologique mesurée par l'objectif de décarbonation en 2050, ils intègrent un accroissement de la dette de 250 à 300 milliards d'euros. Je me demande donc s'il ne faudrait pas parler de dette écologique pour mesurer l'efficacité d'une politique publique, et pas seulement de dette financière. Je souhaite soumettre cet élément à votre sagacité, dans la mesure où la dette écologique est souvent oubliée. Pourtant, celle-ci ne sera ni annulable, ni reportable, ni négociable.

S'agissant des charges de la dette publique, les 70 milliards d'euros en 2027 représenteront alors 2 à 2,1 % du PIB. Aujourd'hui, en 2022, nous en sommes à 1,9 %. À un moment donné, si nous souhaitons procéder à un examen sur le coût de la charge de la dette, il faut également y intégrer les prévisions d'inflation et de croissance, mais aussi la mettre en rapport avec le PIB. Dans ce cadre, ce coût apparaît moins effrayant, ce qui ne signifie pas qu'il soit pour autant négligeable.

Ensuite, le Haut Conseil relève dans son rapport que les économies de dépenses publiques qui doivent permettre d'assurer le respect de la trajectoire sont « toujours peu documentées à ce jour ». Pourriez-vous nous en dire plus sur les lacunes de cette documentation ? Vous avancez le chiffre de 12 milliards d'euros de baisse des dépenses publiques, qui correspondent à la fin du bouclier énergétique ou de l'aide ponctuelle aux entreprises. Ne craignez-vous pas une politique d'austérité, dont vous avez souligné que vous ne figuriez pas parmi les partisans ? Cette absence de documentation ne reflète-t-elle pas l'impossibilité de procéder à d'autres baisses de dépenses publiques ? Si l'on revenait sur une partie des allègements fiscaux, les budgets pourraient s'en trouver rééquilibrés. À supposer que les économies ainsi espérées ne puissent finalement être réalisées, avez-vous estimé l'ampleur de l'écart à la trajectoire qui pourrait en résulter ?

Enfin, votre avis relève que les objectifs figurant dans les cinq précédentes LPFP n'ont que très rarement été atteints en raison de leur caractère non contraignant et des hypothèses optimistes et rapidement obsolètes sur lesquelles ils reposent. Le projet de réforme des règles de gouvernance économique européenne en cours prévoit notamment de renforcer le rôle des instituts budgétaires indépendants nationaux, donc celui du Haut Conseil des finances publiques pour la France. Comment cette réforme pourrait-elle se traduire en ce qui concerne le suivi des objectifs de la LPFP ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

M. le président du Haut Conseil des finances publiques, je vous remercie pour cet avis qui éclaire le débat national, à quelques heures de l'examen du PLPFP en commission. Je note que cet avis est balancé entre deux types d'appréciation. D'une part, vous jugez optimistes la prévision de croissance du gouvernement pour 2024, qu'il a toutefois récemment modérée, ainsi que ses estimations d'écart de production et de croissance potentielle sur la période de programmation. D'autre part, vous jugez plausibles la prévision de croissance du gouvernement pour 2023, ce qui est nouveau, ainsi que ses estimations d'inflation pour 2023 et 2024.

S'agissant des finances publiques, vous relevez que la nouvelle trajectoire du gouvernement est plus ambitieuse qu'il y a un an, tant sur le déficit public que sur l'endettement. Vous considérez toutefois que cette ambition demeure mesurée. Il est possible de partager ce point de vue, mais il faut symétriquement reconnaître que nous avons traversé des crises exceptionnelles, à une fréquence exceptionnelle. En outre, l'impératif de l'investissement en faveur de la transition écologique s'impose à nous.

Je ne reviendrai pas sur la nécessité pour notre pays de disposer d'une LPFP, mais me concentrerai sur un certain nombre de questions. Longtemps, la prévision de croissance du gouvernement pour 2023, fixée à 1 %, a été considérée par tout le monde comme optimiste, y compris par le HCFP. Vous l'estimez désormais plausible, tout comme un certain nombre de conjoncturistes dans la période récente. Que s'est-il passé selon vous en 2023 dans l'économie française pour que ce qui semblait hors d'atteinte soit in fine constaté ? Y a-t-il des leçons à en tirer pour l'avenir, y compris pour 2024 ?

Ensuite, vous considérez que le gouvernement est optimiste s'agissant de l'écart de production en 2023 et du niveau de la croissance potentielle. Il est vrai que les prévisions gouvernementales se situent en haut des fourchettes, même si bon nombre de conjoncturistes produisent en la matière des prévisions peu éloignées de celles du gouvernement, par exemple l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) pour l'écart de production et l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) pour la croissance potentielle. De plus, les écarts de prévision entre conjoncturistes eux-mêmes sont particulièrement étonnants. Vous qui les interrogez, comment analysez-vous ces écarts ? Quelle confiance peut-on avoir dans les appareillages théoriques censés approcher ces grandeurs non directement observables ?

Par ailleurs, vous notez que, de 2025 à 2027, le gouvernement propose désormais d'associer aux trajectoires de dépenses de l'État et des administrations de sécurité sociale un exercice de revues de dépenses fondé sur l'obligation de trouver au total 12 milliards d'euros d'économies, chacune de ces trois années. Eu égard à la revue des dépenses que le gouvernement a réalisée en 2023 – je pense comme vous que l'exercice est largement perfectible –, comment faudrait-il procéder pour progresser rapidement et collectivement en la matière ?

Par ailleurs, les collectivités territoriales seraient exemptées d'un tel exercice de revues des dépenses, associé à une obligation de résultats en milliards d'euros. Elles seraient d'ailleurs exemptées de tout cadre contraignant concernant l'évolution de leurs dépenses de fonctionnement. Pensez-vous que l'obligation qui pèse sur elles d'exécuter des budgets en équilibre de fonctionnement soit suffisante pour qu'elles contribuent à l'effort de redressement de nos finances publiques ? À cet égard, l'exécution 2023 de leurs dépenses montrera-t-elle une baisse en volume de leurs dépenses comme prévu dans la trajectoire ?

Enfin, au mois d'avril dernier, la Commission européenne a publié des propositions de réforme de l'encadrement européen des politiques budgétaires, que l'avis publié par votre institution prend le soin d'exposer. Quel regard portez-vous sur ces propositions ? Quels seraient les avantages et les inconvénients de ces règles dans l'absolu ou par rapport au cadre actuel ? Et quelles modifications de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) pourraient-elles appeler ?

