Commission d'enquête sur la gestion des risques naturels majeurs dans les territoires d'outre-mer

Réunion du jeudi 7 mars 2024 à 15h00

Résumé de la réunion

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La réunion

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Commission d'enquête sur la gestion des risques naturels majeurs dans les territoires d'outre-mer

Jeudi 7 mars 2024

La séance est ouverte à 15 heures

Présidence de M. Guillaume Vuilletet, rapporteur

La Commission d'enquête sur la gestion des risques naturels majeurs dans les territoires d'outre-mer procède à l'audition ouverte à la presse de la table ronde « Guyane » réunissant : MM. Antoine Poussier, préfet de la Guyane et Ludovic Marcelius, chef du service prévention des risques et industries extractives, direction générale des territoires et de la mer ; Service départemental d'incendie et de secours de la Guyane (SDIS 973) : Colonel Jean-Paul Levif, chef du corps des sapeurs-pompiers ; Collectivité territoriale de Guyane : MM. Jean-Paul Fereira, premier vice-président et Frédéric Blanchard, directeur biodiversité .

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M. le président Mansour Kamardine a été empêché. J'officierai donc ce jour avec la double fonction de président de la commission d'enquête et de rapporteur.

Mes chers collègues, nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête par une table ronde consacrée à la Guyane. Celle-ci se compose de représentants de la collectivité territoriale et de différents services déconcentrés de l'État et établissements publics.

Je vous remercie de votre disponibilité pour cette table ronde. Elle est retransmise en direct sur le site Internet de l'Assemblée nationale. L'enregistrement vidéo sera ensuite disponible à la demande. Je vous laisserai la parole pour de courtes interventions liminaires, avant que nous ne poursuivions les échanges sous la forme de questions et de réponses.

Je vous rappelle auparavant que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(MM. Antoine Poussier, Ludovic Marcelius, Frédéric Blanchard, Jean-Paul Levif et Jean-Paul Fereira prêtent serment.)

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Ludovic Marcelius, chef du service prévention des risques et industries extractives, direction générale des territoires et de la mer (DGTM)

Je remplace ce jour M. Ivan Martin, directeur général de la DGTM, qui n'a pas pu être présent.

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Antoine Poussier, Préfet de la Guyane

En premier lieu, la Guyane est plutôt épargnée, dans la zone atlantique, par certains risques naturels. En effet, elle n'est pas menacée par le risque cyclonique, lequel représente l'archétype du risque naturel. La Guyane est également épargnée par le risque sismique.

Néanmoins, comme sur tout territoire, la Guyane souffre de ses propres risques. La mémoire guyanaise est notamment encore marquée par un glissement de terrain qui est survenu à Cayenne, sur le Mont Cabassou, en avril 2000, lequel avait entraîné une dizaine de morts.

Les risques liés aux précipitations sont particulièrement intenses en Guyane, même si cette année est marquée par une période de sécheresse tout à fait exceptionnelle. La Guyane est néanmoins concernée par les risques de glissements de terrain et de crues. Ces phénomènes ont été importants au cours des dernières années qui ont été très humides. La Guyane est également sujette à des phénomènes de submersion marine.

La Guyane est dans le même temps exposée à des facteurs de vulnérabilité, dont la plupart sont dus à sa géographie. Le territoire est en effet très vaste : la Guyane est aussi grande que le Portugal. Dans ce contexte, la mise en place de secours est complexe, notamment le long du fleuve et au bord du littoral. Plus de trois heures de route séparent par exemple Cayenne de Saint-Laurent-du-Maroni.

La deuxième contrainte a trait à la nature de l'habitat, dans les deux grandes zones que représentent l'île de Cayenne et Saint-Laurent-du-Maroni. Ces territoires comptent nombre d'habitats dits spontanés, lesquels ont été construits sans tenir compte des risques naturels et présentent un aléa fort.

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Frédéric Blanchard, collectivité territoriale de Guyane

J'entretiens des rapports avec le chef des services d'aménagement. Je m'occupe pour ma part de questions qui ont trait à l'érosion, aux écosystèmes, à la biodiversité du littoral et aux sargasses.

