Commission d'enquête relative aux révélations des uber files : l'ubérisation, son lobbying et ses conséquences

Réunion du jeudi 2 mars 2023 à 14h35

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

Source

Jeudi 2 mars 2023

La séance est ouverte à 14 heures 35

(Présidence de M. Benjamin Haddad, président de la commission)

La commission entend M. Sayah Baaroun, secrétaire général du syndicat des chauffeurs privés.

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Je vous souhaite la bienvenue, monsieur Baaroun, et vous remercie de vous être rendu disponible pour répondre à nos questions. Nous avons repris ce matin les travaux de notre commission d'enquête sur Les révélations des Uber files : l'ubérisation, son lobbying et ses conséquences.

À partir du 10 juillet 2022, plusieurs membres du consortium international des journalistes d'investigation ont publié ce qu'il est désormais convenu d'appeler les Uber files. S'appuyant sur 124 000 documents internes à l'entreprise américaine, datés de 2013 à 2017, cette enquête a dénoncé un lobbying agressif de la société Uber pour implanter en France, comme dans de nombreux pays, des véhicules de transport avec chauffeur (VTC) venant concurrencer le secteur traditionnel du transport public particulier de personne (T3P), qui était jusqu'alors réservé aux taxis.

Dans ce contexte, notre commission d'enquête poursuit deux objectifs : d'une part, identifier l'ensemble des opérations de lobbying menées par Uber pour s'implanter en France, le rôle des décideurs publics de l'époque et émettre des recommandations concernant l'encadrement des relations entre les décideurs publics et les représentants d'intérêts ; d'autre part, évaluer les conséquences économiques, sociales et environnementales du développement du modèle d'Uber en France et les réponses apportées et à apporter par les décideurs publics en la matière.

Dans la mesure où vous représentez le syndicat des chauffeurs privés, nous souhaitons connaître votre point de vue sur ces deux points.

Nous avons déjà entendu d'autres chauffeurs VTC, tels que M. Ben Ali et d'autres représentants de la profession. Nous souhaiterions savoir si vous partagez leurs déclarations. De plus, êtes-vous attaché au statut de chauffeur indépendant ? Considérez-vous qu'il existe une situation de subordination par rapport aux plateformes pour lesquelles vous travaillez ? Vos collègues et vous-même avez-vous déjà fait l'objet de pressions de la part de sociétés telles qu'Uber ? Si oui, de quel type relevaient-elles ? Que pensez-vous du dialogue social qui a été instauré dans votre profession, notamment depuis la création de l'Autorité des relations sociales des plateformes d'emploi (Arpe) ? Vos réponses nous permettront de compléter les informations déjà transmises par le collectif de journalistes à l'origine des Uber files, ainsi que celles émanant des représentants de la profession des taxis, que nous avons déjà entendus.

Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et qu'elle est retransmise en direct sur le site internet de l'Assemblée nationale.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. Sayah Baaroun prête serment).

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Sayah Baaroun, secrétaire général du syndicat des chauffeurs privés

Monsieur le président, madame la rapporteure, je vous remercie. Ce sujet est relativement complexe, quels sujets préférez-vous que j'aborde ?

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Nos priorités portent sur l'activité de lobbying d'Uber, les conséquences de l'ubérisation et le débat actuel sur le statut des chauffeurs, salariés ou indépendants ?

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Sayah Baaroun, secrétaire général du syndicat des chauffeurs privés

Nous avons initié le combat contre ce nouveau modèle économique dans les années 2013 et 2014. À cette époque, il existait un système de capacitaires prévu par la loi d'orientation des transports intérieurs (LOTI) qui permettait à toute personne, sans autorisation particulière, de transporter moins de dix personnes. Ce statut peu utilisé jusqu'alors a été exploité par Uber pour implanter ses chauffeurs sous le statut LOTI. Heureusement, ce statut a été supprimé en 2016 grâce à la combativité dont nous avons fait preuve. Par ailleurs, le modèle Uber consiste à faire croire aux chauffeurs qu'ils sont indépendantss et qu'ils sont leur propre patron alors qu'il s'agit réellement d'un modèle de subordination vis-à-vis de la plateforme. D'ailleurs, environ un millier de dossiers ont été déposés par des chauffeurs Uber aux conseils de prud'hommes, depuis plus de six ans, pour demander leur requalification en tant que salarié. Plus le temps passe, plus nous constatons que ce modèle économique n'est pas viable. Cette situation, couplée aux révélations des Uber files, justifient cette commission d'enquête.

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Nous avons parlé ce matin du statut des chauffeurs VTC ainsi que des taxis et, plus particulièrement, du lien de subordination. De plus, le statut d'indépendant semble recouvrir une réalité de liens de salariat.

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Sayah Baaroun, secrétaire général du syndicat des chauffeurs privés

Il existe indiscutablement des liens de subordination. La règle première pour un indépendant est d'avoir le pouvoir de fixer son propre tarif. En effet, un indépendant décide de ce qu'il fait : il se lève quand il le veut, il va travailler quand il le veut et il fixe le prix qui correspond à ses charges et la marque qu'il souhaite s'attribuer. Cependant, les chauffeurs travaillant pour des plateformes d'emploi n'ont pas ce pouvoir de fixation des tarifs dans ce modèle économique. Lorsque des mobilisations ont eu lieu, notamment lors de la création des gilets jaunes, le prix du carburant avait augmenté de plus de 20 %. N'importe quel indépendant ou artisan devant faire face à une augmentation de ses charges de plus de 20 % augmenterait son tarif. Cependant, les chauffeurs VTC travaillant pour des plateformes comme Uber ne disposent pas de cette possibilité, raison pour laquelle ils ne sont pas du tout indépendants.

La plateforme exerce aussi un contrôle disciplinaire et cet élément constitue un autre indice de subordination. La première règle de la plateforme Uber mentionne que le chauffeur ou le client reconnaît qu'Uber n'est qu'une plateforme de mise en relation entre un professionnel installé en France et un consommateur. La plateforme considère n'avoir rien à voir avec un service de transport. Or dans la réalité, la plateforme contrôle non seulement la politique tarifaire mais également la politique disciplinaire. Elle se permet même de pénétrer les réunions ministérielles pour demander l'application de dispositions qui lui conviennent. Il n'existe donc aucune indépendance des chauffeurs sur ce sujet.

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Les tarifs ne sont-ils pas aussi régulés au niveau des taxis, notamment indépendants ? Il me semble en effet qu'ils font l'objet d'une réglementation avec les pouvoirs publics.

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Sayah Baaroun, secrétaire général du syndicat des chauffeurs privés

Il n'y a eu aucune réglementation sur le sujet depuis des années dans le secteur des VTC. Depuis les premières manifestations de 2015, nous demandons à Uber de nous laisser récupérer le contrôle du tarif qui est la base du statut d'indépendant. Il nous est toujours répondu que des tentatives de négociation seront menées. Lors d'une grande mobilisation de 2015, nous avons formulé cette demande auprès du ministère des Transports piloté par M. Alain Vidalies. Uber nous a alors répondu que Travis Kalanick était en train de dormir aux États-Unis et le ministre Alain Vidalies nous a de nouveau convoqués plus tard dans la journée car nous devions attendre la décision du patron de la plateforme Uber. Comment pouvez-vous définir quelqu'un comme indépendant s'il ne peut pas fixer lui-même son tarif ?

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Ma question portait plutôt sur la comparaison avec certains taxis indépendants qui font eux-mêmes l'objet de tarifs contraints et régulés.

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Sayah Baaroun, secrétaire général du syndicat des chauffeurs privés

Concrètement, un taxi indépendant peut, avec son organisation professionnelle, aller se plaindre, discuter et négocier les tarifs avec le ministère des Transports et, au niveau local, avec les préfectures. Si demain les taxis viennent à manquer ou si les clients sont beaucoup trop nombreux, les taxis ouvriront des négociations avec l'État et, au niveau local, avec les préfectures pour ajuster le tarif règlementé. En revanche, ce ne sont pas les plateformes telles que G7, Allo Taxi ou Alpha Taxis qui vont imposer le tarif aux chauffeurs de taxis : elles ne font que de la mise en relation, comme dans d'autres secteurs. Par exemple, vous pouvez commander un repas sur la plateforme Allo Resto mais elle ne va jamais demander à un restaurateur d'installer une terrasse ou de changer un menu. De même, Go voyage est une plateforme de mise en relation entre les voyageurs et les compagnies aériennes : elle ne va pas donner d'instructions à Air FranceKLM, à Transavia ou à Aiglazur ni leur imposer leurs tarifs. En effet, une plateforme de mise en relation n'a pas à contrôler le tarif des chauffeurs ni l'aspect disciplinaire car il revient à l'État et aux organisations professionnelles de chauffeurs de gérer ces sujets. Par exemple, les problèmes de discipline dans le secteur des taxis sont traités en commission de discipline préfectorale, comme le précise d'ailleurs la loi Grandguillaume.

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Vous vous êtes fait connaître lors d'une émission politique sur France 2 en avril 2017, dans laquelle vous aviez interrogé le candidat Emmanuel Macron sur sa participation à une réunion dans un restaurant de luxe qui rassemblait des lobbyistes d'Uber, le directeur de cabinet du ministre, à savoir M. Kohler, des députés et des sénateurs. Le candidat Emmanuel Macron vous avait alors répondu la chose suivante : « Quand on profère des accusations aussi graves, on donne des noms, on donne la liste et on va devant le juge ». Quelle fut votre réaction à la suite des révélations des Uber files compte tenu de ce que vous saviez de cette rencontre ?

Sur les méthodes de lobbying d'Uber, avez-vous constaté des évolutions sur sa manière de procéder vis-à-vis des décideurs publics, notamment à l'occasion des débats relatifs à la formation des chauffeurs VTC ? Je rappelle qu'un deal était intervenu pour conditionner la fermeture de la plateforme UberPop à des modifications de la réglementation visant à assouplir les contraintes de formations des chauffeurs VTC.

De plus, vous venez de dire rapidement qu'en 2015, alors que vous étiez en réunion avec le directeur du cabinet de M. Vidalies au ministère des Transports pour négocier une reprise en main des tarifs, le ministre ne pouvait vous donner une réponse sur la position du gouvernement avant de connaître la position du patron d'Uber de l'époque. Cette démarche est étonnante quant à la manière dont étaient prises les décisions en matière de politiques publiques.

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Sayah Baaroun, secrétaire général du syndicat des chauffeurs privés

Il s'agissait plutôt d'un membre du cabinet d'Emmanuel Macron. Par ailleurs, lorsque nous avons commencé nos mobilisations en 2015, nous avons découvert les principes de la démocratie et du jeu parlementaire. Nous avons alors voulu mettre en place une loi pour que les chauffeurs VTC puissent mieux gagner leur vie. Le candidat et tous les ministères nous répondaient que nous étions des jeunes de banlieue sans avenir et que travailler pour quatre ou cinq euros de l'heure était mieux que rien. Cette croyance était d'ailleurs très forte au niveau de l'État et je pense que c'est toujours le cas. De manière pragmatique, nous avons essayé d'expliquer les raisons pour lesquelles nous ne gagnions pas notre vie de cette manière car ce système était frauduleux.

À travers la loi Grandguillaume, nous sommes parvenus à démontrer qu'il nous fallait instaurer des commissions locales taxis-VTC et un observatoire national taxis-VTC qui regrouperaient l'ensemble des informations afin de vérifier qui gagnait réellement sa vie ou non. À cette époque, nous avons fait face à quelque chose que nous venions de découvrir, c'est-à-dire le lobbying. J'avais en effet pu obtenir des informations et me rendre dans un restaurant proche de l'Élysée où se trouvait tout l'écosystème du VTC, c'est-à-dire les plateformes, les loueurs, les centres de formation et les comptables. À l'époque, cet écosystème faisait la tournée des banlieues avec le bus « 70 000 entrepreneurs » afin de convaincre des jeunes de banlieue crédules de s'engager dans ce système de plateformes pendant trois ou quatre ans. La proposition de loi Grandguillaume prévoyait l'instauration d'une formation nationale taxis-VTC permettant de sensibiliser les chauffeurs sur les questions comptables, fiscales, etc. Avant la mise en place de cette loi, un chauffeur mettait entre deux et quatre ans pour comprendre que son activité n'était pas rentable et qu'il se faisait avoir par le système proposé par les plateformes. Avec cette proposition de loi, le chauffeur pourrait comprendre beaucoup plus vite qu'il ne gagnerait pas sa vie dans le cadre de ce système.

La vidéo tournée dans le restaurant montre un grand patron de plateforme dire qu'il est hors de question d'avoir des gens qui comprennent ce qu'est l'Urssaf ou la TVA et qu'il veut juste des chauffeurs. Dans leur intérêt, ils cherchaient donc des personnes crédules, ignorantes, mal formées qui mettraient du temps à comprendre qu'elles ne gagneront pas leur vie de cette manière. Cette vidéo traduit le combat des plateformes contre la loi Grandguillaume qui avait vocation à mettre en place une formation plus sérieuse alors que le système créé par le deal Macron prévoyait seulement sept heures de formation et un questionnaire à choix multiples (QCM) à la place des 250 heures de formation en vigueur jusqu'alors. De plus, nous avons réussi à prouver qu'il était possible d'acheter les réponses au QCM à l'avance pour réussir l'examen. Il était même possible que le centre de formation, qui est aussi le centre d'examen, et par conséquent juge et partie, inscrive les réponses à la place du candidat.

En conclusion, à l'époque, nous avons découvert les méthodes de lobbying des plateformes et le « deal » passé avec les décideurs publics. Vous le découvrez aujourd'hui grâce aux révélations des Uber files mais nous le savions depuis très longtemps.

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Si nous comparons la situation des VTC avec ce qu'il est nécessaire d'acquérir en termes de formation pour obtenir une licence de taxi, ne peut-on pas considérer que les 250 heures de formation prévues par voie réglementaire représentaient une barrière à l'entrée et un avantage concurrentiel pour les taxis ?

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Sayah Baaroun, secrétaire général du syndicat des chauffeurs privés

Aujourd'hui, la formation pour devenir taxi ou VTC est exactement la même.

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L'évolution réglementaire a en effet permis d'aligner les prérequis pour devenir chauffeur de VTC et chauffeur de taxi. Cependant, ce n'était pas le cas lorsque les 250 heures de formation étaient nécessaires pour devenir chauffeur VTC.

