La réunion

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La séance est ouverte à neuf heures.

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Mes chers collègues, nous accueillons MM. Jean-Jacques Lozach et Alain Fouché, respectivement sénateur et ancien sénateur, président et rapporteur de la mission d'information sur le fonctionnement et l'organisation des fédérations sportives. Messieurs, je vous souhaite la bienvenue à l'Assemblée nationale et je vous remercie vivement de votre disponibilité.

Nous avons entamé les travaux de notre commission d'enquête le 20 juillet dernier. Pour rappel, sa création a été décidée par l'Assemblée nationale à la suite de nombreuses révélations publiques de sportives et sportifs et de diverses affaires ayant trait à la gestion de certaines fédérations. Nos travaux se déclinent autour de trois axes :

– l'identification des violences physiques, sexuelles ou psychologiques dans le sport ;

– l'identification des discriminations sexuelles et raciales dans le sport ;

– l'identification des problématiques liées à la gouvernance financière des fédérations sportives et des organismes de gouvernance du monde sportif bénéficiant d'une délégation de service public.

Messieurs, il nous a semblé important de vous entendre, compte tenu des travaux que vous avez conduits sur le monde sportif, en particulier sur le fonctionnement et l'organisation des fédérations sportives.

En septembre 2020, le rapport de la mission d'information dont vous avez été rapporteur et président faisait état d'une « attente forte et partagée en termes de rénovation du fonctionnement des fédérations sportives ». Pourriez-vous nous préciser dans quel contexte vous avez conduit ces travaux, et les raisons qui vous ont poussés à le faire ? Pourriez-vous nous en présenter les principaux constats et les principales recommandations, en lien avec le champ de cette commission d'enquête ?

La loi du 2 mars 2022 visant à démocratiser le sport en France est venue mettre en œuvre, au moins partiellement, plusieurs de vos recommandations. Je pense notamment à la composition du corps électoral lors des élections fédérales du renouvellement ou à la féminisation des instances dirigeantes. Quel regard portez-vous sur les évolutions apportées par ce texte et leur mise en œuvre ? Quelles sont les recommandations de ce rapport qui sont restées lettre morte et sur lesquelles il vous semble particulièrement important d'avancer ?

Monsieur le sénateur Lozach, vous êtes par ailleurs cosignataire et rapporteur d'une proposition de loi adoptée par le Sénat le 15 juin 2023 visant à renforcer la protection des mineurs et l'honorabilité dans le sport. Pouvez-vous nous présenter les dispositions de cette proposition de loi et expliquer à notre commission pour quelles raisons vous considérez que le rôle et le contrôle d'honorabilité existants ne sont pas satisfaisants ? Quels sont les facteurs rendant compte de sa lente montée en puissance, selon votre rapport ?

Je précise que cette audition est ouverte à la presse et retransmise en direct sur le site de l'Assemblée nationale. Je vous rappelle également que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d'enquête parlementaire de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(MM. Jean-Jacques Lozach et Alain Fouché prêtent serment.)

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Madame la présidente, les députés du groupe Rassemblement national (RN) membres de la commission d'enquête vous ont adressé à deux reprises un courriel dans lequel ils demandaient que soit examinée également, dans le cadre de cette commission, la question assez brûlante des menées islamistes radicales dans le monde du sport – qu'il s'agisse des petits ou des grands clubs, des stades ou des déclarations publiques. À ma grande surprise, vous n'avez pas même accusé réception de mes mails, ce qui me surprend au regard des convenances. J'ai bien l'impression que cela s'apparente à une fin de non-recevoir. Si vous confirmez cette fin de non-recevoir, nous serons probablement amenés, aujourd'hui même, à prendre un certain nombre de décisions. Je cède la parole à mon collègue, qui vous exposera les raisons de notre intervention liminaire.

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Il ne vous appartient pas de donner la parole. Ce rôle échoit à la présidente. Je vous remercie d'être bref, car nous devons respecter les horaires.

