La réunion

Source

La réunion commence à onze heures quarante.

La commission spéciale auditionne, dans le cadre d'une table ronde, le Pr Jacques Bringer, président, et Mme Claudine Bergoignan-Esper, vice-présidente du comité d'éthique de l'Académie nationale de médecine, M. Albert Ritzenthaler, président de la commission temporaire sur la fin de vie, et Mme Dominique Joseph, rapporteure de l'avis « fin de vie : faire évoluer la loi ? » (2023), membres du Conseil économique, social et environnemental.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous accueillons pour cette table ronde les représentants de l'Académie nationale de médecine, dont le comité d'éthique a rendu un avis important en juin dernier, et du Conseil économique, social et environnemental, qui a également délibéré un avis nommé « Fin de vie : faire évoluer la loi ? » l'année dernière.

Permalien
Pr Jacques Bringer, président du comité d'éthique de l'Académie nationale de médecine

Le 27 juin 2023, l'Académie de médecine adoptait un texte représentant une nette inflexion de ses positions sur le sujet de la fin de vie. Ce texte reconnaît qu'il existe des personnes vivant des situations insoutenables en raison de souffrances dites réfractaires et d'une affection dont le pronostic vital est inéluctable à moyen terme. Anticipant la possibilité pour le législateur de s'engager dans une ouverture encadrée à l'aide à mourir, l'avis de l'Académie met en avant la protection des personnes présentant une vulnérabilité particulière et la vigilance extrême qui s'impose à propos des malades âgés, handicapés ou atteints d'un syndrome dépressif apparaissant souvent au cours d'une maladie incurable.

L'Académie entend que l'on puisse souhaiter n'être pas spectateur de sa dégradation. Mais on peut aussi rejeter l'insinuation selon laquelle, pour rester digne, on ne serait plus autorisé à exister avec un handicap lourd ou un grand âge pesant, car on est pourtant vivant d'une vie pleine et entière. L'Académie s'est toujours montrée méfiante vis-à-vis des notions de mort digne ou indigne. Seuls lui paraissent indignes l'agonie dans la solitude, l'obstination déraisonnable et le déni de la souffrance. Souvenons-nous que la situation la plus commune demeure l'hésitation jusqu'à la fin ! Il est capital de respecter cette hésitation, même si la possibilité de contrôler sa fin de vie apaise.

Permalien
Claudine Bergoignan-Esper, vice-présidente du comité d'éthique de l'Académie nationale de médecine

L'avis de l'Académie de médecine est intitulé « Favoriser une fin de vie digne et apaisée : répondre à la souffrance inhumaine et protéger les personnes les plus vulnérables ». Il s'appuie sur le constat d'une législation actuelle très satisfaisante concernant le court terme, bien qu'il existe un décalage entre ce texte méconnu et son application. En revanche, lorsque le pronostic vital est inexorablement engagé à moyen terme, certaines situations inhumaines ne sont pas, à ce jour, couvertes par la loi.

L'aide à mourir recouvre deux démarches distinctes : l'assistance au suicide et l'euthanasie. Au cas où la première serait retenue par le législateur, l'Académie a listé les risques liés à la nature de la demande, à l'état du patient, aux inégalités territoriales et aux situations spécifiques. Elle a aussi défini des garanties. L'assistance au suicide comporte des prérequis absolus : un accès à des soins palliatifs et une évaluation par plusieurs professionnels du discernement de la personne. En revanche, nous avons écarté l'euthanasie, qui dispose d'une force plus contraignante lorsqu'il est enclenché et qui est contraire au serment d'Hippocrate.

L'Académie a formulé une série de recommandations, notamment une vigilance extrême afin d'éviter toute dérive, par exemple pour des mineurs en fin de vie. Par ailleurs, la législation nouvelle devra garantir une clause de conscience aux professionnels de santé. Enfin, l'aide à mourir ne peut être envisagée qu'à la condition d'une offre en soins palliatifs correspondant aux besoins sur l'ensemble du territoire.

Permalien
Albert Ritzenthaler, président de la commission temporaire sur la fin de vie du Conseil économique, social et environnemental

Le Conseil économique, social et environnemental a préparé son avis à travers une commission temporaire, en lien étroit avec les travaux de la Convention citoyenne. Ce cadre de travail a permis une expression dans le respect des convictions de chacun.

