La réunion

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La réunion commence à seize heures cinquante.

La commission spéciale auditionne, lors d'une table ronde sur les enjeux philosophiques et sociologiques du projet de loi, M. Philippe Bataille, professeur de sociologie, directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales, M. Damien Le Guay, philosophe, président du Comité national d'éthique du funéraire, et M. Frédéric Worms, professeur de philosophie, directeur de l'École normale supérieure (ENS-PSL).

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Nous accueillons pour cette table ronde sur les enjeux philosophiques et sociologiques que présente le projet de loi MM. Philippe Bataille, professeur de sociologie et directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales, Damien Le Guay, philosophe et chargé d'enseignement à l'espace éthique de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris, et Frédéric Worms, professeur de philosophie et directeur de l'ENS-PSL.

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Philippe Bataille, professeur de sociologie, directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales

La société française attend des débats apaisés sur la fin de vie. Elle s'est exprimée plusieurs fois : avec la Convention citoyenne certes, mais aussi avec le Conseil économique, social et environnemental et le Comité consultatif national d'éthique. La sociologie s'intéresse fondamentalement à la solidarité sociale, notion fondamentale mise à jour par Émile Durkheim. Ce principe d'action élève la capacité sociale de tous les membres de la société à se réunir et à s'unir, particulièrement à travers la loi et l'éducation. Pour la sociologie, la loi ne doit pas être faite pour un seul, mais un seul d'entre nous peut solliciter toute la loi à un moment de son existence sans nécessairement y avoir pensé auparavant.

Une loi explicite sur l'aide à mourir doit permettre d'éviter des fracas médiatiques ou des procès pénibles. À ce titre, la loi de 2002 sur le droit des malades a profondément modifié la relation à la médecine, les parcours de soins, la participation et même la responsabilité des malades dans des étapes cruciales de leurs soins. Il est essentiel de prendre en compte la centralité de la parole de ceux qui réclament éventuellement de mourir. Un court dialogue avec le patient, une proposition explicitement établie d'une sédation, permet aujourd'hui de déclencher la mort et soulage souvent sans douleur. Mais tel n'est pas toujours le cas.

Le projet de loi souligne le principe de l'autorité médicale pour enclencher une procédure d'accompagnement à mourir. Je ne discute pas sa centralité. Mais j'interroge l'unité du monde médical qui a fait part de tensions internes sur la conduite à tenir et sur la gestion de situations qui mobilisent bien souvent des principes éthiques et engagent jusqu'à la subjectivité de ceux qui accompagnent, activement ou non. Une thèse que je dirige actuellement montre que les principales tensions éthiques dans la formation des infirmiers dans les établissements spécialisés portent sur l'arrêt des traitements, que les malades peuvent demander depuis 2002. De fait, les capacités d'accompagnement d'un mourant engagent la subjectivité des soignants, des aidants et de ceux qui l'entourent, en fonction de leur appartenance, leurs références religieuses, mais aussi leur formation, leur expérience, la spécialité exercée ou l'équipe médicale à laquelle ils appartiennent. La loi ne soustraira pas les soignants à leur engagement personnel auprès des malades.

C'est la raison pour laquelle il faut laisser l'arbitrage aux malades, en lien avec ses interlocuteurs et en posant évidemment les limites qui n'entravent pas celles que chacun d'entre nous est en droit d'établir pour son existence. Laisser une plus grande place à la parole du malade, à la relation d'aide et de soins au moment d'arrêter un traitement questionne effectivement la capacité d'accompagner activement avec une euthanasie ou un suicide assisté la mort qui se réclame. La médecine n'a pas l'unité que l'application de la loi envisage probablement, mais que les Français attendent dans son exercice. Aujourd'hui, c'est l'unité et l'espace d'implication de la médecine – sans que l'auto-administration ne soit nécessairement la seule figure imposée – qui sont sollicités.

La comparaison internationale atteste que la loi ne résout pas tout, mais l'on ne peut opposer les difficultés rencontrées ailleurs pour bloquer une loi effectivement réclamée aujourd'hui.