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Sayah Baaroun, secrétaire général du syndicat des chauffeurs privés

En pratique, personne ne réalisait les 250 heures de formation. Il est cependant vrai qu'il était plus difficile d'obtenir cet examen que de réussir les 110 questions. L'examen organisé au sein de la chambre des métiers est quant à lui un peu plus sérieux car vous devez apprendre les bases du métier et votre apprentissage est évalué. Concrètement, vous ne pouvez pas lancer n'importe qui dans un modèle économique qui est très compliqué alors que c'est ce que veulent les plateformes de VTC. De nombreux indépendants du secteur prennent un ou deux ans avant de déclarer leurs revenus car ils sont mal formés et ne savent pas comment procéder. Ils ne savent pas non plus ce qu'est la TVA.

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Vous expliquez donc que les qualifications pour être chauffeur de VTC et pour être chauffeur de taxi indépendant sont à peu près semblables aujourd'hui.

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Sayah Baaroun, secrétaire général du syndicat des chauffeurs privés

Elles sont alignées sur la réglementation, la sécurité, le français et l'anglais. Ensuite, il existe en théorie un module spécifique VTC ou taxi. Dans la pratique, la formation VTC intègre un volet plus commercial car vous devez aller chercher vos propres clients contrairement aux chauffeurs de taxi qui maraudent.

Nous sommes censés pouvoir discuter de ces questions de formation avec la Direction générale des infrastructures, des transports et des mobilités afin d'évaluer si les chauffeurs sont trop nombreux ou non et s'ils sont correctement formés ou non. Ces débats doivent permettre d'ajuster l'examen. Cependant, tout est fait depuis quelques années pour que l'examen soit le plus facile possible. Pour les plateformes, il est intéressant de disposer du plus grand nombre possible de chauffeurs VTC dans une ville. En effet, les clients auront toujours un chauffeur à une minute de leur position sans que cela ait un coût pour la plateforme. Par conséquent, l'objectif de ces plateformes, au vu de leur modèle économique, est de faciliter l'examen afin de recruter un grand nombre de personnes ignorantes. Nous ne sommes pas du tout corporatistes mais nous devons réfléchir à ces questions.

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Il existe effectivement un débat tout à fait légitime sur la qualification requise et sur le fait d'être indépendant, qui nécessite d'être formé à la recherche de la clientèle, etc. Cependant, ma question porte plutôt sur l'alignement du niveau de formation entre les VTC et les taxis par voie réglementaire qui me semblait constituer le nœud du débat à l'époque. Le secteur des VTC estimait que les 250 heures de formation et l'examen comportant 110 questions représentaient une barrière à l'entrée plus élevée vis-à-vis de ce qui était requis pour devenir chauffeur de taxi. Dès lors, la loi Thévenoud et la loi Grandguillaume ont introduit le concept d'une formation obligatoire pour devenir chauffeur de VTC et la voie réglementaire a ensuite aligné les qualifications et examens pour les chauffeurs de VTC et de taxis. Vous pouvez donc considérer que le niveau est trop bas mais il l'est alors dans les deux cas.

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Sayah Baaroun, secrétaire général du syndicat des chauffeurs privés

C'est effectivement assez bas dans les deux secteurs mais le socle commun offre actuellement une formation respectable.

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Selon vous, il n'existe actuellement pas, dans la réglementation, d'avantages en faveur des VTC par rapport aux taxis sur cette question de la qualification.

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Sayah Baaroun, secrétaire général du syndicat des chauffeurs privés

La formation est identique et la tendance penche peut-être même encore du côté des VTC. Je précise que si vous souhaitez passer du statut de VTC à celui de chauffeur de taxi, vous n'avez pas à repasser tous les modules de l'examen car les formations sont globalement alignées.

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Pourrions-nous considérer que les contraintes de formation pesant sur les chauffeurs VTC étaient, en définitive, l'expression d'une volonté politique d'entraver le développement de ce secteur par rapport à celui des taxis ?

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Sayah Baaroun, secrétaire général du syndicat des chauffeurs privés

Pas du tout. Historiquement, les licences de Grande Remise étaient au moins aussi difficiles à obtenir que les licences de taxi avec une formation et un code vestimentaire, une qualité de travail et un niveau de service supérieurs. Par ailleurs, la formation actuelle VTC s'est inspirée de la formation LOTI. En effet, il est nécessaire de savoir, a minima, calculer son prix de revient alors que ce point n'était, initialement, pas inclus dans la formation VTC. Concrètement, nous n'avons pas durci les conditions de formation des chauffeurs VTC mais nous avons clarifié la situation. Cependant, avant l'arrivée d'Uber, il était beaucoup plus difficile d'être chauffeur VTC ou chauffeur de taxis. Avec l'arrivée d'Uber, il est beaucoup plus facile de devenir chauffeur de VTC ou de taxi.

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Lorsque la formation de 250 heures et les 110 questions pour devenir chauffeur VTC ont été instaurées, les qualifications requises pour être chauffeur de taxi étaient-elles semblables ou plus abordables ?

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Sayah Baaroun, secrétaire général du syndicat des chauffeurs privés

Il me semble que les exigences étaient plus élevées pour les taxis. Le secteur des taxis devait revoir l'examen à une fréquence donnée. La révision de cet examen de taxi est arrivée au moment du fameux « deal » concernant l'abandon d'UberPop en contrepartie de l'instauration d'un QCM de 110 questions. Or nous avons réussi à nous procurer ces 110 questions et nous les avions publiées sur internet avant la première session d'examen pour démontrer que ce test n'était pas infaillible. Au moment où les taxis devaient se repencher sur leur examen, nous avons donc pu établir un tronc commun taxis-VTC.

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Vous avez démontré, en vous procurant les 110 questions, que le test n'était pas infaillible. De plus, à l'époque, un autre scandale avait porté sur l'achat de cartes VTC à Bobigny. En tant que syndicaliste, avez-vous pu avoir accès à un compte rendu de cette enquête ? Il était en effet suspecté qu'il existait un écosystème poreux entre les plateformes et les sociétés de formation et d'examen susceptible de fausser l'examen, puisqu'il était possible de se procurer les réponses à l'avance voire d'acheter la licence de VTC sans passer l'examen en raison d'une certaine corruption. Je comprends qu'ensuite, la situation s'est normalisée lorsque l'organisation de l'examen a été confiée à la chambre de métiers et de l'artisanat. Néanmoins, la loi d'orientation des mobilités (LOM) n'a-t-elle pas ouvert une nouvelle brèche en permettant à des centres agréés de faire passer les examens et de gérer l'octroi des titres à la place de la chambre de métiers et de l'artisanat, notamment lorsque celle-ci n'a pas le temps ou les moyens de l'organiser ?

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Sayah Baaroun, secrétaire général du syndicat des chauffeurs privés

En 2015 et 2016, le bus « 70 000 entrepreneurs » circulait dans les banlieues. Lorsque vous entriez dans ce bus, un comptable vous indiquait qu'il pouvait vous ouvrir votre société gratuitement à condition que vous vous engagiez pour trois bilans avec lui, pour 1 500 euros par an. Ensuite, un loueur de leasing vous proposait de vous trouver un véhicule pour cinq ans au meilleur prix. Enfin, le centre de formation indiquait qu'il pouvait vous former gratuitement et vous amener à l'examen si vous vous engagiez à travailler pour telle ou telle plateforme. À cette époque, l'antenne Pôle emploi de Poissy invitait même des personnes qui cherchaient du travail à s'orienter vers ce bus. Nous leur avons expliqué que ce système était une arnaque car le modèle économique proposé n'était pas viable mais sans succès car nous n'avions rien à proposer à la place.

Lorsque nous avons découvert ces pratiques, nous avons essayé de les dénoncer. Ensuite, la loi Grandguillaume et la loi LOM sont intervenues. Quand nous avons remarqué qu'il était possible d'acheter le centre de formation et d'examen, qui était à la fois juge et parti, nous avons dénoncé ces pratiques à la chambre de métiers. Il s'en est suivi une vague d'achats de cartes professionnelles dans les préfectures. Le journal Le Parisien avait d'ailleurs révélé que 800 fausses cartes auraient été vendues au sein de la préfecture de Bobigny. À cette époque, la loi Grandguillaume prévoyait en effet qu'il appartenait à la préfecture de donner l'ordre d'impression des cartes professionnelles à l'Imprimerie nationale. Nous avons d'ailleurs pu identifier les faussaires qui travaillaient à la préfecture et ce réseau est tombé. Certains ont encore réussi à se procurer de fausses cartes par la suite mais les Boers se sont saisis du sujet.

Par ailleurs, nous avions mis en place un observatoire national taxis-VTC dans le cadre de la loi Grandguillaume qui imposait à toutes les plateformes de transmettre leurs données pour que des statistiques soient établies au sein de cet observatoire. Ensuite, des commissions locales taxis-VTC devaient être instaurées dans toutes les grandes villes afin de confronter notre discours à celui des plateformes sur la base de données factuelles. Malheureusement, Emmanuel Macron a nommé Elisabeth Borne ministre des Transports en 2017 et celle-ci nous a mis de côté. Nous n'avons donc pas pu nous inscrire dans la continuité de la loi Grandguillaume, c'est-à-dire récolter ces informations et mettre en place les commissions locales.

De plus, il nous a été demandé d'arrêter de réclamer la reprise du contrôle du tarif et de l'aspect disciplinaire par les chauffeurs VTC en échange du financement de notre protection sociale par les plateformes. Nous n'étions pas d'accord car cette proposition s'apparente à donner un médicament pour les pieds à quelqu'un qui a mal à la tête. Nous avons donc dû nous battre contre plusieurs amendements déposés dans le cadre du projet de loi LOM et du projet de loi El Khomri. Nous nous sommes ensuite élevés contre la création de l'Arpe. Nous souhaitons, depuis des années, reprendre le contrôle du prix et de l'aspect disciplinaire mais la réponse que nous recevons est toujours différente.

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Nous nous intéressons à la manière dont Uber a procédé à ce lobbying intense et agressif ainsi qu'à la manière dont il a été reçu par les différents ministres et ministères. Lorsque nous avons entendu le consortium de journalistes qui a révélé l'affaire en France, ceux-ci nous ont indiqué qu'ils avaient le sentiment qu'Uber avait opposé les ministères dans une optique très agressive pour faire évoluer la loi. Vous étiez au cœur de tous ces échanges, notamment au vu de votre métier et de votre rôle de défense des chauffeurs VTC. Dès lors, avez-vous observé des divergences entre les ministères ? De quelle manière se caractérisaient-elles et comment avez-vous perçu la situation au vu de ces méthodes de lobbying d'Uber ?

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Sayah Baaroun, secrétaire général du syndicat des chauffeurs privés

Faites-vous référence à des divergences entre le ministère de l'Économie et celui des Transports ?

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Sayah Baaroun, secrétaire général du syndicat des chauffeurs privés

Lorsque nous avons essayé de mettre en place une formation obligatoire, il nous a été répondu que Bercy ne l'accepterait jamais. Cependant, il ne s'agit que de bruits de couloir et je n'ai pas d'éléments factuels à vous fournir.

Pendant au moins deux décennies, nous comptions entre 17 000 et 19 000 taxis ; je pense désormais qu'ils sont 20 000. De notre côté, nous avons été plus de 40 000 VTC. À cette époque, nous n'arrêtions pas de manifester et de bloquer les aéroports. En effet, l'équation est simple : si nous sommes trop nombreux sur le marché, personne n'est gagnant. La mise en place d'une formation obligatoire des chauffeurs VTC devait donc permettre de limiter le nombre de chauffeurs car la situation était très difficile. Le ministère de l'Économie nous expliquait qu'en vertu d'une directive européenne, il n'était pas possible d'imposer une formation obligatoire car cette directive ne prévoyait que des examens obligatoires mais pas de formation obligatoire. De plus, il nous a été toujours dit que Bercy bloquait la situation sur l'aspect tarifaire.

Par la suite, nous avons rencontré Emmanuel Macron et celui-ci nous a promis qu'il allait réguler le marché des VTC. Parallèlement, nous savions déjà qu'il avait trouvé un arrangement avec Uber. Il nous a promis d'essayer d'instaurer un tarif minimum. J'essayais alors de faire comprendre au candidat Macron qu'il devait essayer de négocier un tarif plancher en dessous duquel il ne serait plus possible de faire du dumping social. Cependant, en termes de preuves, nous ne disposons que de la vidéo filmée dans le restaurant dont je vous ai déjà parlé. Depuis ce moment, les acteurs du marché font très attention à ce que nous ne soyons pas présents.

Par ailleurs, au début des mobilisations, nous avions essayé d'interpeller un membre du cabinet du ministère des Transports sur un sujet polémique avec les plateformes. Il nous a alors répondu, lors d'une séance plénière, que nous ne devions pas lui adresser de telles demandes car il allait encore recevoir des appels d'Uber jusqu'à 23 heures le soir même. Nous avons alors découvert que le cabinet du ministre était censé travailler pour aider les chauffeurs VTC en France mais qu'en pratique il faisait l'objet d'un lobbying agressif d'une société étrangère, en l'occurrence Uber, pour s'opposer à nos demandes. Cette situation m'a semblé particulièrement choquante.

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Sayah Baaroun, secrétaire général du syndicat des chauffeurs privés

Cette personne était membre du cabinet d'Alain Vidalies.

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Je m'intéresse à la caractérisation des liens de subordination entre Uber et ses chauffeurs. Je me souviens qu'il y avait parfois une file d'attente devant le siège d'Uber à Aubervilliers. Les personnes qui y rentraient ressortaient avec une société à leur nom, un contrat de leasing avec un loueur et un contrat avec Uber. Cependant, elles se pensaient libres et indépendantes. Toutefois, la nature du contrat est unilatérale : le chauffeur n'a aucun droit tandis qu'Uber les a tous. En outre, la plateforme prend un pourcentage de la course et celui-ci a évolué au fil du temps. Pourriez-vous nous parler de cette évolution du pourcentage pris par Uber et du caractère unilatéral de cette décision ?

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Sayah Baaroun, secrétaire général du syndicat des chauffeurs privés

Tout le processus de recrutement est en effet gratuit et la personne découvre qu'elle est piégée deux ou trois ans après avoir commencé son activité. Les procédures constatées au siège d'Uber sont visiblement semblables à celles qui avaient cours avec le bus « 70 000 entrepreneurs ».