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Jean-Paul Fereira, premier vice-président de la collectivité territoriale de Guyane

Pour compléter l'intervention de M. le préfet de Guyane, les phénomènes que nous connaissons sur le territoire sont particuliers, par rapport à la zone antillaise. Depuis moins de dix ans, on observe en Guyane un phénomène d'accélération de l'érosion côtière et des événements de submersion marine.

Les risques d'inondation se sont dans le même temps accrus, au niveau des fleuves Oyapock – fleuve-frontière entre la Guyane et le Brésil – et Maroni – fleuve-frontière avec le Suriname. Plusieurs épisodes d'inondation ont causé des dégâts sur le terrain. Ils semblent de plus en plus récurrents.

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Colonel Jean-Paul Levif, chef de corps des sapeurs-pompiers du service départemental d'incendie et de secours de Guyane

J'ajouterai aux précédentes interventions que la saison de sécheresse importante génère de nouveaux risques, comme les feux de végétation. Nous nous attendons à devoir lutter davantage contre ce risque, dans les années à venir. Le service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de Guyane s'y prépare, en faisant l'acquisition de moyens spécifiques.

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Jean-Paul Fereira, premier vice-président de la collectivité territoriale de Guyane

Ce phénomène de sécheresse impacte en outre les différents fleuves guyanais. De manière récente, le lit de certains fleuves s'est trouvé quasiment asséché, sachant que certains lieux ne sont accessibles que par les voies fluviale ou aérienne.

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L'objectif de cette commission d'enquête consiste à dresser l'état des lieux des risques naturels que présentent les différents territoires, mais également à apprécier la manière dont ces derniers sont préparés à la survenue des aléas. Je souhaiterais par conséquent que vous abordiez la question de vos capacités à gérer ces aléas.

Par ailleurs, outre l'impact direct des aléas naturels, ces derniers peuvent parfois favoriser la diffusion de pollutions. Je crois savoir que certains territoires de Guyane sont hautement concernés par les questions de pollution.

Compte tenu de sa grande étendue et de la dispersion de la population sur ce territoire – à la fois gigantesque et compliqué en termes d'accessibilité –, comment les dispositifs ORSEC y sont-ils déterminés ? Des exercices sont-ils effectués, qui permettent de s'assurer que les services atteignent facilement les populations éventuellement isolées ?

Par ailleurs, comment est assurée la diffusion de la culture du risque sur le territoire, c'est-à-dire la promotion des gestes qui sauvent, auprès de la population ? Au regard de l'environnement changeant, comment révisez-vous vos plans et votre programmation – votre plan de prévention des risques littoraux (PPRL) par exemple –, pour y intégrer la trajectoire malheureusement prévisible du changement climatique ?

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Antoine Poussier, Préfet de la Guyane

En matière de diffusion de la culture du risque, nous participons à la Journée nationale de la résilience, le 13 octobre, qui a été mise en place en 2022. Par rapport à ce qui se fait dans d'autres territoires ultramarins – à propos des risques sismiques notamment –, il est vrai que la Guyane aurait des progrès à réaliser en matière de culture du risque. Le risque est plus diffus en Guyane et notre culture du risque est moindre.

Quant à l'impact du changement climatique, on a pu penser pendant un certain temps que le réchauffement climatique ne changerait pas grand-chose en Guyane, dans la mesure où celle-ci n'est pas une île et où elle est déjà soumise à un climat équatorial. Or nous avons enregistré des intensités de précipitations records en 2021 et 2022 et une sécheresse également record cette année. On sent ainsi une forme d'irrégularité climatique plus brutale qu'auparavant. Le trait de côte évolue par ailleurs grandement et selon une dynamique inhabituelle, sur le plateau des Guyanes notamment, en raison probablement de modifications de courant et de la montée des eaux. Celle-ci ne peut pas nous laisser indifférents, sachant que le territoire de la bande littorale est assez plat.

Un enjeu porte par ailleurs sur l'élaboration et la mise à jour des plans de prévention des risques (PPR). Nous avons évoqué ce point avec la DGTM. Nos marges de progression sont à l'évidence importantes en la matière.

Sur vingt-deux communes, seuls sept plans communaux de sauvegarde (PCS) ont été établis. Cette donnée représente un indicateur de la diffusion d'une culture du risque locale. Je pense que nous pouvons nous améliorer sur ce point.