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Merci, madame la présidente. Après plusieurs auditions, nous constatons en effet que cette commission d'enquête entend occulter délibérément certains sujets, pourtant majeurs dans le monde du sport : l'islamisme dans certains clubs, le communautarisme, qui pèse sur l'encadrement sportif et l'organisation de compétitions, ou encore certaines formes de racisme.

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Je vous remercie, messieurs, mais nous allons mettre fin à votre intervention. Vos propos ne relèvent pas du cadre de notre commission d'enquête.

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Le cadre est pleinement respecté. Nous considérons que cette commission d'enquête est totalement vide de sens, qu'elle n'atteindra pas ses objectifs, compte tenu de l'orientation prise. Nous n'y siègerons plus.

Le micro de l'intervenant est coupé. MM. Odoul et Chudeau quittent la séance.

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Nous prenons bonne note de vos déclarations. Je laisse à présent la parole à MM. Lozach et Fouché.

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Alain Fouché, ancien sénateur, rapporteur de la mission d'information sur le fonctionnement et l'organisation des fédérations sportives

Je précise que mon collègue Jean-Jacques Lozach est le grand spécialiste du sport au Sénat. Dans le cadre de ce rapport, je souhaitais en effet lancer un travail sur le fonctionnement de certaines fédérations sportives. Ayant été élu pendant 52 ans, j'ai exercé des fonctions diverses. Mon expérience de terrain m'a amené à découvrir la réalité des petits clubs de sport et à prendre connaissance de certaines informations. Ces petits clubs m'ont fait part de leurs difficultés financières et de leur sentiment d'être abandonnés au niveau national. Les bénévoles intervenant dans les petits clubs n'ont pas de moyens par rapport aux grandes structures. Ils doivent aussi supporter des coûts d'arbitrage élevés et s'adapter à des normes nombreuses et en évolution constante. Pour ne prendre qu'un exemple de norme complètement déphasée, l'aménagement de vestiaires destinés aux arbitres de football handicapés est une disposition inopérante, puisqu'un arbitre de football ne peut être une personne handicapée.

Ayant relevé diverses dérives, nous avons travaillé sur plusieurs aspects tels que la démocratie et la gouvernance, ou encore la transparence financière. Nous ne nous sommes pas penchés sur les problèmes de violence. Pour ma part, je n'ai pas suivi les travaux relatifs à la proposition de loi visant à démocratiser le sport puisque j'ai quitté volontairement le Sénat en 2020.

Nous avons observé un manque de démocratie lié à l'absence de représentation des petits clubs au niveau national. Il faut savoir qu'il existe plus de 2 millions de joueurs de football en France et 15 000 clubs. Or le président de la Fédération française de football est élu avec 216 voix. Il nous est apparu important de revoir ce fonctionnement. Les nouveaux textes ont d'ailleurs apporté des changements concrets sur ce point, comme sur la limitation des mandats et sur la féminisation des instances dirigeantes. Nous avons demandé que les clubs puissent prendre part au vote.

En matière de transparence financière, il est apparu que certaines fédérations menaient un train de vie bien différent de celui des structures locales. Nous avons recommandé de soutenir davantage les petits clubs et d'accroître la part des commandes publiques. Nous avons travaillé sur les quatre axes suivants : réaffirmer la nécessité d'une politique nationale du sport fondée sur une délégation de service public aux fédérations sportives ; accompagner le développement des fédérations en renforçant la capacité d'initiative ; démocratiser le fonctionnement des fédérations sportives afin d'associer plus largement tous les acteurs ; accroître les exigences de transparence financière et reconnaître l'autonomie financière du mouvement sportif.

Lorsque j'ai envisagé la rédaction de ce rapport, j'ai demandé à la présidence du Sénat de désigner Jean-Jacques Lozach président de la mission d'information. J'ai jugé important de pouvoir travailler aux côtés de cet élu issu du monde rural, qui est aussi le meilleur spécialiste du sport au Sénat.