Permalien
Dominique Joseph, rapporteure de l'avis « Fin de vie : faire évoluer la loi ? » du Conseil économique, social et environnemental

Avant de synthétiser l'avis délibéré par le Conseil, je précise que nous n'avons pas abordé, faute de temps, la question des mineurs en fin de vie.

Notre avis rappelle, en premier lieu, le droit effectif à l'accompagnement en fin de vie. Nous proposons, par une modification de la loi Claeys-Leonetti, d'affirmer que le droit à l'accompagnement en fin de vie s'étend jusqu'à l'aide active à mourir. Nous insistons sur la nécessité de garantir ce droit par des moyens financiers et humains, avec une égalité d'accès assurée en particulier outre-mer. Il doit trouver sa traduction dans des directives anticipées formulées en amont, opposables et régulièrement questionnées, pour permettre l'expression du choix individuel en cas de non-conscience.

Au nom de cette liberté individuelle, nous proposons d'offrir aux personnes atteintes de maladies graves et incurables, en état de souffrance physique ou inapaisable, l'aide active à mourir par suicide assisté ou euthanasie. Nous défendons une clause de conscience pour les professionnels de santé refusant de pratiquer ces actes, assortie de l'obligation d'informer et d'orienter les patients vers d'autres professionnels.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je voudrais souligner l'importance des avis rendus par vos deux institutions, et vous adresser quatre questions.

Premièrement, quel regard portez-vous sur la notion d'accompagnement ? Complète-t-elle judicieusement celle de soins palliatifs ?

Deuxièmement, de quelle manière appréhendez-vous les conditions d'éligibilité à l'aide à mourir ?

Troisièmement, avez-vous des remarques à formuler sur la procédure d'aide à mourir définie au chapitre 3 du titre II du projet de loi ?

Quatrièmement, avez-vous des préconisations concernant la composition et le rôle de la commission de contrôle et d'évaluation ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Ma question s'adresse à l'Académie de médecine sur le passage entre l'épuisement des ressources destinées à guérir et l'entrée dans le « prendre soin ». Comment établir un parcours de soins et d'accompagnement des patients ? Quelles sont les formations nécessaires pour les professionnels de santé ?

J'aimerais que le Conseil économique, social et environnemental développe le propos sur les moyens financiers et humains qu'il évoque dans son avis, notamment au regard de l'enjeu démographique que représente une population vieillissante. Je pense en particulier à l'outre-mer, dont vous avez souligné la situation particulière.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Dans son avis rendu en 2023, l'Académie de médecine affirme qu'il est « inhumain, lorsque le pronostic vital est engagé non à court mais à moyen terme, de ne pas répondre à la désespérance de personnes qui demandent les moyens d'abréger les souffrances qu'elles subissent du fait d'une maladie grave et incurable ». Pourquoi nécessairement indiquer un terme ? Et quel sens lui donner ?

Ma seconde question porte sur l'article 5 du projet de loi, qui évoque la situation dans laquelle le patient n'est pas en capacité physique de s'administrer lui-même la substance létale. Il rejoint la distinction entre euthanasie et suicide assisté. Quelles pourraient être les modalités d'une délégation de l'administration de la substance létale ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Professeur Bringer, vous avez insisté sur la nécessité d'établir des critères stricts d'accessibilité à l'aide à mourir. Pourriez-vous apporter des précisions ? Par ailleurs, j'aimerais interroger l'Académie comme le Conseil sur la notion de collégialité dans la prise de décision.

Madame Bergoignan-Esper, vous avez distingué le suicide assisté de l'euthanasie. Comment faire la part entre la dose qui soulage et la dose qui tue, quand l'index thérapeutique est très proche ? Par ailleurs, j'aimerais que vous développiez votre référence au serment d'Hippocrate, et que vous la rapportiez au code de déontologie.

