La réunion

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La mission d'information de la conférence des présidents sur l'accès des Français à un logement digne et la réalisation d'un parcours résidentiel durable a auditionné Mme Véronique Bédague, présidente-directrice générale de Nexity et M. Christophe Robert, délégué général de la fondation Abbé Pierre.

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Nous parvenons au terme de la mission d'information que nous a confiée la présidente de l'Assemblée nationale l'été dernier et dont les travaux ont commencé au mois de septembre. Créée à l'initiative de l'Assemblée nationale elle-même, donc investie d'un statut particulier, cette mission répondait à trois ambitions du Gouvernement : une loi sur les copropriétés et l'habitat insalubre, déjà examinée en première lecture ; une loi sur les meublés touristiques et Airbnb, qui suit actuellement le cours de la navette parlementaire ; une loi d'orientation sur le logement annoncée par le Président de la République et M. Patrice Vergriete, alors ministre délégué chargé du logement, et qui doit notamment comporter un volet consacré à la décentralisation. Plutôt qu'aux lois déjà écrites, cette mission visait à contribuer à l'élaboration de cette loi d'orientation, dont je dois du reste avouer qu'on ne sait pas très bien où elle en est… Elle n'a pas été mentionnée dans la déclaration de politique générale du Premier ministre ni dans les premières déclarations du nouveau ministre du logement, que nous n'avons pas auditionné.

Au-delà de son intitulé, notre mission a un champ assez large. Nous nous sommes appuyés sur les travaux du Conseil national de la refondation (CNR), dont vous avez assuré la coprésidence, considérant que, si un consensus pouvait se dégager au sein de ce conseil dans les milieux professionnels du logement, réunissant les promoteurs immobiliers, la fondation Abbé Pierre, les organismes HLM et le Medef, en passant par tout le spectre des fédérations professionnelles, il n'y avait pas de raison que ce consensus ne puisse pas se retrouver au sein de la représentation nationale. Nous avons donc pour objectif de formuler des propositions consensuelles au sein de la représentation nationale pour alimenter une loi de programmation dans ce domaine.

Nous avons procédé à de nombreuses auditions, notamment d'universitaires, de spécialistes, de fédérations de promoteurs, de fédérations du bâtiment, de l'Union sociale pour l'habitat (USH), d'Action logement, de la fondation Abbé Pierre, d'organisations de consommateurs, etc., et nous sommes en train de conclure nos travaux.

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Notre commission a en effet débuté voilà déjà quelques mois et a procédé à une multitude d'auditions touchant l'ensemble des partenaires concernés par le logement. Il ne s'agissait pas tant de publier un énième rapport que de disposer d'une boîte à outils dont le contenu pourrait être variable selon les territoires. De fait, un parcours résidentiel pour toutes les bourses et tous les âges peut avoir des incidences différentes d'un territoire à l'autre, selon que la priorité y est donnée au logement des seniors, à l'accueil de nouveaux actifs ou au logement étudiant, qui est devenu un parcours du combattant. Le constat est le même un peu partout : à chaque étape de la vie et dans quelque situation qu'on se trouve, on rencontre des difficultés pour se loger ou pour trouver le logement adapté à ses besoins du moment. Nous voulons donc être une force de proposition, au moyen notamment de cette mallette, pour répondre à une question qui, comme la fondation Abbé Pierre peut en témoigner, se pose déjà depuis de nombreuses décennies : comment, en 2024, apporter une réponse au cas par cas en fonction des typologies de logements et des situations rencontrées d'une région à l'autre ?

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Christophe Robert, délégué général de la fondation Abbé Pierre

Au terme de votre travail parlementaire sur un sujet que vous connaissez bien, il est intéressant de creuser des points particuliers sur lesquels demeurent des interrogations, notamment pour ce qui concerne l'adaptation aux réalités des différents territoires.

L'un des premiers résultats observés dans le cadre du CNR, et qui fait écho à la constatation rappelée tout à l'heure par M. le président, est le fait que les différents acteurs réunis aient partagé certains points de vue – ce qui pourrait peut-être guider les décisions des pouvoirs publics. Je rappelle qu'avant la création du volet « Logement » du Conseil national de la refondation (CNR logement), lors de la première rencontre avec le Président de la République, quatre thèmes étaient proposés dans le cadre de ce CNR. Toutefois, après le premier tour de table, tant le Medef que les syndicats, les présidents d'associations de collectivités, la fondation Abbé Pierre et un grand nombre des vingt à vingt-cinq acteurs non gouvernementaux présents autour de la table constataient l'absence du thème du logement, qui a pourtant, au-delà des questions techniques et financières, une incidence sur toutes les dimensions du quotidien de nos territoires et de nos concitoyens. Cette constatation a été massive, le Medef soulignant l'importance de la mobilité dans l'emploi pour le développement des territoires et le frein que constituait le manque de logements pour la création de nouvelles activités, tandis que nous mettions en lumière les difficultés sociales que nous observons tous les jours chez les étudiants comme chez les personnes disposant de revenus modestes, les familles monoparentales ou les personnes ayant rencontré des situations difficiles dans leur parcours. La question du logement apparaissait donc comme une évidence parmi les difficultés auxquelles notre pays est confronté.

C'est ainsi qu'à la fin de cette séquence, le Président de la République Emmanuel Macron a décidé de créer un CNR logement, qu'il nous a été proposé de coanimer – ce que, conscients des enjeux, nous avons accepté. Nous avons donc réuni trois groupes de travail, dotés chacun de deux animateurs.

Durant les six mois qui ont suivi, plus de deux cents personnes ont été mobilisées. Il s'agissait de fins connaisseurs des questions de logement, des parcours, de la technique, des territoires et des situations difficiles, œuvrant collectivement pour dépasser leurs identités et leurs champs particuliers d'intervention économique et sociale, en réponse à l'invitation à réfléchir lancée par le Président de la République, puis par la Première ministre et par le ministre du logement, évidemment très impliqué. L'évidence s'imposait que chacun devait dépasser le point d'où il parlait pour réfléchir avec les autres aux moyens de faire évoluer la situation du logement.

