La réunion

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La réunion commence à seize heures quarante.

La commission spéciale auditionne, dans le cadre d'une table ronde avec les acteurs du soin à domicile, M. Jean-Marc Venard, vice-président, et le Dr Éric Kariger, président de la commission médiale et soins du Syndicat national des établissements, résidences et services d'aide à domicile privés pour personnes âgées (Synerpa), M. Didier Pagel, président de la commission Soins, et Mme Anne Richard, responsable Affaires publiques et médico-social de la Fédération française de services à la personne et de proximité (Fedesap), Mme Laure Hubidos, présidente du Collectif national des maisons de vie, Mme Françoise Ellien, directrice de l'Équipe mobile de soins palliatifs de l'Essonne (SPES), et M. Pascal Champvert, président de l'Association des directeurs au service des personnes âgées (AD-PA)

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Nous accueillons pour cette table ronde les acteurs du domicile, que nous souhaitons entendre en particulier sur les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), sur les maisons d'accompagnement, qui apparaissent dans le projet de loi et suscitent beaucoup de questions, ainsi que sur les services à la personne et de proximité.

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Laure Hubidos, présidente du Collectif national des maisons de vie

Je tiens en premier lieu à vous faire part de mon émotion. Être entendue aujourd'hui représente, pour moi, l'aboutissement de vingt ans de batailles et d'engagement citoyen. J'aimerais également remercier Mme Firmin Le Bodo pour le travail effectué l'an dernier, et l'attention qu'elle et son cabinet ont portée à la question des maisons de vie.

Il y a vingt ans, j'ai eu l'idée de créer un lieu alternatif entre l'hôpital et le domicile, forte de mon expérience de bénévole en unité de soins palliatifs et à domicile. Ainsi sont nées les maisons de vie, qui ont vocation à combler un manque entre l'hôpital et le domicile, en particulier pour les personnes contraintes à des allers-retours entre le domicile et les unités de soins palliatifs, et permettre aux personnes de vivre ce qu'elles ont à vivre jusqu'au bout.

N'étant pas issue du milieu médical, je me suis investie dans ce projet en tant que citoyenne et dans le prolongement de mon engagement de bénévole d'accompagnement. La première maison de vie a ouvert ses portes à Besançon en 2011, après huit années d'un travail mené avec l'agence régionale de santé (ARS) Bourgogne-Franche-Comté, le département du Doubs puis le ministère de la santé, puisque cette ouverture intégrait une expérimentation nationale dans le cadre d'un plan national sur les soins palliatifs. Cette structure unique en son genre, puisque ne relevant ni du sanitaire, ni du médico-social, a rencontré toutes les difficultés que rencontrent les structures hybrides. Elle était avant tout dédiée à l'accompagnement humain et social.

Les maisons de vie présentent de nombreuses similitudes avec les maisons d'accompagnement telles qu'elles sont décrites dans le projet de loi. Les personnes qu'elles reçoivent sont accompagnées jusqu'à leur décès, ou le temps de séjours de répit, avec la possibilité de retourner à leur domicile puis de revenir à la maison de vie afin d'y terminer leurs jours. Le rôle des bénévoles est crucial dans les maisons de vie, il relève de l'accompagnement, mais aussi des activités et des services, permettant aux personnes de réaliser leurs envies.

Les maisons de vie offrent une solution d'aval, en réponse à l'engorgement des services hospitaliers, aggravé par la tarification à l'activité. Elles répondent également à la difficulté de la fin de vie à domicile, dans les cas d'isolement de la personne ou pour faire face à l'épuisement des familles. Ces structures s'inscrivent en complémentarité de l'offre de soins, à l'hôpital et à domicile.