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Jean-Jacques Lozach, sénateur, président de la mission d'information sur le fonctionnement et l'organisation des fédérations sportives

Comme vous l'avez rappelé, nous avons piloté la mission d'information sur le fonctionnement et l'organisation des fédérations sportives, qui a rendu ses conclusions en septembre 2020. À l'issue de ce travail, nous avons formulé 22 préconisations. Depuis lors, plusieurs évolutions sont intervenues. La loi du 24 août 2021 visait ainsi à conforter les principes de la République, grâce notamment au contrat d'engagement républicain. Elle a été suivie de la loi du 2 mars 2022, destinée à démocratiser le sport. Enfin, une proposition de loi visant à renforcer la protection des mineurs et le contrôle d'honorabilité dans le sport a été adoptée le 15 juin 2023 par le Sénat. Nous attendons avec impatience son passage à l'Assemblée nationale, et je crois que la ministre des sports et des Jeux olympiques et paralympiques est attachée à l'inscription de ce texte à l'agenda parlementaire avant la fin de l'année.

Parmi les 22 propositions résumées par mon collègue, une dizaine d'entre elles se sont d'ores et déjà concrétisées. Une partie des recommandations qui ne sont pas encore entrées en application pourraient, en effet, être reprises par votre commission d'enquête.

Le champ de votre travail me semble très large et hétérogène, puisqu'il englobe des thématiques aussi variées que les violences sexuelles et sexistes, la pédocriminalité, le harcèlement, le dopage, la corruption, la manipulation des compétitions sportives, la situation très particulière des agents sportifs, la nature très incertaine des flux financiers qui circulent dans le monde sportif. Autant de sujets relevant de ce que j'appellerai « les avatars du sport ». Chacun de ces avatars pourrait constituer une problématique à part entière et faire l'objet d'une commission d'enquête.

Je me limiterai pour ma part à quelques généralités sur la gouvernance du milieu sportif, et notamment des fédérations. Au demeurant, ces problèmes ne concernent pas exclusivement la France. Le Conseil de l'Europe réfléchit d'ailleurs à l'établissement d'une certification ISO sur la gouvernance des organisations sportives. Il est certain que des affaires retentissantes ont marqué l'actualité des dernières années. Des présidents de fédération ou de comités olympiques ont ainsi démissionné en cours de mandat, ce qui est un fait rarissime dans l'histoire du sport français.

J'ajoute que les sportifs de haut niveau ont un devoir d'exemplarité, d'autant plus que bon nombre de jeunes s'identifient à eux. Mais ce rôle d'exemplarité doit s'étendre aux dirigeants de fédérations sportives. Au cours des dernières décennies, trop d'affaires ont été étouffées, au point que certains ont pu parler d'omerta. Certains ministres ont aussi eu des mots très maladroits sur ce sujet. Je pense en particulier aux propos de l'ancienne ministre Laura Flessel-Colovic, qui avait affirmé que tous ces problèmes ne concernaient pas la sphère sportive. Ses déclarations avaient été rapidement démenties par les faits.

En revanche, Roxana Maracineanu s'était emparée à bras-le-corps des faits de violence dans le sport, et la ministre actuelle des sports est déterminée à poursuivre ce combat.

Je voudrais souligner que les solutions à apporter à ces dérives et dérapages concernent tous les acteurs du sport, privés autant que publics. Il faut interroger le rôle tenu par le ministère des sports, et en particulier par l'inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche, mais aussi par le ministère de l'éducation nationale et par le ministère de la justice. L'ensemble de l'écosystème sportif est concerné, notamment les fédérations nationales et internationales, ces dernières ayant aussi un rôle d'exemplarité à jouer. Le rôle de la presse mérite également d'être souligné, plusieurs affaires ayant été révélées par des journalistes d'investigation.

Les dirigeants de fédération portent une double responsabilité, car leur fonction repose sur une double légitimité. D'une part, ils remplissent une mission de service public confiée par l'État. D'autre part, ils sont investis par le vote des licenciés. Cette double légitimité et cette mission de service public imposent aux dirigeants de fédérations de rendre des comptes à l'État et aux licenciés, et plus largement à l'opinion publique.