Vous connaissez le contexte tragique dans lequel s'inscrivait cette réflexion, marqué par une forte baisse de la construction globale et du nombre de logements sociaux, qui atteint des records à l'échelle de plusieurs décennies. Avec moins de trois cent mille logements construits en France, c'est une catastrophe. Quant aux logements sociaux, 82 000 ont été financés en 2023, contre 125 000 en 2018 : 40 000 logements sociaux en moins, ce sont 40 000 situations non résolues. Parallèlement, la demande de logements sociaux a connu une hausse sans précédent, avec 2,6 millions de ménages demandeurs, et le nombre de personnes sans domicile fixe a doublé en dix ans, tandis qu'augmentaient le coût de la construction et les prix de l'énergie, ainsi que les taux du crédit et le nombre des refus de prêt. Ces indicateurs se sont encore dégradés dans les mois qui ont suivi le CNR.

Un autre constat partagé était que le logement, premier poste de dépenses des ménages, avait, dès avant l'inflation, un impact considérable sur le pouvoir d'achat comme sur la santé et la scolarisation, sans parler de l'impact écologique, chantier abordé par l'un des trois groupes de travail que j'évoquais. Se posaient également la question des freins à la mobilité dans l'emploi – et, plus globalement, des freins au plein emploi –, celle de l'emploi dans le bâtiment, qui suscite aujourd'hui d'immenses inquiétudes, et celle du développement des territoires.

Pour ce qui est des grandes orientations générales, au-delà des chantiers techniques qui renvoient à bien des égards au questionnaire que vous nous avez adressé et sur lesquels nous pourrons revenir dans le détail, les acteurs du CNR se sont accordés, parmi plus de trois cents propositions formulées, sur une vingtaine de chantiers perçus comme prioritaires.

Parmi les questions transversales, les acteurs demandaient avec force une pluriannualité des engagements et des moyens – soit, en quelque sorte, une loi de programmation budgétaire s'apparentant à un plan de cohésion sociale –, pour donner de la visibilité aux acteurs, les mettre en dynamique et structurer les filières. C'est fondamental car, si on ne sait pas où on va, ce qui est aujourd'hui le cas… on va dans le mur. Il a également été demandé que les objectifs soient chiffrés pour permettre d'évaluer s'ils sont ou non atteints et, si nécessaire, de rectifier le tir, ce qui suppose une évaluation permanente.

Sans que cela exclue une différenciation territoriale, le rôle majeur de l'État en la matière a été unanimement souligné. Bien que nous n'ayons pas encore compris ce que l'exécutif entend faire en termes de décentralisation, l'État a, dans ce domaine, un rôle majeur, historique, et l'impulsion qu'il donne, sans interdire l'adaptation aux territoires, garantit une politique du logement forte et une égalité des territoires dans une perspective d'aménagement du territoire qui doit être à nouveau prise en compte – et qui rejoint également l'objet de votre mission.

L'État doit donc assumer un rôle de portage, d'impulsion, de pilotage et de soutien, ce qui n'empêche pas – et ce n'est, à nos yeux, pas paradoxal – que les politiques de l'habitat prévoient une délégation de compétences à des autorités disposées à le faire, équipées à cet effet et ayant mobilisé les moyens nécessaires. Cette possibilité a été formalisée autour des autorités organisatrices de l'habitat (AOH) créées par la loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, dite loi « 3DS », mais d'autres modalités sont possibles et nous pouvons y réfléchir. Toujours est-il qu'une grande ambition et une adaptation au niveau des territoires, en fonction de la réalité locale, ne sont pas incompatibles. Il s'agirait ainsi de mettre en œuvre localement les objectifs définis à l'échelle nationale, en adaptant les outils et les financements aux besoins des territoires. Il faut toutefois veiller à ne pas déléguer n'importe quoi – c'est, par exemple, la question du contingent préfectoral, sur lequel nous pourrons revenir.

Un autre élément transversal est la nécessité de maintenir les aides et contreparties sociales. À cet égard, nous avons pris littéralement « une grande claque » lorsqu'à l'issue du CNR, au lieu de l'impulsion en ce sens qu'attendaient tous les acteurs, on nous a annoncé la réduction du prêt à taux zéro et la fin du dispositif Pinel. Or des aides et des incitations sont nécessaires et, même si on peut discuter de tout, en particulier du niveau pertinent des contreparties sociales et écologiques, le retrait pur et simple de ces mesures est une catastrophe.

Il a également été demandé des mesures d'urgence et des mesures structurelles, qui peuvent être combinées à l'instar du rôle de l'État et de l'adaptation des outils et des moyens aux territoires.

Un autre élément transversal qui s'est dégagé est la nécessité d'agir sur tous les leviers. Avant même les conclusions du CNR, Véronique Bédague et moi-même avons beaucoup insisté auprès de l'Élysée, de Matignon et du ministère du logement, invitant les pouvoirs publics à faire feu de tout bois face aux parcours résidentiels et aux réalités plurielles que vous avez évoquées en introduction. Personne, en effet, n'est épargné, sinon les très riches : qu'il s'agisse des sans-abri qui rencontrent les pires difficultés ou de ceux qui ne peuvent pas accéder à la propriété ou à la mobilité professionnelle, il y a de très nombreux chantiers à ouvrir.

Pour conclure cette introduction, je tiens à souligner que tous les acteurs ont fait preuve d'un très grand engagement. Certains sujets qui n'étaient initialement pas évidents ont émergé d'une manière assez consensuelle, comme l'importance que revêt le foncier. Il s'agirait en effet de définir le sens que l'on donne à la maîtrise du foncier et ce que l'on voudrait en faire. Plusieurs approches sont possibles et, pour Véronique Bédague et moi-même, les moyens à employer pour encourager la construction dans une perspective de densification sans l'opposer au zéro artificialisation nette pourraient justifier la création d'une mission. Toujours est-il qu'un débat autour du foncier s'est nettement fait jour : quelle ville voulons-nous ? Où construire ? Où densifier ? Construire quoi, en fonction de quels besoins ?