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Par ailleurs, il me semble qu'au début, Uber prenait 10 % de la course et que ce pourcentage a augmenté progressivement sans que les chauffeurs puissent avoir leur mot à dire. Concrètement, Uber prenait d'abord 5 euros sur une course à 50 euros, puis ce montant est passé à 8 euros, puis 12 euros sans que le chauffeur puisse contester ce procédé ni augmenter le prix de la course. Est-ce exact ?

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Sayah Baaroun, secrétaire général du syndicat des chauffeurs privés

Oui et ce sujet a amené à une importante mobilisation et à la création du SCP-VTC. En effet, Uber avait prévu de passer sa commission de 10 % à 15 % puis 25 % abruptement et sans consultation des chauffeurs alors que le prix de la course était identique. Uber joue également avec les différents paramètres du prix, tels que le prix de la prise en charge, de la minute et du kilomètre. Nous avons toujours cherché à reprendre le contrôle du tarif et nous n'avons jamais voulu nous associer aux petites structures qui voulaient entamer des négociations sur ce sujet. En effet, selon nous, négocier, c'est perdre car vous reconnaissez la légitimité du patron.

Au début de la loi Grandguillaume, nous sommes parvenus à écarter du débat les plateformes de mise en relation et à discuter entre État, taxis et VTC. En effet, les plateformes de mise en relation ne sont pas des transporteurs ; si elles veulent l'être, elles doivent payer la TVA en France. Nous sommes toujours restés sur cette position qui nous a coûté très cher.

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Pour quelle raison 6 000 dossiers n'ont-ils toujours pas été instruits six ans après leur dépôt au conseil de prud'hommes ?

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Sayah Baaroun, secrétaire général du syndicat des chauffeurs privés

Je vous remercie de poser cette question. Nous avons entamé des procédures avec les chauffeurs Uber dès la fin de l'année 2015 et le début de l'année 2016 pour requalifier leur contrat commercial en contrat salarié. D'ailleurs, vous étiez présent, monsieur Peu, lors d'une mobilisation en janvier 2016, de même que le cabinet TTLA. Nous avions travaillé par vagues de dix procédures. Une seule d'entre elles, sur un total de 300 ou 400 vagues, a effectivement permis à un chauffeur d'obtenir une indemnité comprise entre 12 000 euros et 28 000 euros. Cependant, le cabinet d'avocat a fait appel car il demande entre 200 000 euros et 300 000 euros par chauffeur. Ces dossiers étaient très solides car les chauffeurs conduisaient entre dix et douze heures par jour tous les jours de la semaine.

Cependant, l'ensemble des autres procédures ne progresse pas à Paris. La situation de certains collègues de Lyon a cependant évolué beaucoup plus rapidement qu'à Paris. De plus, la société Uber a adhéré au Medef de Paris : peut-elle y exercer une influence ? Je n'en sais rien. En outre, à Paris, nous sommes confrontés à des procédures de départage, lorsque les deux juges ne sont pas d'accord sur un dossier au conseil de prud'hommes. Or la procédure de départage s'étend sur dix-huit mois, ce qui est particulièrement long, et ce qui a conduit d'ailleurs certains chauffeurs à la faillite pendant la crise du Covid-19. Au total, la procédure est d'une durée moyenne de sept ans à Paris.

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Vous avez mis le sujet du contrôle du tarif au centre de votre propos et il apparaît nécessaire que le statut d'indépendant offre certains avantages. Pensez-vous qu'il en existe pour les chauffeurs qui travaillent avec les plateformes ? La possibilité d'être connecté à plusieurs plateformes simultanément ou d'avoir une certaine flexibilité dans le choix des horaires sont-ils, par exemple, des avantages de ce type ?

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Sayah Baaroun, secrétaire général du syndicat des chauffeurs privés

À huit heures du matin, c'est-à-dire lorsque les demandes des clients sont nombreuses, vous ne pouvez tout de même effectuer qu'une seule course à la fois. Concrètement, il s'agit d'un faux débat à Paris. En outre, la plateforme Uber influence le marché : dès qu'elle baisse ses prix, les autres plateformes suivent. La concurrence est forte entre les plateformes mais concrètement lorsque le tarif baisse, c'est le chauffeur qui est pénalisé et non la plateforme. Dès lors, être connecté à de nombreuses plateformes en même temps ne rapporte rien. Pour être précis, on a tout de même remarqué, pendant la crise du covid-19, que certaines plateformes ont proposé des primes exceptionnelles afin d'attirer les chauffeurs auprès d'elles dans une logique concurrentielle.

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Le prix a-t-il été modifié pour le client dans ce cas ?

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Sayah Baaroun, secrétaire général du syndicat des chauffeurs privés

Non, les plateformes privilégient les primes plutôt que la baisse des tarifs : par exemple, en réalisant cinq courses dans la matinée pour une même plateforme, elle peut vous offrir 150 euros supplémentaires. Toutefois, dans la majorité des cas, les plateformes se font la guerre sur le dos du même prestataire.

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Vous êtes revenu sur le rôle déterminant de Bercy et d'Emmanuel Macron lorsqu'il était ministre de l'Économie. Vous avez en outre évoqué l'arrivée de Mme Borne aux postes de ministre des Transports puis de ministre du Travail ainsi que son rôle dans la poursuite de l'ubérisation de l'économie. Pourriez-vous revenir sur ce sujet ?

Vous avez souligné que l'article 2 de la loi Grandguillaume comportait une obligation de collecte des données et qu'un autre article instaurait un observatoire national taxis-VTC et des commissions locales. Pensez-vous que tout a été fait pour ne pas mettre en pratique cette loi ? En effet, les décrets d'application sont arrivés après plusieurs années et cette loi n'est pas encore totalement mise en œuvre. De plus, les commissions locales n'ont pas, à ma connaissance, été instituées : pouvez-vous le confirmer ? Cette carence de la mise en œuvre de la loi Grandguillaume s'articulerait-elle avec la création de la mission Frouin, de la mission Mettling et de l'Arpe ? Corroborez-vous ce raisonnement ?

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Sayah Baaroun, secrétaire général du syndicat des chauffeurs privés

Nous sommes parvenus à nous procurer des examens, à filmer la réunion dans le restaurant qui regroupait des parlementaires, députés et sénateurs, et à nous adresser au candidat Macron lors d'une émission télévisée. Lorsqu'Elisabeth Borne est arrivée au ministère des Transports, elle a commencé par nous mettre dehors. Plutôt que de continuer le combat au sein de l'observatoire national et des commissions locales taxis-VTC, elle nous a mis à la porte.

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Vous indiquez donc qu'à partir du moment où M. Macron est Président de la République et que Mme Borne est ministre des Transports, vous n'êtes plus invité à des rencontres au ministère en tant que représentant syndical ?

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Sayah Baaroun, secrétaire général du syndicat des chauffeurs privés

Tout à fait. Nous étions censés faire partie des commissions taxis-VTC au niveau national comme local. Cependant, nous avons été mis dehors à son arrivée.

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Sayah Baaroun, secrétaire général du syndicat des chauffeurs privés

Effectivement. En application de l'article 2, les plateformes sont censées remettre chaque année toutes les informations relatives aux chauffeurs, aux heures travaillées, aux chiffres d'affaires et aux véhicules afin de pouvoir débattre de manière claire. Toutefois, nous n'avons toujours pas été convoqués pour étudier ces données.

Même quand Elisabeth Borne est arrivée au ministère du Travail, le nouveau ministre des Transports, Aurélien Taché, nous a demandé d'oublier nos revendications en échange d'une prise en charge de la protection sociale des chauffeurs par les plateformes. Nous avons montré, dans le cadre des consultations de la mission Frouin, que nous n'en voulions pas car nous savions que cette charge serait répercutée sur les chauffeurs à travers les prix ou commissions pratiqués par la plateforme. Ensuite, l'Arpe a de nouveau essayé de mettre en place une protection sociale pour les indépendants en échange de l'abandon de nos demandes.

Il faut souligner que lorsque vous montez dans un taxi et que le chauffeur vous agresse, vous vole, vous frappe ou vous viole, vous pouvez contacter la plateforme de taxis et celle-ci vous fournit le numéro de plaque de la voiture, le numéro de licence et les données de contact de la préfecture. Ensuite, il appartient à la préfecture de convoquer le chauffeur car la plateforme de taxis est une plateforme de mise en relation.

En pratique, la plateforme Uber n'a jamais remonté aucune de ces données lors des commissions nationales ou locales alors que différents cas de violences de la part des chauffeurs Uber ont été dévoilés par le mouvement UberCestOver. En cas de problème, la plateforme déconnecte simplement le chauffeur afin de ne pas dégrader son image auprès du public. Dès lors, un chauffeur de Bolt qui commettrait un viol serait uniquement déconnecté de cette plateforme mais pas des autres alors que la loi Grandguillaume, si elle était appliquée, prévoit que ce type de cas entraîne une déconnexion de l'ensemble des plateformes car la carte professionnelle devrait être retirée au chauffeur.

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Vous parliez de revendications sur le tarif plancher. Un tarif minimum a été mis en place dans le cadre de l'Arpe et des concertations sociales. Qu'en pensez-vous ?

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Sayah Baaroun, secrétaire général du syndicat des chauffeurs privés

Au moment de la création de l'Arpe, nous avons été invités à discuter. Nous avons alors remarqué que le directeur de l'Arpe touchait 200 000 euros de salaire annuel et que le budget de l'Arpe s'élevait à 1,3 ou 1,8 million d'euros annuels. Nous avons ensuite découvert que le président de l'Arpe avait travaillé pour la plateforme Uber.

De plus, l'Arpe avait vocation à discuter de tous les sujets pendant un an et, ensuite, le directeur devait proposer des solutions à tous. Concrètement, l'arrêté ne mentionne pas que l'Arpe dispose d'un pouvoir réel. En revanche, j'accepterais de m'y joindre si j'avais l'assurance qu'à travers cette structure, nous pourrions forcer les plateformes à instaurer un tarif plancher et un traitement de l'aspect disciplinaire hors des plateformes. À nouveau, il s'agit d'un leurre et de nombreuses associations, que je juge illégitimes, se sont lancées dans cette dynamique. On aboutit à une solution absurde puisqu'elles ont réussi à négocier un tarif minimum inférieur au tarif minimum actuel.

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Officiellement, le tarif de 7,65 euros net pour une course équivaudrait à une hausse de 27 % par rapport au tarif le plus bas pratiqué sur le marché.

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Sayah Baaroun, secrétaire général du syndicat des chauffeurs privés

À nouveau, il s'agit d'un arrangement interne, c'est-à-dire qui n'est imposé par aucune loi, et je continue d'affirmer que le professionnel doit reprendre le contrôle du tarif. Nous souhaitons instaurer une réglementation sur un tarif plancher sans cet intermédiaire installé à l'autre bout de la planète qui joue avec les chauffeurs. Cependant, nous constatons qu'une structure parallèle a été créée et qu'une négociation a eu lieu avec des personnes qui représentent 1 % des VTC en France. Il s'agit d'une pseudo-négociation et d'un arrangement qui ne sert à rien. Si la plateforme parvient à briser l'examen VTC et à disposer de milliers de chauffeurs supplémentaires, le tarif minimum diminuera à nouveau.

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La création de l'Arpe et sa capacité à focaliser la discussion sur le tarif minimum dans un cadre qui n'est pas contraignant est-elle une manœuvre dilatoire pour empêcher tout débat sur la requalification en salarié ? En effet, ce débat évolue car les tribunaux ont tout de même rendu plusieurs décisions en ce sens tandis que la Cour de cassation a confirmé, dans la majorité des cas, la requalification du contrat commercial en contrat de travail. De plus, le tribunal administratif vient de reconnaître l'obligation pour l'Inspection du travail d'engager une enquête pour travail dissimulé à l'égard de la plateforme Uber, même si le ministère du Travail a fait appel. Nous voyons donc qu'il existe une reconnaissance de la relation de subordination des chauffeurs VTC vis-à-vis des plateformes par les juges, confortée par le projet de directive européenne instaurant une présomption de salariat. Pour autant, nous faisons face à la remise en cause des commissions locales, auxquelles se substitue l'Arpe, qui organise le débat uniquement sur les tarifs. J'en reviens à ma question : existe-t-il, selon vous, une volonté délibérée d'empêcher le débat sur le retour soit au statut d'indépendant à travers le contrôle des tarifs soit à la reconnaissance de la qualification de salariat ?

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Sayah Baaroun, secrétaire général du syndicat des chauffeurs privés

Les commissions locales taxis-VTC sont actuellement fantoches. En effet, la préfecture aborde uniquement le nombre de VTC et de taxis verbalisés. Notre combat n'a pas amené les plateformes dans ce cadre officiel qui devait permettre d'aborder l'aspect disciplinaire. En outre, celles-ci ont réussi à sélectionner des chauffeurs bien notés et à les faire participer aux commissions. Avec le temps, le débat s'est déroulé avec des associations, que vous allez d'ailleurs entendre ensuite dans le cadre de votre commission d'enquête. Or certaines associations siègent aussi dans les commissions internes des plateformes et me paraissent donc illégitimes. Depuis que nous sommes revenus siéger dans ces commissions en 2020, nous constatons que les cas d'agressions ou de viols n'ont jamais été abordés alors que des centaines de témoignages ont été partagés dans le cadre du mouvement UberCestOver. Je me pose donc des questions sur la légitimité des acteurs présents dans ces commissions.

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D'un côté, des chauffeurs se battent pour la requalification de leur situation en tant que salarié mais ces démarches sont très longues et, d'un autre côté, le cadre instauré pour organiser les relations sociales entre les travailleurs et les plateformes n'évoque pas le retour au statut d'indépendant ou la reconnaissance du statut de salarié. Pensez-vous qu'il existe une volonté délibérée de parvenir à un tiers-statut à travers la création de l'Arpe ?