Permalien
Pierre Moscovici, président du Haut Conseil des finances publiques

Vous avez évoqué la dette écologique. Le Haut Conseil des finances publiques est un organisme qui travaille sur mandat, à partir des missions confiées par la loi organique. Mais si on nous le demande, nous serons prêts à travailler sur la dette écologique. De manière plus substantielle, je considère que la dette écologique et la dette financière constituent les deux faces d'une même pièce. J'ai eu l'occasion, y compris à titre personnel, de me prononcer sur le rapport Pisani-Ferry – Mahfouz, en donnant une appréciation extrêmement positive sur l'évolution des dépenses à opérer.

J'ai en revanche un point de désaccord avec Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz sur la dette. Naturellement, il est préférable d'utiliser une dette pour la transition écologique que pour le fonctionnement. Mais, in fine, cette dette doit être remboursée et elle se traduit par une augmentation de sa charge. Finalement, le serpent finit par se mordre la queue : cette augmentation réduit la capacité à financer les investissements. Je maintiens pour ma part que l'augmentation de la dette seule ne constitue absolument pas la solution. Si nous augmentons la dette écologique, il faut trouver autant de ressources de désendettement ailleurs. J'ajoute que le rapport ne propose pas non plus que tout soit absorbé par un surcroît de dette. Il propose ainsi une série d'autres pistes. Cependant, la dette financière pèse sur l'ensemble de l'action publique, y compris notre capacité à faire face à la transition écologique.

Les charges de la dette publique seraient de 1,9 point de PIB en 2022 et de 2,6 points de PIB en 2027, soit une hausse de 0,7 point, qui ne prend en compte qu'une partie des effets de la hausse des taux. Mais je partage le point de vue du rapporteur général sur ce sujet : il faut surtout regarder ce que cela représente en termes budgétaires. J'ai évoqué les années 2010 à 2014 ; pendant deux ans, j'étais ministre des finances lors de la période sous revue. Je ne souhaite à personne de se retrouver dans la situation dans laquelle j'étais à l'époque, quand la charge de la dette représentait le deuxième budget de l'État. Il importe donc de ne pas se reposer sur des critères de PIB, mais de regarder le contenu économique et financier, ce que vous faites, mesdames et messieurs les parlementaires.

Vous avez de plus évoqué les économies non documentées. Environ 12 milliards d'euros sont annoncés en 2025 au titre des revues de dépenses, sans connaître les dépenses concernées. Les chiffres sont précisés pour la réforme des retraites et l'assurance chômage, mais les autres économies nécessaires ne sont pas spécifiées. L'année prochaine, vous serez confrontés à un exercice d'une autre complexité : il ne s'agira plus de mettre un terme à des dispositifs exceptionnels prolongés, mais de procéder à des choix difficiles. Il conviendra donc d'agir de manière profonde et sérieuse.

En ce qui concerne la réforme des règles de gouvernance européennes, je considère depuis très longtemps qu'elles sont inadaptées en l'état. Pendant les cinq années où j'ai été commissaire européen, j'ai introduit une notion fondamentale de flexibilité, sans laquelle nous aurions sanctionné l'Italie, l'Espagne ou le Portugal. Aujourd'hui, la flexibilité ne suffit plus : les règles elles-mêmes doivent être revues.

De fait, si nous devions rétablir les règles sans les modifier, cela serait extrêmement préoccupant. Un certain nombre de pays, dont le nôtre, se retrouveraient ainsi en procédure pour le déficit et pour la dette. À titre personnel, je suis convaincu qu'un accord est non seulement nécessaire, mais également possible. À ce sujet, la proposition initiale de la Commission européenne, qui consiste à dessiner des trajectoires individualisées en contrepartie de certaines réformes, constitue plutôt une bonne démarche. D'autres pays n'ont pas la même attitude. Par exemple, l'Allemagne opère un durcissement incontestable, qui paraît difficile à accepter en l'état. Je pense néanmoins que des voies de compromis existent.

Monsieur le président, vous vous êtes interrogé sur ce qui se passerait dans l'hypothèse où les règles seraient modifiées pour les institutions budgétaires indépendantes (IBI), à l'image du Haut Conseil des finances publiques. Il y aurait dans ce cas plus d'appropriation nationale, des plans seraient déroulés année après année, ce qui impliquerait nécessairement un renforcement du rôle des institutions budgétaires indépendantes. Nous serions ainsi conduits à donner des avis sur la soutenabilité de la dette ou des politiques publiques. Il serait à ce moment-là nécessaire de demander aux gouvernements de s'expliquer s'ils ne suivaient pas les avis des IBI.

En toute hypothèse, si cela devait se produire, vous seriez conduits à modifier la loi organique pour en tenir compte, dans un contexte qui pourrait être consensuel. Certains estimeront que l'on pourrait encore retarder d'un an le rétablissement des règles. D'une part, pour en avoir parlé récemment avec le commissaire en charge, cela serait très compliqué. D'autre part, cela ne serait pas forcément favorable pour la France : plus la décision intervient tardivement, plus les écarts se voient. Je plaide donc plutôt pour un rétablissement en 2024 des règles, mais des règles modifiées.

Ensuite, que s'est-il passé en 2023 ? La baisse des prix du gaz est intervenue de manière imprévue, y compris pour le gouvernement. La croissance au deuxième trimestre a également surpris tout le monde. Comme nous le faisons toujours, nous avons interrogé plusieurs instituts de conjoncture privés et publics. Personne ne dispose d'explications claires sur ce qui s'est passé lors de ce trimestre. Pour le moment, la tendance n'a pas été confirmée par les trimestres ultérieurs. Je me réjouis naturellement que la prévision d'un taux de croissance de 1 % en 2023 tende à se confirmer. Mais je ne pense pas qu'il faille capitaliser de manière excessive sur cet évènement.

Sans trahir les débats sur la prévision en 2024, les écarts des estimations sont très importants selon les instituts de conjonctures, certains parlant de 1,2 % quand d'autres se limitent à 0,4 %. Quoi qu'il en soit, tous se situent en deçà de 1,4 %.

Monsieur le président, je ne crois pas au rabot. J'ai toujours trouvé cette méthode assez idiote en réalité, car elle n'améliore en rien la qualité de la dépense. De mon côté, je plaide pour une revue des finances publiques. Dans le cadre de nos travaux, nous avons produit neuf notes thématiques, dont une note sur les dépenses fiscales et une autre sur les aides aux entreprises. Nous ne prétendons pas disposer de la vérité révélée, mais il nous faut aller beaucoup plus loin en la matière.