La « claque » que j'évoquais tout à l'heure est la forte déception ressentie, après un engagement de six mois, par les deux cents acteurs du CNR au vu des résultats de ce processus. Il faut faire attention, car ce n'est pas à la légère que nous avons participé à cette réflexion : comme vous, nous sommes très occupés et, dans le débat public, démocratique et politique, le peu d'écoute accordée à ce travail collectif réalisé à la demande de l'exécutif fait mal.

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Véronique Bédague, présidente-directrice générale de Nexity

Pour évoquer ce que je retiens, quant à moi, des conclusions du CNR, je commencerai par une plaisanterie : quelqu'un disait un jour que, lorsqu'on pose ses fesses en haut d'un toboggan, il est rare qu'on n'arrive pas en bas – et c'est exactement ce qui est en train de se produire. Christophe Robert évoquait le chiffre de trois cent mille logements construits mais, l'année dernière, moins de deux cent mille ont été vendus et il n'y a aucune raison de construire plus qu'on n'a vendu. De fait, avec 95 000 logements collectifs, 58 000 maisons – un effondrement ! – et 40 000 logements sociaux construits par les organismes de logement social pour compte propre, le total est inférieur à deux cent mille, de telle sorte qu'on peut s'attendre, en rythme de croisière, à ce que deux cent mille logements soient construits chaque année. La situation ne s'améliore pas en début d'année, car les ventes ne sont pas plus nombreuses. Je ne sais plus quel mot employer pour dire qu'il y a urgence, car je ne me fais pas entendre.

Pour ce qui concerne le CNR, c'est au Gouvernement et à vous de dire quelles sont les bonnes réponses aux questions posées. Je reviendrai pour ma part sur quatre ou cinq questions qui ont émergé de ce travail – au-delà de celles, évidemment très importantes, qui touchent au développement durable.

Une première question intéressante est celle du foncier. Nous avons en effet tous pris conscience, au sein du groupe, que nous ne regardions pas comme il conviendrait ce bien commun, que nous devrions traiter comme tel – même si je ne sais pas comment le faire. Toujours est-il que le zéro artificialisation nette rend le foncier encore plus rare et que la baisse du prix du foncier escomptée par certains à cause de la crise – on entendait citer le chiffre de – 20 % – n'a pas eu lieu. En réalité, ceux qui disposent d'un foncier constructible savent très bien qu'ils possèdent un bien rare.

L'une des propositions du CNR était d'encourager la libération de foncier par une fiscalité appropriée, et elle a donné lieu à des travaux parlementaires. L'idée a même été émise de savoir comment contrôler le prix du foncier et comment rendre, le cas échéant, aux collectivités une partie de la plus-value générée par l'amélioration d'espaces publics. Ainsi, lorsque nous avons construit le tramway à Paris, il s'agissait d'une dépense publique très importante, qui s'est traduite par une vraie requalification des boulevards des maréchaux et une augmentation des prix du foncier dans cette zone, mais les collectivités ne savent pas reprendre une partie de cette plus-value. Certains jugent que ce n'est pas possible, mais il faut tout de même examiner la question, car on ne peut se satisfaire d'enrichir les propriétaires fonciers pour la simple raison qu'ils se trouvent dans une zone revalorisée par l'action publique. Il y a là un vrai débat. Il est bon que les marchés aient un prix, mais le foncier est aujourd'hui un bien commun très rare et il n'y a aucune raison que son prix baisse, ce qui ne favorisera pas la production de logements abordables.

Une deuxième question très intéressante abordée par le CNR – qui n'a du reste pas réussi à la traiter – est celle de l'évaluation des besoins, qui suppose une itération entre ceux que définit l'État et les besoins locaux. Comme vous le disiez vous-même, en effet, les besoins ne s'expriment pas de la même manière selon les territoires. Comment organiser cela ?

En outre, pendant plusieurs années, l'État n'a pas dit qu'il fallait du logement. Il est intéressant de rappeler, à cet égard, qu'à l'ouverture du CNR, la cheffe économiste du Trésor déclarait qu'une production annuelle de deux cents à deux cent cinquante mille logements suffisait. Avec deux cent mille logements, nous y sommes presque… et nous allons donc voir si ça suffit ! Il est très difficile de définir des politiques publiques sans faire un diagnostic partagé, lequel doit prendre en compte tant la production de logements neufs que la réhabilitation, les logements insalubres et le souhait des gens d'habiter près de leur travail – alors que les travaux du Medef ont montré qu'année après année, ils habitaient de plus en plus loin.

Une troisième question est celle de la densité. En effet, le zéro artificialisation nette et le souhait de réduire les déplacements en voiture – lequel suppose que les gens vivent dans des endroits desservis par les transports en commun – conduisent à réfléchir sur ce thème, et des travaux très intéressants ont donc été engagés pour savoir comment rendre le plan local d'urbanisme (PLU) accessible à la population – ce qui n'est pas facile : peut-on le dessiner ou le représenter en 3D ? D'un point de vue démocratique, cela n'a rien d'anecdotique. Peut-on, par ailleurs, imposer une densité minimale et comment faut-il travailler la réversibilité ? Ces problèmes ont donné lieu à de nombreux débats au sein du CNR et des propositions ont été émises.

Un grand débat a également été consacré à ce sujet tabou qu'est la fiscalité. Les maires ont-ils les moyens de financer les équipements qui accompagnent les logements ? Le système de la fiscalité locale est en effet d'une perversité folle : pour financer les logements, il faut taxer davantage les propriétaires, car ce financement repose sur la taxe foncière. Pour aider les maires bâtisseurs, une refonte de la fiscalité locale serait nécessaire, mais on peut, à défaut, adopter une approche plus douce en accordant des bonus à ces maires, ce qui toutefois ne résoudra pas le problème du financement du fonctionnement de ces équipements, notamment en termes de personnel.