Permalien
Pr Jacques Bringer, président du comité d'éthique de l'Académie nationale de médecine

La définition des soins d'accompagnement est large. Mais l'essentiel réside dans leur anticipation et dans le fait de ne pas les opposer aux soins curatifs, ce qui est encore trop souvent le cas et qui donne au patient un sentiment d'abandon. L'idée des maisons d'accompagnement semble poser des problèmes de positionnement et de financement qui, s'ils ne sont pas du ressort de l'Académie, attirent son attention. D'une part, ces maisons doivent se garder d'une forme de financiarisation. D'autre part, leur financement par les collectivités pourrait générer de graves disparités territoriales.

La collégialité est une question capitale, qui peut revêtir trois formes. Ce peut être une collégialité minimaliste, où le médecin est saisi et prend sa décision après avoir recueilli l'avis d'un confrère à partir d'un dossier médical. Cette collégialité ne répond pas aux enjeux de la fin de vie. À l'opposé, une collégialité maximaliste, supposant la rencontre de toutes les personnes impliquées, peut être paralysante car excessivement longue. Dès lors, une forme médiane est souhaitable. Protectrice, efficace, elle reposerait sur des réunions de concertation pluridisciplinaires conduisant à la décision finale du médecin.

Les dispositions légales sur la sédation profonde et continue prévoient l'absence de lien hiérarchique entre le médecin qui pratique l'acte et son confrère. À l'article 8 du projet de loi, le médecin administrant la substance létale n'intervient pas auprès de la personne. Si l'absence de lien hiérarchique ou de lien d'intérêt est bien sûr nécessaire, il semble qu'exclure le médecin qui suit le patient, qui le connaît, reviendrait à négliger un avis précieux.

Le projet de loi indique que le médecin consulte le dossier et peut examiner la personne avant de se prononcer. Cela pose problème en termes de collégialité. Nous estimons impossible de décider de la vie d'une personne sur la base d'un dossier médical. Au contraire, il convient, pour rendre un avis, de privilégier la rencontre, l'écoute, l'examen.

Permalien
Albert Ritzenthaler, président de la commission temporaire sur la fin de vie du Conseil économique, social et environnemental

La notion de soins d'accompagnement formulée dans l'avis du Conseil économique, social et environnemental est quasiment identique à celle du projet de loi. Sa définition doit s'appuyer sur l'égalité d'accès aux soins, sur une vision considérant que tout patient a besoin d'être accompagné quel que soit son état, afin d'éviter toute forme de stigmatisation ou d'exclusion.

Le constat partagé d'une insuffisance de moyens financiers et humains pour soutenir l'accompagnement doit conduire à une loi de programmation et à des plans pluriannuels de financement. Le Conseil s'est montré attentif à la tarification des soins palliatifs et d'accompagnement, qui doit être révisée. En outre, il nous paraît important d'associer les partenaires associatifs au processus d'accompagnement. Enfin, le Conseil n'a pas formulé de proposition précise concernant les maisons d'accompagnement. Cependant, leur faisabilité interroge au regard des besoins actuels. Ajouter une structure supplémentaire ne risque-t-il pas de mobiliser des financements nécessaires à d'autres structures ?

Permalien
Dominique Joseph, rapporteure de l'avis « Fin de vie : faire évoluer la loi ? » du Conseil économique, social et environnemental

La rédaction de l'article 6, précisant les conditions d'accès à l'aide active à mourir, nous paraît faire peser un risque d'entrave sur l'effectivité de ce nouveau droit. En effet, la condition d'aptitude à manifester sa volonté de façon libre et éclairée exclut les situations de perte de conscience.

Les notions de court et moyen terme nous interpellent. C'est la raison pour laquelle nous insistons sur le recours aux directives anticipées ainsi que sur la collégialité de la décision. Le Conseil propose que la demande d'accompagnement, y compris jusqu'à l'aide active à mourir, intervienne plus tôt, et non au moment où se pose la question du court ou du moyen terme. Par ailleurs, nous estimons que les conditions de nationalité et de résidence posées à l'article 6 devraient être interrogées.

Concernant les articles 7 à 15 sur la procédure d'aide à mourir, le Conseil économique, social et environnemental recommande d'informer le patient de ces dispositions dès l'annonce du diagnostic. Il s'inquiète également des mésinterprétations possibles de l'alinéa 2 de l'article 7, qui sembleraient conditionner l'aide à mourir au passage en soins palliatifs.