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Pascal Champvert, président de l'Association des directeurs au service des personnes âgées

L'Association des directeurs au service des personnes âgées (AD-PA) rassemble deux mille directeurs d'établissements et de services à domicile, publics, associatifs ou commerciaux. Je signale d'emblée que l'AD-PA a décidé de ne pas prendre position sur le débat qui nous occupe aujourd'hui. L'association n'est ni pour, ni contre l'aide à mourir, d'une part parce qu'elle estime que ce débat relève de la conscience personnelle, d'autre part parce qu'elle rassemble des adhérents aux convictions très opposées sur ce sujet, ce qui fait d'ailleurs sa richesse. Cependant, si le projet de loi sur l'aide à mourir devait être adopté, l'AD-PA fera valoir son attachement au principe de la clause de conscience des professionnels.

Nos sociétés occidentales sont profondément âgistes, et les discriminations sur l'âge y jouissent d'une impunité telle que dénoncer l'âgisme passe pour une anomalie. Je considère qu'il est important de garder en tête cette réalité sociétale dans un débat sur l'aide à mourir.

Les partisans et les opposants à l'aide à mourir ont en commun de souhaiter un développement des soins palliatifs, et il s'agit là de la première de nos préoccupations. Le Gouvernement a fait des promesses sur ce sujet, mais nous restons très attentifs quant à leur concrétisation. Je rappelle, pour terminer, que 70 % des personnes qui décèdent en France ont plus de 70 ans.

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Françoise Ellien, directrice de l'Équipe mobile de soins palliatifs de l'Essonne

Nous avons créé en Essonne l'un des dix premiers réseaux de soins palliatifs rendus possibles par la loi Kouchner de 2002, et qui aujourd'hui s'appellent les équipes mobiles de soins palliatifs territoriaux. Ces équipes pluridisciplinaires, dont le nombre s'élève à plus de 460 en France, interviennent à domicile et dans tous les lieux de vie, qu'ils relèvent du médico-social ou du social. Elles travaillent pour tous les âges de la vie, et pour tous types de pathologies.

La baisse de la durée moyenne des séjours à l'hôpital nous met face à cette réalité : certains patients, même atteints d'un cancer ou d'une maladie neurologique dégénérative, ne passent pas une seule nuit à l'hôpital au cours de leur parcours de santé. Autrement dit, ils sont à domicile, c'est-à-dire dans un lieu qui ne peut assurer une sécurité et une qualité des soins qu'à la condition de bénéficier de la présence d'acteurs du domicile suffisamment rémunérés au regard de leur mission.

Hors de l'hôpital, l'empilement et la complexité des dispositifs entraînent une confusion extraordinaire. Les dispositifs innovants se sont multipliés. Mais pour quels bénéfices ? Quelle évaluation a-t-on faite de la multitude de ces dispositifs ? À mon sens, il est temps de proposer, du moins sur la fin de vie et les soins palliatifs, des filières claires et facilement actionnables, et de garantir un accès aux soins pour tous, quel que soit son territoire.

Penser la question de la fin de vie en termes binaires est le meilleur moyen de ne jamais obtenir de réponses, ni de développer une pensée humaine et solidaire. Répondre à des souffrances complexes suppose de ne pas préjuger de ce qui est bon pour l'autre.

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Anne Richard, responsable Affaires publiques et médico-social de la Fédération française de services à la personne et de proximité

La Fédération française de services à la personne et de proximit é (Fédésap) compte 4 000 adhérents, dont 3 200 services autonomie à domicile, qui accompagnent 670 000 personnes et familles, avec 160 000 aides à domicile. L'accompagnement et la fin de vie sont naturellement au cœur des préoccupations de nos dix-huit commissions thématiques.

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Didier Pagel, président de la commission Soins de la Fédération française de services à la personne et de proximité

En 2023, 23 % des décès sont survenus au domicile. Si ces décès sont de plus en plus souvent accompagnés par des unités de soins palliatifs, ce dont il faut se réjouir, un certain nombre surviennent de manière inattendue. Les aides à domicile sont les plus présents lors de ces décès, et pourtant les moins formés aux problématiques de la fin de vie. Certes, des formations existent, y compris au sein des unités de soins palliatifs, mais elles sont destinées avant tout aux soignants. Nos sociétés ont délégué la fin de vie à la médecine, et l'approche médico-centrée prévaut souvent sur l'accompagnement humain.