On constate, par ailleurs, l'effondrement du marché de la location et de l'investissement des Français dans le logement. De fait, les investisseurs institutionnels privés, encore présents sur le marché du logement voilà deux ans, en sont désormais absents, car les écarts de rendement sont bien trop grands. Quant aux bailleurs privés, ils sont détournés de ce marché par la somme de la hausse des taux d'intérêt et de la fiscalité. Je rappelle en effet que l'investissement dans le logement est le seul investissement qui subisse d'abord l'impôt sur le revenu (IR), puis – à la différence des dividendes – une taxe locale, puis encore l'impôt sur la fortune immobilière (IFI) : si on ajoute à ce rasoir à trois lames les taux d'intérêt, il est difficile de trouver de la rentabilité – les quelques marchés qui supportent encore ce régime sont peu nombreux. Un débat a donc eu lieu au sein du CNR, au cours des mois de mars et avril, sur l'aide aux bailleurs privés et sur le statut de ces derniers. On a donc pris conscience, voilà neuf mois, du besoin de nourrir de nouveau le marché de l'investissement privé.

La gouvernance a également donné lieu à des débats très intéressants, au moment où l'État annonçait davantage de décentralisation. La conviction s'exprimait que l'État devait être présent et déterminer la politique du logement. Il lui était demandé de se focaliser sur la définition et le respect des objectifs – sachant que, pour l'instant il n'en a pas fixé –, d'assurer la péréquation entre les territoires – ce qui est son rôle historique – et l'équilibre de l'attractivité, et d'appuyer le déploiement des paradigmes d'intervention, comme le plan « Logement d'abord ». Il faut donc définir une vraie politique nationale, qui doit être en itération permanente avec les territoires. Les habitudes de logement, les besoins et les populations sont très différents, et le sont de plus en plus – je perçois bien plus fortement cette différenciation aujourd'hui que lors de mon arrivée chez Nexity, voilà sept ans. C'est très intéressant.

Bien que cette question dépasse le champ de mes compétences, j'ai observé que les élus présents autour de la table appelaient à une généralisation des autorités organisatrices de l'habitat au niveau des collectivités pour définir les politiques du logement à l'échelle locale.

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Nous nous sommes approprié les conclusions du CNR. La quantification de la demande et des besoins est une question incontournable, qui est souvent revenue au cours des auditions précédentes. Il y a quelques années, un consensus régnait entre les représentants de l'État, les promoteurs et les bailleurs sociaux sur les objectifs quantitatifs – ceux-ci étaient ensuite atteints ou non. Je l'ai dit au ministre lors d'une table-ronde organisée à l'occasion de l'assemblée de la Fédération nationale de l'immobilier (Fnaim) : le directeur de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP) semble intégrer la position de la direction générale du Trésor, qui est peut-être celle du Gouvernement, à savoir que notre pays n'aurait pas besoin de logements supplémentaires et que la remise sur le marché des logements vacants couplée à la densification des secteurs pavillonnaires pourrait suffire. Nous avons compilé les programmes locaux de l'habitat (PLH), émanation des territoires, exercice qui aboutit au chiffre de 490 000 logements à produire annuellement, dont 180 000 logements sociaux. Il y a un écart entre l'analyse de l'administration centrale et cette évaluation : notre rapport tentera de clarifier la question. Le CNR a-t-il élaboré des estimations chiffrées sur ce sujet très important ?

Notre mission ne s'aventurera pas dans le grand chantier de la fiscalité locale, mais elle doit se pencher sur l'absence de corrélation entre celle-ci et les permis de construire que délivrent les municipalités. Il n'est pas opportun de faire porter aux maires l'entière responsabilité des problèmes actuels. Il ne faut pas non plus éluder la question du foncier que vous avez abordée : aucune maîtrise foncière publique n'entoure les soixante-huit gares du futur Grand Paris Express (GPE), dont les environs deviennent par conséquent des lieux de grande spéculation ; or un minimum de volonté politique aurait pu éviter cette dérive. Avez-vous des propositions de modification de la fiscalité et de libération du foncier ?

Que recommandez-vous pour le statut fiscal des bailleurs privés ? Mon inclination naturelle n'est pas de reconnaître un statut particulier aux propriétaires privés, mais l'impasse actuelle dans le secteur locatif incite à ouvrir la réflexion.

Dans le domaine du logement social, les chiffres dont nous disposons montrent qu'une fois soustraites les démolitions et les ventes, le solde net est de 35 000 logements sociaux pour les familles éligibles.

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Christophe Robert, délégué général de la fondation Abbé Pierre

Nous n'avons pas réalisé le même travail que celui que vous avez effectué sur les PLH et qui me semble très intéressant ; en revanche, l'Union sociale pour l'habitat (USH) a procédé à une addition proche de la vôtre. Lors du CNR, l'exécutif nous a dit qu'il fallait cesser de fixer des objectifs nationaux ; néanmoins, ceux-ci peuvent se révéler utiles pour soutenir une stratégie ambitieuse, d'autant qu'il reste indispensable d'identifier les besoins dans les territoires – dans ce domaine, le PLH est d'ailleurs un outil de qualité.

S'agissant du mal-logement, le surpeuplement, dont la diminution était un signe de modernité, est reparti à la hausse dans les secteurs tendus, à cause d'une augmentation des prix bien supérieure à celle des revenus des ménages. Les personnes sans domicile, sans abri ou contraintes de rester dans des logements indignes, mais chers, sont nombreuses : les exemples les plus catastrophiques se trouvent à Marseille, comme l'a montré le rapport de Christian Nicol qui évaluait à quarante mille le nombre de ménages contraints d'acquitter des loyers élevés pour des logements qui ne devraient pas être mis sur le marché. Faut-il intégrer toutes les dimensions du problème ou se contenter de l'élément démographique ?

On a l'impression qu'une rationalisation a posteriori s'est imposée, consistant à dire qu'il ne fallait plus construire, mais rénover. Véronique Bédague et moi-même l'avons dit au CNR, devant la Première ministre d'alors et les ministres : il serait erroné de choisir entre les deux ; ce serait comme choisir entre la lutte contre les mauvaises conditions de logement des personnes âgées et celles des jeunes, alors qu'il faut évidemment agir dans ces deux domaines. La rénovation constitue un chantier majeur pour lequel nous avons formulé des propositions très fortes lors du CNR – ce thème était celui de l'un des trois grands groupes de travail dont vous avez pu lire les conclusions. Si l'on s'en tient à une analyse macroscopique, il est possible d'épouser le raisonnement de la direction générale du Trésor et de se contenter de mobiliser les trois millions de logements vacants ; sans même compter la vacance frictionnelle, il est patent qu'une telle approche manque de pertinence : ainsi, le département le plus affecté par la vacance de logements est le Cantal, où les besoins sont faibles.