Le Conseil regrette l'absence d'évaluation de la loi de 2016. Il n'a produit aucune préconisation sur la commission de contrôle et d'évaluation. Cependant, il estime qu'une telle commission ne devrait pas être limitée aux professionnels de santé et comprendre, par exemple, des associations de patients.

La question des moyens financiers et humains est transversale à nos questionnements. Ce projet de loi doit fournir l'occasion d'un large débat sur le financement de la solidarité et de la santé. Un achoppement sur les soins d'accompagnement par manque de moyens financiers contreviendrait à son ambition.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Ma question s'adresse au Conseil économique, social et environnemental. Elle porte sur la distinction entre la rédaction des directives anticipées et la demande de l'aide active à mourir. Dans les cas où le patient n'est pas en mesure de réitérer ses volontés, pourrait-on demander à la personne de confiance de confirmer son souhait de recourir à l'aide active à mourir, afin que les directives anticipées soient respectées ?

J'aimerais par ailleurs demander à l'Académie de médecine son avis sur l'éligibilité des mineurs à l'aide à mourir.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je m'interroge sur le délai de prescription fixé dans le projet de loi à trois mois. Il a pour but de laisser réinterroger régulièrement la volonté libre et éclairée du patient. Plusieurs personnes auditionnées ayant exprimé leur réticence à définir le moyen terme, cette durée de validité, que je considère courte, vous semble-t-elle adéquate ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Ma question s'adresse aux représentants de l'Académie de médecine. Le projet de loi ouvre la voie à l'exercice de l'euthanasie sans conditions par un tiers. Que pensez-vous, sur le plan éthique, de cette disposition unique au monde ?

Ne serait-il pas plus simple de permettre la prescription médicale du suicide assisté sur la base du volontariat, plutôt que de mettre en place une clause de conscience ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Le Conseil économique, social et environnemental et l'Académie de médecine ont insisté sur la notion de personne vulnérable. Selon vos critères, si une personne est considérée vulnérable, pensez-vous qu'elle ait la capacité d'exprimer une volonté libre et éclairée ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Près de la moitié des malades atteints du cancer sont sujets à des symptômes dépressifs. Dès lors, estimez-vous nécessaire de recueillir l'avis d'un psychiatre au moment de la demande de suicide assisté ?

Madame Bergoignan-Esper a déclaré qu'une évolution législative ne saurait être envisagée sans qu'une offre de soins palliatifs soit accessible sur tout le territoire. Je suis troublée par l'idée qu'une bonne prise en charge de la solitude et de la souffrance entraîne un renoncement à l'aide à mourir. Iriez-vous jusqu'à conditionner l'accès à l'aide active à mourir à une prise en charge préalable par des soins palliatifs ?

Madame Joseph, dans ce projet de loi, le suicide assisté est ouvert aux personnes majeures protégées. Le statut de personne protégée suppose de ne pas jouir totalement de son libre arbitre. Dès lors, ne voyez-vous pas une contradiction avec la condition de l'expression de la volonté libre et éclairée qui restreint l'accès à l'aide active à mourir ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Étant donné que, aussi bien pour les soins palliatifs que pour l'aide à mourir, tout repose sur la qualité de l'accompagnement, j'aimerais vous entendre sur les maisons d'accompagnement.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Les directives anticipées peinent à trouver leur place dans le projet de loi. Madame Joseph, pourriez-vous préciser ce que vous entendiez en déclarant souhaiter que ces directives soient exprimées en amont ? J'aimerais également recueillir l'avis du professeur Bringer sur ce point.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Les articles 9 et 11 du projet de loi évoquent la présence du médecin ou de l'infirmier lors de la phase finale de la procédure. Professeur Bringer, j'aimerais avoir votre point de vue sur l'éventuelle présence du seul infirmier dans cette dernière étape.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Le projet de loi contrevient au serment d'Hippocrate. Madame Bergoignan-Esper l'a souligné. Il suppose un changement profond de la profession de médecin. Dès lors, je m'interroge sur la nécessité de créer une nouvelle profession dédiée à la seule administration de la substance létale. Que pense l'Académie de médecine de cette suggestion ?