L'élongation géographique fragilise nos dispositifs de secours. Entre 10 % et 15 % de la population n'est pas reliée par voie routière et n'est accessible que par les voies fluviale et aérienne. En période d'étiage exceptionnel, le premier est soit très long, soit impossible. Les moyens aériens sont du reste plutôt fragiles et constituent une de mes préoccupations. Je souhaiterais disposer d'une capacité d'aéromobilité étatique plus importante.

Nous disposons en Guyane de beaucoup d'aéronefs, pour un département. Ceux-ci se trouvent néanmoins en fin de cycle. Le remplacement des aéronefs, militaires ou civils, est prévu dans les prochaines années. Néanmoins, avec des aéronefs anciens et par conséquent une disponibilité réduite, nous pourrions faire face à de fortes contraintes, en cas de survenue d'événements ou de nécessité d'effectuer un ravitaillement logistique.

La fin 2023 a notamment été marquée par la liquidation du groupe aéronautique CAIRE – auquel appartenait Air Guyane. Pendant plusieurs semaines, aucune liaison commerciale aérienne vers des communes intérieures n'a pu être assurée. Nous nous sommes alors aperçus que nos capacités aériennes étaient fortement sollicitées, en ce qui concerne le ravitaillement de certaines communes, en nourriture et en gaz notamment. Cette situation constitue une réelle fragilité et un des défis les plus importants pour le directeur du SDIS. Il doit en effet être capable de répondre aux risques que présente chaque commune du département. Outre les feux de forêt, dans le cas où un feu classique surviendrait dans une commune comme Saül, les secours mettraient plusieurs heures à intervenir. Un des défis du SDIS consiste ainsi à être en mesure de réagir rapidement à ces situations.

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Jean-Paul Fereira, premier vice-président de la collectivité territoriale de Guyane

À propos des aspects relatifs à la culture du risque, nous nous inscrivons, une fois encore, dans un contexte particulier. En effet, le territoire n'est pas menacé par certains risques, tandis que d'autres survenaient jusqu'à une période récente de façon irrégulière. Par ailleurs, une trentaine de langues maternelles sont parlées sur le territoire guyanais et il compte nombre d'approches culturelles différentes, en matière de gestion de l'espace. Plus de 200 campous bordent notamment le fleuve Maroni. L'accès au français est en outre compliqué pour certaines cultures, car il n'y constitue pas une langue maternelle. Des populations qui demeurent dans des villages essaimés le long du fleuve ont longtemps eu pour coutume – selon une habitude nomade – de s'installer dans des lieux en fonction des zones de chasse, de pêche et de culture. Dans ce contexte, il est compliqué d'adapter la question du message relatif aux risques naturels, alors que ces derniers s'accentuent depuis plusieurs années.

Concernant les risques de pollution qu'induisent les phénomènes d'inondation, la Guyane est également particulière, dans la mesure où elle compte encore des sites d'orpaillage illégaux. En cas de fortes pluies sur ces sites et, par la suite, de déversement dans les différents cours d'eau, les conséquences pourraient être importantes pour les consommateurs d'eau et de poisson.

L'éboulement qui est survenu à Cayenne en 2000 et qui a marqué les esprits a offert l'occasion aux services de l'État de mettre à jour les plans de prévention des risques naturels (PPRN). Dans la mesure où la Guyane ne présente pas la même situation que les Antilles, les PPR n'étaient pas traités à leur juste valeur. L'État a rapidement lancé un certain nombre de plans et fait en sorte de répondre aux différents risques auxquels le territoire est sujet.

Nous révisons actuellement le schéma d'aménagement régional qui a été élaboré par la collectivité territoriale de Guyane. Dans ce contexte, nous nous sommes aperçus qu'un certain nombre de phénomènes n'avaient pas été pris en compte, qu'il convient d'intégrer au document.

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Frédéric Blanchard, collectivité territoriale de Guyane

Dans le cadre de la gestion d'un risque naturel majeur, on pense immédiatement aux catastrophes. Or il existe des risques diffus qui doivent également être pris en considération, dans la communication et la préparation aux aléas. Les feux de forêt qu'évoquait le colonel Levif s'apparentent à des risques plus diffus, mais leurs impacts peuvent être majeurs. L'Office national des forêts (ONF) estime que 10 000 hectares de forêt sont actuellement totalement desséchés à l'intérieur du territoire, sans que les raisons de cette situation soient connues. Elle pourrait ne pas être due à la sécheresse. Une maladie cryptogamique s'est répandue dans tous les maniocs, au bord du fleuve Maroni notamment. Ces risques sont d'ordre biologique et plus diffus, mais ils sont également liés au réchauffement climatique.