Comment améliorer la revue des dépenses publiques ? Dans son rapport du mois de juin, la Cour des comptes a rédigé un chapitre de méthode qui m'apparaît très intéressant. Il insiste notamment sur la durée et je crois savoir que telle est également l'intention du gouvernement et du ministre délégué en charge du budget. Ensuite, il importe d'œuvrer en profondeur : il faut agir sur la totalité de la dépense publique. Enfin, cet exercice ne doit pas se dérouler entre administrations, mais être beaucoup plus ouvert, en associant les parties prenantes, c'est-à-dire les forces sociales, des économistes et des institutions indépendantes.

La dépense des collectivités est attendue en hausse de 1 % en volume en 2023, avec notamment un effet très significatif sur l'investissement (10 % en valeur et 5 % en volume). Ici aussi, il sera nécessaire de rechercher un consensus extrêmement fort. Le ministre des finances a réuni la semaine dernière ce qu'il appelle le Haut Conseil des finances locales, rassemblant les trois ministres concernés, ainsi que les présidents des associations et le premier président de la Cour des comptes. Je n'ai pu m'y rendre en raison de contraintes de calendrier, mais j'étais représenté par Christian Charpy le président de la quatrième chambre de la Cour des comptes. La réunion s'est d'ailleurs déroulée dans un bon état d'esprit.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Votre avis est riche d'enseignements. Vous soulignez d'abord que nous engageons en dépense des efforts supérieurs à ce qui avait été prévu en septembre dernier, compte tenu du niveau plus élevé de la charge d'intérêt de la dette et du maintien des taux de prélèvements obligatoires. Vous confirmez en outre deux éléments centraux du scénario macroéconomique, l'inflation et la masse salariale.

Vous soulignez en outre que ce texte ne comporte aucun mécanisme contraignant pour les collectivités locales et qu'il ne faut pas confondre les hausses d'impôts et la stabilité ou la hausse du taux de prélèvements obligatoires, compte tenu de la forte élasticité des recettes. Vous pointez en outre les effets plus importants que prévu de deux réformes essentielles : la réforme des retraites et celle de l'assurance chômage.

Par ailleurs, vous adressez deux critiques à la politique économique que mène le gouvernement. D'abord, vous considérez que le taux d'épargne n'a pas vocation à se réduire autant que le gouvernement l'envisage dans les prochaines années. Quels sont les déterminants de votre analyse, alors même que chez nos voisins européens, ce taux a plutôt tendance à diminuer ? De la même manière, vous nous indiquez que les effets du durcissement de la politique économique ne se sont pas tous fait sentir jusqu'à présent. Mais qu'en sera-t-il lors des mois à venir ? Je pense notamment à l'immobilier.

Plus largement, quelles conséquences envisagez-vous de la divergence entre les stratégies d'endettement dans les pays de la zone euro ? Pensez-vous que cette divergence portera atteinte à notre capacité à nous autofinancer, alors que nous serons le premier émetteur de la zone euro ? Dans cette perspective, faut-il maintenir nos instruments de diversification de l'endettement, et notamment les obligations assimilables du Trésor indexées (OATI) ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous vous remercions pour votre travail, qui nous éclaire. Dans votre avis, vous indiquez que les hypothèses retenues sont optimistes. J'en retiens deux exemples. D'une part, la prévision de croissance pour 2024 est de 1,4 %, soit un niveau supérieur au taux de 0,8 % qui fait consensus chez les économistes. D'autre part, la trajectoire du solde public est projetée à 2,7 % en 2027 alors que la charge de la dette va augmenter considérablement : 48 milliards d'euros en 2024, 65 milliards d'euros en 2026 et 84 milliards d'euros en 2027, soit un niveau supérieur au budget de l'éducation nationale.

Ensuite, les collectivités territoriales devront à nouveau, après les contrats de Cahors, participer à l'effort de redressement des comptes publics via des pactes de confiance qui encadreront leurs dépenses de fonctionnement, alors même qu'elles ont de moins en moins de pouvoir de taux et qu'elles ne dépensent pas par plaisir. La sanction en cas de non-respect de l'augmentation de leurs dépenses de fonctionnement sera une exclusion des subventions d'investissement.

La trajectoire de réduction du solde public structurel affichée d'ici 2027 est inférieure au 0,5 point de PIB demandé dans le cadre du pacte de stabilité et de croissance par l'Union européenne aux pays qui présentent une dette supérieure à 60 points de PIB, ce qui est le cas pour la France. Or, en mars 2020, après la crise sanitaire, la Commission européenne a déclenché la clause dérogatoire du pacte de stabilité, qui permet aux États de s'écarter des exigences budgétaires jusqu'à la fin de l'année 2023. Compte tenu de la fin imminente de cette clause dérogatoire, la France risque donc de voir déclencher contre elle le mécanisme européen de correction dès 2024. Qu'en pensez-vous ?

Enfin, le gouvernement lie l'adoption de cette LPFP au déblocage des fonds européens du plan de relance. Sans déblocage de ces fonds pour 2023 et 2024, quelles sont les conséquences pour la sincérité du budget présenté dans le projet de loi de finances (PLF) ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous vous remercions pour cette présentation. J'observe que vous émettez toujours des réserves sur les prévisions économiques du gouvernement, qui ne sont pas de nature à nous rassurer sur le sérieux des débats budgétaires qui nous seront proposés.

Récemment, vous avez indiqué dans un entretien à L'Express que la baisse d'impôts constitue une option qu'il faut éviter, car nous n'en avons plus les moyens. Or, depuis 2017, nous avons constaté des baisses d'impôts de l'ordre de 50 milliards d'euros, qui concernent surtout les impôts des plus riches, c'est-à-dire les plus grandes fortunes et les multinationales. D'autres baisses nous attendent, à l'instar de la deuxième moitié de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), qui bénéficiera encore une fois aux grandes entreprises. Ne faudrait-il pas tout simplement annuler cette mesure ? J'éprouve des difficultés à croire qu'elle est urgente quand je constate que le gouvernement l'a repoussée de plusieurs années, assez facilement.

Ma deuxième question porte sur la qualité des dépenses publiques. Il y a dix jours, le collectif Nos services publics a publié un rapport. J'espère que vous avez tous pris le temps de le lire, car ses conclusions doivent nous alerter. L'enseignement principal du rapport est le suivant : les moyens des services publics augmentent certes, mais moins vite que les besoins sociaux. Ces derniers sont urgents et concernent notamment le vieillissement de la population, l'augmentation des maladies chroniques, la permanence des violences faites aux femmes ou le manque des débouchés professionnels.