Une approche sérieuse consiste à étudier, comme vous l'avez fait, les PLH : les acteurs locaux connaissent les besoins, ils consultent les acteurs économiques, ils analysent la liste des demandeurs de logements sociaux, ils observent les demandes de desserrement, ils prennent en compte les capacités foncières, etc. Nous voulons du sérieux… mais nous ne souhaitons évidemment pas nous substituer au Parlement, à l'État ou aux spécialistes.

Le sujet du foncier a fortement émergé : je n'aurais jamais pensé, en tant que délégué général de la fondation Abbé Pierre, pouvoir autant discuter de cette question avec tous les acteurs et parvenir à nous accorder sur la nécessité d'en faire le premier thème à aborder devant la Première ministre. Il ne s'agit pas d'être confiscatoire, mais d'appréhender tous les aspects, comme ceux de la plus-value, du partage, de l'aménagement du territoire et du bien commun – dans certains pays, le terrain n'appartient pas à la personne qui a fait construire sa maison dessus, parce qu'il servira peut-être à un autre usage dans cent ans. Nous avons demandé la création d'une mission visant à affiner les modalités de densification possibles : certains travaux montrent que 70 % à 75 % seulement du niveau de densification autorisé par le plan local d'urbanisme (PLU) est atteint dans la construction : c'est dommage ! Dans certains pays, la loi impose d'arriver à 100 % : voilà un levier ! Il est indispensable d'ouvrir la réflexion à ce sujet.

Nous avons également proposé d'instaurer une fiscalité incitant à la libération du foncier non bâti, alors que le système actuel rend avantageuse sa conservation par son propriétaire.

Le bail réel solidaire (BRS) recoupe la question de la construction, celle de la maîtrise du foncier à travers la dissociation de celui-ci et du bâti, et celle du rachat, en vue de les restaurer, de logements souffrant, par exemple, d'un mauvais diagnostic de performance énergétique (DPE). Cela ne suffira certes pas à répondre à notre première préoccupation, qui est de produire davantage de logements adaptés aux besoins de nos concitoyens, en soutenant les maires bâtisseurs et les investisseurs institutionnels : il faudra trouver les bons équilibres, mais agir en ce sens est indispensable. Une mission, qui pourrait être parlementaire et qui devra s'appuyer sur des comparaisons internationales, serait bienvenue, puisque des acteurs peu habitués à travailler sur ce registre ont ouvert la porte à cette réflexion.

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Véronique Bédague, présidente-directrice générale de Nexity

Nous ne demandons pas de fiscalité spécifique pour relancer la création de logements, car la fiscalité sur le logement est déjà particulière. Un prélèvement unique sur les revenus fonciers, qui rassemblerait l'impôt sur le revenu, la taxe foncière et l'IFI, entraînerait des pertes de recettes pour l'État ou pour les collectivités territoriales. Mais le problème inhérent à la fiscalité actuelle sur le logement, c'est qu'elle diminue fortement le rendement de l'investissement : la taxe foncière représente près d'un mois de loyer, par exemple. Or les investisseurs comparent les placements et ils constatent qu'il n'y a pas de taxe foncière sur les obligations ni sur les dividendes. Nous appelons donc de nos vœux une normalisation de la fiscalité sur le logement, plutôt que des dispositifs ad hoc comme le Pinel.

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Christophe Robert, délégué général de la fondation Abbé Pierre

Des travaux parlementaires ont déjà été réalisés sur le foncier de l'État, mais une question politique se pose : que voulons-nous faire de ce foncier ? Acceptons-nous d'en perdre une partie ?

Les bailleurs sociaux et les ménages ont subi des coupes massives, représentant environ quatre milliards d'euros par an, à cause notamment de la baisse des aides personnalisées au logement (APL). Le ministre de l'économie et des finances a récemment annoncé des économies de dix milliards d'euros pour le budget de l'État : les APL seront à nouveau réduites ; or nous n'avons jamais fait mieux que ces aides pour lisser les difficultés : de telles diminutions sont délétères et nous inquiètent profondément.

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Dans le prolongement de l'action de Nicolas Sarkozy, le Gouvernement oppose propriétaires et locataires : cette position n'est pas seulement stérile, elle est dangereuse, car les petits propriétaires font face aux mêmes difficultés que les locataires à cause de l'augmentation des charges et des prix de l'énergie. Le clivage ne passe-t-il pas plutôt entre les gros propriétaires, qui possèdent plusieurs biens et qui spéculent, et tous les autres ?

Vos propos sur les propriétaires qui louent un bien m'ont intéressé, madame Bédague : en effet, on se demande pourquoi ils continuent de le faire, alors que la solution de l'Airbnb ou celle de l'assurance vie sont bien plus rémunératrices. Nous nous battons actuellement pour supprimer la niche fiscale sur la location en Airbnb, ce à quoi le Gouvernement se refuse. Quel est, selon vous, le clivage utile ?

Vous avez raison, nous n'avons plus les mots pour dire l'urgence du problème du logement, mais le problème n'est-il pas tout simplement celui du « je-m'en-foutisme » ? Les éléments étant connus – le ministère du logement demande les chiffres à la fondation Abbé Pierre lorsqu'il en manque –, ne faut-il pas supposer que l'attitude qui prévaut au plus haut niveau de l'État est, dans une logique darwiniste, l'attente d'un effondrement du marché – d'une « purge », comme j'ai pu l'entendre dire – pour que les investisseurs ajustent leurs positions et que le marché reparte à la hausse dans trois ou quatre ans, quitte à ce que la population souffre dans l'intervalle ?

Si nous faisons le deuil de la capacité du Gouvernement à montrer le moindre intérêt pour la question du logement, quels grands axes législatifs, au-delà du budget, devrait suivre un gouvernement qui prendrait le sujet à bras-le-corps en 2027 ?