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Damien Le Guay, philosophe, président du Comité national d'éthique du funéraire

Il existe une division forte dans le camp de ceux qui sont favorables à une évolution de la loi en faveur d'une aide à mourir, entre ceux qui considèrent que l'euthanasie et le suicide assisté peuvent devenir une modalité parmi les autres de mourir, et ceux qui estiment que l'évolution doit s'accompagner de verrous, de conditions préalables. Il me semble que l'on ne peut pas considérer la mort comme une valeur positive et donner la mort, de quelque façon que ce soit, comme une manière comme une autre de mourir. Comme Claire Fourcade l'a souligné devant vous, une autre solution est possible : celle du suicide assisté tel qu'il est pratiqué en Oregon ou en Suisse.

Pour ma part, l'idée que le présent projet de loi s'inscrive dans la continuité des lois précédentes me semble problématique. Il existe une différence de nature entre ceux qui vont mourir et ceux qui veulent mourir, entre une médecine d'accompagnement jusqu'à la mort et une médecine qui donne la mort comme un soin, entre un État qui place les droits de l'homme au cœur de ses principes et un État qui fixe les conditions d'une mort légale et légitime, entre une dignité inconditionnelle et une dignité révisable qui permette à quelqu'un de se juger lui-même indigne de continuer à vivre, entre une prise en charge maximale de la souffrance et la mort donnée comme un arrêt de la souffrance, entre une prise en charge de la pulsion de mort et une résignation face à cette pulsion, entre ceux qui tiennent compte de l'ambivalence psychique face à la mort et ceux qui la minimisent. À ce titre, le président de l'Académie de médecine a souligné que les psychiatres sont les grands oubliés de ce projet de loi.

Ensuite, le choix sémantique de privilégier dans le projet de loi le terme d'aide à mourir plutôt que de parler d'euthanasie et de suicide assisté me semble relever d'une euphémisation inquiétante. En outre, les expériences étrangères attestent bien de l'augmentation des demandes et des dérives existantes par rapport au projet initial.

Par ailleurs, le projet est aussi promu au titre d'une supposée fraternité. Mais, pour ne parler que de ce qui se passe depuis sept ans, la fraternité qui supposerait de donner des moyens massifs pour les soins palliatifs, les hôpitaux psychiatriques, les 200 000 tentatives de suicide annuelles en France et la prise en charge de la souffrance, fait défaut.

En outre, comment mener à bien cette aide à mourir quand 76 % des soignants sont inquiets, 90 % ne veulent pas injecter de solution létale, 90 % prédisent des conflits et 22 % des médecins veulent quitter le métier, ainsi que Claire Fourcade l'a rappelé devant vous ?

Enfin, il me semble erroné de dire que le droit donné à certains n'entraînerait pas d'effet sur le reste. L'effet Werther est bien connu en matière de suicide mimétique. Les exemples du Canada et des Pays-Bas témoignent d'un effet de contagion sur d'autres demandes liées à la lassitude, à la souffrance existentielle, au sentiment d'être de trop, à la solitude. Pour conclure, je trouve étonnant que le projet associe à la fois les soins palliatifs et l'aide active à mourir, considérant qu'en l'état, le plan que vous allez vraisemblablement voter ne propose qu'une augmentation de 6 % du budget.

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Frédéric Worms, professeur de philosophie, directeur de l'École normale supérieure (ENS-PSL)

Le point majeur que je souhaite développer concerne à la fois le lien et la différence entre l'aide à mourir et le soin, l'aide à mourir et l'aide à la fin de vie. Je le ferai à travers trois éléments : la question du principe, la question de la pratique, enfin la loi et la projection qu'en fait chacun pour lui-même.

Premièrement, l'aide à mourir n'est légitime qu'en fin de vie. Pour être légitime, elle suppose de maintenir, au-delà des contradictions qu'il implique, le principe premier de l'éthique – en particulier de l'éthique médicale –, celui de la lutte des humains contre la mort. Il est heureux que ce texte comporte des verrous car, si l'on ne croit pas aux verrous, on ne croit plus à la loi. Je pense que la demande d'aide à mourir ne doit pas contredire la lutte contre la mort. Au contraire, elle atteste que le malade est arrivé à une limite critique.