La réponse à ces besoins devrait constituer la boussole de la LPFP ou d'un budget. Malheureusement, la LPFP fait l'inverse, puisqu'elle fixe un plafond de dépenses publiques. Comment allons-nous répondre à des besoins qui augmentent, alors que l'objectif affiché porte sur la baisse des dépenses publiques ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je vous remercie pour les travaux dont vous nous avez fait part. Je partage votre avis sur la nécessité d'une LPFP et d'une trajectoire affirmée. Ensuite, nous sommes également inquiets sur le niveau de la charge de la dette, que nous avons souligné à plusieurs reprises. M. le président Coquerel a indiqué qu'il fallait apprécier le niveau de la dette par rapport au PIB. Le niveau de 1,5 point de PIB correspond effectivement à la moyenne dans l'UE, si l'on se réfère à l'année 2021. Mais au sein de l'Europe, les situations sont très variables : l'Allemagne est quant à elle à 0,6 point de PIB, quand la France ne figure pas parmi les pays les plus vertueux.

Ma première question concerne la diminution des dépenses publiques. M. Moscovici, vous avez souligné des économies non documentées à ce jour, en évoquant 12 milliards d'euros d'économies en 2025, qui correspondraient au seul niveau de diminution des dépenses. Ai-je bien compris ?

Ensuite, vous avez mentionné les dépenses des collectivités territoriales, en soulignant une diminution moyenne de 0,5 point par an des dépenses de fonctionnement. Pour ma part, j'avais cru comprendre que le gouvernement avait envisagé 0,3 %. Qu'en est-il ?

En page 16 de votre avis, vous mentionnez le surcoût progressif lié aux dépenses de dépendance, compte tenu de la non-documentation des besoins en matière de perte d'autonomie. Quel est votre sentiment sur le sujet ?

Enfin, ma dernière question concerne les recettes publiques. Dans votre avis de septembre 2022, vous souligniez que la hausse de certaines recettes inscrites dans la loi de programmation n'était que partiellement documentée. Qu'en est-il dans la loi de programmation actuelle ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je vous remercie pour votre avis sur ce PLPFP. Dans celui-ci, vous jugez une nouvelle fois optimiste la prévision de croissance potentielle, alors qu'elle est très proche de celle produite par l'OFCE.

Par ailleurs, vous affirmez que cette prévision de croissance potentielle à 1,35 % suppose notamment un impact des réformes du marché du travail, que vous jugez trop important et trop rapide. Pourriez-vous nous expliquer quels éléments vous font porter ce jugement ? L'hypothèse de l'adoption des dispositions prévues dans le projet de loi pour le plein emploi, que nous allons étudier cet après-midi, permettrait-elle de revoir votre jugement ?

Ensuite, sur la base des éléments fournis par le gouvernement, vous affirmez que d'ici 2027, le ratio des prélèvements obligatoires devrait rester plutôt stable, à un niveau inférieur au ratio record constaté l'an passé, à 45,4 %. Cependant, vous relevez que les tendances observées sur les prix des actifs immobiliers font peser un risque de baisse sur les recettes des droits de mutation à titre onéreux et des droits de mutation à titre gratuit (DMTO/DMTG), et de l'impôt sur la fortune immobilière (IFI). Disposez-vous d'éléments de chiffrages précis à ce sujet pour les années à venir, dans l'hypothèse où aucune réforme d'ampleur n'interviendrait dans les mois à venir pour apporter des solutions à la crise du logement ?

Enfin, les hypothèses de la charge de la dette que vous nous avez exposées ont-elles été réalisées à cotation stable de la France par les agences de notation ou ont-elles anticipé une potentielle dégradation de la note de la France, qui pourrait intervenir si le Parlement n'adoptait pas la LPFP cette semaine ? Cette dégradation pourrait être dramatique pour notre économie, en limitant de manière draconienne l'accès au crédit pour nos entreprises.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je vous remercie pour la présentation de votre avis. Cependant, nous avons le sentiment de participer à un exercice purement stylistique. Votre rapport le rappelle : jamais la France n'a respecté ses LPFP et la présente loi de programmation désobéit déjà à celle que nous avions rejetée l'année dernière. Je souhaiterais donc recueillir votre avis monsieur le premier président, vous qui avez contribué à ce cadre lorsque vous étiez ministre. Comment qualifiez-vous le recul de l'application de ce cadre depuis maintenant plus d'une dizaine d'années ? Quelle est sa soutenabilité pour l'avenir ? Finalement, la parole de la France est décrédibilisée tant elle ne respecte pas les propres engagements qu'elle prend devant la représentation nationale.

Vous rappelez dans votre rapport que le gouvernement escompte 12 milliards d'euros d'économies pérennes en 2025, sans que nous n'ayons de précisions sur la nature de ces économies. Quel pays développé promet des économies sans même en expliquer les moyens d'y parvenir ?

Je souhaite aussi vous entendre sur l'ajustement qui nous est ici proposé, c'est-à-dire une réduction du déficit de plus de 0,5 % point de PIB sur l'année qui vient et les années qui suivront. En effet, nous n'avons jamais réalisé par le passé une telle réduction des dépenses publiques avec une croissance inférieure à 2 %. La seule année où nous y sommes parvenus était en 2013. Vous étiez à l'époque ministre et vous aviez prononcé des mots assez forts, que je partageais à l'époque, sur le « ras-le-bol fiscal » engendré par cet ajustement trop rapide.

Enfin, je m'interroge sur le cadre général relatif au solde conjoncturel et au solde structurel. Nous voyons bien à quel point les divergences sur l'appréciation de la croissance potentielle rendent difficile le débat. Faut-il supprimer cette référence aux soldes structurels et conjoncturels, pour revenir à une appréciation plus large du solde public ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Comme vous l'avez indiqué, le gouvernement souhaite mettre à jour les prévisions macroéconomiques et la trajectoire des finances publiques adossées au projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027. À la lecture de ces éléments, nous pouvons tirer trois enseignements majeurs.

Le premier enseignement est le suivant : la croissance a résisté cette année malgré un contexte international incertain et elle devrait continuer à résister l'année prochaine, même si vous jugez la prévision du gouvernement optimiste. C'est le signe de la résilience de notre économie, ce dont nous devrions tous nous réjouir.

Le second enseignement tient au fait que la trajectoire de désendettement est réelle, bien que trop timide à votre goût. La réduction du déficit public sous les 3 % du PIB en 2027 est nécessaire et cet engagement doit être tenu.