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Christophe Robert, délégué général de la fondation Abbé Pierre

Il me semble en effet que certaines personnes pensent utile de laisser le marché s'effondrer… mais, comme l'a dit Véronique Bédague, le prix du foncier ne diminuera pas à Paris, dont l'attractivité est forte, ni dans d'autres villes. Il s'agit donc d'une erreur de lecture politique et économique.

N'oublions pas les souffrances ! À force de commettre des erreurs et de refuser de déployer des politiques à la hauteur des enjeux sociaux, économiques et territoriaux, on provoque de très lourds dégâts ; comme nous l'avons déjà souligné, les souffrances vont bien au-delà des personnes mal logées. Le logement est une question compliquée qui n'est pas que technique ; or des apprentis sorciers affaiblissent notre capacité d'intervention dans ce domaine si important pour la vie de nos concitoyens et de nos territoires, à tel point que la pente sera difficile à remonter. Il y a quelques années, nous produisions 473 000 logements, donc cela est possible ; néanmoins, on accumule tellement de retard que la reconstitution d'un appareil de production performant sera difficile et longue ; dans ce domaine, la visibilité est essentielle pour tous les acteurs. Actuellement, règnent des logiques et des slogans déconnectés des besoins des territoires. Sur ce plan, le CNR a dégagé un consensus chez les élus comme chez les acteurs du secteur. J'ai rencontré peu de personnes connaissant le logement qui étaient en désaccord avec tout ce que nous avons dit depuis le début de cette audition. Notre diagnostic n'est pas le reflet de lubies mais de notre analyse de l'histoire des politiques du logement, de l'habitat et de l'aménagement du territoire.

Quant au programme législatif à dérouler, il faut savoir que certaines questions restent en discussion : quel est le bon niveau des aides ? Quelles sont les contreparties sociales et écologiques idoines ? Quels investissements faut-il encourager ? L'État doit fixer des objectifs pluriannuels et apporter des soutiens : nous devrions discuter de cette politique dans un nouveau CNR, qui se pencherait sur la phase opérationnelle des chantiers qui nous sont collectivement apparus incontournables. Il faudra agir sur différents leviers et non en privilégier un seul. Nous avons conscience du niveau de l'endettement public, mais nous connaissons également le retour sur investissement d'une politique active du logement, pour les caisses de l'État comme pour la société.

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Véronique Bédague, présidente-directrice générale de Nexity

Je suis, comme toujours, parfaitement d'accord avec Christophe Robert. Le sujet, c'est de loger les Français là où ils le souhaitent. Dans cette optique, il est totalement inutile d'opposer les propriétaires aux bailleurs, d'autant que tout se contracte, le nombre de propriétaires comme celui des logements sociaux ou du parc privé. Il faut agir dans tous les domaines et offrir aux gens de l'espoir. Actuellement, tous ceux qui veulent se mettre en mouvement – les jeunes, les décohabitants, les personnes qui souhaitent déménager pour travailler ou faire des études – sont bloqués. Entre 12 % et 17 % des jeunes ont renoncé l'année dernière à la formation de leur choix parce qu'ils ne trouvaient pas de logement : est-ce normal ? Il faut activer tous les robinets du système pour que l'énergie circule à nouveau.

Vous avez raison, de nombreuses personnes ont espéré que la crise actuelle débouche sur une baisse généralisée des prix, mais celle-ci est impossible puisque l'offre de logements est insuffisante. L'année dernière, la diminution des prix a été très légère et cantonnée à des villes qui avaient connu de fortes augmentations les années précédentes ; en janvier 2024, le mouvement s'est déjà arrêté : rien de plus normal dans un marché où l'offre est si faible.

Une loi d'orientation serait évidemment utile, mais ceux qui nous gouvernent doivent reconnaître le besoin de logements : si on produit 193 000 logements et que le pouvoir estime que 200 000 suffisent, la situation est satisfaisante ! Le problème est qu'à ce rythme, les Français ne parviennent pas à se loger, et cette cible est donc tout à fait insuffisante : à la rentrée 2026-2027, nous aurons bien du plaisir ! Je pensais que les chiffres des PLH étaient plus bas que ceux que vous avez avancés, monsieur le président. Tout le monde doit tenir le même discours aux maires : ces derniers doivent délivrer des permis et nous devons les aider à créer des équipements – dans de grosses opérations, mon entreprise paie des montants élevés pour les projets urbains partenariaux (PUP), ce qui est normal car il faut construire des écoles, des crèches et d'autres équipements publics autour des logements. Il convient de s'accorder sur les objectifs et de soutenir les maires pour les atteindre.

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Les conclusions du CNR peuvent apparaître frustrantes après six mois de réflexion. J'ai travaillé au ministère chargé du logement pendant vingt-huit ans : j'ai vu de nombreux gouvernements s'y succéder et de nombreuses lois être promulguées, sans que les bonnes solutions aient été apportées ; notre tâche consiste à les trouver. Vous avez affirmé qu'une loi de programmation pluriannuelle fixant des objectifs donnerait de la lisibilité : nous partageons ce constat, d'autant que les acteurs ont besoin de retrouver de la confiance. Près de 56 % des ménages possèdent leur logement, dont deux tiers n'ont plus d'emprunt en cours : l'idée n'est pas d'opposer les propriétaires aux locataires, mais de restaurer la confiance pour que ces personnes participent sans crainte à la résolution de la crise du logement dans notre pays : ce chemin est indispensable pour ne pas devoir se tourner vers l'acteur le plus endetté, à savoir l'État.

Les territoires sont différents comme leurs problèmes. Malheureusement, bien que les statistiques à notre disposition soient nombreuses, aucun chiffre ne nous donne une idée précise de ce que nous devrions mettre en place à l'échelle du territoire, alors qu'une grande ambition en matière de logement ne pourrait se concrétiser que par la prise en compte de cette hétérogénéité.

Il faut effectivement utiliser tous les leviers pour faciliter le parcours résidentiel. L'exemple des étudiants montre qu'avant de pouvoir se payer un logement, il faut le trouver. Je constate qu'à Rennes, par exemple, les listes d'attente sont tellement longues que beaucoup d'étudiants auront terminé leur scolarité avant même de pouvoir déposer leur dossier… alors que des étudiants français ayant fait le choix d'étudier à l'étranger trouvent, dans certains pays, un logement dans la journée.