Il nous paraît indispensable d'accompagner les aidants, y compris après le décès. En effet, lorsque survient un décès, s'ajoute au deuil la difficulté de faire face, du jour au lendemain, à l'arrêt complet de l'ensemble des services. J'aimerais attirer votre attention sur cette situation où l'aidant se retrouve dans un salon, avec le lit médicalisé, les couches, les alèses, etc., et que vous imaginiez son sentiment de solitude. L'accompagnement des aidants est indispensable, et nos services sont en mesure de répondre à ce besoin.

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Jean Marc Venard, vice-président du Syndicat national des établissements, résidences et services d'aide à domicile privés pour personnes âgées (Synerpa)

Le Syndicat national des établissements, résidences et services d'aide à domicile privés pour personnes âgées (Synerpa) est la première confédération des acteurs privés du grand âge. Elle a été créée en 2001 et rassemble plus de 3 500 adhérents, ce qui représente 170 000 salariés, 300 000 personnes hébergées, 2 000 Ehpad, 1 200 services d'aide à domicile et 300 résidences services.

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Dr Éric Kariger, président de la commission médicale et soins du Syndicat national des établissements, résidences et services d'aide à domicile privés pour personnes âgées

Le secteur de la gériatrie et le monde médico-social souscrit, dans son ensemble, à la volonté affichée par le titre Ier du projet de loi, consistant à renforcer les soins palliatifs et d'accompagnement. Prendre soin de la personne, dans sa dimension physique, psychique, sociale et spirituelle, correspond à l'approche globale de la philosophie palliative, du cure et du care. Cependant, il convient de remarquer que les attentes des nouvelles générations sont probablement différentes de celles des générations très âgées que nous accompagnons aujourd'hui. Nous pouvons désormais mourir directement de la maladie d'Alzheimer, ce qui n'était pas le cas auparavant, parce que nous savons soigner l'insuffisance cardiaque ou rénale, l'infection, la dénutrition, la déshydratation, etc. Dès lors, il revient au législateur d'anticiper les attentes, afin de ne pas subir les stades ultimes et dramatiques des pathologies à pronostic existentiel que les progrès de la médecine ont fabriquées.

Concernant les maisons d'accompagnement, nous nous félicitons que l'essentiel des propositions du rapport rédigé par le Pr Chauvin, intitulé « Vers un modèle français des soins d'accompagnement », ait été reprise dans le projet de loi. Les intervenants précédents ont souligné la difficulté de mourir à domicile, et les maisons d'accompagnement, en tant que tiers lieu, représentent un dispositif intéressant. Cependant, il convient de prêter attention à la situation des Ehpad, qui sont, de fait, des maisons d'accompagnement, et où survient le quart des décès. La création des maisons d'accompagnement doit entraîner une réflexion par rapport aux Ehpad, en termes de complémentarité des populations visées, mais aussi d'équité des moyens mis à disposition.

Aujourd'hui, 99 % des personnes qui entrent dans nos établissements, n'ont pas nommé leur personne de confiance, n'ont pas rédigé leurs directives anticipées et ne disposent pas de ce droit à être entendu le jour où elles ne seront plus en mesure d'exprimer leur volonté. Il nous faut collectivement avancer sur ce point, afin que les nouvelles générations puissent anticiper le drame des maladies chroniques et neurodégénératives.

L'aide active à mourir concerne peu les grands vieillards. Leur mort est le plus souvent une mort douce, à condition de respecter la loi Claeys-Leonetti, c'est-à-dire de mettre en retrait la technique au profit de l'humanité. Cependant, il convient dès à présent d'appréhender les situations de mal-mourir que nous rencontrerons à l'avenir, ainsi que les attentes de nos contemporains qui souhaiteront peut-être, parce que le dolorisme n'est plus de ce monde, anticiper des drames extrêmes. Les directives anticipées précises, argumentées sont déjà légalement opposables. Or, dans votre projet de loi, vous écrivez que l'accès exceptionnel à une aide active à mourir suppose que la personne soit en possession de son discernement, ce qui semble contradictoire avec le principe de la directive anticipée.