Des scientifiques travaillent sur ces sujets et nous fournissent des informations qui nous aident à les traiter. Ces éléments sont évoqués à la radio et dans le cadre de conférences qui sont organisées à Cayenne, mais de façon très limitée. La question de l'érosion littorale peut ne pas être évoquée pendant deux ans, jusqu'à ce qu'une nouvelle manifestation du problème survienne. Il existe ainsi un enjeu autour de la pluridisciplinarité de ces questions et de leur diffusion auprès de tous.

Quant à la question des forêts, 10 000 hectares ont séché sur pied en l'espace d'un an, sans que le phénomène ait à ce jour été compris. L'ONF s'attache à le comprendre.

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Colonel Jean-Paul Levif, chef de corps des sapeurs-pompiers du service départemental d'incendie et de secours de Guyane

Les moyens du SDIS et donc des sapeurs-pompiers sont, pour rappel, dimensionnés en fonction des risques courants – et non des risques dits exceptionnels ou particuliers. De ce point de vue, nos moyens s'avèrent suffisants.

Les incendies et feux de végétation ont été multipliés par deux cette année. Nous y faisons face au moyen de nos pompes et de nos engins roulants traditionnels. Nous avons de plus fait appel à des moyens aériens, au travers d'une convention à caractère privé, dont le coût est assez élevé.

Face aux risques majeurs particuliers, je suppose qu'il conviendrait – à l'instar de ce qui se fait dans l'Hexagone – de prépositionner des moyens de lutte contre l'incendie plus efficaces et moins onéreux que ceux que nous avons déployés, pour pallier les difficultés ponctuelles que nous rencontrons.

Par ailleurs, la Guyane ne dispose d'aucune réserve nationale de moyens de sécurité civile, alors qu'il en existe aux Antilles. Pourquoi ne pas en implanter une sur le territoire, sachant que ce dernier est à l'abri des risques sismique et cyclonique et par conséquent plus stable et sûr que d'autres départements ? Cette réserve nationale serait du reste dimensionnée de sorte à pouvoir intervenir aux Antilles, dans le cas où celles-ci seraient frappées par des risques majeurs plus importants.

Quant à la culture du risque, une formation a cours aux Antilles et cinq officiers ont été remplacés. Ils interviendront sur le sol guyanais et pourront y sensibiliser les élus et mieux les former à ces questions. Les différents plans – le dispositif ORSEC et le PPRN notamment – pourront par là même être correctement agencés.

À ce jour, nombre d'initiatives se mettent ainsi en place, mais le dimensionnement semble encore insuffisant, au regard de l'accroissement des risques précités.

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Jean-Paul Fereira, premier vice-président de la collectivité territoriale de Guyane

S'agissant de l'habitat dit spontané – illégal et souvent lié à la présence elle-même illégale des personnes sur le territoire –, les personnes s'installent dans des zones qui sont inhabitées, précisément parce qu'elles présentent des risques. Le territoire guyanais compte des habitats de cette nature sur certaines collines autour de Cayenne et dans des zones inondables par exemple relevant de la commune de Macouria. De manière générale, une large part des habitats spontanés sont installés dans des zones présentant un fort risque.

Quant à la question des moyens, la Guyane compte près de 200 000 habitants – selon l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) –, alors que sa superficie équivaut à celle du Portugal. Or l'allocation de moyens aux territoires dépend généralement du critère relatif à leur population et non à leur étendue ni aux éventuelles difficultés d'intervention qu'ils présentent.

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Je connais bien le sujet de l'habitat indigne. En outre, nous sommes en passe de finaliser un projet de loi sur les copropriétés dégradées, dont certaines dispositions seront spécifiques à la Guyane et à Mayotte.

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Bonjour à tous. Quelles initiatives devrions-nous mieux soutenir, pour parer les différents risques que vous citez ? Comment pourrions-nous, tous ensemble – l'État, les élus et les différents corps œuvrant à la protection de la population –, les anticiper ?