Troisième enseignement, le coût de la dette est encore revu à la hausse. Cette charge sera de 84 milliards d'euros en 2027. Cette situation est évidemment préoccupante et nous rappelle que l'endettement à tout-va ne peut constituer une solution viable pour nos finances publiques.

Vous avez également insisté sur l'impérieuse nécessité de nous doter d'une LPFP. Malgré votre avis, qui peut laisser penser que vous ne partagez pas l'ensemble des prévisions établies par le gouvernement, quel risque ferions-nous prendre à notre pays, et particulièrement à nos finances publiques si nous n'adoptions pas ce texte ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Monsieur le président du Haut Conseil des finances publiques, vous estimez dans votre rapport que la trajectoire proposée par le gouvernement suppose d'importantes économies qui ne sont pas documentées. Elle induit que les dépenses hors lois de programmation sectorielles, c'est-à-dire en dehors de la recherche, de la justice, de la sécurité et des armées, devront diminuer de 1,8 % en volume. En outre, les dépenses des collectivités devront diminuer de 0,5 % par an et l'évolution des dépenses d'assurance maladie devrait être limitée à 2,9 %.

Cette trajectoire est donc incompatible avec la préservation de nos services publics, en particulier l'hôpital, et ne permet pas de financer la transition écologique. En effet, dans son amendement, le gouvernement nous propose de n'augmenter les crédits de la mission Écologie que de 2,4 milliards d'euros d'ici 2026, hors programme 345. Or nous avons repris les différents rapports commandés par le gouvernement. Si nous suivions leurs préconisations, il faudrait augmenter de 14 milliards d'euros en 2024 les crédits de la mission Écologie et les porter à 24 milliards d'euros en 2026, en faveur du ferroviaire, des RER métropolitains, de la rénovation thermique des logements et des bâtiments publics.

La trajectoire financière proposée par le gouvernement est donc celle de l'inaction climatique. Or cette inaction a un coût économique. Le rapport Mahfouz – Pisani-Ferry le rappelle, « même d'un point de vue étroitement économique (…) l'ampleur des dommages à venir ne laisse pas de doutes sur la nécessité ni même sur l'urgence d'une action ». Le rapport Stern de 2006 indiquait, quant à lui, que le coût économique de l'inaction climatique équivaudrait au moins à une baisse permanente de 5 % du niveau de la consommation mondiale. Des travaux ultérieurs ont abouti à des impacts plus marqués encore sur l'activité globale ; la perte à horizon 2100 serait ainsi comprise entre 7 et 23 %.

Ma question est simple : l'impact économique désastreux à terme de cet attentisme en matière écologique a-t-il été pris en compte par le Haut Conseil des finances publiques dans son avis ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Dans votre rapport, vous indiquez que le scénario gouvernemental repose sur des hypothèses optimistes, qu'il s'agisse des écarts de production, ou de la croissance potentielle, même si un taux de croissance de 1,4 % n'incite pas nécessairement à l'enthousiasme. Les hypothèses sont aléatoires, mais les réalités sont patentes. Or elles sont peu favorables, compte tenu de la conjoncture de stagflation, du désastreux déficit commercial, de l'explosion des cours de l'énergie et de la hausse des taux d'intérêt. On imagine donc la catastrophe que représentent ces 415 milliards d'euros qui sont maintenant inscrits au tableau de la dette.

Lorsque j'examine l'hypothèse de la trajectoire retenue par le gouvernement, je constate que le niveau de croissance effective repose sur la hausse de l'investissement, ce qui est hasardeux en raison de la hausse des taux d'intérêt. Le gouvernement envisage également une baisse du taux d'épargne, ce qui n'est jamais bon signe ; mais également la hausse du taux d'activité. Or celui-ci est toujours resté stable depuis longtemps, à 56 %. Si ces prévisions se réalisent, elles supposeront ipso facto le maintien du rythme d'inflation.

Estimez-vous crédibles les prévisions relatives au passage du solde structurel des déficits publics en dessous de 3 %, compte tenu notamment du recul des prélèvements obligatoires ? En toute hypothèse, cela ne pourrait être obtenu que par la baisse des dépenses publiques, qui est toujours plus facile à annoncer qu'à réaliser. Je me demande donc où nous pourrions trouver les 12 milliards d'euros évoqués par le gouvernement.

Permalien
Pierre Moscovici, président du Haut Conseil des finances publiques

Le durcissement de la politique monétaire a déjà produit de premiers effets, à commencer par la baisse de 5 % de l'investissement des ménages. Le gouvernement considère que ces effets ont déjà eu lieu pour l'essentiel, ce qui n'est pas le sentiment a priori du HCFP, ni celui de la totalité des instituts auditionnés. L'investissement devrait ainsi être affecté à son tour. De surcroît, il faut également intégrer les maturités et leur prolongement ultérieur. Par conséquent, nous sommes conduits à être plus prudents et à considérer qu'il faudrait faire preuve d'un peu plus de réalisme sur l'appréciation des effets du durcissement de la politique monétaire à l'avenir.

Le taux d'épargne s'est nettement accru, pour s'établir maintenant à 17,4 % du revenu disponible brut des ménages en 2022, sans que personne ne comprenne vraiment quelles en sont les raisons. Cependant, prévoir un repli spontané de ce taux à un niveau proche de son niveau d'avant crise à 15,3 % nous paraît être une hypothèse que nous qualifions de « favorable ». Pour y parvenir, il faudrait un retournement du comportement des ménages, qui est assez difficile à déceler jusqu'à présent. Là encore, la totalité des instituts que nous avons auditionnés estiment que cela n'est pas l'hypothèse la plus plausible ou probable.

Vous m'avez également interrogé sur les estimations des écarts de production ( output gap ), qui ne sont pas des données observables, mais des constructions, au même titre que le PIB potentiel. Ces estimations sont donc réalisées à partir de méthodes ou d'observations de faisceaux d'indices conjoncturels. Or les chocs exogènes qui ont notoirement affecté l'économie française compliquent l'estimation des pertes définitives pour le PIB potentiel. Toutefois, l'ampleur des tensions persistantes sur les recrutements plaide plutôt pour un output gap moins creusé que ce que suppose le gouvernement.

Ensuite, selon les informations disponibles, si les règles existantes s'appliquaient, le déclenchement de la procédure pour déficit excessif en 2024 devrait intervenir. Je pense qu'il s'agit là d'une raison parmi d'autres pour ne pas revenir aux règles existantes et pour plaider malgré tout en faveur d'un accord, le meilleur possible bien entendu.