Si la loi du 2 mars 2022 n'est pas encore complètement applicable puisque des dispositifs ne s'appliqueront qu'à la fin de l'année 2024 au moment du renouvellement des instances fédérales, la loi Braillard de 2017 avait déjà entraîné des évolutions en matière de contre-pouvoirs. Il n'en reste pas moins que ces derniers demeurent trop faibles, et c'est pourquoi je recommande de procéder à un véritable état des lieux des contre-pouvoirs dans le mouvement sportif, en dressant le bilan de leur composition, leur mode de désignation et leur fonctionnement. Nous avons besoin d'une photographie de la réalité car tout ceci reste un peu méconnu, pour ne pas dire opaque.

Les rôles respectifs du ministère des sports et de l'Agence nationale du sport ont été clarifiés. Le sport a été déclaré grande cause nationale pour 2024, grâce aux Jeux olympiques. Dans ce contexte, et compte tenu des affaires survenues ces derniers mois, il paraît indispensable de construire après les Jeux olympique un nouveau texte législatif permettant d'aller au-delà des mesures introduites par les deux lois précédentes. Je crois que la ministre des sports y est prête. Il serait incompréhensible qu'aucune réforme de la gouvernance ne soit adoptée avant la fin de l'année 2024. De fait, les affaires récentes sont pour partie dues à des causes systémiques liées au fonctionnement du monde sportif, et pas seulement à des défaillances individuelles. En tant que parlementaires, nous nous devons d'améliorer le système en créant des conditions de fonctionnement plus responsables, transparentes et éthiques.

Une autre de nos propositions consiste à instaurer un contrôle de probité et d'honorabilité des dirigeants fédéraux identique à celui applicable aux élus et membres du gouvernement, en amont de leur nomination. Ce point relève de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Il ne s'agit pas de prévoir un contrôle d'honorabilité de tous les membres des conseils d'administration, voire du comité exécutif, mais à tout le moins du triptyque président, trésorier et secrétaire général. Ce contrôle doit être effectué avant la prise de fonctions et en fin de mandature, pour s'assurer de l'absence d'enrichissement personnel illicite.

S'agissant du contrôle financier des instances sportives, il convient d'établir la grille financière des rémunérations, tant pour les fédérations que pour les comités d'organisation des grands événements sportifs internationaux (Gesi). Il faut également rendre publics les rémunérations, les organigrammes et les postes vacants. Nous recommandons aussi de constituer des jurys de recrutement aussi diversifiés que possible, notamment pour les hauts postes de l'encadrement fédéral (directeur technique national, directeur général, etc.), à l'instar des pratiques ayant cours dans le milieu culturel où des collèges sont chargés du recrutement des dirigeants dans certains établissements.

En ce qui concerne le modèle économique, je tiens à préciser que je suis un défenseur acharné du modèle associatif. Toutefois, le contexte et l'évolution de la société nous incitent à nous rapprocher d'un modèle plus entrepreneurial, et par conséquent moins associatif. Eu égard aux masses financières en jeu, à la multiplication des normes, à la complexité administrative et à la pression médiatique quotidienne exercée sur les dirigeants de fédérations, l'enjeu consiste à trouver le bon équilibre entre le professionnalisme et le bénévolat. En tout état de cause, il est impossible de s'appuyer uniquement sur le bénévolat pour animer des structures aussi compliquées.

Sur ce point, la loi du 2 mars 2022 a d'ailleurs introduit une nouveauté permettant de limiter l'entre-soi qui peut conduire à des dérapages, à savoir la mise en place des sociétés coopératives d'intérêt collectif (SCIC). Cette disposition ne concerne que les clubs sportifs. Si elle devait être élargie aux fédérations elles-mêmes, c'est tout le modèle du sport français qui s'en trouverait transformé. Cela mérite donc réflexion. Il est encore trop tôt pour dresser le bilan de leur mise en place. On se réfère en général au modèle du SC Bastia qui est unique. Les SCIC sont un modèle auquel il faut vraiment s'intéresser car il permet de diversifier les organigrammes, de territorialiser et d'ancrer localement les clubs sportifs. Nous constatons en effet que dans certains sports, en particulier les sports professionnels et collectifs, les clubs tendent à se concentrer dans les grandes métropoles, au risque de créer des « déserts sportifs » dans certains territoires. Il est donc essentiel de trouver un modèle de gestion à même de préserver l'équilibre territorial de l'implantation des clubs.