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À propos de l'habitat spontané, vous avez signalé, M. Fereira, que les personnes s'installaient dans les endroits présentant les risques les plus élevés, que prévoient les plans ORSEC, en cas de fortes pluies ou de glissements de terrain sur ces territoires ? Comment appréhendez-vous cette partie du risque ?

Par ailleurs, une question porte sur le prépositionnement de ressources. Comment la ressource en eau est-elle gérée, au regard de la pollution à laquelle elle est exposée ? La question porte également sur les forces de défense sanitaire de sécurité civile. Quel rôle joue selon vous l'écosystème naturel ? Les mangroves sont réputées pouvoir absorber les problèmes de submersion côtière. Quels sont les programmes de gestion de ces écosystèmes ? Je souhaiterais également que vous abordiez la question des sargasses.

Par ailleurs, la question de l'assurance des biens se pose, en cas de sinistre. Quel est le taux de couverture des biens par les assurances sur le territoire guyanais ? Comment traitez-vous la question de leur non-couverture ?

Enfin, la Guyane est frontalière du Brésil et du Suriname. Or les aléas n'obéissent pas aux frontières. De quelle manière coopérez-vous avec ces pays tiers, en cas de besoin ?

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Antoine Poussier, Préfet de la Guyane

À propos des moyens et des dispositifs, nous avons en premier lieu besoin de renforcer notre aéromobilité. Les modèles Puma de l'armée de l'air seront remplacés par des Caracal, en 2025. Nous en attendons un niveau de disponibilité et des capacités supérieurs. Ces équipements sont importants, dans le cadre de la mise en œuvre de l'ensemble des politiques publiques – tant pour lutter contre l'orpaillage illégal qu'en cas d'opération de crise.

En termes de dispositifs réglementaires ou législatifs, j'adhère aux propos de M. Fereira. En effet, l'aléa guyanais le plus important est lié à la présence de populations qui se sont installées de façon illégale dans des zones très dangereuses. En effet, on estime que la Guyane compte 100 000 logements et que 30 000 ou 40 000 relèvent d'habitats spontanés. Ce phénomène n'est donc pas marginal. Aussi toutes les dispositions qui permettront de le résorber progressivement réduiraient-elles l'aléa et participeraient-elles de la maîtrise du risque.

Je crains en effet que le dispositif ORSEC ne prenne pas véritablement en considération la question de l'habitat spontané. Il ne prend pas en compte le fait qu'un véhicule de secours ne soit pas en mesure de pénétrer dans certains quartiers guyanais. Le squat Bambou, le plus grand de Guyane, n'est associé à aucune adresse et les voies de circulation ne sont pas aux normes. Lorsque le SDIS ou le Samu doivent y intervenir, les habitants conduisent la personne blessée ou victime d'un malaise à l'entrée du squat. Les services ne peuvent pas y pénétrer.

Je crois ainsi dans tous les dispositifs – à l'instar de ceux que prévoit la loi ELAN – qui nous permettent de lutter contre l'habitat spontané, de le résorber progressivement ou de le transformer. En effet, certains ont pris une telle ampleur, en Guyane, qu'il est illusoire de penser qu'ils pourront être complètement détruits. Une partie seulement est détruite et l'autre aménagée et urbanisée.

Je ne dispose pas néanmoins des chiffres relatifs à l'assurance habitation. La couverture est à mon sens assez peu élevée. En revanche, j'ai récemment reçu la fédération des assurances et il semble que celles-ci n'émettent pas de refus, comme ce peut être parfois le cas aux Antilles, en lien avec les risques cyclonique et sismique. Les difficultés ont plutôt trait au taux de pauvreté des populations guyanaises et au phénomène migratoire : 36 % de la population est étrangère ; 45 % de ces étrangers relèvent de la classe active et sont âgés de 30 ans à 55 ans.

Nous disposons du reste de conventions de coopération avec les deux États frontaliers. Néanmoins, nous nous attendons plutôt à les aider que la situation inverse. En effet, le Suriname ne dispose pas des capacités des États-Unis. Nous y sommes intervenus récemment, à la suite d'un accident minier.