En matière de bioéthique, le mot « aide » désigne une contradiction. Selon moi, il ne s'agit plus d'un soin, et pourtant il représente une réponse à une demande, à une souffrance. En effet, le soin est une lutte contre la mort – par défaut contre la souffrance, comme dans le soin palliatif – et ne peut pas viser son contraire, c'est-à-dire le geste actif qui conduit à la mort, sans se contredire profondément. Pourtant, cette aide requiert malgré tout les soignants, qui vont être amenés légitimer et peut-être à accompagner la demande du malade. Je pense aussi que le mot « aide » permet de contourner la surdétermination des mots « euthanasie » et « suicide ». Ce concept extrêmement précis doit donc être distingué du soin, sans pourtant en faire un geste barbare, et qui est demandé non comme un bien, mais comme un moindre mal. En résumé, il ne faut jamais séparer d'une part l'aide à mourir de la fin de vie, et d'autre part le soin ; mais il faut marquer leur différence. À ce sujet, la continuité et la distinction des deux chapitres du projet de loi me paraissent cohérentes.

Le deuxième point concerne la pratique : ce lien et cette différence entre fin de vie et soin se traduit par une situation presque intenable, impossible, mais pourtant nécessaire, pour les soignants. Le médecin peut et doit pouvoir dire que cela n'est plus du soin et, en même temps, il est le seul à donner les critères pour lesquels cela n'en est plus un. À cet effet, la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs joue un rôle clef. Les médecins ont à marquer à la fois une forme de distinction et une responsabilité profonde. Sans le critère médical, nous risquons toutes les dérives.

Enfin, troisièmement, pourquoi une loi est-elle nécessaire ? Je crois que des verrous sont impératifs pour maintenir l'aide à mourir dans la fin de vie, mais qu'il faut également une loi. Si le problème de la décision extrême dans les cas tragiques en fin de vie concerne très peu de personnes en pratique, chacun se projette dans cette situation. C'est la raison pour laquelle les sondages font état d'une forte demande des Français pour cet espace de parole, en espérant que tout sera fait pour éviter d'y être conduit soi-même et éviter d'y accompagner les autres.

En conclusion, le lien entre l'aide à mourir et le soin implique de dégager un espace minimal pour l'aide à mourir et un espace maximal pour le soin, lequel n'encourage pas seulement une loi sur le soin palliatif mais sur le soin en général, qui mobilise la société autour des soins palliatifs, de la prévention, de la santé publique, la santé physique et mentale. La force d'une législation démocratique est d'assumer les contradictions humaines. Je pense que dans cette forte loi sur le soin, qui dégage les critères de cet espace minimal et critique, sont conciliées les exigences contradictoires auxquelles tout être humain et toute société démocratique sont confrontés.

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Je vous remercie pour vos interventions éclairantes. Partagez-vous l'avis 139 du Comité consultatif national d'éthique (CCNE) lorsqu'il affirme qu'il existe une voie pour une application éthique d'une aide active à mourir selon certaines conditions strictes ?

Comment percevez-vous les conditions d'accès, que l'on peut considérer comme des verrous ? Sont-elles trop restrictives ou, à l'inverse, insuffisamment restrictives ? L'aide à mourir peut-elle être considérée comme un geste de fraternité ? Enfin, contre qui se ferait éventuellement la conquête du droit de ne pas souffrir et de ne pas subir ?

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Les opposants de ce projet de loi l'accusent de provoquer une rupture anthropologique. Monsieur Bataille, celui qui demande cette aide à mourir trahirait-il la société des vivants ? N'existe-t-il pas un rejet manifeste de celui qui ose le geste ?

Monsieur Le Guay, je suis d'accord avec vous sur l'idée que tous les verrous finissent par sauter, comme en témoigne l'histoire de l'évolution du droit des femmes ou du droit des malades.

Monsieur Worms, vos propos rejoignent ceux de Fabrice Gzil. Selon lui, l'aide à mourir n'est pas un soin, mais la reconnaissance partagée par les patients et les médecins d'une finitude partagée, à la fois finitude des soins et finitude de l'existence.