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Sayah Baaroun, secrétaire général du syndicat des chauffeurs privés

Effectivement, l'objectif a toujours été d'éviter ce sujet pour se concentrer sur des sujets inutiles même après la loi Grandguillaume. Les éléments permettent cependant de croire que toute personne qui va au conseil de prud'hommes pour obtenir la requalification de son contrat gagnera. En revanche, les amendements de M. Taché visaient à ce que la plateforme ne puisse pas être attaquée en justice si elle payait une forme de protection sociale. Finalement, les procédures avancent dans le bon sens devant les tribunaux, ce qui est normal, car le chauffeur n'a pas de client, ne contrôle pas son tarif, est évalué par la plateforme, subit des sanctions disciplinaires et est dépendant économiquement de cette plateforme. Dans ces conditions, une requalification en contrat est nécessaire.

Au moment de la création de l'Arpe, M. Bruno Mettling évoquait continuellement le sujet de la protection sociale. Cependant, le prix de vente doit simplement couvrir le prix de revient. Imaginons que le patron de la plateforme Uber gagne trois millions d'euros de bénéfice net chaque mois et qu'une loi lui impose de payer la protection, ce qui entraînerait pour lui une perte de 1 million d'euros : sur qui pensez-vous qu'il va répercuter cette charge ? Nous payons la plateforme, elle va donc nous répercuter l'apparition d'une nouvelle charge qui lui serait imposée. Il serait donc demandé au partenaire de l'opérateur en position dominante de payer une charge à une personne qu'il paie déjà. Ils tentent simplement de contourner la question plus fondamentale du contrôle du tarif par les chauffeurs.

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Les plateformes ne souhaitent pas requalifier les chauffeurs en salariés car elles ne veulent pas payer les cotisations sociales patronales qui accorderaient au chauffeur VTC la protection sociale.

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Sayah Baaroun, secrétaire général du syndicat des chauffeurs privés

Effectivement, il est seulement question d'une mutuelle.

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Il ne s'agit donc pas d'une protection sociale qui, comme dans le statut de salarié, garantit le droit à la retraite, les congés pour maladie ou la reconnaissance des accidents du travail.

Nous n'avons pas eu le temps de vous entendre sur le fait que des chauffeurs Uber auraient pu être corrompus et payés pour participer à des manifestations. Nous vous transmettrons donc des questions par écrit et vous avez également la possibilité de nous fournir des éléments supplémentaires ultérieurement.

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Sayah Baaroun, secrétaire général du syndicat des chauffeurs privés

Il est vrai que des chauffeurs ont participé à une manifestation pour récupérer une prime de 100 euros ou 250 euros de la part d'Uber. Par ailleurs, des articles de presse prouvent les achats de cartes dans les préfectures et la Cour des comptes a montré qu'entre 70 % et 90 % des chauffeurs ne déclaraient pas leurs revenus, ou du moins une partie de ceux-ci.

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Monsieur Baaroun, je vous remercie de votre disponibilité et du temps que vous nous avez consacrés. Vous êtes bien sûr libre de nous envoyer des documents complémentaires qui pourront nourrir nos travaux.

La commission entend M. Helmi Mamlouk, secrétaire général du syndicat FO-CAPA-VTC.

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Je vous souhaite la bienvenue, monsieur Mamlouk, et vous remercie de vous être rendu disponible pour répondre à nos questions. Nous avons repris ce matin les travaux de notre commission d'enquête sur les révélations des Uber files, l'ubérisation, son lobbying et ses conséquences.

À partir du 10 juillet 2022, plusieurs membres du consortium international des journalistes d'investigation ont publié ce qu'il est désormais convenu d'appeler les Uber files. S'appuyant sur 124 000 documents internes à l'entreprise américaine, datés de 2013 à 2017, cette enquête a dénoncé un lobbying agressif de la société Uber pour implanter en France, comme dans de nombreux pays, des véhicules de transport avec chauffeur (VTC) venant concurrencer le secteur traditionnel du transport public particulier de personne (T3P), qui était jusqu'alors réservé aux taxis.

Dans ce contexte, notre commission d'enquête a deux objectifs : d'une part, identifier l'ensemble des opérations de lobbying menées par Uber pour s'implanter en France, le rôle des décideurs publics de l'époque et émettre des recommandations concernant l'encadrement des relations entre les décideurs publics et les représentants d'intérêts ; d'autre part, évaluer les conséquences économiques, sociales et environnementales du développement du modèle d'Uber en France, et les réponses apportées et à apporter par les décideurs publics en la matière.

Nous souhaitons donc connaître votre avis sur ces deux sujets en tant que représentant du syndicat FO-CAPA-VTC.

Nous avons déjà entendu d'autres chauffeurs VTC et d'autres représentants de la profession, tels que M. Ben Ali et M. Baaroun. Nous avons évoqué, lors des auditions précédentes, le débat sur la qualification du statut des chauffeurs employés par les plateformes, entre le statut d'indépendant et celui de salarié, et nous aimerions connaître votre point de vue sur ce sujet. Cela nous permettra de compléter les informations déjà transmises par le collectif de journalistes à l'origine des Uber files, ainsi que celles émanant des représentants de la profession des taxis que nous avons déjà entendus.

Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et qu'elle est retransmise en direct sur le site de l'Assemblée nationale.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. Helmi Mamlouk prête serment).

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Helmi Mamlouk, secrétaire général du syndicat FO-CAPA-VTC

Je vous remercie, monsieur le président. J'ai commencé à travailler comme chauffeur VTC en 2013 avec l'application LeCab. Je me suis ensuite inscrit sur la plateforme Uber en 2014 et, très vite, je me suis rendu compte que la manière dont elle dirigeait le chauffeur ne convenait pas. En effet, des créneaux horaires nous étaient imposés de même que la tarification. J'ai rapidement tiré la conclusion que travailler uniquement avec Uber n'était pas un métier d'avenir. Parallèlement, j'ai commencé à développer ma propre clientèle, ce qui m'a permis de m'émanciper d'Uber.

En 2014 et 2015, Uber a commencé sa démocratisation du VTC et les tarifs ont commencé à baisser. À l'automne 2015, le tarif initial avait même diminué de 40 % – il était passé de huit euros à cinq euros. Simultanément, la commission que la plateforme prenait est passée de 20 % à 25 % sans aucune explication préalable. Il n'existait en effet aucune forme de relation bilatérale avec les chauffeurs. Ces mouvements ont engendré des manifestations et nous avons commencé à nous organiser sous la forme d'une association appelée CAPA-VTC.

Nous avons eu des premiers contacts avec le ministère de l'Économie et M. Macron en 2015. Son cabinet nous avait reçus froidement lorsque nous avions exposé les difficultés rencontrées par les chauffeurs à l'époque et nous avions évoqué un dossier épineux. En effet, Uber avait monté la société Hinter, qui nous paraissait tout à fait illégale car elle permettait à des chauffeurs ne disposant pas de carte VTC, de licence ou de macaron VTC de s'inscrire chez Hinter afin de travailler pour Uber. Nous avions dénoncé cette situation auprès du cabinet du ministre de l'Économie et nous pensions que nous trouverions une écoute attentive. Il était d'ailleurs déjà étrange que nous soyons reçus par le ministère de l'Économie alors que nous dépendions du ministère des Transports.

Ensuite, les premières manifestations ont eu lieu alors que je travaillais encore avec Uber. Dès ce moment, mon compte sur la plateforme a été désactivé car j'avais critiqué Uber. Le médiateur Jacques Rapoport a ensuite mis en lumière les difficultés rencontrées par les chauffeurs et je n'ai absolument pas été choqué par les révélations survenues dans le cadre des Uber files. Nous dénoncions effectivement ce type de pratiques depuis 2015.

Lors de ces manifestations, nous étions conscients que le ministère de l'Économie était favorable à Uber et ne défendait pas les chauffeurs VTC. Pour rappel, Uber paie très peu de charges et ne contribue pas réellement à l'effort en France alors que le chauffeur doit payer la TVA et des charges sociales. En ce qui me concerne, je suis désormais formateur indépendant depuis plus de quatre ans et j'ai été examinateur à la chambre de métiers d'Île-de-France.

Par ailleurs, le Président de la République a expliqué que beaucoup de jeunes étaient « sortis de la galère » grâce à Uber mais cette affirmation est totalement fausse. En effet, 80 % des personnes candidates pour devenir chauffeur VTC sont déjà des travailleurs et ce ne sont pas des jeunes qui « tiennent les murs » comme l'a prétendu notre Président. D'ailleurs, cette annonce s'est avérée blessante car les chauffeurs VTC sont des travailleurs, qui se lèvent souvent très tôt le matin pour aller chercher leur chiffre d'affaires. Cependant, les pouvoirs publics ne nous protègent pas.

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Les Uber files ont révélé qu'Uber avait tenté, à plusieurs reprises, de payer et de soudoyer des chauffeurs pour qu'ils participent à des manifestations visant à défendre ses intérêts. Avez-vous été témoin de ces pratiques ? Cette manière de procéder concerne-t-elle uniquement la période couverte par les Uber files, à savoir de 2014 à 2016 ? Estimez-vous qu'il a existé des tentatives de créer un syndicat « maison » de la part des plateformes au moment de la création de l'Autorité des relations sociales des plateformes d'emploi (Arpe) ? Ces tentatives sont-elles toujours d'actualité ?

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Helmi Mamlouk, secrétaire général du syndicat FO-CAPA-VTC

Le premier syndicat « maison » s'appelait l'AMT. J'espère d'ailleurs que vous avez l'intention d'écouter M. Joseph François, son président. Ces personnes ont clairement été soudoyées, financées, aidées et épaulées par Uber. Les manifestants envoyés par l'AMT recevaient 100 euros pour participer à la manifestation contre la loi Grandguillaume. Certains de mes amis ont d'ailleurs perçu cette somme après avoir participé à la manifestation. Depuis la création de l'Arpe, une association est très proche des plateformes et se montre très docile vis-à-vis de celles-ci. Par exemple, cette association était favorable au tarif minimum de 7,65 euros alors que certaines plateformes proposent un tarif minimum à 10,04 euros. Selon moi, Uber recherche donc le soutien de syndicats ou d'associations.

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Le tarif de 7,65 euros, qui est le fruit d'une négociation au sein de l'Arpe, représenterait, selon les pouvoirs publics, une revalorisation de 27 % par rapport au tarif le plus bas pratiqué à ce moment-là. Ne partagez-vous pas cette grille de lecture ?

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Helmi Mamlouk, secrétaire général du syndicat FO-CAPA-VTC

Pas du tout. Seule Uber est concernée par cette mesure car les autres plateformes présentes à l'Arpe – Heetch, Bolt, Marcel, LeCab, etc. – proposaient déjà des tarifs planchers supérieurs. Cette négociation permet donc au contraire de baisser le tarif. J'estime que le tarif minimum aurait dû être fixé à 10 euros nets, ce qui est pratiqué actuellement par d'autres plateformes.

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D'autres plateformes pratiquent-elles des tarifs planchers plus élevés ?

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Helmi Mamlouk, secrétaire général du syndicat FO-CAPA-VTC

Bolt propose un tarif plancher de 12,40 euros pour le client et de 10,04 euros pour le chauffeur ; Heetch propose un tarif plancher de 10 euros pour le client et de 8,50 euros pour le chauffeur. Concrètement, toutes les autres plateformes se situent au-dessus du tarif plancher d'Uber.

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Pour quelle raison les chauffeurs ne se dirigent-ils pas massivement vers des plateformes telles que Bolt ou Heetch ?

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Helmi Mamlouk, secrétaire général du syndicat FO-CAPA-VTC

L'argument majeur mis en lumière par les chauffeurs correspond au volume de courses, qui est effectivement plus élevé chez Uber. Cependant, de nombreux chauffeurs quittent Uber et travaillent de plus en plus pour des plateformes concurrentes. D'ailleurs, Uber prend 25 % de commission et ce taux s'élève à 15 % hors taxes chez Heetch et à 19 % chez Bolt.

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Existe-t-il un intérêt pour les chauffeurs à être connectés à plusieurs plateformes, notamment pour réaliser des comparatifs en temps réel ?

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Helmi Mamlouk, secrétaire général du syndicat FO-CAPA-VTC

Plus de la moitié des chauffeurs travaillent avec au moins deux plateformes afin de pouvoir prendre des courses plus rapidement.

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Cette manière de procéder présume tout de même d'une forme d'indépendance dans le comportement du chauffeur plutôt qu'elle ne traduit une subordination directe ou un lien de salariat qui présupposerait un rapport d'exclusivité avec la plateforme.

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Helmi Mamlouk, secrétaire général du syndicat FO-CAPA-VTC

Certains chauffeurs sont uniquement connectés à Uber car ils reçoivent des courses en permanence sur cette plateforme.

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Selon vous, une majorité de chauffeurs est-elle présente sur au moins deux plateformes afin d'opérer un arbitrage entre le volume et le prix ?

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Helmi Mamlouk, secrétaire général du syndicat FO-CAPA-VTC

Je ne dispose pas du chiffre exact mais, en effet, un grand nombre de chauffeurs travaille avec plusieurs plateformes.

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Si la loi Grandguillaume était appliquée, nous devrions disposer de ces données.

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Helmi Mamlouk, secrétaire général du syndicat FO-CAPA-VTC

Tout à fait, nous avons dénoncé dès le début le blocage de l'article 2 et vous savez qui en est responsable. Cette loi a bientôt six ans mais la situation n'a pas réellement évolué.

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Vous sous-entendez que la loi Grandguillaume a été bloquée par la ministre des Transports puis du Travail, Mme Elisabeth Borne. Me le confirmez-vous ?

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Helmi Mamlouk, secrétaire général du syndicat FO-CAPA-VTC

Tout à fait. Nous avions été reçus par Mme Elisabeth Borne six mois après sa prise de fonction et le blocage est intervenu à son niveau. Nous avions plus de facilités à discuter avec son prédécesseur, M. Alain Vidalies, mais nous avons fait face à un mur depuis qu'Elisabeth Borne est devenue ministre.

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Quelle a été votre position en tant que syndicat FO-CAPA-VTC lors des missions Frouin et Mettling ainsi que lors de la création de l'Arpe et des premières élections de celle-ci ?

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Helmi Mamlouk, secrétaire général du syndicat FO-CAPA-VTC

À ce moment, je me suis légèrement retiré de ma fonction de syndicaliste pour me consacrer davantage à ma fonction d'examinateur de la chambre de métiers puis de formateur. J'ai donc suivi ces débats plutôt de l'extérieur. Par ailleurs, lorsque j'ai vu quels syndicats et associations se présentaient aux élections de l'Arpe, j'ai tout de suite compris qu'Uber allait être privilégiée. J'ai aussi compris la position de M. Ben Ali, qui n'a pas voulu se présenter à l'occasion de ces élections. Il apparaît désormais que nous ne nous étions pas trompés au vu de ces négociations ridicules.