La Guyane est par ailleurs frontalière du Brésil, mais avec son état le plus pauvre, l'Amapá. Les moyens dont le pays dispose ne sont pas extraordinaires. L'Amapá compte néanmoins une population nombreuse et fait partie des compléments sur lesquels nous pouvons compter, sachant qu'Oiapoque se situe à deux heures de route de Cayenne. Dans le cadre de certains risques courants, des scénarios de coopération intéressants peuvent être imaginés.

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Je suis conscient que le Suriname ne serait pas en mesure d'intervenir pour vous sauver. En revanche, un aléa qui surviendrait autour du fleuve Maroni ne respecterait pas la frontière et pourrait entraîner des désordres des deux côtés. Les populations qui demeurent au bord du Maroni pourraient être amenées à chercher refuge du côté français, s'ils le peuvent. Avez-vous anticipé ce phénomène ? En somme, les deux États pourraient connaître des événements communs et simultanés, lesquels nécessiteraient de mutualiser des ressources.

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Colonel Jean-Paul Levif, chef de corps des sapeurs-pompiers du service départemental d'incendie et de secours de Guyane

Je confirme l'existence d'accords de coopération bilatérale entre le Suriname et la Guyane, qui nous permettent d'enclencher de nombreuses opérations de secours communes, à la personne et contre les incendies par exemple. Un calendrier des manœuvres est en place et actualisé chaque année. Nous nous rencontrons de surcroît, de part et d'autre de la frontière, en vue d'effectuer des exercices et de dispenser des formations. Nous avons en effet à cœur d'harmoniser nos pratiques, afin d'être accordés lors d'interventions et de parvenir à une réelle efficacité. Ces dispositifs fonctionnent plutôt bien, des deux côtés de la frontière. Des accords nous permettent en outre de pénétrer jusqu'à 150 kilomètres à l'intérieur du territoire surinamais, dans le cadre d'interventions de secours à la personne ou contre les incendies. Cependant, nous n'avons pas anticipé dans nos pratiques et exercices le cas de risques plus massifs. Pour le reste, cette coopération a le mérite de rassurer les populations et de mieux appréhender nos pratiques et cultures respectives.

S'agissant du Brésil, nous pourrions compter sur un personnel en grand nombre, car le corps d'intervention y est militarisé. Cette coopération peut s'avérer bénéfique, en ce qui concerne certains risques courants. La circonstance est identique au Suriname, où nous avons parfois à traiter des accidents de la route. En effet, la route qui mène à Paramaribo est hautement meurtrière. Nombre de Guyanais y circulent et nous sommes parfois sollicités, en vue de secourir des ressortissants français sur le territoire surinamais. Ainsi, la coopération entre les deux États fait sens et évolue correctement.

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Jean-Paul Fereira, premier vice-président de la collectivité territoriale de Guyane

À propos du trait de côte et de la dynamique littorale que connaît l'ensemble du plateau des Guyanes, l'observatoire de la dynamique côtière de Guyane est en place depuis plusieurs années. Ses moyens devraient néanmoins être renforcés, afin de mieux connaître le phénomène complexe qui est observé. La coopération entre les États concernés a toute son importance sur ces sujets.

Le phénomène des Sargasses est par ailleurs moins important en Guyane qu'aux Antilles. Quelques épisodes ont été enregistrés, mais les algues sargasses sont naturellement éloignées du plateau des Guyanes, grâce au courant. Ce phénomène est cependant récent et sa connaissance, dont la manière dont les sargasses évoluent, nous intéresse particulièrement.

Quant à la question de l'assurance des biens, certaines habitations légales ne sont pas couvertes. Nous devrons travailler sur cette situation, afin d'éviter d'avoir à la traiter a posteriori, dans le cadre de situations d'urgence notamment.

Le territoire guyanais présente par ailleurs des situations particulières. Le fonds Barnier s'avère utile, dans la mesure où il permet – dans l'Hexagone – d'intervenir dans certains cas. En Guyane, à Awala-Yalimapo par exemple, la situation foncière est particulière et les personnes qui résident sur ce territoire ne disposent pas de titre foncier. Les notaires estiment que nous « squattons » un terrain de l'État. Il nous faudrait réfléchir à des solutions d'indemnisation, liées aux appréhensions particulières de l'espace dans ce type de territoires. Leur situation foncière l'exige en effet.