Pour ce qui est de la gouvernance des fédérations, il convient de trouver un équilibre entre ce qui relève de la formation et ce qui relève du contrôle. En matière de contrôle, un effort particulier est très clairement mis en œuvre avec l'intervention de diverses instances, que l'on n'avait pas trop l'habitude de voir intervenir dans le milieu sportif : le parquet national financier (PNF), l'Agence française anticorruption (AFA), la HATVP, les directions nationales du contrôle de gestion (DNCG), les brigades financières ou encore les comités d'éthique. En face de ces contrôles, il est important de prévoir des actions de formation pour les dirigeants, en particulier au plus haut niveau. Il ne paraît pas déshonorant de se former lorsque l'on prend la tête d'une fédération, ni d'être plus solidement conseillé et encadré. Je pense en particulier aux fédérations de taille plus modeste, où les recrutements frôlent parfois le copinage. Je n'affirme pas que le copinage exclut forcément la compétence ou l'expertise, mais il faut veiller à limiter l'entre-soi.

Je peine à croire que la majorité des exécutifs fédéraux sont volontairement malveillants ou malintentionnés. Je n'oublie pas non plus que bon nombre d'entre eux, pour ne pas dire la totalité, ont été préalablement bénévoles pendant des décennies. Il est important de garder à l'esprit ces faits.

Les formations des dirigeants peuvent concerner des sujets tels que les règles de contractualisation, la passation de marchés publics, le droit du sport ou bien la déontologie. En résumé, il existe un déséquilibre entre les actions de contrôle et les actions de formation.

Une autre problématique, en cours de résolution avec la loi du 2 mars 2023, tient au mode de scrutin. Je défends le mode de scrutin retenu pour les élections municipales, car ce dernier permet d'obtenir des majorités claires et stables tout en assurant la représentation de la minorité. De ce fait, le droit d'expression de l'opposition est garanti. Je suis convaincu que ce mode de scrutin doit s'appliquer aux élections fédérales, de manière uniforme. Il faudra sans doute examiner le déroulement des campagnes électorales, car le principe d'égalité des chances entre les candidats sortants et les autres n'est manifestement pas respecté. À ce stade, je ne suis pas en mesure de savoir s'il est judicieux de prévoir un vote de tous les clubs. Dans un premier temps, il conviendra de dresser le bilan de l'élargissement du corps électoral, puisque 50 % des clubs prendront part au vote d'ici fin 2024.

Je suis préoccupé par l'arrivée d'acteurs supranationaux tels que les fonds d'investissement et les Gafan, qualifiés par certains de « maîtres du monde ». Leur pouvoir se manifeste à travers l'acquisition de droits télévisuels, de droits sportifs et de clubs, comme en témoigne par exemple le service Amazon Prime Video. Ces acteurs remettent en cause le modèle économique habituel de l'équilibre budgétaire et nous font basculer dans une nouvelle ère, avec des clubs qui, à l'instar du PSG, fonctionnent à guichets ouverts. Le football professionnel français accuse un déficit structurel de 600 à 700 millions d'euros. Les clubs sont renfloués par des fonds d'investissement privés ou souverains, souvent étrangers, qui en font un simple objet de spéculation.

En tant que rapporteur pour avis du budget des sports au Sénat, je me prépare aux éternels débats sur les dotations dédiées, la loi Buffet, la taxe sur les droits télévisuels ou sur les paris gérés par La Française des jeux. Une fois encore, nous tâcherons de solliciter davantage les paris sportifs en ligne, qui connaissent une nouvelle envolée du fait de la Coupe du monde de rugby. Il me paraît donc important d'augmenter leur contribution, car les paris sportifs n'existeraient pas sans le sport et sans les bénévoles.

Je suis également d'avis que le moment est venu de réfléchir à un statut du bénévole. Cette proposition est soulevée depuis une trentaine d'années. J'appelle donc au lancement d'états généraux ou d'assises nationales consacrées au bénévolat sportif.