Enfin, l'aide active à mourir est-elle un humanisme ?

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Monsieur Le Guay, pourquoi qualifiez-vous l'aide à mourir comme une approche euphémisante ? Selon moi, la loi ne se cache pas dans la mesure où l'aide à mourir concerne à la fois ceux qui ne sont même plus capables de s'auto-administrer la substance létale et, dans la majorité des cas, les patients qui feront ce choix d'agir par eux-mêmes. S'agit-il de votre part d'un jugement de valeur ou d'une véritable approche philosophique ?

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Monsieur Worms, puisque pour vous l'aide à mourir n'est plus un soin, comment considérez-vous l'article 11 du projet qui prévoit que l'administration de la substance létale s'effectue en présence du soignant, ou par le soignant ou par une personne volontaire ?

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Frédéric Worms, professeur de philosophie, directeur de l'École normale supérieure (ENS-PSL)

Le terme d'accompagnement que mentionne la loi montre que l'on a besoin du médecin pour établir des critères, dans un rôle qui n'est plus exactement celui du soin. Il faut assumer cette contradiction entre la lutte contre la maladie ou la souffrance et le respect de la liberté. J'observe déjà cette contradiction dans la loi Kouchner avec le refus par le patient d'un traitement qui pourrait lui sauver la vie. Elle est une épreuve et elle doit à ce titre être circonscrite.

J'éviterai de parler de rupture anthropologique : il me semble très grave d'accuser ceux qui demandent l'aide à mourir en ayant lutté contre la mort de promouvoir des valeurs de mort. Certains droits sont conquis contre des tyrans, des injustices. Ici, il me semble que la possibilité est conquise comme un moindre mal contre le tragique. Enfin, j'assume la nécessité des verrous juridiques, c'est-à-dire des conditions d'accès, qui sont assez présentes dans l'avis du CCNE.

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Philippe Bataille, professeur de sociologie, directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales

Je partage effectivement la conclusion de l'avis 139 du CCNE concernant la nécessité d'une loi pour faire évoluer la situation. J'insiste sur l'implication de la médecine que prévoit cette loi. De mon point de vue, il faut énoncer des conditions d'accès en sachant que le débat ne sera pas totalement stabilisé et que des évolutions seront possibles.

Face aux critiques concernant la fraternité, d'une manière générale, les luttes d'émancipation se traduisent par des droits, qui marquent le progrès d'une société. On peut penser à ce titre aux droits conquis comme les droits de l'enfant, du consommateur ou des usagers du système de soin.

L'accusation de rupture anthropologique est pour moi excessive. J'ajoute que la plus grande critique portée aujourd'hui contre l'anthropologie est son anthropocentrisme, en n'évoluant même pas de manière suffisamment comparative. À ce sujet, la crémation a, quant à elle, pu être évoquée comme une rupture anthropologique.

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Damien Le Guay, philosophe, président du Comité national d'éthique du funéraire

Madame Maillart-Méhaignerie, j'estime que la question de l'euphémisme constitue une véritable question politique avant d'être rhétorique. Le débat doit être clair. Or, partout ailleurs dans le monde, il est question d'euthanasie et de suicide assisté. Proposer une solution qui n'est pas clairement définie, introduire une confusion entre l'aide active à mourir qui va du côté de la mort et l'aide active à mourir qui porte sur le soin palliatif me semble être effectivement une tromperie dans le cas de malades en fin de vie.

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Damien Le Guay, philosophe, président du Comité national d'éthique du funéraire

Lorsque la ministre Catherine Vautrin explique qu'il ne s'agit pas de suicide assisté ou d'euthanasie, j'estime bien qu'il y a tromperie sur la marchandise.

Monsieur Martin, vous allez dans mon sens lorsque vous dites que derrière les lois figurent le progressisme et la marche en avant de l'égalité, qui font sauter tous les verrous. Par conséquent, puisque tous les verrous ont vocation à sauter, il en sera de même pour ceux de ce projet de loi.