De la même manière, les sargasses peuvent impacter négativement la pêche côtière. Les pêcheurs qui exercent au large des côtes se trouvent confrontés à ce phénomène. Un effort particulier devrait ainsi être fourni en matière d'indemnisation, pour ces embarcations en activité. En effet, les périodes marquées par la présence de sargasses en Guyane impactent en premier lieu les pêcheurs.

S'agissant de la question de la coopération, les moyens dont dispose le Suriname sont loin d'être satisfaisants, dans le cas où il aurait à intervenir en Guyane française. Il en est de même pour l'Amapá, lequel état est isolé du reste du Brésil. La ville-frontière brésilienne d'Oiapoque est elle-même isolée du reste de l'Amapá et dispose de peu de moyens. Les activités de coopération existent ainsi, mais sont de peu d'importance, du Suriname vers la Guyane et du Brésil vers la Guyane. Les relations internationales de la France avec ces deux pays devraient être renforcées, de sorte à accroître les moyens d'Oiapoque et d'Albina – ville-frontière entre le Suriname et la Guyane.

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Je vous remercie de vos réponses. Existe-t-il par ailleurs des dispositions particulières, en termes de prépositionnement des moyens et d'approvisionnement, dans les plans relatifs à ces sujets ? La connaissance s'affine en effet au fur et à mesure de la survenue d'aléas, dans le cas de fortes précipitations notamment.

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Antoine Poussier, Préfet de la Guyane

Une fois encore, il n'existe pas de réserve nationale prépositionnée, en Guyane, alors qu'une réserve nationale est installée aux Antilles, en raison des risques cyclonique et sismique. L'état-major interministériel de zone de défense et de sécurité travaille sur ces questions, pour ce qui concerne la Guyane. Trois zones sont à considérer sur ce plan : Cayenne, Saint-Laurent-du-Maroni et les communes de l'intérieur.

Depuis que j'ai pris mes fonctions, j'observe en Guyane un manque de production d'eau. Lorsque nous rencontrons des difficultés d'approvisionnement en eau pour des communes se situant au bord d'un des fleuves, nous ne disposons pas d'unités de potabilisation qui nous permettraient de répondre rapidement aux difficultés rencontrées.

S'agissant de la réserve nationale, je confirme que nous travaillons, avec la direction générale de la sécurité civile, au prépositionnement de matériel adapté à la nature des risques auxquels la Guyane est soumise.

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De quelle manière vous employez-vous à contenir la progression de l'habitat spontané ?

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Antoine Poussier, Préfet de la Guyane

L'habitat spontané représente la conséquence d'un déséquilibre entre la demande et l'offre de logement. Nous travaillons donc sur les deux termes de ce problème. En matière de politique de logement, nous savons que pour répondre à la croissance démographique que connaît la Guyane, il faudrait que nous construisions près de 4 500 logements par an. Nous n'en construisons pour l'heure que la moitié, chaque année.

En outre, l'immigration constitue un des principaux moteurs de la dynamique démographique guyanaise. Le taux de fécondité des personnes étrangères est significativement supérieur à celui des Guyanais. En effet, près d'un quart des naissances enregistrées en Guyane sont données par des mères de nationalité haïtienne, alors que les ressortissants haïtiens ne représentent qu'entre 10 % et 12 % de la population du territoire.

Nous souhaitons ainsi mettre en œuvre une politique de logement dynamique, sachant que le foncier dit aménagé constitue le principal frein à la construction de logements en Guyane. Pour cette raison, l'État a créé en 2016 l'Établissement public foncier et d'aménagement de la Guyane (EPFAG), en vue de démultiplier la capacité à mettre à disposition du foncier aménagé. Huit ans après sa création, nous espérons que l'EPFAG délivrera prochainement du foncier aménagé, à la hauteur des besoins en matière de logement.

Quant à la demande de logement, la réponse à apporter a trait à la mise en œuvre d'une politique migratoire. Celle-ci est pensée différemment en Guyane, par rapport à Mayotte. La Guyane est considérée comme un pays « mosaïque », son territoire est gigantesque et il a longtemps souffert d'une situation de sous-population. Dans les années 1960, la Guyane comptait dix fois moins d'habitants qu'aujourd'hui, de l'ordre de 30 000 habitants, contre 300 000 habitants à ce jour. Le phénomène migratoire n'est par conséquent pas pensé de la même façon en Guyane qu'à Mayotte. En revanche, son effet est similaire sur le plan de la croissance démographique, au regard de la capacité de l'ensemble des politiques publiques à étaler la montée en charge, en matière de logement, d'éducation et de santé notamment.