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Vous nous avez parlé de l'AMT, mais quel est votre avis sur l'AVF, la FFEVTC-GR ou Union-Indépendants, qui siègent à l'Arpe ?

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Helmi Mamlouk, secrétaire général du syndicat FO-CAPA-VTC

Je connais très bien l'AVF depuis 2016, c'est-à-dire lorsqu'ils se sont présentés en tant qu'association de chauffeurs. Nous n'avons à peu près jamais été sur la même longueur d'onde. À travers leur dernier communiqué, nous constatons qu'ils se réjouissent de ce tarif minimal qui n'en est pas un. Ils sont, selon moi, très proches des plateformes.

En outre, nous avons eu de réels désaccords avec Union-Indépendants, qui est supportée par la CFDT, notamment lorsque Laurent Bergé a rencontré les dirigeants d'Uber en plein mouvement social mené par les chauffeurs VTC contre Uber. Ces associations et syndicats sont très dociles avec Uber, qui se réjouit d'avoir de tels partenaires pour imposer sa volonté. En effet, Uber ne rencontre pas d'opposition de la part de ces personnes acquises à la cause des plateformes. Je n'en garde donc pas un très bon souvenir.

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À la suite du succès des VTC au conseil de prud'hommes à Lyon qui a entraîné la condamnation d'Uber à payer 17 millions d'euros pour dommages-intérêts pour non-respect du code du travail, les chauffeurs VTC ont demandé à l'Inspection du travail de contrôler Uber pour travail dissimulé, ce qu'elle avait refusé. Un recours au tribunal administratif a été engagé et le tribunal a enjoint l'Inspection du travail à mener une enquête mais le ministre du Travail fait appel de cette décision. Quel regard portez-vous sur cette situation ?

En outre, une directive européenne proposant d'introduire une présomption de salariat des employés des plateformes a été adoptée par le Parlement européen : quel regard portez-vous sur ce sujet ?

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Helmi Mamlouk, secrétaire général du syndicat FO-CAPA-VTC

Ces éléments s'inscrivent dans la continuité de ce que nous observons depuis 2015 : le Gouvernement continue de protéger Uber. En effet, rien ne change bien que nous ayons présenté des preuves qu'Uber ne respectait pas les lois. Même lorsqu'Uber perd au tribunal, un ministre ou une députée vient sauver la plateforme, comme c'est le cas depuis 2015 en France.

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Je comprends que ce tarif minimum reste trop faible selon vous. Par ailleurs, il me semble que le tarif minimum pour les taxis s'élève à 7,30 euros alors que celui des VTC, dans le cadre des négociations de l'Arpe, s'élève à 7,65 euros. Considérez-vous donc qu'il est trop faible pour toutes les parties ?

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Helmi Mamlouk, secrétaire général du syndicat FO-CAPA-VTC

Lorsque vous commandez un VTC, le chauffeur doit rejoindre votre localisation et ce temps d'approche n'est pas payé alors que le chauffeur travaille. En revanche, le temps d'approche d'un taxi est payé. De plus, le client peut prendre un taxi à l'endroit même où il se trouve et, dans ce cas, le tarif minimal s'élève effectivement à 7,30 euros. Par ailleurs, il est également nécessaire de se pencher sur le tarif à la minute et au kilomètre. Le tarif kilométrique des taxis est en effet plus élevé que celui des VTC dans l'ensemble des départements de France. Par conséquent, un VTC ne parvient pas à gagner pleinement sa vie en travaillant uniquement avec les plateformes.

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Vous expliquiez qu'il y a eu un manquement de l'État et, de surcroît, une complicité de l'État car il est venu sauver Uber lorsque la plateforme perdait devant les tribunaux. Quel regard avez-vous porté, lors de la création de l'Arpe, sur la nomination de M. Bruno Mettling à sa présidence ? Par le passé, celui-ci avait travaillé pour la société Topics dans le cadre de travaux commandés par Uber.

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Helmi Mamlouk, secrétaire général du syndicat FO-CAPA-VTC

Il s'agit d'une forme de continuité. L'Arpe ne sert à rien dès lors qu'elle est présidée par un ancien « lobbyiste » ou partenaire d'Uber. Cette plateforme est derrière toutes les situations et je n'étais pas intéressé par l'Arpe au vu de cette réalité.

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Les organisations de livreurs que nous avons entendues ce matin dénonçaient l'absence de représentativité au sein de l'Arpe ; elles ont pointé une participation aux élections extrêmement faibles, de moins de 2 % chez les livreurs. Partagez-vous cette analyse ?

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Helmi Mamlouk, secrétaire général du syndicat FO-CAPA-VTC

Tout à fait, entre 3 % et 4 % des chauffeurs VTC ont voté. L'AVF et Union-Indépendants ne sont pas réellement représentatifs de la profession. Si vous interrogez les chauffeurs sur le terrain, ils vous diront qu'ils ne leur font pas confiance. Seule l'Association des chauffeurs indépendants lyonnais (ACIL) a reçu de nombreuses voix de la part des chauffeurs à Lyon.

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Vous êtes, par la suite, devenu taxi et vous avez obtenu la carte professionnelle. Seriez-vous favorable à un retour aux deux professions antérieures, à savoir les taxis et les Grandes Remises ? Quelles recommandations souhaitez-vous formuler à propos de la régulation du secteur du transport de personnes à titre onéreux ?

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Helmi Mamlouk, secrétaire général du syndicat FO-CAPA-VTC

J'ai en effet la carte taxi depuis deux ans mais je n'ai jamais travaillé avec celle-ci car je suis encore chauffeur VTC. Un retour à la Grande Remise me semble aujourd'hui très compliqué mais il faudrait appliquer une meilleure régulation au niveau des plateformes VTC. Nous avons l'impression que nous revenons au système des capacitaires et il existe réellement le même problème.

En effet, les chauffeurs connaissent le terme de « rattachement ». Le système des capacitaires était illégal et il a été pleinement exploité par Uber. Concrètement, certaines personnes disposent de licences VTC et elles inscrivent des chauffeurs sur leur compte sans contrat de travail, sans protection, sans fiche de paie et sans déclaration à l'Urssaf. Nous revenons donc au système en place en 2014 et 2015 : Uber en est parfaitement consciente et elle exploite ce procédé.

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Helmi Mamlouk, secrétaire général du syndicat FO-CAPA-VTC

Pour rappel, les Boers représentent la police du T3P : celle-ci est uniquement dédiée aux taxis, aux VTC et aux motos. Lorsqu'ils remarquent qu'un chauffeur travaille avec un macaron qui n'est pas le sien, certains Boers réclament le contrat de travail ou la déclaration préalable à l'embauche (DPAE). Les chauffeurs devraient en disposer dès lors qu'ils sont salariés d'une entreprise. À la suite de tels contrôles, des enquêtes ont permis de remonter jusqu'à des sociétés qui avaient ce type de pratiques, que nous appelons le rattachement. Concrètement, Uber ne réclame pas de contrat de travail ou de DPAE aux sociétés avec lesquelles elle travaille.

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Nous avons évoqué les manquements de la part de l'État en matière de contrôle sur la nature de la relation de subordination des travailleurs vis-à-vis des plateformes et nous commençons maintenant à parler de la TVA. En effet, les chauffeurs la paient sur la course et sur la commission, contrairement à Uber. Pourriez-vous nous décrire cette situation ? Selon vous, existe-t-il un manquement de la part de l'État du fait de l'absence de contrôle fiscal concernant les modalités de collecte de la TVA dans le secteur des VTC travaillant pour des plateformes ?

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Helmi Mamlouk, secrétaire général du syndicat FO-CAPA-VTC

Cette situation concerne également la plateforme Bolt qui est aussi installée à l'étranger. Uber et Bolt bénéficient donc du système de l'autoliquidation de la TVA : concrètement, elles ne paient pas de TVA sur la commission prélevée aux chauffeurs. Il revient donc au chauffeur de payer cette TVA. Dès lors, si un client paie une course dix euros sur l'application Uber, le chauffeur paie 2,50 euros de commission à la plateforme et 50 centimes de TVA sur cette commission. Au total, il a payé 30 % de commission sur cette course. De nombreux chauffeurs ne sont pas au courant de ce principe et reçoivent, en fin d'année, un courrier de rappel de la part du Fisc. Ils doivent alors payer 1 000 ou 1 500 euros supplémentaires. Les plateformes dont le siège est en France paient quant à elle la TVA en France.

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Pourriez-vous nous détailler les principaux éléments de la structure de coûts d'un chauffeur Uber ? Quel est son taux de marge moyen ?

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Helmi Mamlouk, secrétaire général du syndicat FO-CAPA-VTC

Celui-ci dépend de plusieurs éléments. Si le chauffeur maîtrise bien ses coûts, il peut retirer environ 25 % du prix des courses, ce qui est très peu au vu du travail fourni. Ce pourcentage dépend cependant du type de véhicule et du statut juridique du chauffeur.

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Pourriez-vous expliquer la différence entre un chauffeur qui a monté une société par actions simplifiée unipersonnelle (SASU) et un chauffeur autoentrepreneur ?

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Helmi Mamlouk, secrétaire général du syndicat FO-CAPA-VTC

Vous payez 25 % de cotisations sociales lorsque vous êtes autoentrepreneur. Dans l'exemple d'une course à 10 euros, le chauffeur paie 2,50 euros à l'Urssaf, 2,50 euros à Uber et 50 centimes au titre de la TVA. En outre, l'assurance professionnelle coûte en moyenne 200 euros par mois. Un véhicule en location peut quant à lui coûter entre 1 300 euros et 1 500 euros par mois. Ce montant est moins important pour les véhicules en leasing ou en location avec option d'achat (LOA). Enfin, il faut prendre en compte l'amortissement du véhicule si le chauffeur en est propriétaire. Concrètement, 75 % du prix de la course correspondent à des charges.

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La location du véhicule est-elle réalisée auprès des prestataires habituels ou auprès de la plateforme elle-même ?

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Helmi Mamlouk, secrétaire général du syndicat FO-CAPA-VTC

Des loueurs sont installés dans les bureaux mêmes de Uber et vous proposent des locations de véhicule. Concrètement, Uber ne propose pas de location mais ces loueurs sont spécialisés dans ce type d'activité. En moyenne, la location d'un véhicule classique coûte environ 1 300 euros par mois. Ce montant peut toutefois monter jusqu'à 2 500 euros pour des véhicules de grande capacité. Par ailleurs, pour louer un véhicule dans le secteur du VTC, vous devez le conserver pendant au moins six mois. Plus précisément, si vous louez un véhicule pendant moins de six moins, vous devez disposer d'une garantie financière de 1 500 euros auprès d'un établissement financier.

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Comment la marge de 25 % prise par Uber peut-elle être comparée à la situation des taxis, qu'ils soient indépendants ou salariés ?

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Helmi Mamlouk, secrétaire général du syndicat FO-CAPA-VTC

Un chauffeur de taxi travaille généralement indépendamment de plateformes comme G7. Cependant, ceux qui travaillent avec G7 paient simplement un abonnement qui s'élève à environ 450 euros par mois. Ils ne doivent donc pas payer de commission et bénéficient du montant total des courses dès lors qu'ils ont payé l'adhésion à la centrale radio.

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Le statut de locataire-gérant dans le monde du taxi est assez proche de l'ubérisation. En effet, dans ce cadre, le chauffeur de taxi qui n'n'est pas propriétaire de sa licence va en louer auprès d'une société de taxis. Il paie donc pour avoir le droit de travailler.

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Vous avez obtenu votre licence de taxi il y a deux ans. Dès lors, pour quelle raison êtes-vous resté dans le secteur du VTC ?

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Helmi Mamlouk, secrétaire général du syndicat FO-CAPA-VTC

En commençant mon activité, j'avais déjà une expérience en tant que commerçant et je peux, grâce au VTC, développer ma clientèle. Je n'ai donc pas de lien de dépendance vis-à-vis des plateformes. Par ailleurs, je présentais une facilité pour passer l'examen qui permet d'obtenir la carte taxi car j'avais été examinateur puis formateur. J'en ai donc profité pour l'obtenir car elle représente une mesure de sécurité pour l'avenir. En effet, la maire de Paris est plutôt favorable aux taxis et défavorable aux VTC. Je pourrai donc travailler pour une société de taxis à l'avenir si le besoin se présente.

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Je vous remercie, monsieur Mamlouk, pour votre disponibilité. Vous êtes bien sûr libre de nous faire parvenir des éléments complémentaires. Nous pourrons peut-être même faire à nouveau appel à vous dans le futur car nos travaux dureront encore quelques mois.

La commission auditionne M. Redoine Atyf, président, M. Yassine Bensaci, vice-président, et M. Arnaud Desmettre, secrétaire général de l'association des VTC de France (AVF), M. Stéphane Chevet, président, et M. Fabian Tosolini, référent national sur les questions de mobilités de l'Union-Indépendants (UI), ainsi que M. François Donnadille, président de la Fédération française des exploitants de VTC (FFEVTC).

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Messieurs les représentants des chauffeurs VTC, je vous remercie de vous être rendus disponibles pour venir répondre à nos questions. Nous avons repris ce matin les travaux de notre commission d'enquête sur les révélations des Uber files : l'ubérisation, son lobbying et ses conséquences.

À partir du 10 juillet 2022, plusieurs membres du consortium international des journalistes d'investigation ont publié ce qu'il est désormais convenu d'appeler les Uber files. S'appuyant sur 124 000 documents internes à l'entreprise américaine, datés de 2013 à 2017, cette enquête a dénoncé un lobbying agressif de la société Uber pour implanter en France, comme dans de nombreux pays, des véhicules de transport avec chauffeur (VTC) venant concurrencer le secteur traditionnel du transport public particulier de personne (T3P) qui était jusqu'alors réservé aux taxis.

Dans ce contexte, notre commission d'enquête a deux objectifs : d'une part, identifier l'ensemble des opérations de lobbying menées par Uber pour s'implanter en France, le rôle des décideurs publics de l'époque et émettre des recommandations concernant l'encadrement des relations entre les décideurs publics et les représentants d'intérêts ; d'autre part, évaluer les conséquences économiques, sociales, environnementales du développement du modèle d'Uber en France, et les réponses apportées et à apporter par les décideurs publics en la matière.