S'agissant de l'avis 139 du CCNE, je m'inscris délibérément du côté de ceux qui ont émis une réserve et insisté sur les prérequis indispensables et préalables, qui supposent qu'une aide active à mourir « ne relève ni d'un défaut de soin, ni d'un déficit de connaissance et préserve ainsi l'intégrité du principe éthique fondamental du consentement libre et éclairé ».

Je me suis effectivement permis d'opposer la fraternité large du cadre général des personnes mourant chaque année en France et celles qui sont en situation de fragilité avec la coquecigrue d'une fraternité étroite et restreinte. S'agissant des conquêtes, les soins palliatifs se sont historiquement développés contre le paternalisme médical, lorsque les médecins décidaient sans concertation, sans avis, de qui devait mourir et qui devait vivre. Je redoute que cette conquête ne soit remise en cause par le projet de loi dont nous parlons, qui met par ailleurs en avant des ennemis imaginaires ou réels.

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Que dit ce texte de notre société ? La force de la demande sociétale en faveur d'une évolution constitue-t-elle une marche vers le progrès ou est-ce plus ambigu ?

Monsieur Worms, vous considérez que les soignants – quoi qu'il leur en coûte – sont les partenaires essentiels de la mise en œuvre de cette loi. Mais estimez-vous que les proches peuvent administrer la substance létale lorsque le patient n'est pas capable de le faire lui-même ?

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Ne pensez-vous pas que notre système de santé permettra de restreindre l'application du texte de loi à quelques cas exceptionnels ? Le fait que ce texte prévoie la réitération de la demande jusqu'au dernier moment ne constitue-t-il pas un verrou suffisant ?

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Monsieur Bataille, dans tous les pays qui ont autorisé la mort programmée, l'accessibilité n'a fait que croître, quel que fût l'encadrement initial des critères par le législateur. Un sondage de 2023 a révélé que 28 % des Canadiens ne voient aucun mal à ce qu'un sans-abri demande à bénéficier d'une aide à mourir même s'il ne souffre d'aucun problème de santé, et 27 % l'admettraient pour les situations de pauvreté. Comment réagissez-vous à ces chiffres inquiétants ?

Monsieur Worms, la législation du suicide assisté et de l'euthanasie constitue-t-elle la priorité du moment à l'heure où notre système de santé souffre d'une crise profonde ?

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Monsieur Bataille, vos travaux soulignent qu'une partie de l'éthique palliative a été construite en opposition à la mort. Quels concepts permettraient de lever l'opposition entre l'éthique palliative séminale et l'exigence qu'on peut porter aujourd'hui d'aide à mourir dans la dignité ? Ensuite, en un sens, l'aide à mourir dans la dignité s'inscrit dans les revendications de vie et d'accompagnement de dignité de l'individu. Qu'en pensez-vous ?

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Il peut y avoir des situations de maladie incurable pour lesquelles le pronostic vital n'est pas immédiatement engagé. Monsieur Worms, acceptez-vous de ne pas conditionner maladie incurable et pronostic vital engagé ?

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Monsieur Worms, l'aide à mourir ne constitue-t-elle pas l'ultime liberté de disposer de son corps jusqu'à la dernière seconde ?

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Monsieur Le Guay, tous les verrous ne sautent pas. Le délai d'avortement demeure et il n'est pas menacé par les députés que nous sommes. Ces verrous sont des bornes à l'intérieur desquels nos droits s'exercent. Dans le projet de loi, ils sont clairs et déterminés. Je ne comprends pas pourquoi vous les soupçonnez d'être fragiles en regard de l'opinion publique aujourd'hui.

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N'est-il pas paradoxal que la mort soit à la fois omniprésente dans les débats alors que nous y sommes de moins en moins exposés, à part les employés des pompes funèbres et les soignants ? Comment comprenez-vous la passion des débats actuels ?

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Monsieur Bataille, que répondez-vous à ceux qui estiment que la reconnaissance d'une aide active à mourir peut générer des discriminations systémiques à l'intérieur du système de santé ou du système médico-social, en participant d'une opportunité « âgiste » ?