Nous avons d'autant plus besoin de gouvernance apaisée et transparente que le mouvement sportif est traversé, depuis quelques années, par un foisonnement d'initiatives dans la santé, l'éducation ou le sport en entreprise. Devant ces avancées, il est bon de répondre par la stabilité et la responsabilité de la gouvernance sportive. Étant très attaché à la notion de service public du sport de la République, je ne peux que plaider pour une gouvernance sportive plus sereine dans notre pays.

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Alain Fouché, ancien sénateur, rapporteur de la mission d'information sur le fonctionnement et l'organisation des fédérations sportives

Il est certain que nous avons besoin d'une gouvernance plus démocratique, notamment dans les élections. Nous constatons par exemple une alternance des mêmes dirigeants aux postes les plus importants. Ainsi, une même personne peut être tour à tour président, vice-président puis trésorier. Il paraît nécessaire de prévenir cette dérive dans les fédérations.

J'ajoute que le candidat sortant dispose de moyens financiers bien plus importants que ses concurrents, de sorte qu'il peut par exemple inviter facilement des clubs. Il convient de fixer ces règles pour éviter de telles pratiques.

Pour ce qui est du bénévolat, de nombreux petits clubs en territoire rural sont contraints de fermer par manque de moyens ou du fait de la concurrence d'autres associations. Il faut impérativement améliorer la situation de ces bénévoles.

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Jean-Jacques Lozach, sénateur, président de la mission d'information sur le fonctionnement et l'organisation des fédérations sportives

J'ai oublié d'aborder la proposition de loi destinée à renforcer la protection des mineurs. Il s'agissait d'approfondir les dispositions de la loi du 24 août 2021 en s'alignant sur le cadre juridique de la loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants. Je rappelle que la proposition de loi s'applique aux seuls bénévoles, puisque les 250 000 professionnels sont déjà soumis à un contrôle d'honorabilité. Nous nous sommes appuyés sur un contexte de libération de la parole des victimes et sur une certaine dynamique des contrôles et signalements.

Il faut savoir qu'à ce jour, près de 1 000 signalements ont d'ores et déjà été transmis à la cellule Signal-sports du ministère. En juin dernier, lors du vote de la loi, 442 interdictions d'exercer avaient été prononcées. Ce service est donc en train de porter ses fruits. La loi du 24 août 2021 a également eu un effet positif puisqu'elle a abouti à un million de contrôles mais sur 2 millions de contrôles potentiels – il y a donc une vraie marge de progression. Sur l'ensemble de ces contrôles, 150 incapacités ont été décidées.

Il nous a semblé nécessaire d'apporter des précisions sur la régularité des contrôles, car les textes précédents prévoyaient un contrôle annuel, voire au moment de la prise de fonctions. Un autre aspect à mettre en exergue tient aux faits non connus du ministère des sports, tels que décrits par l'article 40 : dès l'instant où une atteinte à l'ordre public ou aux libertés est constatée, un signalement doit être effectué auprès du parquet, et non auprès de l'autorité administrative – en l'occurrence, la préfecture. Compte tenu des délais très longs des instructions judiciaires, nous avons souhaité ajouter au texte de loi une double obligation, avec une intervention auprès de l'autorité administrative. De fait, le préfet a le pouvoir d'agir très rapidement sur la base des faits rapportés et de retirer de l'encadrement des clubs des dirigeants susceptibles de porter atteinte à la dignité de certaines personnes.

Il reste beaucoup à faire dans ce domaine, mais des progrès ont été accomplis ces dernières années.

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Je voudrais commencer par préciser le champ de cette commission d'enquête. Comme vous l'avez précisé, plusieurs thématiques sont effectivement abordées dans cette commission d'enquête. Si nous avons tenu à traiter ici les questions des violences sexistes et sexuelles (VSS), du racisme et des discriminations, et enfin des aspects financiers, c'est parce qu'il nous est apparu que ces trois types de dérive étaient permis par le système actuel des fédérations sportives et participaient d'un même mécanisme. Les auditions ont confirmé cette analyse. Le terme « omerta » revient de manière récurrente, et les victimes ou témoins ont parfois du mal à trouver des instances ou des interlocuteurs pour relater leur expérience. Nous découvrons aussi que des personnes ont pu être sanctionnées pour avoir tenté de dénoncer des agissements dans le mouvement sportif.