J'ai lu avec un grand intérêt le rapport sur les besoins des services publics, d'autant plus qu'il était piloté par un jeune magistrat de la Cour des comptes, que je connais bien. Il existe des marges de progrès pour les besoins et personne ne peut penser que les services publics répondent complètement aux besoins sociaux. Mais l'on peut à la fois mieux satisfaire des besoins sociaux sans pour autant augmenter le montant des dépenses publiques. Les revues de dépenses publiques servent précisément à faire le tri entre ce qui est nécessaire et ce qui est effectivement réalisé.

Avec 58 % de dépenses publiques dans le PIB, personne ne peut penser qu'il suffirait « d'empiler » de la dépense publique pour répondre à des besoins sociaux. Je rappelle à ce titre que nous nous situons déjà à 8 points au-dessus de la moyenne de la zone euro et que nous figurerons parmi les premiers dans le monde. Il y a là une rigidité très importante et il importe de diminuer de manière significative le taux de la dépense publique dans le PIB, comme le gouvernement l'envisage. Mais cela n'est pas incompatible avec la prise en compte de besoins sociaux, qui doivent être affinés. La dépense publique doit viser la qualité, dont la qualité sociale.

Vous m'avez posé à différentes reprises des questions sur les dépenses de fonctionnement des collectivités. Une diminution moyenne de 0,5 point par an correspond aux chiffres communiqués par le gouvernement.

Ensuite, le vieillissement de la population est une source de l'augmentation des dépenses, y compris publiques. Cependant, le gouvernement ne nous a pas donné d'information sur ses conséquences pour les dépenses publiques, ni sur d'éventuelles mesures pour les limiter. Nous relevons donc une certaine imprécision en la matière.

Je souhaite également revenir sur la baisse des impôts. En 2013, j'avais effectivement parlé d'un « ras-le-bol fiscal » et je n'ai pas changé d'avis. Je considère en effet que le consentement à l'impôt est très fragile. Lorsque le taux de prélèvements obligatoires se situent à 45,4 %, il faut se garder de les augmenter. Simultanément, compte tenu du niveau élevé de nos déficits, il est également très compliqué de les diminuer.

Madame Maximi, dans l'entretien que vous avez cité, j'ai évoqué les baisses d'impôts nettes. La fiscalité reste naturellement un instrument majeur pour l'allocation des ressources et la redistribution. Cependant, notre raisonnement est le suivant : si l'on décide de diminuer un impôt, il faut compenser le produit de cette diminution, soit par l'augmentation d'autres impôts, soit par des économies correspondantes.

Une question a porté sur les OATI. Il ne nous revient pas de juger la politique d'émission de l'Agence France Trésor. En 2022, compte tenu de la hausse de l'inflation, la charge d'intérêt des titres indexés a fortement crû, mais elle recule avec le reflux de l'inflation déjà amorcé. En revanche, l'effet de la hausse des taux d'intérêt est massif sur les charges de la dette. Pour rappel, le rendement des OAT à dix ans a augmenté de 300 points de base depuis 2021. Il convient donc d'être extrêmement vigilant en la matière.

S'agissant de la cotation de la France, le général de Gaulle a eu ce mot célèbre : « La politique de la France ne se fait pas à la corbeille ». Nous ne vivons plus la même époque, mais j'ai malgré tout la conviction que la politique de la France ne doit pas être dictée par les agences de notation. Il n'existe pas de lien direct entre la cotation et les charges d'intérêt. Cependant, cette notation offre sans aucun doute un regard sur la crédibilité du pays. Je n'établirai pas non plus un lien direct entre l'adoption d'une LPFP et la qualité de la note de notre pays. Cependant, il est évident que le débat qui est le vôtre aujourd'hui sera naturellement très regardé, bien au-delà des agences de notation.

Le risque d'une baisse des prix de l'immobilier sur les recettes publiques est réel. À titre d'illustration, à volume de travail inchangé, une baisse de 5 % des prix immobiliers entraînerait une baisse de 1 milliard d'euros sur les droits de mutation à titre onéreux.

Vous m'avez en outre interrogé sur le financement de la transition écologique. La sortie des mesures de soutien face à l'inflation énergétique représente une baisse du coût budgétaire de plus de 16 milliards d'euros en 2024, qui offre des marges de manœuvre supplémentaires pour financer la transition écologique. Toutefois, sur le long terme, s'il y a bien une dépense qu'on ne peut pas ne pas faire, c'est bien celle qui concerne la transition énergétique. C'est la raison pour laquelle nous ne pouvons pas la réaliser avec la charge d'intérêt actuelle, car cela impliquerait des hausses de prélèvements tellement élevées que nous nous retrouverions dans une situation extrêmement complexe.

Plusieurs d'entre vous m'ont interrogé sur la LPFP. Le Haut Conseil joue son rôle et adopte une appréciation balancée. Nous sommes en effet une instance pluraliste, qui auditionne des experts comme l'OFCE, Rexecode, l'Insee et la Banque de France. En notre sein, plusieurs sensibilités politiques et économiques s'expriment. Mais nous parvenons toujours à un consensus. En l'espèce, nous disons que des progrès ont été réalisés. Ils concernent notamment le nouveau dépôt d'une loi de programmation, ainsi qu'une plus grande volonté de réduction des déficits et de la dette. Mais nous avons également souligné l'existence de lacunes, d'hypothèses et prévisions « optimistes » ou « favorables » à nos yeux. De même, la crédibilité doit être encore approfondie, notamment grâce à une documentation supérieure. En effet, cette documentation est faible concernant les années à venir, en dehors de celle transmise sur la réforme des retraites et celle de l'assurance chômage.

Au-delà, ma conclusion n'est pas très différente de celle que j'exposais il y a un an : nous avons réellement besoin d'une loi de programmation des finances publiques. Je n'ai jamais parlé d'insincérité : le gouvernement peut exposer l'optimisme de la volonté. Les prévisions ne sont pas complètement inatteignables et elles ne sont plus marquées par des éléments très politiques comme cela a pu être le cas par le passé. Cependant, de notre côté, nous sommes obligés d'être plus réalistes et de partir des prévisions telles qu'elles sont.

Le Haut Conseil des finances publiques est un watchdog, une vigie. Mais nous avons besoin d'une loi de programmation, pour des raisons que j'ai évoquées précédemment. D'abord, il s'agit d'un impératif qui découle de nos engagements européens. En outre, l'article 34 de la constitution prévoit que « les orientations pluriannuelles des finances publiques sont définies par des lois de programmation ».