Aujourd'hui, nombreux sont ceux qui se crispent à l'écoute de l'expression « Zéro artificialisation nette ». Certains territoires disposant de terrains constructibles prévoient de rémunérer leur aménagement grâce au foncier des habitants, alors qu'il arrive que le propriétaire d'un terrain ne revienne sur le territoire que pour signer l'acte chez le notaire. Il est donc souhaitable qu'une part de la plus-value revienne aux collectivités afin de leur permettre de construire des équipements, de mener des travaux de réhabilitation thermique ou d'adapter les logements au handicap ou aux seniors. Il serait dommage que les 125 000 hectares pouvant être artificialisés jusqu'en 2030 ne profitent pas aux territoires.

Afin de construire suffisamment de logements, il faut redonner confiance à ceux qui souhaitent investir, mais qui se tournent aujourd'hui vers des investissements bénéficiant d'une rentabilité plus élevée. Six mois après la conclusion des travaux du CNR, certaines questions devraient pouvoir être remises sur la table. Cette mission d'information rendra bientôt ses conclusions et il faut éviter qu'elles aboutissent aux mêmes frustrations que vous avez pu connaître. Cela doit être l'occasion de faire du logement une priorité, car il concerne le quotidien de chacun et il est bien difficile pour ceux qui sont mal logés, quels que soient leur âge et leur revenu, de se projeter.

Vous avez parlé de quatre ou cinq priorités. Quelles sont celles qui sont suffisamment mûres pour être consensuelles ?

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Christophe Robert, délégué général de la fondation Abbé Pierre

La première des priorités est le foncier, y compris public : comment l'encadrer et à quoi doit-il être dédié ? La production et les maires doivent être soutenus, à un niveau qui reste à définir : un niveau trop bas n'est pas incitatif et un niveau trop haut serait un gâchis du budget de l'État. Nous avons conscience de ces difficultés.

La régulation des marchés est également une priorité. Elle doit concerner celui du foncier, mais aussi celui des locations touristiques. M. Bayou évoquait une proposition de loi en ce sens, qui est d'autant plus urgente que les plateformes de location empêchent le développement local – les responsables politiques, de droite comme de gauche, ont pu le constater en Bretagne ou au Pays basque. Le BRS est une piste intéressante.

Il faut trouver le bon niveau d'investissement et de contrepartie en matière de transition écologique. Le dernier rapport de la fondation Abbé Pierre relevait, parmi les points positifs de l'action du Gouvernement, les moyens mis sur la table pour la rénovation thermique des logements, mais nous avons appris il y a quelques jours que le Gouvernement avait décidé de retirer 1 milliard, ce qui m'a beaucoup surpris. Peut-être ces efforts ne permettaient-ils pas d'atteindre le niveau de deux cent mille logements, mais il s'agit d'une dynamique de long terme : un cap doit être fixé afin que les acteurs se mettent en ordre de marche pour l'atteindre.

Enfin, une question sociale se pose. La baisse des APL a certes permis d'économiser quatre milliards d'euros, mais les dégâts sociaux qu'elle a entraînés – difficultés à se maintenir dans son logement ou à pouvoir être en mobilité – ont-ils été bien mesurés ? Il faut trouver les bons indicateurs. Aujourd'hui, des personnes qui, jusqu'à présent, n'éprouvaient pas de difficultés à se loger y sont confrontées, et nous ne sommes malheureusement qu'au début de cette triste histoire. Nous constatons ainsi la fragilisation de catégories comme celle des artisans ou celle des commerçants. La baisse des APL a été catastrophique, car elle a affaibli le bouclier social que constituent les APL qui sont, avec les minima sociaux, l'aide la plus efficace pour faire sortir les ménages de la pauvreté. Elle nuit également au plan « Logement d'abord », alors qu'il concrétise une bonne politique du logement visant à aller vers des solutions de logement durables et dignes plutôt que de payer des hébergements d'urgence, qui coûtent cher à la nation.

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Véronique Bédague, présidente-directrice générale de Nexity

Il faut d'abord que l'État reprenne sa place et la représentation nationale a un vrai rôle à jouer, notamment en faisant remonter les besoins. J'espère que les déclarations d'Élisabeth Borne en juin dernier – qui disait vouloir prendre le problème à bras-le-corps – ou du Premier ministre qui a affirmé vouloir aller chercher les logements « avec les dents » dans sa déclaration de politique générale se traduiront par des effets concrets. Le rôle de l'État est d'identifier les besoins et de fixer une politique pour y répondre. Faute de but de guerre, comment espérer mobiliser tout le monde dans ce combat ?

Si le foncier devient un bien rare, il n'est pas possible de mener une politique de non-artificialisation sans densifier. C'est mathématique ! Il faut donc se pencher sur le plan local d'urbanisme intercommunal (PLUI), sur la densité minimale et sur les permis de construire, car tout est lié.

Il faut encourager les investisseurs et les accédants à la propriété. Je me suis opposée au retrait du prêt à taux zéro (PTZ) sur le neuf dans les zones détendues, mais je reconnais que des efforts ont été faits, notamment par les banques. Nous allons d'ailleurs lancer une offre pour les primoaccédants.

Pour la location, en revanche, je regrette que les annonces d'Élisabeth Borne sur l'insertion de dispositions dans le projet de loi de finances pour 2024 n'aient pas été suivies d'effets. Le sujet serait tellement compliqué qu'il faudrait prendre le temps de réfléchir… alors que l'urgence est absolue.

Nous n'avons pas beaucoup parlé des sujets écologiques, mais ils font l'objet d'une partie entière du rapport.

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Quel est votre avis sur les prêts hypothécaires et sur les prêts in fine ? C'est un sujet controversé et certains craignent un effet subprime.

Le Gouvernement annonce un retour des investisseurs institutionnels. Cela fait longtemps qu'il est annoncé mais, personnellement, je n'y ai jamais cru. Est-ce selon vous une réalité, qui pourrait remplacer le dispositif Pinel, ou un fantasme ?