Notre expérience montre que les personnes vulnérables risquent tout autant, sinon davantage, l'obstination déraisonnable que l'abandon. S'il est impératif de prêter attention à ces personnes âgées et fragiles, il convient de garder à l'esprit qu'elles sont exposées à la fois à l'excès de soins et à l'insuffisance de soins.

Enfin, nous considérons qu'il convient de démédicaliser la fin de vie, c'est-à-dire engager moins de technique, mais aussi la remédicaliser en humanité. Les médecins et le corps soignant ne peuvent pas abandonner leurs malades, quels que soient les droits que vous accorderez aux patients. Le soignant doit rester cette main qui accompagne jusqu'au bout, nonobstant la clause de conscience et quelles que soient ses convictions personnelles, parce que nous en avons besoin à tous les stades de l'accompagnement, du diagnostic jusqu'à la mort. Nous souhaitons que la loi concilie le techniquement possible et l'humainement souhaitable, pour reprendre les termes de Jean Leonetti, ainsi que l'éthique de l'autonomie et l'éthique de la vulnérabilité. La loi devra également protéger les médecins qui assumeraient, en conscience et en responsabilité, des actes pouvant conduire à la mort. Enfin, elle devra se prémunir contre toute dérive quant à son recours, parce que donner la mort reste un interdit anthropologique et que l'on ne peut le braver, dans la singularité, dans la conscience, qu'en rassurant tous ceux qui craignent les dérives.

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Le Dr Kariger a évoqué, en filigrane de son intervention, la conquête du droit de ne pas souffrir et de ne pas subir l'acharnement thérapeutique et l'obstination déraisonnable. Notre mission, aujourd'hui, consiste à ouvrir la voie à la possibilité de cet ultime recours qu'est l'aide à mourir.

J'aimerais recueillir l'avis des intervenants sur le plan personnalisé d'accompagnement, et plus largement connaître leur perception des soins d'accompagnement et leur rapport avec les soins palliatifs. Je souhaite aussi les entendre sur le faible recours à la sédation profonde et continue jusqu'au décès, qui m'interroge beaucoup, ainsi que sur l'idée d'une clause de conscience collective.

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Madame Hubidos, pourriez-vous nous dire où en est votre projet, quels sont les obstacles qu'il rencontre, et quelles sont ses perspectives d'avenir ?

Madame Ellien, vous avez insisté sur le manque d'évaluation des différents dispositifs, et leur excessive complexité. Que proposez-vous en termes de simplification ?

Docteur Kariger, estimez-vous nécessaire, ou possible de mettre en place des unités de soins palliatifs au sein des Ehpad ?

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Je voudrais souligner, en premier lieu, que la mort est parfois douce, qu'elle ne survient pas toujours dans le contexte des soins palliatifs. Ayant été moi-même aide-soignante, je ne suis pas tout à fait d'accord avec ce qui a été dit à propos de nos formations, qui, à mon sens, sont solides. Concernant les aides à domicile, pensez-vous que compléter leur formation par le diplôme d'auxiliaire de vie sociale les aiderait à affronter les décès ? De même, ne serait-il pas judicieux de mettre fin au statut de faisant fonction d'aide-soignante ?

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Françoise Ellien, directrice de l'Équipe mobile de soins palliatifs de l'Essonne

Je pense qu'il faut introduire dans la culture française la planification anticipée des soins, ou advance care planning. Le plan personnel d'accompagnement devrait permettre au patient, dès l'annonce du diagnostic, de dialoguer avec les médecins et avec l'équipe psychosociale à propos de ce qu'il souhaite.

Lorsqu'elles ont été créées, les directives anticipées étaient perçues comme une sorte d'obligation administrative. Aujourd'hui encore, les professionnels de santé, notamment les gériatres en Ehpad, peinent à les appréhender et sont peu à l'aise pour les évoquer avec les patients, alors que les personnes âgées se montrent souvent rassurées lorsque cette question est abordée. J'insiste, à propos de ces sujets, sur deux mots d'ordre : anticiper et prévenir.