Ainsi, la résorption de l'habitat spontané ne dépend pas uniquement de la mise en place d'une politique volontariste ou de la destruction de ces habitations. La Guyane compte entre 30 % et 40 % d'habitats spontanés, ce qui traduit le déséquilibre structurel entre l'offre et la demande, en matière de logement. Nous devons donc agir sur ces deux leviers, en vue de retrouver un certain équilibre. Le phénomène de l'habitat spontané pourra par la suite être résorbé efficacement. Pour l'heure, l'habitat spontané n'est pas même contenu. Il continue de progresser. La production de logements demeure inférieure à la croissance de la demande.

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De la même manière qu'à Mayotte et dans certains endroits de l'Hexagone, une partie de la population demandeuse de logement ne peut pas bénéficier de logements sociaux, car elle ne dispose pas de titre de séjour sur le territoire. Je suppose cependant que les bidonvilles guyanais comptent également des Français. Un traitement spécifique, en matière d'hébergement, est-il appliqué ?

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Antoine Poussier, Préfet de la Guyane

Nos capacités d'hébergement sont déjà saturées, en raison d'un autre phénomène, à savoir la demande d'asile des proches. L'immigration régionale provient essentiellement du Brésil, de Haïti et du Suriname. Les personnes ne bénéficient pas de dispositifs d'hébergement, mais sont logées dans des habitats spontanés, que je qualifierais de « communautaires ». Nos capacités d'hébergement répondant aux urgences classiques et aux demandeurs d'asile ne s'élèvent qu'entre 1 100 places et 1 300 places.

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À propos de la difficulté de mettre en œuvre le fonds Barnier en Guyane en raison d'un problème de titrisation des biens, comment cette question progresse-t-elle ?

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Antoine Poussier, Préfet de la Guyane

Contrairement à d'autres territoires ultramarins, il n'existe pas en Guyane de groupement d'intérêt public (GIP) relatif au titrement. La situation foncière guyanaise est en outre différente de celle des Antilles. Par exemple, la zone des cinquante pas géométriques ne s'y applique pas. À ma connaissance, il n'est pas prévu de mettre en œuvre de politique de titrisation renforcée.

Le sujet foncier concerne plutôt ce que les Accords de Guyane qualifient de « rétrocession », c'est-à-dire le transfert d'une partie du domaine privé de l'État vers les collectivités territoriales, à hauteur de 250 000 hectares, vers le secteur agricole et vers les populations amérindienne et bushinenguée, à hauteur de 400 000 hectares. En la matière, la priorité de l'État consiste actuellement à respecter les engagements qui ont été pris en 2017, malgré le retard qui a été généré en raison de difficultés à la fois juridiques et organisationnelles. Depuis un an ou un an et demi, ces sujets se sont inscrits, notamment sous l'impulsion du ministre, Jean-François Carenco, dans une vraie dynamique et des commissions d'attribution foncière sont organisées.

Le sujet du transfert de 400 000 hectares vers les populations amérindienne et bushinenguée demeure néanmoins compliqué. Les acteurs cherchent encore la bonne façon de procéder, sachant que les demandes sont parfois divergentes, voire contradictoires.

Permalien
Colonel Jean-Paul Levif, chef de corps des sapeurs-pompiers du service départemental d'incendie et de secours de Guyane

À propos du risque technologique majeur, la Guyane compte une douzaine d'établissements soumis au statut Seveso. Des plans de secours sont en place et actualisés. Les risques existent néanmoins et nous préoccupent, au regard des accidents à effet domino que ces sites pourraient entraîner. Nous souhaiterions voir nos moyens renforcés sur ce plan.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Si vous avez des éléments à nous transmettre en la matière, adressez-les-nous.

Merci à tous.

La séance est levée à seize heures trente.

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête sur la gestion des risques naturels majeurs dans les territoires d'outre-mer

Réunion du jeudi 7 mars 2024 à 15 heures

Présents. – Mme Nathalie Bassire, M. Guillaume Vuilletet.

Excusé. – M. Mansour Kamardine.