Dans votre rapport, vous recommandez la création d'une Haute Autorité du sport « chargée de réguler les relations entre les différents acteurs ». Or, le mouvement sportif se compose d'un empilement de structures rendant parfois illisibles les compétences et champs d'action des différents organismes. Pour ne prendre qu'un exemple, l'Agence nationale du sport (ANS) est chargée d'attribuer l'intégralité des subventions aux fédérations mais les contrôles sont opérés par le ministère des sports. Pensez-vous qu'il soit judicieux de séparer ainsi l'entité en charge de l'octroi des subventions et la structure responsable des contrôles ? Alors que la gouvernance du mouvement sportif est déjà très complexe, est-il opportun de créer une nouvelle entité ?

Je voudrais ensuite connaître votre avis sur les interdictions d'exercer. Lors des auditions, nous avons noté que de nombreux sportifs ignoraient l'existence de la cellule Signal-sports, ce qui a sans doute freiné les signalements. Nous pensons qu'il faut améliorer la communication, l'information et la prévention au sein du mouvement sportif afin de faire connaître les dispositifs existants. Nous avons aussi le sentiment que la création de la cellule Signal-sports tend à dédouaner les fédérations de leur devoir de prévention et d'information auprès de leurs adhérents, en considérant que les victimes ou témoins doivent s'adresser à cette cellule.

Par ailleurs, il nous a été rapporté que des personnes ayant reçu une interdiction d'exercer seraient toujours en poste, par manque de contrôles. Des moyens ne doivent-ils pas être mis en œuvre pour contrôler l'effectivité de l'interdiction d'exercer, afin que des personnes condamnées pour des faits graves ne puissent pas rester en contact avec un public jeune ?

Nous avons écouté avec grand intérêt vos explications sur le contrôle d'honorabilité. Cependant, plusieurs dirigeants de clubs ou fédérations nous ont indiqué que ce contrôle était difficile et long à mettre en place. Plusieurs mois sont nécessaires pour obtenir les résultats ou pour la réalisation effective du contrôle. Dans l'intervalle, des personnes indésirables continuent à travailler à proximité d'un public jeune. En outre, il semblerait que les signalements ne soient pas transmis systématiquement à l'ensemble des fédérations, de sorte que l'auteur de faits graves peut recommencer sa carrière au sein d'un autre club. Le ministère a reconnu cette difficulté. Quelles sont vos réflexions sur ce point ?

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Alain Fouché, ancien sénateur, rapporteur de la mission d'information sur le fonctionnement et l'organisation des fédérations sportives

Je voudrais évoquer le récent match de football entaché par une scène d'homophobie très forte. Une enquête est en cours à ce sujet, mais la réponse à cet incident n'est pas évidente. D'aucuns proposent de retirer des points au club, mais je ne vois pas comment mettre en œuvre une telle mesure, sans compter que les clubs ne maîtrisent pas les supporters. Il faut donc engager un travail de fond pour trouver une solution à ce problème, car nous ne pouvons pas nous permettre de laisser se renouveler cet épisode.

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Jean-Jacques Lozach, sénateur, président de la mission d'information sur le fonctionnement et l'organisation des fédérations sportives

Nous avions conscience que notre proposition de loi entraînerait une lourdeur administrative supplémentaire pour les clubs sportifs. Nous nous étions interrogés sur l'étendue du contrôle d'honorabilité, dont la mise en pratique s'avère difficile pour les clubs. De fait, la perspective de soumettre à des contrôles des personnes connues de longue date, bénévoles depuis des décennies, est très inconfortable. Nous avons toutefois considéré que la gravité de la problématique justifiait de bousculer les pratiques existantes des clubs et de les amener à se poser ce type de questions.

Il est évident qu'il reste beaucoup à faire en matière d'information et de pédagogie. J'avais d'ailleurs fait le même constat en tant que président de la commission d'enquête parlementaire sur le dopage. C'est pourquoi j'ai insisté sur l'implication de plusieurs ministères, au-delà du ministère des sports.