Dans ce cadre, nous souhaitons connaître votre point de vue sur l'implantation de la société Uber en France, ses méthodes de lobbying, ses conséquences quant à l'évolution du transport public particulier de personnes depuis 2014 et, plus largement, sur le développement du modèle Uber dans l'économie. Nous avons déjà entendu aujourd'hui des représentants de chauffeurs et de livreurs.

Cela nous permettra de compléter les informations déjà transmises par le collectif de journalistes à l'origine des Uber files ainsi que celles émanant des représentants de la profession des taxis que nous avons déjà entendus. Plus particulièrement, nous vous demanderons ce que vous pensez des révélations des Uber files et si vous avez le sentiment d'avoir déjà fait l'objet de pressions de la part de la société Uber. Si oui, de quels types ? Nous avons échangé aujourd'hui sur le débat portant sur la qualification en tant qu'indépendants ou salariés des chauffeurs. Quelle est votre position sur le sujet ? Considérez-vous être en situation de subordination par rapport aux plateformes pour lesquelles vous travaillez ? Quelle est votre perception sur le dialogue social instauré depuis la création de l'Arpe ?

Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et qu'elle est retransmise en direct sur le site de l'Assemblée nationale.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire l'un après l'autre : « Je le jure ».

(M. Yassine Bensaci, M. Redoine Atyf, M. Arnaud Desmettre, M. Stéphane Chevet, M. Fabian Tosolini et M. François Donnadille prêtent serment).

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François Donnadille, président de la Fédération française des exploitants de VTC (FFEVTC)

Bonjour monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames et messieurs les députés. La Fédération française des exploitants de VTC (FFEVTC) a été créée en 2012. Ses fondateurs provenaient tous de la « Grande remise » qui est la mère de notre corps de métier actuel. Nous avons créé cette association car la loi Novelli de 2009-2010 avait créé une certaine anarchie. Nous souhaitions donc définir certaines règles et former les chauffeurs pour leur apprendre à travailler comme nous le faisions au moment de la Grande remise.

À travers les siècles passés, nous observons que les sujets de stationnement sur la voie publique et de maraude ont toujours amené des changements de loi. Sous Louis XIV, il n'existait pas d'autres types de transport public et particulier que les bateaux et les véhicules tractés par les animaux. Des diligences circulaient entre les villages mais les particuliers plus aisés pouvaient aussi avoir recours à des carrosses et des calèches qui attendaient sur la voie publique et généraient des embouteillages. Dès lors, le préposé à ce sujet a décidé que ces carrosses devaient être garés dans des remises, ce que nous appelons maintenant des garages. Comme ces carrosses étaient grands, il fallait de grands garages ou de grandes remises. Concrètement, notre profession existait bien avant l'apparition des trains, des bus, des métros, des tramways, des avions ou des taxis. Je termine ma présentation par les taxis car ils ont toujours tendance à penser qu'ils étaient présents avant nous, ce qui n'est pas le cas.

Deux arrêtés importants ont fixé un cadre juridique à notre activité en 1955 et en 1966. Nous avons ensuite conservé notre statut jusqu'à la présentation du projet Attali en 2008 qui avait pour objectif de déréglementer toutes les charges concédées par l'État à des entreprises privées, telles que les notaires, les pharmaciens, les huissiers, les commissaires-priseurs et les taxis. À cette époque, les taxis ont bloqué la circulation un peu partout en France et j'avais participé à cette manifestation avec mes véhicules de grandes remises. Ce projet n'est finalement pas passé. Cependant, M. Attali a effectué un lobbying auprès du gouvernement en place pour changer la loi dans le secteur du tourisme et du transport, qui a donné lieu à l'adoption de la loi Novelli en 2009. Nous avons alors perdu notre appellation de Grande remise et nous sommes devenus les VTC, terme qui signifiait « voiture de tourisme avec chauffeur ». La clientèle des Grandes remises correspondait en effet à une clientèle de tourisme et de luxe. Nous nous sommes ensuite orientés davantage vers le tourisme d'affaires puis le tourisme de particuliers.

Nous recevions alors nos macarons professionnels via Atout France. Les critères qui s'appliquaient pour l'entrée dans la profession correspondaient à une formation obligatoire et un examen. Lorsque vous aviez obtenu votre examen, vous deviez demander une licence à la préfecture du département dans lequel vous souhaitiez exercer. Pour l'obtenir, vous deviez présenter un business plan devant une commission qui réunissait les taxis, la direction départementale de l'équipement, la direction de la concurrence et des prix ainsi que la préfecture qui statuait sur l'octroi de votre licence. Ce processus était relativement encadré et il n'était pas facile d'intégrer cette profession. De plus, la cohabitation avec les taxis se passait très bien à cette époque car nous étions complémentaires. Nous n'étions pas en concurrence car nous ne faisions pas le même travail et nous ne nous adressions pas à la même clientèle.

Le problème posé par la loi Novelli est qu'elle a supprimé toutes les contraintes pour devenir VTC. En effet, toute personne disposant d'un permis depuis plus de trois ans pouvait s'installer comme VTC. Sur le coup, ce changement n'a pas eu beaucoup d'impact car le retour sur investissement est long dans notre métier et nous n'avons pas observé de réelle différence dans l'activité économique de notre secteur entre 2009 et 2011.

Uber est arrivée en 2011 et a pris contact avec nous en 2013. Ils sont venus nous voir à Lyon et nous ont expliqué qu'ils mettaient en place une application, que leur clientèle était internationale et qu'ils souhaitaient lui proposer le même service quel que soit le pays. L'idée paraissait plutôt bonne et ils nous ont demandé combien de voitures nous pouvions mettre sur la plateforme à Lyon. J'ai répondu que tous mes véhicules étaient utilisés et je leur ai demandé combien de voitures ils voulaient mettre en place. Ils m'ont répondu qu'ils comptaient disposer de deux cents voitures à Lyon. J'ai alors indiqué que le marché ne le permettait pas. Cependant, Uber m'avait menti car nous avons appris que le fondateur d'Uber voulait concurrencer les taxis qu'ils trouvaient relativement inefficaces. En effet, l'idée de créer cette société lui était venue lorsqu'il avait dû attendre quarante-cinq minutes pour trouver un taxi à trois heures du matin à Paris. Cependant, nous pouvons nous demander s'il est important de disposer d'un véhicule en cinq minutes à trois heures du matin au regard de l'activité économique d'un pays.

En outre, le premier concurrent d'Uber s'est installé et regroupait quelques salariés qui travaillaient dans des taxis jaunes, comme les taxis new-yorkais. Il s'agissait d'une véritable concurrence frontale à l'égard des taxis. De même, la création des plateformes LeCab et Allocab – qui employaient le mot « cab » à dessin car il signifie « taxi » en anglais, a confirmé ce mouvement de déstabilisation du marché du taxi. Ces pratiques me semblaient donc malhonnêtes.

En 2013, il y a eu des manifestations des taxis et nous avons participé à la préparation de la proposition de loi Thévenoud. Nous avons eu des réunions avec Uber et toutes les autres plateformes, comme avec les taxis au cours desquelles les plateformes intervenaient de manière particulière. Par exemple, les représentants d'Uber ne parlaient jamais lors des réunions. Si vous vous adressiez à l'un d'entre eux, la réponse provenait toujours de leur avocat, ce qui était gênant.

Lors d'une réunion importante, une autre plateforme a annoncé qu'elle allait créer 40 000 embauches sur les huit années à venir. J'étais intervenu pour faire remarquer que toutes les plateformes avaient recours à du personnel libéral. Dix ans après, nous savons que la plateforme n'a pas embauché 40 000 personnes. Par ailleurs, le ministère des Transports annonce qu'il existe 40 000 voitures de VTC en France ce qui n'est pas vrai. Je ne comprends que nous ne puissions pas, avec les possibilités informatiques actuelles, rectifier ce chiffre et donner le nombre exact de voitures VTC.

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S'agit-il de 40 000 chauffeurs VTC et taxis ou de 40 000 chauffeurs VTC ?

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François Donnadille, président de la Fédération française des exploitants de VTC (FFEVTC)

C'est 40 000 voitures. Cela peut représenter moins de chauffeurs ou davantage. En effet, celui qui s'inscrit au registre des VTC au ministère des Transports puis qui arrête son activité sans le signaler sera toujours inscrit sur le registre pendant cinq ans. En effet, il ne lui sera demandé de réactualiser sa licence qu'après cinq ans. Concrètement, le nombre de véhicules VTC enregistrés ne correspond donc pas au nombre exact de véhicules VTC opérant sur le marché pendant cinq ans. Je peux en témoigner moi-même car j'avais enregistré des voitures VTC, qui ont une durée de vie de six ans, que j'ai ensuite utilisées pour mon activité de taxi sans les sortir du parc de VTC. Ces voitures ont donc été enregistrées à la fois sur le registre des VTC et des taxis jusqu'à ce que je doive réactualiser ma licence VTC. Pour quelle raison le ministère conserve-t-il cette manière de procéder ? Pourquoi ne pas introduire un algorithme prévoyant la sortie des véhicules du registre VTC au bout de six ans ? Est-ce pour faire croire que le VTC est un palliatif au chômage ?

La loi Thévenoud n'était pas parfaite notamment au sujet du « macaron ». À l'époque de cette loi, nous devions apposer notre macaron sous le pare-brise du véhicule VTC uniquement lorsque nous travaillions. Cependant, cela a déclenché la maraude des VTC. Initialement, la maraude correspondait à l'action d'un taxi qui roulait doucement dans la ville en espérant pouvoir récupérer un client. Le taxi créait donc des embouteillages, du bruit et de la pollution, ce qui a conduit à introduire des stations de taxis pour éviter ces problèmes. Finalement, les VTC ont été amenés à marauder pendant le temps d'attente d'une course sur les plateformes. En effet, les chauffeurs ne plaçaient leur macaron que lorsqu'ils recevaient une demande de course.

La loi Grandguillaume a alors imposé que le macaron soit collé afin que les forces de l'ordre puissent vérifier que le véhicule était bien enregistré et que le chauffeur était en train de travailler. Lorsque le chauffeur VTC travaillait, il devait présenter sa carte professionnelle à côté du macaron ; il l'enlevait lorsqu'il faisait un usage privé de son véhicule. Cependant, l'arrêté adopté n'a pas été celui qui avait été envisagé lors des débats au Parlement : au lieu de prévoir que le macaron est « collé » sur le pare-brise, il prévoit qu'il est « apposé ». Les Boers ne peuvent donc pas reprocher à un VTC de ne pas avoir collé sa vignette. Je ne sais pas qui a commis cette erreur. Apparemment, Uber aurait mené un lobbying très fort pour faire évoluer les lois dans son sens. Y a-t-il eu une influence d'Uber lors de la rédaction de l'arrêté ? Je me pose la question. D'ailleurs, un adhérent s'est même fait arrêter par la gendarmerie de Savoie qui lui a reproché d'avoir collé son macaron.

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Stéphane Chevet, président de l'Union-Indépendants (UI)

Je précise que je prends la parole en tant que président fondateur de l'Union-Indépendants car je n'en suis plus le président actuel.

Une première expérimentation avait été menée dans deux fédérations de la CFDT en 2015. La première s'appelait Union et a eu lieu dans la fédération communication-conseil-culture (F3C-CFDT) ; la seconde a été menée au même moment dans la fédération des transports et s'appelait CFDT VTC.

La loi Novelli a créé le statut VTC en 2009, soit avant l'arrivée d'Uber en France. Les échanges entre les travailleurs et les plateformes ont démarré officiellement à l'initiative d'Alain Vidalies lorsqu'il était ministre des Transports. Plus précisément, ils ont débuté en décembre 2016 dans le cadre du comité de travail dirigé par Jacques Rapoport. L'objectif poursuivi était d'améliorer les conditions de travail des chauffeurs et de lutter contre la distorsion de concurrence avec les taxis. Les prémices de la représentativité sont arrivées en décembre 2016 avec l'obligation de démontrer des critères objectifs de représentation du secteur. En janvier 2017, le rapport Rapoport a fixé l'objectif d'une négociation sur un barème minimal, d'un équilibre entre les VTC et les taxis et de l'application de la loi Grandguillaume.

Entre janvier et fin mars 2017, des négociations ont été menées avec les associations représentant les travailleurs de plateformes et Uber. En mars 2017, face au constat d'échec de ces négociations, un médiateur de la République a été diligenté. Le 31 mars à 10 heures, Alain Vidalies a indiqué à un certain nombre d'organisations, dont faisait partie la CFDT VTC, que les travaux étaient lancés en vue d'une tarification minimale. Après les élections présidentielles et le changement de majorité, Elisabeth Borne, ministre des Transports, a décidé d'appliquer la loi Grandguillaume tout en conditionnant l'introduction d'une tarification minimale à un équilibre du secteur. À l'époque, nous étions incapables de comprendre ce que cela voulait dire.

La question d'une aide a à nouveau été posée au moment des gilets jaunes et un travail a démarré sur l'exonération de la TICPE (taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques). En 2019, les conflits entre Uber et les associations VTC sur le sujet de la déconnexion ont fait revenir le sujet précédent, ce qui a abouti à la création de l'Arpe. S'il avait existé une réelle volonté politique de réguler le secteur, Elisabeth Borne aurait pu se saisir du sujet dès 2017.

Nous avons mené diverses négociations avec Uber et nous avons porté à plusieurs reprises trois revendications concernant les modalités de déconnexion, de rémunération et du partage de la valeur. En effet, les plateformes d'intermédiation refusent systématiquement d'aborder cette dernière question, qui est pour nous cruciale.