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Laure Hubidos, présidente du Collectif national des maisons de vie

À la maison de vie de Besançon, le plan de soins et d'accompagnement était vraiment l'une de nos priorités dès l'admission des personnes, au même titre que les directives anticipées. Au début, cette volonté a semblé déroutante les équipes accompagnantes et soignantes. Puis, au fur et à mesure de l'expérience, des habitudes ont été prises, à la faveur de l'établissement d'un plan de soins et d'accompagnement impliquant les familles, et réévalué régulièrement avec une équipe pluridisciplinaire.

La maison de vie de Besançon a fait l'objet, lors de sa création, d'un investissement des collectivités territoriales, à l'image de ce que prévoit le projet de loi. Environ 780 000 euros ont été engagés afin d'ouvrir la maison, puis nous avons attiré des fonds privés sous forme de mécénat afin de financer des équipements adaptés. Au terme de l'expérimentation, en 2014, lorsque l'établissement a été pérennisé, l'État nous a demandé d'augmenter sa capacité et les collectivités nous ont à nouveau aidés.

La maison de vie de Besançon n'existe plus aujourd'hui, mais elle a fait des émules. Une vingtaine de projets sont actuellement en cours, portés par notre collectif. Ils se heurtent toutefois à la difficulté des ARS à les appréhender. C'est la raison pour laquelle le projet de loi, ouvrant la voie à la création des maisons d'accompagnement, est fondamental. Il conférera une assise légale à ces établissements, qui apportent une véritable plus-value sur le plan humain et qu'il convient de sécuriser sur le plan médical.

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Pascal Champvert, président de l'Association des directeurs au service des personnes âgées

Mme Fiat a raison : certaines personnes meurent sans nécessiter un accompagnement de fin de vie ou des soins palliatifs. Mais cela ne rend pas tolérable l'insuffisance de l'accompagnement des personnes âgées. L'âgisme, profondément ancré dans nos sociétés, nous incite à penser qu'il existe toujours une cause plus importante que celle des personnes âgées.

Concernant l'hypothèse d'une clause de conscience collective soulevée par M. Falorni, je peine à imaginer quelle forme cette clause pourrait prendre. Il nous semble que la clause de conscience, par définition, est plutôt individuelle.

Les établissements accueillant des personnes âgées sont fondamentalement des domiciles, ce que montre bien le droit reconnu d'y posséder un animal de compagnie. Les personnes qui y vivent sont des citoyens de la République. Dès lors, si l'on est opposé à l'aide à mourir dans la société, alors on doit l'être au sein des établissements, par souci de cohérence.

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Didier Pagel, président de la commission Soins de la Fédération française de services à la personne et de proximité

La formation des aides-soignantes comprend des stages à l'hôpital, contrairement à la formation d'auxiliaire de vie sociale. Même lorsqu'elle est dispensée dans le cadre d'un apprentissage, celle-ci a lieu au sein d'une structure d'aide à domicile, où les cours sont essentiellement basés sur des aspects sociaux. Jamais la question de l'accompagnement de fin de vie n'y est abordée.

Vous avez raison, madame Fiat, de rappeler que certaines morts sont douces. Cependant, si l'aide à domicile, en l'absence de soins palliatifs, n'est pas en mesure de repérer des signes de souffrance, cette mort peut sembler douce alors que la personne est morte en souffrant. C'est la raison pour laquelle la question de la formation nous semble centrale.

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Dr Éric Kariger, président de la commission médicale et soins du Syndicat national des établissements, résidences et services d'aide à domicile privés pour personnes âgées

Concernant le faible recours à la sédation profonde et continue jusqu'au décès, je pense que cette pratique n'est pas éloignée de l'aide active à mourir. Certains professionnels, pour qui donner la mort est un interdit, considèrent qu'endormir, c'est déjà donner la mort. Nous confondons trop souvent nos convictions avec les attentes des malades.