Une telle loi de programmation constitue une boussole indispensable pour le pilotage des finances publiques, qui doit crédibiliser l'engagement de redressement des finances publiques au niveau national et européen. Enfin, l'adoption d'une LPFP est inscrite dans les engagements pris au sein du plan national de relance et de résilience élaboré dans le cadre du plan NextGenerationEU. Selon le gouvernement, l'absence d'adoption du texte ferait courir un risque sur le versement de 10,3 milliards d'euros de subventions européennes avant la fin de l'année 2023 et retarderait les versements pour 2024. Ce risque existe. Il ne faut pas le courir. C'est la raison pour laquelle notre pays a vraiment besoin d'une telle loi de programmation révisée. Je vous incite de ce point de vue à avancer vers son vote, ce qui ne nous empêche pas de poursuivre notre vigilance.

Monsieur le rapporteur général, je pense par ailleurs qu'il faudra aller plus loin à l'avenir en matière de désendettement. En conclusion, le vote d'une telle loi m'apparaît indispensable, pour des raisons constitutionnelles, juridiques, politiques et européennes.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous avons pris bonne note de ce conseil adressé aux parlementaires.

Permalien
Pierre Moscovici, président du Haut Conseil des finances publiques

Il ne s'agit pas d'un conseil, mais d'une opinion.

Permalien
Pierre Moscovici, président du Haut Conseil des finances publiques

C'est un avis.

Permalien
Pierre Moscovici, président du Haut Conseil des finances publiques

Monsieur le président, vous avez une conception élargie du Haut Conseil, qui me plaît.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je n'ai pas dit que c'était la mienne, mais que c'était celle que vous exprimiez.

Je vous propose à présent de passer aux questions supplémentaires des députés.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Le Haut Conseil considère que l'estimation de l'écart de production et celle de la croissance potentielle apparaissent optimistes. Pour ma part, j'ai toujours émis des doutes sur la méthode de calcul de la croissance potentielle. Cela me conduit à penser que les estimations du gouvernement ne sont peut-être pas aussi optimistes qu'on pourrait le penser.

D'une manière générale, on peut constater que le taux de croissance effectif ex post est assez souvent supérieur au taux de croissance estimé, ex ante. Ensuite, je m'étonne toujours que la croissance potentielle soit calculée en tenant compte de deux facteurs de production, le travail et le capital, mais en oubliant un troisième facteur, l'énergie. Compte tenu des efforts budgétaires entrepris en faveur de la transition énergétique depuis un certain temps, nous avons amélioré notre efficience énergétique et par conséquent notre productivité énergétique. Ne pensez-vous pas que l'absence de prise en compte de l'énergie dans l'estimation de la croissance potentielle et dans l'évaluation du PIB effectif est préjudiciable au cadrage macroéconomique de la discussion budgétaire ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Votre rapport souligne à juste titre le rôle de l'épargne. En effet, les taux d'épargne demeurent très élevés malgré la perception de la situation économique, la persistance d'une inflation élevée et les discours alarmistes sur la capacité de nos concitoyens à financer leur vie quotidienne. Ne considérez-vous pas que le sujet de l'épargne représente un impensé du débat économique en France ? Ne serait-il pas nécessaire de travailler à nouveau sur cette question importante ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Monsieur le président Moscovici, nous vous rejoignons dans votre souci de diminuer le taux des dépenses publiques dans le PIB. Vous avez mentionné la qualité de la dépense publique, mais je souhaiterais que nous nous attachions durablement à son efficacité. En France, nous dépensons beaucoup, mais pas toujours à bon escient.

Vous plaidez en outre pour le rétablissement des règles en 2024. J'imagine que la LPFP est intégrée dans cette perspective. Depuis ces dernières années, nous sommes très éloignés de la programmation qui a été établie, mais il nous est demandé malgré tout de l'adopter.

Ma question concerne la dette. J'imagine que votre projection intègre des taux d'intérêt stables, mais quelle serait la situation si ces taux continuaient d'évoluer, ce qui n'est pas à écarter ? Depuis des années, nous lançons des alertes sur le risque d'une explosion des taux d'intérêt.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je vous remercie pour votre intervention, qui est toujours marquée par une délicatesse dans le choix des adjectifs.

En matière de croissance potentielle, le gouvernement retient une hypothèse de 1,35 %, qui est plus réaliste que les 1,70 % de la précédente loi de programmation. L'écart de production est estimé à 1,4 point à la fin de l'année 2023 par le gouvernement, qui le voit s'annuler en 2027, soit environ 0,35 point par an. Le taux de croissance hors écart de production serait donc de 1 %. Quel est votre point de vue à ce sujet ?

Ensuite, cette croissance potentielle se fonde notamment sur une contribution positive de la balance commerciale. Malheureusement, jusqu'à présent, la situation a été inverse : la perte de compétitivité nous a coûté 0,2 à 0,3 point de croissance. Quelle est la composante d'amélioration de la compétitivité française dans la prévision de croissance potentielle de 1,35 % ?

Enfin, pouvez-vous nous confirmer qu'il faut réaliser chaque année 12 milliards d'euros d'économies pour respecter cette loi de programmation ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Si l'on résume votre avis, votre principale appréciation est la suivante : les prévisions gouvernementales reposent sur une « combinaison de facteurs favorables ». Vous adoptez finalement l'opinion de la Banque de France sur la différence entre la croissance économique que vous anticipez et celle du gouvernement, c'est-à-dire un peu moins d'un point d'écart de croissance.

Le facteur investissement semble se placer dans un contexte nouveau, celui de la transition énergétique, surtout pour l'industrie. Ce contexte structurellement nouveau ne vous semble-t-il pas de nature à soutenir sur le moyen terme la croissance et à rendre une nouvelle fois crédibles les prévisions gouvernementales ? Je précise que les estimations du gouvernement se sont révélées pertinentes ces dernières années, aussi bien pour la croissance effective que pour les rapides créations d'emploi.

Ensuite, vous préconisez des économies que vous qualifiez de structurelles. Dans ce cadre, quelles sont les économies qui pourraient faire l'objet d'une programmation plutôt que d'une approche annuelle, mesure par mesure, c'est-à-dire celle qui est suivie d'ordinaire ?

Enfin, le scénario du gouvernement repose sur un retour à l'inflation proche de 2 % dans un horizon proche. Ne vous semble-t-il pas que les taux tels qu'ils résultent des décisions de la Banque centrale européenne ont en effet atteint un plateau ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je rejoins les interrogations précédemment mentionnées sur le commerce extérieur, le taux d'épargne, mais aussi sur la prévision d'un taux d'investissement des entreprises en contradiction avec la politique monétaire.