Aujourd'hui, les clients des VTC passent par les plateformes par facilité d'utilisation. Si vous êtes vous-même utilisateur de ces plateformes, vos habitudes sont connues de celles-ci et certaines notations vous apportent des réductions sur les tarifs. En connaissant votre usage, la plateforme essaie de le développer. Cependant, s'il n'y a pas de chauffeur, il n'y a pas d'usage. Pourtant, à aucun moment le chiffre d'affaires des chauffeurs n'est en adéquation avec la connaissance des clients et l'utilisation répétée du service par les clients. À aucun moment le partage de la richesse n'est réellement posé sur la table. Nous avons porté régulièrement cette revendication en France et dans les débats que nous avons eus avec les députés européens, à la fois pour les VTC et pour les livreurs à vélo. Encore aujourd'hui, Uber, comme les autres plateformes, explique qu'aucun usage financier n'est réalisé à partir des données recueillies sur l'application. Cependant, si une plateforme n'utilise pas ces données, c'est qu'il y a un problème ! Le sujet de l'équilibre financier et de la rentabilité des plateformes doit être posé ainsi que celui de la gestion des données et de la manière dont la richesse est répartie entre les différents acteurs de la chaîne de valeur.

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Redoine Atyf, président l'association des VTC de France (AVF)

L'association des VTC de France est une des premières associations créées par des chauffeurs « uberisés », qui opéraient auparavant dans le secteur de la Grande remise ou comme chauffeurs de maître et qui ont été attirés par le projet d'Uber, lequel pouvait offrir un complément de revenus. Nous sommes donc les témoins de l'ubérisation de cette profession. Une certaine discrimination la caractérisait d'ailleurs auparavant en raison des demandes de plusieurs clients : en pratique, une personne blonde aux yeux bleus bénéficiait d'une priorité d'emploi vis-à-vis d'une personne basanée.

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Yassine Bensaci, vice-président de l'association des VTC de France (AVF)

Bonjour monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames et messieurs. Je suis VTC depuis 2014 et, quand je suis entré dans cette profession, la politique d'Uber était très agressive. La plateforme nous promettait en effet monts et merveilles. Beaucoup de chauffeurs se sont donc tournés vers cette profession.

Nous nous sommes levés contre les applications dès la fin de l'année 2014 ou le début de l'année 2015. À cette époque, Uber avait lancé plusieurs services qui s'avéraient contraires à nos activités, notamment du fait de l'instauration du service Uber Pop. En effet, il s'agissait d'un service de transport entre particuliers qui représentait clairement une forme de concurrence déloyale vis-à-vis de nos activités de chauffeurs professionnels. De notre point de vue, les Uber files démontrent clairement la connivence de l'État et de l'exécutif avec cette société américaine. Nous tenons l'État et l'exécutif pour responsables de la situation des VTC travaillant pour les plateformes en France car nous avons souvent lancé des alertes sur les dégâts résultant des pratiques d'ubérisation. Cependant, nous avons toujours reçu une fin de non-recevoir de la part de l'État. Nous sommes des professionnels venant d'une profession réglementée et nous ne comprenons pas pourquoi l'État a permis aux plateformes de faire ce qu'elles voulaient.

Par exemple, en tant que professionnel, je dois pouvoir gérer ma tarification, mes coûts de revient, mes charges et fixer un prix de vente. Cependant, ce n'est pas le cas lorsque vous travaillez avec une plateforme. De plus, lorsque nous nous étions levés contre la baisse des tarifs, passés de 8 à 5 euros, en 2015, l'État nous avait mis dos à dos en nous disant que nous étions des professionnels et que les plateformes étaient des professionnelles de la mise en relation, c'est pourquoi il ne pouvait pas interagir dans cette relation. Les Uber files ont clairement démontré une connivence pour que le secteur ne soit pas réglementé. Les seules mesures prises ont d'ailleurs été mises en place entre les taxis et VTC et elles allaient souvent à l'encontre de ces derniers. Cependant, la bataille n'opposait pas réellement les taxis et les VTC, comme le relayaient les médias, mais les VTC et les plateformes comme Uber.

Je tiens à souligner que l'arrivée des plateformes en France n'est pas mauvaise en soi. Désormais, la profession s'est adaptée aux outils numériques et la qualité de service s'est accrue. De plus, un chauffeur VTC en France est aujourd'hui formé. En revanche, nous constatons que ce secteur d'activité n'a pas été régulé en raison du laisser-aller des pouvoirs publics de l'époque.

Par ailleurs, je viens de la région de Marseille où de nombreux chauffeurs issus des quartiers défavorisés n'avaient pas d'activité professionnelle à l'époque car l'État ne proposait aucune solution. Un écosystème s'est créé à l'arrivée de ces plateformes et ces personnes ont pu trouver du travail mais l'État a laissé faire n'importe quoi à une application qui est désormais une multinationale. Par conséquent, les VTC sont désormais tributaires de ces applications.

Dès que vous vous lancez dans n'importe quelle activité, si vous êtes indépendant, vous devez viser une clientèle. Actuellement, la masse clientèle des chauffeurs VTC a été captée par les applications. Un chauffeur VTC est donc condamné à passer par les applications pour lancer son activité et, s'il passe par les applications, il est défavorisé car les paramètres du chef d'entreprise ne sont pas pleinement respectés. En effet, un bon nombre de ces paramètres sont contrôlés par les plateformes et non par le chef d'entreprise.

Lorsque nous nous sommes levés contre ces applications, nous avons toujours voulu défendre les intérêts des chauffeurs. Le système n'est pas mauvais en lui-même mais il doit simplement être régulé.

En 2018, nous avons voulu créer un comité de chauffeurs avec une application française appelée Heetch. Heureusement, un projet de directive européenne a été lancé pour réguler la relation entre les chauffeurs et les applications. Aujourd'hui, l'écrasante majorité des chauffeurs souhaitent continuer à travailler sous statut d'indépendant mais avec une meilleure régulation. Les collègues qui demandent la requalification en salariés constituent en effet moins de 5 % des chauffeurs.

L'Arpe a été lancée en 2020 et nous en faisons partie. Notre but est toujours d'améliorer les conditions de travail des chauffeurs. Très récemment, le tarif minimal de la course d'un chauffeur VTC est passé à 7,65 euros nets et nous avons posé des conditions de révision de cet accord. Aujourd'hui, nous pouvons négocier alors qu'entre 2014 et 2018, les plateformes nous envoyaient des fins de non-recevoir et nous n'avons jamais été entendus. L'État nous a toujours renvoyé dos à dos. De plus, Mme Borne, lorsqu'elle était ministre des transports, n'a jamais fait le nécessaire pour réguler le secteur VTC.

De notre point de vue, le problème, ce n'est pas vraiment Uber mais l'État : quelles que soient les méthodes d'Uber, c'est à l'État de les réguler, ce qu'il n'a pas fait. Comme on dit souvent : pour applaudir il faut deux mains. Uber n'est donc pas la seule responsable car l'État l'a laissée faire. Par exemple, au moment de la loi LOM, un chauffeur pouvait être envoyé à trente minutes de route pour effectuer une course au tarif minimal, et donc non rentable alors que la loi nous interdit de vendre des prestations à perte.

Pour rappel, nous avons débuté nos premières manifestations en 2015 à la suite de la hausse du pourcentage de la commission prise par Uber et de la baisse du tarif minimal de la course de 8 à 5 euros. À la fin de l'année 2015, nous avons mené des discussions avec d'autres organisations sur le sujet d'un tarif minimal. Nous avons mis huit ans pour parvenir à définir ce tarif plancher. En 2016, nous avons porté les mêmes revendications tout en demandant une limitation du nombre de cartes, car l'ubérisation fonctionne avec une quantité importante de chauffeurs sur le marché. Il existe d'ailleurs un turnover important car le chauffeur remarque assez vite que le modèle ne fonctionne pas dès l'arrêt de l'ACRE (aide à la création ou à la reprise d'une entreprise). Nous avons également soutenu la loi Grandguillaume qui n'est malheureusement pas appliquée dans son intégralité.

En 2018, nous avons manifesté pour demander la détaxe carburant, qui était la seule manière de donner une bouffée d'air aux chauffeurs selon le rapport Rapoport. Les taxis y ont actuellement droit, contrairement aux VTC.

En 2019, nous avons manifesté contre la mairie de Paris qui, en voulant piétonniser certains quartiers de la capitale, a exclu les VTC de certains arrondissements pourtant stratégiques.

Nous sommes désormais l'association la plus représentée au niveau de l'Arpe. Je ne comprends d'ailleurs pas la volonté de l'État de donner un poids surdimensionné à Uber dans cette structure. Pour signer un accord au niveau de l'Arpe, il est nécessaire d'obtenir 30 % de voix des organisations syndicales et plus de 50 % de la part des plateformes. Concrètement, la FFTPR (Fédération française des transports de personne sur réservation), qui regroupe des plateformes françaises et étrangères, représente moins de 50 % du poids des plateformes. Nous ne pouvons donc pas signer un accord avec la FFTPR. Du moins, Uber peut le casser facilement, car elle est majoritaire dans la représentativité des plateformes. Dans ce système, Uber a reçu un chèque en blanc depuis le début ; l'État n'a jamais rien fait. Même avec l'Arpe, cette autorité de régulation de la profession, le poids d'Uber reste surdimensionné. Il existe encore une volonté de l'État de laisser Uber faire la pluie et le beau temps dans ce secteur.

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Redoine Atyf, président l'association des VTC de France (AVF)

Nous étions aussi la première association à mener une action au conseil des prud'hommes avec notre avocat de l'époque. Celle-ci a obtenu une issue favorable et a encouragé des chauffeurs à mener des actions à l'encontre d'Uber. À l'époque, nous avons envoyé une liste de 260 chauffeurs à maître Giusti du cabinet Metalaw, car ils avaient décidé d'attaquer Uber. Notre politique a cependant changé en interne sur le combat anti-ubérisation lorsque nous avons remarqué que seule une minorité de chauffeurs souhaitaient attaquer Uber, ceux qui avaient le projet de changer de profession, alors que la majorité des chauffeurs qui envisageaient cette profession sur le long terme ne préféraient pas engager d'actions contre la plateforme.

Au sein de l'association, nous estimions que la seule solution susceptible de régler les problèmes rencontrés au sein de notre secteur était la création d'un conseil national de l'ordre des VTC. Le ministère des Transports avait reconnu que l'idée était bonne, mais il jugeait qu'elle était difficile à mettre en place. Nous avons ensuite rencontré un associé de maître Giusti et nous avons stoppé tout travail avec ce cabinet pour les raisons qui vont vous être exposées par M. Desmettre.

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Arnaud Desmettre, secrétaire général de l'association des VTC de France (AVF)

Je vous remercie monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames et messieurs. L'associé de maître Giusti était M. Thévenoud, ce qui nous a complètement refroidis. En effet, la loi Thévenoud était plutôt favorable aux taxis. En outre, ce cabinet nous réclamait 35 000 euros pour continuer les négociations. Nous avons donc mis fin à nos discussions avec celui-ci pour la création de l'ordre national des VTC. Cette idée reste cependant en suspens et nous y reviendrons probablement à l'avenir.

Notre association a participé à la rédaction de la proposition de loi Grandguillaume et nous nous demandons encore pour quelle raison le décret n'est pas complètement appliqué sept ans après. Notre structure a toujours alerté les divers hommes politiques et gouvernements sur ce sujet lors des sept dernières années. Cependant, lors des changements de gouvernement, les dossiers ne sont pas toujours transmis ou suivis, ce qui avantage Uber, qui a l'habitude de jouer la montre. Pour Uber, le temps, c'est de l'argent, car les conditions actuelles favorisent la création d'emplois et de chiffre d'affaires. Concrètement, Uber a intérêt à ce que la situation traîne jusqu'à la prochaine élection présidentielle afin d'assister à une stagnation permanente.

Aujourd'hui, le lobbying d'Uber est très bien introduit auprès des dirigeants des pays concernés. Nous vous confirmons qu'Uber a visé, en 2014, plus de deux cents cibles au sein du Gouvernement, du Parlement et de la population. À cette époque, M. Macron, qui était ministre de l'Économie, avait rencontré des représentants d'Uber à plusieurs reprises. Cependant, une seule de ces rencontres a été rendue publique. De plus, un de nos collègues et chauffeur de Grande remise nous a rapporté qu'ils avaient rencontré M. Macron et le dirigeant d'Uber France de l'époque à l'hôtel Costes.

En 2015, l'Assemblée nationale demande à M. Macron de rouvrir le débat sur la réglementation de services tels qu'Uber. La même année, le PDG d'Uber France de l'époque lance une importante campagne de communication. Dans la continuité, un député socialiste dépose un dossier et celui-ci n'a été ni vérifié, ni modifié, ni discuté à l'Assemblée nationale. Nous nous interrogeons également sur la sympathie et la morale qu'a M. Macron vis-à-vis d'Uber, de même que sur la nature des activités parallèles qu'il multiplie, comme des rendez-vous à l'insu du Gouvernement et des Français. Il sollicite également à cette époque des actions parlementaires auprès des ministres, députés et décideurs politiques. En 2016, 90 millions d'euros ont été dépensés par Uber dans des actions de lobbying alors qu'elle affiche un déficit de 6 milliards de dollars. Il est intéressant de remarquer qu'un consensus a été trouvé avec le Gouvernement pour l'abandon d'Uber Pop en échange d'une diminution du nombre d'heures de formation.

Je suis chauffeur VTC depuis 2015 et j'ai choisi ce vrai métier qui n'est pas un hobby. J'ai suivi une formation de trois mois et demi et, aujourd'hui, Uber est une plateforme de mise en relation qui propose des formations d'une semaine à 10 euros. Comment peut-on former un candidat à un tel métier en une semaine ? Comme le métier n'est pas complètement régulé, nous nous retrouvons avec des centres de formation pris d'assaut par les centaines de chauffeurs Uber. Cependant, la situation n'interpelle ni le Gouvernement ni qui que ce soit.

Nous sommes conscients que les Uber files ne représentent que la partie visible de l'iceberg et nous pensons que d'autres révélations interviendront à l'avenir. Nous avons le profond sentiment que des responsables politiques de l'époque ont validé des choix illégaux et irrecevables sans débat préalable. Lorsqu'il était ministre de l'Économie, M. Macron a plus que probablement outrepassé ses fonctions et ses droits en négociant directement avec la société Uber sans aucun échange interministériel préalable.

En conclusion, comment se fait-il qu'une société américaine, condamnée en France par la Cour de cassation pour entretenir des liens de subordination vis-à-vis des chauffeurs en mars 2020 et plus récemment par un tribunal à Lyon, n'ait pas été contrôlée davantage ou stoppée dans ses actions ? Depuis l'arrêt de la Cour de cassation, il y a trois ans, rien n'a changé. Uber est aujourd'hui la seule entreprise au monde à arriver dans un pays et à dicter ses lois ainsi que sa vision à des gouvernements sous prétexte qu'elle va créer des milliers d'emplois.