Je considère que le corps médical ne s'implique pas suffisamment dans l'accompagnement, qui commence au diagnostic et s'achève au décès. Le professionnel de santé a pour devoir de se laisser guider vers le malade, compte tenu des données scientifiques et des possibilités d'accompagnement, et de lui offrir la solution la plus favorable, ou la moins défavorable.

La clause de conscience collective pose un problème déontologique. En effet, aucun supérieur hiérarchique ne peut obliger un médecin à aller contre ce que lui ordonne sa conscience. Il convient de garantir l'indépendance intellectuelle, déontologique et de conscience du médecin, qui engage sa responsabilité de manière purement individuelle.

Par ailleurs, je vous demande de vous montrer attentifs aux critères de la collégialité, qui me semblent plus fragiles que dans la loi de 2016. L'intelligence collective est le meilleur rempart contre les dérives.

Enfin, les Ehpad pourraient, sous réserve de résoudre des questions réglementaires et financières, pratiquer l'hébergement temporaire. Il pourrait être intéressant de flécher des lits d'hébergement temporaire ARS en Ehpad, sur des activités palliatives reconnues, dédiées et circonstanciées.

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Il faut se garder de confondre la question de l'accompagnement des personnes âgées et le texte que nous avons à étudier. Ce texte, qui va au-delà de la loi de 2016, est supporté par deux piliers : les soins palliatifs et l'aide à mourir. J'aimerais vous entendre sur les améliorations à apporter, notamment en matière de formation, concernant la prise en charge de la douleur, ainsi que sur l'aide à la rédaction des directives anticipées.

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Lors des auditions du groupe d'études sur la fin de vie, le Dr Destrée nous avait alertés sur la pénurie de personnel affectant les soins palliatifs, tant à domicile qu'en milieu hospitalier. Elle semblait regretter le manque de collaboration entre l'hospitalisation à domicile (HAD) et les équipements mobiles de soins palliatifs, ce qui a été souligné également par la Haute Autorité de santé en 2016. Madame Ellien, comment améliorer cette collaboration ? Par ailleurs, comment assurer une continuité des soins des malades en fin de vie la nuit ?

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L'isolement est un facteur qui motive une partie des demandes d'aide à mourir. Disposez-vous d'éléments sur la proportion de pensionnaires d'Ehpad ne recevant jamais de visite ?

Par ailleurs, un rapport de la Fédération hospitalière de France considère que la situation budgétaire des Ehpad est « très dégradée, inédite et alarmante ». Cela aura-t-il pour conséquence une dégradation de l'accompagnement des personnes âgées au cours des prochains mois ?

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Madame Ellien, que pensez-vous de l'idée d'intégrer les associations bénévoles dans le cadre des projets d'équipes mobiles de soins palliatifs ? Vous semble-t-il pertinent, et possible, de généraliser le conventionnement entre Ehpad et équipes mobiles ? Combien d'équipes mobiles seraient nécessaires afin de couvrir l'ensemble des Ehpad du territoire ?

Madame Hubidos, pourriez-vous nous éclairer sur le profil des personnes que vous accueillez ? Quelle est la durée moyenne des séjours ? Accompagnez-vous tous les patients jusqu'au décès ?

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Je m'interroge sur le terme de soins d'accompagnement. Ne craignez-vous pas une forme de confusion entre les soins d'accompagnement et l'aide et l'accompagnement à domicile ?

La stratégie décennale des soins palliatifs évoque 6 000 équivalents temps plein à créer dans les Ehpad. Disposez-vous d'éléments permettant de comprendre de quelle manière ces créations de postes seront fléchées vers le renforcement des soins palliatifs dans les Ehpad ?

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Que pensez-vous de la proposition de renforcer le binôme formé par l'infirmière de coordination et l'infirmière libérale, et de mieux l'intégrer aux équipes de soins palliatifs ?