L'État doit pouvoir quantifier les besoins afin de fixer des objectifs. Quelle est la relation entre la quantité des différents types de logement à produire et la réalité sociale du peuple français ? Je n'ai rien contre le logement intermédiaire, mais quand on sait que le salaire médian dans notre pays est de deux mille euros, on voit qu'il ne répond qu'aux besoins d'un tout petit segment. Or on a l'impression que les logements intermédiaires sont aujourd'hui brandis comme la solution idoine à la crise du logement.

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Véronique Bédague, présidente-directrice générale de Nexity

Je n'ai pas d'avis tranché sur les prêts hypothécaires ni sur les prêts in fine. Je ne saurais dire s'ils sont une vraie promesse pour les Français, mais si les prêts classiques se remettaient à fonctionner normalement, cela ne serait déjà pas mal. Avec les règles fixées par le Haut Conseil de stabilité financière (HCSF), les banques ont dû demander un apport plus important. Nous avons ainsi constaté que cet apport était en moyenne de quarante mille euros l'année dernière, alors que les jeunes entrant dans la vie active avec un tel pécule ne sont pas si nombreux. Les banques sont en train d'essayer de remettre le système classique en marche, mais peut-être faudrait-il vérifier si les règles prudentielles fixées par le HCSF ne constituent pas un facteur de blocage. Elles ont en effet été fixées à un moment où les prêts se trouvaient à un très haut niveau, alors qu'ils ont depuis diminué de 40 %. Je ne comprends pas pourquoi ces règles sont maintenues.

L'achat immobilier des particuliers n'est pas uniquement motivé par le rendement, il peut l'être, par exemple, par le désir de transmettre. Les investisseurs institutionnels, en revanche, sont des « monstres froids » qui exigent un certain niveau de rendement. Répondre à leurs exigences aujourd'hui nous demanderait de consentir un abattement de 30 % sur la vente de notre production, ce que personne ne sait faire. Nous avons réalisé une étude détaillant ville par ville les taux de rendement demandés par les institutionnels, par les family offices et par les particuliers, et nous avons observé des disparités entre les villes. J'ajoute qu'une aide aux investisseurs institutionnels serait très coûteuse pour les finances publiques. Je constate que leur retour est, pour le moment, une chimère en raison de la hausse des taux d'intérêt. Nous serions ravis de pouvoir leur vendre notre production comme nous le faisions il y a deux ans, car ils achètent en bloc.

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Une aide massive aux primoaccédants permettrait-elle de débloquer la situation ?

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Véronique Bédague, présidente-directrice générale de Nexity

J'ai passé dix ans à la direction du budget, où nous nous méfiions comme de la peste des « économies qui coûtent ». C'est le cas de celles qui ont été réalisées dans le domaine du logement avec la suppression du dispositif Pinel. À cela s'ajoute la baisse de la production, de 365 000 à 200 000 logements, qui provoque un effondrement de la TVA et des conséquences sur l'emploi.

Nous réalisons des logements intermédiaires, mais de façon marginale par rapport au social. Ils ont leur utilité, car ils permettent dans certaines zones de sortir du logement social, donc d'y augmenter la rotation.

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Christophe Robert, délégué général de la fondation Abbé Pierre

Le logement intermédiaire répond à un besoin dans certains territoires, mais l'intervention de la puissance publique doit d'abord porter sur les besoins sociaux, qui sont majeurs, et ne doit donc pas avoir pour conséquence de concurrencer le logement social sur le foncier ou sur l'appareil de production. Il ne s'agit pas d'une question de spécialiste : il s'agit simplement d'identifier la demande Parmi les 2,6 millions de ménages demandeurs de logements sociaux, seuls 5 % d'entre eux relèvent du logement intermédiaire. Il ne faut donc pas modifier la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains (loi SRU) dans le sens voulu par le Premier ministre.

Si on regarde plus en détail la réalité des ressources de ces 2,6 millions de ménages, on constate que les trois quarts sont éligibles au logement très social et ne sont donc pas concernés par le logement intermédiaire, ni par le prêt locatif social (PLS), ni même par le prêt locatif à usage social (Plus). Cela aurait pu être le cas si les plafonds des APL étaient encore les mêmes que les plafonds de loyer dans le logement social, mais ils sont déconnectés depuis une quinzaine d'années. Les mesures d'économies dans ce domaine ne remontent pas à seulement à 2017. C'est une question de responsabilité collective : les moyens de l'État – foncier public, défiscalisation, TVA avantageuse sur le PLAI ou sur le Plus – doivent être alloués en priorité aux besoins sociaux – je ne parle pas ici des plus pauvres et des mal-logés, qui nous tiennent particulièrement à cœur, mais des classes populaires et, éventuellement, des classes moyennes inférieures. Dans le débat sur la crise du logement, il y a tromperie sur la marchandise. Il faut d'abord objectiver les besoins afin d'identifier les catégories qui n'arrivent pas à se loger.

À l'issue des travaux du CNR, un consensus s'est dégagé sur la nécessité de faire quelque chose, mais le bon équilibre demande réflexion. Il faut soutenir l'accession sociale, car la demande existe et favorise la sortie du logement social, mais pas dans n'importe quelles conditions. Il faut, par exemple, éviter de favoriser l'achat de logements « pourris » qui deviendront les copropriétés dégradées de demain. Je me méfie du prêt hypothécaire, comme de toute solution de dernier recours visant à donner à des ménages n'en ayant pas la capacité l'accès à la propriété : on l'a fait avec les prêts à trente ans, qui ont conduit à l'achat de logements toujours plus petits ; concernant les prêts hypothécaires, on a vu les effets catastrophiques des conditions de rachat aux États-Unis et en Espagne avec la saisie de logements de millions de personnes. J'appelle donc à la vigilance, qui devra être plus ou moins grande selon l'acteur qui pilotera la démarche.

Membres présents ou excusés

Réunion du lundi 26 février 2024 à 15 h 00

Présents. – M. Julien Bayou, M. Mickaël Cosson, M. Stéphane Peu.