Nous nous demandons quelles sont ses faveurs et ses actions menées au détriment des chauffeurs, qui ne sont toujours pas reconnus correctement en France. Ils sont les principaux oubliés et ne servent qu'à produire des profits récoltés par Uber. S'ils n'acceptent pas les conditions imposées, ils sont écartés par la plateforme.

Au vu du temps de formation et du turnover ahurissant, Uber obtient facilement la main d'œuvre dont elle a besoin. Uber entre aujourd'hui sur les marchés en dépit de toute législation et remet en place un pseudo Uber Pop sans que personne au Gouvernement ne tire la sonnette d'alarme. Aujourd'hui, lorsque vous posez des questions à Uber, ce sont ses avocats qui vous répondent. Uber sait gagner du temps, car le temps c'est de l'argent. Lorsque les dossiers sont en cours, la plateforme peut continuer à réaliser du chiffre d'affaires. Nous sommes persuadés que des accords ont eu lieu entre Uber et des acteurs politiques. Nous voulons simplement qu'Uber respecte les lois et nous nous demandons pourquoi la plateforme bénéficie de tels passe-droits. Lorsqu'on est condamné en France, il est nécessaire d'appliquer la loi. Pourquoi permet-on encore à Uber de négocier ? Une fois de plus, nous nous rendons compte que la démocratie est atteinte.

En octobre 2014, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a perquisitionné Uber mais rien n'a eu lieu depuis. Uber n'est pas inquiétée.

Nous souhaitons profiter de cette intervention pour clarifier certains points auprès de vous et des Français. Uber est une société américaine avec un siège social européen situé aux Pays-Bas. Elle ne paie pas de TVA en France et ce problème est connu de multiples gouvernements. Uber n'est pas un professionnel du transport mais une plateforme de mise en relation de clients avec des chauffeurs. Ceux-ci sont à la base et, pour la majorité, des autoentrepreneurs selon Uber. Depuis la requalification de la Cour de cassation et la décision du tribunal de Lyon, ce modèle ne devrait plus fonctionner de la sorte. Nous rappelons que le modèle d'Uber est fondé sur l'autoentreprise des chauffeurs.

De plus, la loi française impose qu'une entreprise en France s'acquitte de la TVA lorsqu'elle reçoit une commande d'un client. Uber prend des réservations et doit donc s'acquitter de la TVA. Cependant, les conditions générales d'utilisation de la plateforme détournent la loi en mentionnant qu'il revient au chauffeur qui accepte la source d'acquitter la TVA en son nom. Par ailleurs, les bons de commande émis par Uber et reçus par les chauffeurs, pour une société de transport d'un client X, sont rédigés au nom des chauffeurs. Si le bon de commande est au nom du chauffeur, nous pourrions supposer que le client appartient au chauffeur pour ladite course. Uber mentionne cependant dans ses conditions que le client lui appartient et que le chauffeur n'a aucun droit ni aucune visibilité sur ce client.

Uber contourne également les règles de la TVA s'agissant de la commission de 25 % qu'elle perçoit sur chaque course. En effet, il revient encore aux autoentrepreneurs de payer la TVA sur cette commission.

Le pouvoir et la perversion de l'entreprise Uber s'exercent au détriment des chauffeurs que nous défendons depuis plusieurs années. Cependant, nous n'avons aucun poids et l'argent d'Uber équivaut un combat qui oppose le pot de fer au pot de terre. Nous avons été élus en tant que représentants d'une profession en mai dernier, dans le cadre du nouveau projet gouvernemental, à savoir l'Autorité des relations sociales des plateformes d'emploi (Arpe). Nous nous demandons si nous pourrons réellement améliorer la situation des chauffeurs VTC. Comme l'a dit notre vice-président, si Uber n'apporte pas 50 % de voix, nous ne pouvons rien signer. Nous avons statué sur un montant minimal de 7,65 euros car ce qui est pris n'est plus à prendre. Toutefois, en retirant la commission, la TVA et les charges des chauffeurs à ce tarif minimal, il ne reste pas grand-chose, ce qui explique le taux de turnover des chauffeurs.

Comment est-il possible que le Gouvernement ne réagisse pas à la lumière de tous ces éléments ? Que fait la DGCCRF ? Pourquoi l'administration fiscale qui perçoit la TVA ne réagit-elle pas ?

Nous posons ces questions aux gouvernements qui se succèdent et rien ne bouge. De notre côté, nous prônons le dialogue social. Les Uber files représentent une chance de prouver qu'il y a eu des malversations et des choses anormales. Nous comptons sur cette commission pour qu'elle fasse toute la lumière sur ce sujet.

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Vous avez soulevé des éléments très intéressants à travers vos témoignages. Par exemple, vous avez mentionné que l'action du Gouvernement au moment de l'arrivée des plateformes avait pris selon vous la forme de mesures pro-taxis, ce qui va à l'encontre de ce qui transparaît généralement dans le traitement médiatique du sujet. Avez-vous donc le sentiment que le Gouvernement a pris des mesures pro-taxis à l'époque, qui étaient peut-être le fruit d'un lobbying des taxis au moment du débat sur les plateformes ?

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Yassine Bensaci, vice-président de l'association des VTC de France (AVF)

Oui, très clairement. Nous connaissions la proximité de M. Thévenoud avec les taxis et les médias parlaient d'une guerre entre taxis et VTC alors que le combat était mené pour le droit des chauffeurs. Nous nous rendons maintenant compte que les mesures étaient orientées, peut-être via des lobbys. Il faudra certainement questionner M. Thévenoud et son associé, Me Giusti, sur cette question. Je pense en effet qu'ils ont mené des actions de lobbying pour mettre en place des mesures anti-VTC et pro-taxis.

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Pouvez-vous me donner des exemples de mesures que vous considérez comme pro-taxis ?

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Yassine Bensaci, vice-président de l'association des VTC de France (AVF)

La loi Thévenoud parle de maraude, de stationnement et de voie publique, qui sont des attributs du taxi. Les taxis avaient d'ailleurs dit que le fait de circuler avec une application correspondait à de la « maraude électronique ». Très clairement, cette loi a fait l'objet d'un lobbying intense des taxis car elle n'allait pas du tout dans le sens du VTC. Nous souhaitions quant à nous réguler cette profession et nous avons été pointés du doigt par le Gouvernement.

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Fabian Tosolini, référent national sur les questions de mobilités de l'Union-Indépendants (UI)

On m'a demandé d'étudier, pour la CFDT, cette nouvelle économie des transports. En 2014, le sujet des VTC n'était pas aussi prégnant qu'en 2015, car il n'était pas encore question de tarification. Le mécontentement a en effet commencé à se faire sentir en 2015, lorsqu'Uber a augmenté son pourcentage de commission et diminué le prix de la course.

En 2014, Uber s'est développée grâce aux Grandes remises qui avaient une opportunité d'augmenter un peu leur chiffre d'affaires. Par exemple, Uber était présente à ses débuts à la sortie du festival Rock en Seine avec de grosses berlines allemandes et des chauffeurs habillés de manière très formelle. En outre, leur prix était beaucoup plus abordable que celui d'un taxi à ce moment à la sortie du festival. Concrètement, le succès d'Uber s'est construit grâce à un service haut de gamme et une proposition tarifaire abordable. Toute cette image d'Uber s'est cependant effondrée en 2015 à la suite d'une décision rétrograde.

Nous avons donc assisté au conflit entre taxis et VTC en 2016. L'État a alors remarqué qu'il n'y avait aucune lisibilité dans la représentation des différentes parties. Je me souviens d'une réunion, qui s'est tenue en décembre 2016, avec plus de cinquante personnes se disant chacune représentante des VTC et des taxis. Uber profitait de la situation et indiquait qu'elle ne reconnaissait personne, y compris des confédérations. Par exemple, Uber ne reconnaissait pas la CFDT comme représentant de travailleurs en 2016. Le travail mené entre janvier et mars 2017 avait vocation à prouver qu'Uber était incapable de discuter avec les représentants des plateformes pour parvenir à un progrès social, c'est-à-dire l'adoption d'un tarif minimal. La loi Thévenoud est considérée comme pro-taxis mais le réel enjeu intervient après. En effet, l'année 2017 fut importante, de même que l'application de la loi Grandguillaume en 2018.

En fin d'année 2017, les plateformes lancent des attaques incessantes, notamment via des expressions publiques ou à travers les médias. Le VTC était considéré comme un sous-travailleur des transports et on faisait croire que le travailleur VTC n'était pas capable de passer un examen à l'instar des taxis. Depuis 2017 et jusqu'à aujourd'hui, notre travail syndical a eu pour but de revaloriser le métier de VTC. Uber essayait pourtant de faire croire que le VTC n'était pas un travailleur comme un autre. Cette position découle notamment de l'expression de M. Macron qui disait qu'il valait mieux être VTC pour Uber que de « tenir le mur ou dealer ».

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Vous expliquez que l'Arpe laisse un pouvoir tel à Uber qu'il dispose presque d'un droit de veto. Par ailleurs, d'autres représentants nous ont indiqué que l'Arpe ne peut imposer un cadre contraignant aux plateformes, son président pouvant uniquement émettre des propositions. Les organisations de livreurs ont en outre dénoncé le caractère non représentatif des organisations élues au sein de l'Arpe.

Considérez-vous problématique, en termes de légitimité, que M. Bruno Mettling soit à la tête de l'Arpe ? Il a en effet pu travailler pour le cabinet Topics, qui a été rémunéré par Uber. Il est en outre considéré comme une personne favorable à Uber au vu du rôle qu'il a joué pour cette entreprise lors de la mission Frouin.

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Redoine Atyf, président l'association des VTC de France (AVF)

Nous avions connaissance de ces éventuels contacts qu'il a eus par le passé avec Uber. S'il avait travaillé pour un syndicat par le passé, nous aurions évidemment jugé qu'il y avait un conflit d'intérêts. Toutefois, les plateformes ne se sont pas représentées aux élections, c'est pourquoi le fait qu'il ait travaillé pour une plateforme ne constitue pas un problème selon nous.

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Yassine Bensaci, vice-président de l'association des VTC de France (AVF)

Le rôle de M. Mettling n'est pas d'orienter le dialogue social, car il n'est pas présent au niveau des commissions de négociation qui ont lieu avec les organisations syndicales et les plateformes. Le rôle de M. Mettling est donc relativement neutre vis-à-vis du dialogue social.

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Stéphane Chevet, président de l'Union-Indépendants (UI)

Le fait de remettre en cause une élection pour un taux de participation trop faible me choque. Nous reconnaissons que le taux de participation n'était pas très important, ce qui nous attriste. Cependant, la démocratie sociale s'est exprimée. Il nous revient de faire en sorte qu'elle se développe et que la participation soit plus importante lors des prochaines élections.

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Le taux de participation aux élections de l'Arpe est en phase avec le taux de participation aux élections syndicales dans les TPE en France.

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Stéphane Chevet, président de l'Union-Indépendants (UI)

Exactement. Il n'existe aucun problème de représentativité et de légitimité dès lors qu'une élection a eu lieu. En outre, l'Arpe s'inscrit dans la lignée de la mission Frouin ; on peut seulement regretter qu'elle soit trop administrative et pas assez politique. Par ailleurs, je ne vois pas pour quelle raison le fait que Bruno Mettling dispose d'une longue expérience du dialogue social, notamment chez Orange, soit problématique.

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Je m'interroge sur l'expérience particulière du dialogue social dans une entreprise avec le passif d'Orange.

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Stéphane Chevet, président de l'Union-Indépendants (UI)

Je ne suis pas certain qu'il était visé par les scandales qui ont eu lieu chez Orange. Son appui en tant que président de l'Arpe fait en sorte que le dialogue social se passe dans de bonnes conditions. Le fait que certains acteurs de l'Arpe pourraient possiblement ne pas vouloir que le dialogue social se passe n'a rien à voir avec son président.

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Fabian Tosolini, référent national sur les questions de mobilités de l'Union-Indépendants (UI)

Je participe aux réunions de négociation à la fois au niveau des livreurs à vélo et des VTC dans le cadre de l'Arpe. L'intervention est beaucoup plus prégnante sur la négociation des livreurs à vélo et je m'étonne que quelqu'un vous ait dit que l'Arpe n'intervenait pas. Elle est d'ailleurs encore intervenue la semaine passée lors d'une négociation visant à amener des éléments de compréhension supplémentaires. En outre, la négociation sectorielle s'opère sur les mêmes bases que dans une convention collective de branche. Concrètement, un accord signé par 30 % est validé. Par conséquent, Uber ne doit pas obligatoirement être signataire d'un accord pour qu'il soit validé. Cependant, elle a la possibilité de s'y opposer. Par exemple, si la FTTPR signait un accord seule et qu'Uber ne s'y opposait pas, il pourrait entrer en vigueur. Enfin, les négociations sont menées par des personnes qui souhaitent développer le dialogue social : cet enjeu est partagé et porté collectivement afin d'améliorer les conditions de travail et de rémunération des travailleurs des plateformes.

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Il y aurait beaucoup à en dire car, lorsqu'un accord est trouvé dans le cadre d'une convention collective, il s'applique. L'Arpe n'offre cependant pas la même garantie. J'aurais aussi aimé vous poser d'autres questions, qui vous seront transmises par écrit. Par exemple, nous nous questionnons notamment sur les stratégies de pression ou de corruption de chauffeurs VTC pour participer à des manifestations qui ont pu avoir lieu par le passé. Nous nous intéressons également aux problématiques liées à la directive européenne de présomption de salariat. Vous pouvez évidemment nous fournir des éléments supplémentaires d'information si vous le souhaitez.

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Messieurs, je vous remercie de vous être rendus disponibles pour cette audition. Nous ferons peut-être encore appel à vous, car nos travaux se poursuivent encore pendant quelques mois.

La séance s'achève à 18 heures 35.

Membres présents ou excusés

Présents. – M. Benjamin Haddad, M. Stéphane Peu, Mme Danielle Simonnet, Mme Sophie Taillé-Polian.

Excusés. – Mme Aurore Bergé, Mme Anne Genetet, Mme Amélia Lakrafi, M. Olivier Marleix, Mme Valérie Rabault, M. Charles Sitzenstuhl.