Par ailleurs, je m'étonne que nous n'ayons pas encore évoqué les proches aidants, qui ne sont pas des professionnels, mais qui jouent un rôle crucial en termes d'accompagnement des malades, parfois en palliant la pénurie d'aides à domicile et le manque de moyens financiers pour accéder à un Ehpad. Avez-vous des propositions à nous soumettre afin d'améliorer la prise en compte des proches aidants ?

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Mes trois questions s'adressent à Mme Hubidos, dont je salue le travail de pionnière. Premièrement, le Gouvernement promet la création de quatre-vingts à cent unités de soins palliatifs. Cela vous semble-t-il raisonnable et compatible avec le respect des patients ? Deuxièmement, vous semble-t-il sain d'accompagner des personnes jusqu'à une fin naturelle et de pratiquer l'euthanasie dans un même lieu ? Troisièmement, comment selon vous est-il possible de créer un maillage territorial mixte entre secteur public et secteur privé, compte tenu des difficultés de recrutement de personnels soignants ?

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Les personnels des Ehpad sont formés à accompagner jusqu'au bout les résidents, et reçoivent le concours de nombreuses associations. Si demain le projet de loi sur la fin de vie devait être adopté, comment opérer dans cette culture de l'accompagnement jusqu'à la mort naturelle ce changement anthropologique qu'est la possibilité légale de donner la mort ?

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Moins d'un quart des médecins généralistes pratiquent encore des visites longues à domicile, et seules 5 à 12 % d'entre elles concernent des patients en soins palliatifs. En quoi ce projet de loi, qui n'est accompagné d'aucune étude d'impact budgétaire sérieuse, pourrait-il remédier à cette situation ?

Le projet de loi autorise le suicide assisté dans tout lieu choisi par la personne. Que pensez-vous de cette totale liberté laissée quant au choix du lieu ?

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Françoise Ellien, directrice de l'Équipe mobile de soins palliatifs de l'Essonne

Des travaux ont été menés il y a une quinzaine d'années autour de la collaboration des HAD et de ce que l'on appelait à l'époque des réseaux de soins palliatifs. Ils ont abouti à des recommandations publiées sur le site de la Fédération nationale des établissements d'hospitalisation à domicile (Fnehad). La Fnehad regroupe des HAD très diverses et les critères d'admission en HAD sont parfois variables et très peu compréhensibles, tant pour les médecins hospitaliers que pour les médecins généralistes.

Les maisons d'accompagnement sont le chaînon manquant de notre système de santé. Elles soulageront les aidants, qui sont douze millions en France, dont un million de mineurs. Je rappelle que l'épuisement des aidants représente l'une des premières causes d'hospitalisation non programmée. Il est impératif de prendre en compte la santé physique et mentale des aidants, ce qui est d'ailleurs prévu dans le plan personnel d'accompagnement.

Concernant la coordination, il me semblerait judicieux, dans un souci d'anticipation, que dans chaque département la délégation départementale de l'ARS, la caisse primaire d'assurance maladie, le conseil départemental, les professionnels de l'hôpital et les professionnels libéraux, c'est-à-dire tous les acteurs impliqués dans l'accompagnement des personnes âgées, se réunissent pour mieux se connaître.

On nous demande à nous, acteurs de terrain, de décloisonner et de travailler de manière transversale. Mais j'aimerais que nos tutelles donnent l'exemple. Ainsi, les aidants sont systématiquement renvoyés à la direction de l'autonomie du conseil départemental ou de l'ARS. Tant que les différents acteurs resteront cloisonnés, nous ne pourrons pas travailler de manière transversale, et donc anticiper.

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Laure Hubidos, présidente du Collectif national des maisons de vie

La plupart des patients accueillis dans la maison de vie de Besançon étaient atteints d'un cancer ou d'une maladie neurologique dégénérative, et y sont décédés. Notre approche de la fin de vie consistait à penser la maladie et la vulnérabilité qu'elle engendre dans un lieu autre que l'hôpital. Certaines personnes accueillies en maison de vie venaient de l'hôpital, et elles auraient pu y rester. Mais les services hospitaliers poussent à sortir de l'hôpital, d'où l'intérêt de développer les maisons d'accompagnement, qui apportent également une solution pour les aidants.