Concernant l'éthique du sport, l'héritage olympique a été redéfini en profondeur en l'espace de trois ans. Alors qu'il consistait autrefois à gagner le maximum de médailles et à développer le nombre de pratiquants, il est désormais formalisé par une grille d'analyse n'incluant pas moins de 170 objectifs stratégiques. Il convient de mettre à profit le contexte de 2024, voire de 2025, pour reconsidérer la question de l'éthique. Celle-ci est d'ailleurs traitée au travers de divers objectifs stratégiques tels que l'égalité hommes/femmes, la lutte contre les discriminations ou le dopage, l'intégrité, la lutte contre les violences, l'éthique des grands événements sportifs internationaux, etc. Les effets de l'hypermondialisation, notamment les ligues fermées doivent également être analysés. Ces phénomènes ont des impacts sur la solidarité entre sport amateur et sport professionnel. Dans un système aussi compact, la moindre décision a des répercussions sur le terrain.

Je ne suis pas favorable à l'empilement des structures. Je pense qu'il faut avancer fédération par fédération. La loi Braillard de 2017 prévoit l'instauration d'un comité d'éthique dans chaque fédération sportive, mais il y a quelques mois encore, une vingtaine de fédérations ne remplissaient pas cette obligation. De mon point de vue, la priorité consiste à faire appliquer les dispositions légales existantes, sans chercher à les complexifier.

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Durant les auditions, plusieurs personnes ont suggéré de créer une instance extérieure chargée du traitement des signalements. Cet organe serait indépendant du ministère des sports, et des régions. Avez-vous eu l'occasion d'étudier cette proposition ?

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Jean-Jacques Lozach, sénateur, président de la mission d'information sur le fonctionnement et l'organisation des fédérations sportives

Nous n'avons pas vraiment examiné ce sujet, mais il faut effectivement éviter autant que possible les conflits d'intérêts, le mélange des genres, le « juge et partie ». Cependant, l'initiative publique est peut-être inévitable, dans un premier temps, pour donner corps à ce type de démarche. Au fil des années, les acteurs publics devront toutefois se désengager de ces instances. Néanmoins, il faut éviter de multiplier les contraintes, sous peine de dissuader les bénévoles. Il s'agit, au contraire, de redonner de la motivation à ces derniers. Malheureusement, l'âge des bénévoles sur le terrain tend à augmenter. De plus, nous n'avons pas encore mesuré l'impact regrettable de la disparition de nombreux emplois jeunes et emplois aidés. Or plusieurs disciplines ont été très fragilisées par la suppression de ces contrats. Elles reposaient parfois sur une seule personne, en emploi aidé. Il en résulte un maillage territorial difficile pour certaines pratiques sportives.

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Alain Fouché, ancien sénateur, rapporteur de la mission d'information sur le fonctionnement et l'organisation des fédérations sportives

Il pourrait être opportun de réfléchir à la mise en place de déductions fiscales au profit des bénévoles très impliqués.

Par ailleurs, si les procédures judiciaires sont longues, le parquet réagit très rapidement. L'inconvénient réside dans le fait que ces affaires sont très médiatisées.

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Merci à vous. Je conclus que nous partageons plusieurs constats. Des propositions sur le bénévolat sont en cours d'élaboration avec Prisca Thévenot.

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Jean-Jacques Lozach, sénateur, président de la mission d'information sur le fonctionnement et l'organisation des fédérations sportives

Permettez-moi une dernière observation. Les fédérations à mission sont une voie intéressante à explorer, et la nouvelle présidence de la fédération de rugby mène actuellement un travail sur ce sujet. Il me semble que les clubs de sport ont vocation à devenir des clubs à mission, en s'impliquant dans les domaines économique et social.

La séance s'achève à dix heures.

Membres présents ou excusés

Présents. – Mme Béatrice Bellamy, M. Stéphane Buchou, M. Roger Chudeau, Mme Sophie Mette, M. Julien Odoul, Mme Sabrina Sebaihi

Excusée. – Mme Claudia Rouaux