Après la publication de votre avis, la banque centrale américaine a indiqué un maintien des taux à un niveau élevé, pour une durée plus longue que celle anticipée par les marchés. Elle a initié une nouvelle réflexion concernant la politique monétaire américaine, avec un taux d'intérêt d'équilibre qui serait bien plus élevé que prévu. Existe-t-il une réflexion sur le taux d'équilibre que devrait adopter la politique monétaire en Europe ? Ne risquons-nous pas de faire face à nouveau à un problème de divergence, qui avait disparu avec la politique monétaire précédente ?

Ensuite, le Canard enchaîné s'est fait l'écho de problèmes de financement pour le plan de relance européen et la politique européenne en général. Votre avis a-t-il tenu compte des risques de dérapage de la contribution de la France aux différents programmes de l'Union européenne ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Ma question concerne l'évolution des dépenses des administrations de sécurité sociale. À la page 16 de son rapport, le Haut Conseil des finances publiques souligne que la progression des dépenses sous ONDAM, limitée à 2,9 points en fin de période, comporterait des risques pour la prise en charge de la dépendance. L'évolution démographique est connue, mais nous enregistrons déjà des problèmes structurels en matière de prise en charge de la dépendance, en établissement ou à domicile. Dans ces conditions, quelle est votre estimation du surcoût progressif lié aux dépenses de dépendance ?

Permalien
Pierre Moscovici, président du Haut Conseil des finances publiques

Il me semble qu'un certain nombre de vos questions renvoient aux réponses que j'ai déjà données.

Encore une fois, l'optimisme n'est pas un défaut en soi. Cependant, nous travaillons sur la base de prévisions telles qu'elles sont établies par des instituts de conjoncture, qui limitent mon « optimisme réaliste ».

Vous avez évoqué la possibilité d'une révision à la hausse de la croissance potentielle. Cependant, par le passé, les révisions de la croissance potentielle se sont plutôt effectuées par le bas. Les conditions objectives sont aujourd'hui plus favorables qu'elles ne l'étaient il y a un an et le taux de croissance de 1,35 % envisagé par le gouvernement est plus proche des estimations des conjoncturistes.

Ensuite, nous prenons effectivement en compte le facteur énergétique dans l'évaluation de la productivité. Le Haut Conseil des finances publiques a mentionné à plusieurs reprises le risque que la transition écologique affecte la productivité. Nous nous prononçons sur la croissance potentielle, car les textes nous le demandent. À titre personnel, y compris quand j'étais commissaire européen, j'ai toujours été dubitatif sur ces notions.

Une contribution positive de la balance commerciale n'est pas impossible. Les baisses d'impôts en direction des entreprises plaident plutôt en ce sens.

Ensuite, le gouvernement prévoit 12 milliards d'euros d'économies pérennes, qui s'ajoutent aux économies déjà initiées par les réformes.

La notion de taux d'intérêt d'équilibre est une donnée aussi incertaine que celle de croissance potentielle. Il est difficile de prévoir le niveau futur des taux, y compris pour les banquiers centraux eux-mêmes. Pour ma part, ma longue expérience publique m'a appris à ne jamais prévoir ni commenter les décisions des banquiers centraux. Je n'y dérogerai pas aujourd'hui.

La progression tendancielle des dépenses sous ONDAM est supérieure à 2,9 %. Il faudrait donc limiter les dépenses pour atteindre ce niveau, alors que la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) envisage un doublement d'ici 2060 des surcoûts liés à la dépendance. Pour sa part, la Cour des comptes a publié différents rapports soulignant la nécessité de dépenses supplémentaires (1,9 milliard d'euros), notamment pour les Ehpad.

Par ailleurs, je m'efforce de ne pas fonder mes avis sur les articles du Canard enchaîné, mais plutôt sur les documents que nous adresse le gouvernement. Néanmoins, des débats peuvent exister. Ils ne figurent pas dans notre rapport.

Enfin, je n'ai pas répondu à la question intéressante de M. Brun sur le bilan sur la loi de programmation. Nous devrions peut-être effectuer ce bilan. Je souligne cependant que l'exercice n'a pas été facilité par les crises successives qui ont profondément rendu obsolète la précédente loi de programmation. Le Haut Conseil des finances publiques a, pour sa part, regretté que celle-ci n'ait pas été actualisée à la fin de la période sous revue. Je souhaite que cette fois-ci, la loi de programmation soit davantage appliquée. C'est la raison pour laquelle j'ai appelé, à plusieurs reprises, la fourniture d'une plus grande documentation. Je ne me permets pas de donner des conseils, mais il est nécessaire de se poser de telles questions.

Pour conclure, je souhaite réitérer mon message principal : une loi de programmation des finances publiques est indispensable, pour toutes les raisons que j'ai évoquées. Il ne s'agit pas d'une pression ou d'un conseil, mais d'une conviction. Je l'avais l'an dernier, je continue de l'avoir cette année et je la porte devant vous.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous vous remercions.

Membres présents ou excusés

Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Réunion du lundi 25 septembre 2023 à 14 heures 30

Présents. - M. David Amiel, M. Karim Ben Cheikh, M. Mickaël Bouloux, M. Philippe Brun, M. Frédéric Cabrolier, M. Michel Castellani, M. Jean-René Cazeneuve, M. Éric Coquerel, M. Charles de Courson, Mme Marie-Christine Dalloz, Mme Christine Decodts, M. Luc Geismar, M. David Guiraud, M. François Jolivet, M. Daniel Labaronne, M. Emmanuel Lacresse, M. Michel Lauzzana, Mme Constance Le Grip, M. Pascal Lecamp, Mme Charlotte Leduc, M. Mathieu Lefèvre, M. Philippe Lottiaux, Mme Véronique Louwagie, Mme Lise Magnier, M. Louis Margueritte, Mme Marianne Maximi, Mme Christine Pires Beaune, M. Christophe Plassard, M. Xavier Roseren, M. Michel Sala, M. Emeric Salmon, Mme Eva Sas, M. Charles Sitzenstuhl, M. Jean-Philippe Tanguy

Excusés. - M. Christian Baptiste, M. Thierry Frappé, M. Joël Giraud, M. Tematai Le Gayic, M. Jean-Paul Mattei, Mme Mathilde Paris

Assistait également à la réunion. - M. Éric Woerth