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Des voix importantes se font entendre afin que le critère relatif au pronostic vital engagé soit d'ores et déjà levé, afin d'empêcher toute discrimination dans l'accès à l'aide active à mourir et remplir une promesse d'égalité républicaine. Selon vous, s'agit-il d'une possibilité à court ou moyen terme ?

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Monsieur Worms, je partage l'interrogation de ma collègue Simonnet : qu'en est-il de la souffrance insupportable de certaines pathologies dans lesquelles le pronostic vital n'est pas engagé ? La mort ne peut-elle être un remède à la souffrance, quelle qu'en soit la temporalité ?

Monsieur Le Guay, pourquoi ne pas entendre et comprendre que lorsque la vie est invivable, l'aide active à mourir puisse être un acte d'amour, fraternel, voire solidaire ?

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Monsieur Bataille, êtes-vous favorable à faire sauter les verrous ? Je suis, comme Monsieur Le Guay, inquiète, car j'estime que cette revendication sera rapidement sur la table.

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À force de craindre que ces verrous ne cèdent, ne risquons-nous pas de ne plus légiférer pour obtenir de réelles avancées sociales ?

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Frédéric Worms, professeur de philosophie, directeur de l'École normale supérieure (ENS-PSL)

Je suis impressionné par la richesse de vos questions. En éthique médicale, il faut, selon moi, toujours partir du négatif et, sans imposer une version unique du bien, s'accorder a minima sur une « boussole », une lutte contre des maux avérés et reconnus comme communs. Il peut s'agir de risques climatiques et pandémiques, du retour de la guerre. À ce titre, pour répondre à M. Le Gendre, ce texte me semble accompagner la volonté de lutter contre le négatif et de circonscrire les sphères où il est inévitable. Ceci n'empêche pas de définir simultanément une positivité de la vie, qui ne se réduit pas à la survie, à la lutte contre la mort.

Selon moi, des verrous devront effectivement être déterminés – au moins dans des textes d'application et avec l'aide des médecins – et au premier chef au sujet de la dimension temporelle. À ce titre, la définition du moyen terme constituera le point le plus difficile de la loi, ou du moins de son application.

Enfin, même si le geste létal n'est pas du soin, je pense malgré tout qu'il revient à une personne soignante de l'administrer plutôt qu'à un proche.

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Damien Le Guay, philosophe, président du Comité national d'éthique du funéraire

Monsieur Le Gendre, ce débat mobilise effectivement pour plusieurs raisons : la peur de la mort conduisant à vouloir la banaliser, le fait que nos sociétés soient des sociétés de maîtrise, le refus du tragique. La mort est devenue une question médicale et non plus avant tout une question familiale ou spirituelle.

Madame Cristol, le projet de loi parle de volonté « libre et éclairée », ce qui est plus que questionnable dans des situations d'abandon et de fragilité où, effectivement, la personne existe aussi en fonction du regard d'autrui. Régis Aubry, membre du CCNE, précise bien que « les demandes d'aide active à mourir sont rarement l'expression d'une volonté, mais d'un épuisement, d'une souffrance, que nous avons l'obligation morale et médicale d'interroger et de soulager ».

Pourquoi suis-je conduit à penser que les verrous sauteront ? Jean-François Delfraissy a lui-même indiqué qu'une autre loi viendrait compléter celle-ci, avec d'autres demandes. De fait, il n'existe pas un seul exemple étranger dans lequel les verrous d'origine ont tenu longtemps. En outre, à partir du moment où l'aide à mourir est sortie du champ de la fin de vie et du pronostic vital engagé, tout devient possible. Or, les études montrent que les personnes qui demandent aujourd'hui de manière persistante cette aide active en raison de leur situation médicale sont de l'ordre de 1 %. Mais l'offre crée la demande et, dans certains cantons des Pays-Bas, cette demande est désormais de 15 %. Imaginer que les verrous ne sauteront pas revient à se tromper soi-même. La demande sociétale est trop forte.

Madame Rilhac, vous avez questionné la possibilité de cette aide active comme un acte d'amour, lorsque la vie devient invivable. À quel moment le législateur et l'État peuvent considérer une vie invivable ? Je ne sais pas ce que cela veut dire : ce qui est perçu invivable à un moment peut ne plus l'être ensuite grâce à l'aide, au partage de projets de vie. Enfin, selon moi, la compassion qui supposerait que l'on donne la mort par acte d'amour se heurte à la culpabilité gigantesque qui en résulterait.