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Pascal Champvert, président de l'Association des directeurs au service des personnes âgées

J'estime qu'environ 10 ou 15 % des pensionnaires d'Ehpad ne reçoivent pas de visite. L'isolement intervient aussi lorsque l'établissement fonctionne selon une logique trop sécuritaire, trop sanitaire, qui fait fuir les familles. C'est la raison pour laquelle l'AD-PA soutient les logiques domiciliaires qui favorisent les relations humaines.

Les établissements et les services à domicile manquent de temps par manque de financements. Tant que nous ne disposerons pas de moyens supplémentaires, de grâce, ne nous donnez pas des obligations supplémentaires, parce que c'est l'une des raisons pour lesquelles nous peinons à recruter.

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Didier Pagel, président de la commission Soins de la Fédération française de services à la personne et de proximité

La Fédésap considère que les aidants ont besoin d'être accompagnés dans les périodes les plus critiques que traversent les aidés. Ainsi, il conviendrait d'augmenter le temps de présence de l'aide à domicile sur la période, relativement courte, durant laquelle la personne est en fin de vie. Cela suppose une coordination, et notamment d'accroître la possibilité pratiquer les téléconsultations la nuit, compte tenu de la pénurie de médecins généralistes acceptant de se déplacer.

La coordination sera meilleure à la faveur de la réforme des services autonomie à domicile (SAD) et la constitution d'équipes conjointes entre le service de soins infirmiers à domicile et les SAD. Cependant, il conviendra d'améliorer nettement la coordination des aides à domicile, puisque le tarif de l'allocation personnalisée d'autonomie comprend une heure de coordination par mois, ce qui est largement insuffisant.

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Dr Éric Kariger, président de la commission médicale et soins du Syndicat national des établissements, résidences et services d'aide à domicile privés pour personnes âgées

En France, nous sommes soit dans une logique d'hypermédicalisation de la fin de vie, soit dans une logique domiciliaire excessive. Mais il n'est pas possible de professionnaliser intégralement le domiciliaire, pour des raisons tant économiques qu'humaines.

Il me semble impératif de mettre fin à l'hyperspécialisation du corps médical. À quand des coopérations territoriales, voire une fusion, entre les équipes mobiles de soins palliatifs et les HAD ? Nous sommes condamnés, à l'avenir, à faire mieux avec moins. Et nous sommes capables d'y parvenir, parce que nous demeurons un pays riche, un pays d'humanité et d'engagement, et que les professionnels de santé souhaitent améliorer leurs pratiques.

La réunion s'achève à dix-huit heures vingt-cinq.

Présences en réunion

Présents. – Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Christophe Bentz, Mme Anne Bergantz, Mme Chantal Bouloux, M. Hadrien Clouet, Mme Laurence Cristol, Mme Christine Decodts, M. Stéphane Delautrette, M. Jocelyn Dessigny, Mme Sandrine Dogor-Such, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Olivier Falorni, Mme Elsa Faucillon, Mme Caroline Fiat, Mme Agnès Firmin Le Bodo, Mme Annie Genevard, M. François Gernigon, M. Jérôme Guedj, Mme Marine Hamelet, M. Philippe Juvin, M. Gilles Le Gendre, Mme Brigitte Liso, Mme Marie-France Lorho, Mme Lise Magnier, Mme Laurence Maillart-Méhaignerie, M. Didier Martin, M. Julien Odoul, M. Laurent Panifous, Mme Michèle Peyron, M. Sébastien Peytavie, M. René Pilato, Mme Christine Pires Beaune, Mme Lisette Pollet, M. Jean-Pierre Pont, Mme Natalia Pouzyreff, Mme Cécile Rilhac, M. Jean-François Rousset, M. Nicolas Turquois, M. Philippe Vigier

Excusé. – M. Raphaël Gérard