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Philippe Bataille, professeur de sociologie, directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales

Monsieur Le Gendre, vous avez demandé ce que le projet de loi disait de notre société. Il me semble qu'il s'agit d'exprimer une solidarité de tous à l'égard d'un seul. La mort reste un événement privé, intime, mais les maisons d'accompagnement peuvent s'intéresser à la question du deuil.

Vous avez également demandé si les proches non soignants peuvent administrer la substance létale. Tout dépend du cadre général. En Suisse, le rôle des associations est incontournable. Elles rassemblent non seulement les proches, mais aussi des médecins. Pour ma part, je partage l'avis de M. Worms : il faut une implication de la médecine et du soignant jusqu'au bout.

La situation canadienne et ses conséquences « inflationnistes » ont également été mentionnées, avec l'accent mis sur une dérive qui conduirait à se débarrasser de la personne isolée. Cet acte porte un nom – l'assassinat – et la loi s'en occupe. Par ailleurs, l'élément opérationnel permettant d'actionner la loi et tous les principes qui la soutiennent porte à mes yeux sur la notion de droit des malades, en lien avec la loi de 2002 sur l'arrêt des traitements, laquelle constitue à mes yeux le véritable big bang législatif.

Ensuite, j'accolerais volontiers la notion de limite à celle de verrou, en particulier la limite que l'on donne à sa propre existence. Quand on donne des limites à son existence et qu'on les atteint, on les repousse encore un peu jusqu'au moment où la vie n'est plus supportable, où l'invivable déborde.

Depuis une vingtaine d'années, la société a particulièrement débattu de la notion de fin de vie et de la capacité des uns et des autres à nommer un certain nombre d'éléments. Mes travaux m'ont conduit à creuser ce que j'appelle une sociologie du sujet vulnérable, qui consiste à conserver aux plus faibles leur qualité de sujets et leurs droits de citoyens, notamment la capacité de s'exprimer sur leur propre mort.

En conclusion, les discussions de ce jour portent finalement sur une situation profondément humaine avant d'être sociale pour trouver – ce qui demeure difficile – un support légal à cette situation. Pour ceux qui ont fait ce choix, se rendre à l'étranger visait à mourir dans le cadre de la loi, et non clandestinement. Je pense à Paulette Guinchard-Kunstler. Quand, toute sa vie, on a exercé dans le cadre de la loi, on ne peut pas mourir en dehors.

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Je vous remercie de votre participation à ces échanges de grande qualité.

La réunion s'achève à dix-huit heures quarante-cinq.

Présences en réunion

Présents. – Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Christophe Bentz, Mme Anne Bergantz, M. Hadrien Clouet, Mme Laurence Cristol, Mme Christine Decodts, M. Stéphane Delautrette, M. Jocelyn Dessigny, Mme Sandrine Dogor-Such, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Olivier Falorni, Mme Elsa Faucillon, Mme Caroline Fiat, Mme Agnès Firmin Le Bodo, M. Thierry Frappé, Mme Annie Genevard, M. Raphaël Gérard, M. François Gernigon, M. Jérôme Guedj, Mme Marine Hamelet, M. Philippe Juvin, M. Gilles Le Gendre, Mme Élise Leboucher, Mme Brigitte Liso, Mme Laurence Maillart-Méhaignerie, M. Didier Martin, M. Julien Odoul, Mme Michèle Peyron, M. Sébastien Peytavie, M. René Pilato, Mme Christine Pires Beaune, Mme Lisette Pollet, M. Jean-Pierre Pont, Mme Natalia Pouzyreff, Mme Cécile Rilhac, Mme Danielle Simonnet, M. Nicolas Turquois, M. Philippe Vigier

Excusée. – Mme Lise Magnier

Assistaient également à la réunion. – Mme Claire Colomb-Pitollat, Mme Maud Gatel, Mme Sandrine Rousseau