L'avis rendu par le Conseil économique, social et environnemental évoque la souffrance physique ou psychique insupportable. Le projet de loi évoque la souffrance psychologique. Pensez-vous ce terme pertinent ? Existe-t-il une différence sémantique réelle entre psychique et psychologique ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Prendre soin d'une personne peut-il aller jusqu'à l'accompagner dans la mort, en respectant les critères posés ?

Professeur Bringer, vous avez parlé d'une collégialité minimaliste. Or, j'aimerais souligner, pour avoir travaillé dans le secteur de réanimation, qu'il existe bien une collégialité instituée où les décisions sont soumises à l'expression majoritaire.

Enfin, je considère que la réitération d'une directive anticipée, qui risque d'être nécessaire à un moment où le patient n'en a plus la capacité, pose une difficulté. J'aimerais connaître votre sentiment sur ce point.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Professeur Bringer, les positions de l'Académie de médecine sur l'aide active à mourir seraient-elles les mêmes si l'offre de soins palliatifs ne pouvait être développée à la hauteur des ambitions ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Madame Bergoignan-Esper, vous avez déclaré que la loi de 2016 était mal connue et mal appliquée. Je partage ce point de vue. Vous avez dit qu'elle répondait à l'écrasante majorité des situations de court et de moyen terme. Dès lors, ne devrait-on pas engager des moyens dans les soins palliatifs et favoriser l'application de la loi en vigueur au lieu de légiférer sur le droit à l'euthanasie ou au suicide assisté ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Le Conseil économique, social et environnemental, par sa préconisation n° 13, invite à adapter les dispositions des codes existants. Pensez-vous que l'article 20 du projet de loi répond à cette demande ? Que proposez-vous de modifier dans le code civil, mentionné parmi les codes à faire évoluer ?

Permalien
Claudine Bergoignan-Esper, vice-présidente du comité d'éthique de l'Académie nationale de médecine

L'Académie de médecine considère les lois en vigueur, bien qu'insuffisamment appliquées, bien adaptées aux situations à court terme. En revanche, monsieur Bentz, je n'ai jamais affirmé que l'Académie considère la loi actuelle convenir aux situations de moyen terme.

Lier une nouvelle législation sur la fin de vie à la mise en adéquation des soins palliatifs avec les besoins, notamment en matière d'égalité territoriale, représente un impératif majeur. Il est plusieurs fois exprimé dans notre avis. L'Académie considère que la garantie d'un accès aux soins palliatifs est un prérequis à l'aide à mourir. Il faut se montrer très vigilant sur ce point parce que la demande d'aide à mourir pourrait être interprétée comme l'expression d'un excès de souffrance ou d'un défaut d'accès aux soins palliatifs.

Concernant la modification des codes, il convient de procéder de manière progressive. Il est nécessaire, dans un premier temps, de s'accorder sur les dispositions à adopter et sur les conditions de leur application, et ensuite s'interroger sur d'éventuels changements à apporter. Ainsi, le code de déontologie n'est pas immuable. Il a d'ailleurs connu des modifications par le passé.

Permalien
Dominique Joseph, rapporteure de l'avis « Fin de vie : faire évoluer la loi ? » du Conseil économique, social et environnemental

La rédaction des directives anticipées devrait, selon le Conseil économique, social et environnemental, intervenir le plus tôt possible, c'est-à-dire à l'annonce du diagnostic. Toutefois, ces directives anticipées ne doivent pas devenir le recueil de l'émotion du moment, mais plutôt le support de l'expression d'un libre choix qui peut être questionné, y compris quand la personne n'a plus conscience. Nous plaidons en faveur d'une simplification de la rédaction des directives anticipées.

L'avis du Conseil insiste sur le caractère opposable des soins palliatifs, et à ce titre nous souhaitons que le Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie soit confirmé dans son rôle.

Nous estimons aussi qu'il convient d'intégrer la personne de confiance au processus, puisqu'elle est en mesure de rappeler l'existence de directives anticipées et de veiller au respect du choix du patient.

Madame Bergantz nous interpelle sur l'adéquation entre le délai de prescription de trois mois et le moyen terme. Le Conseil n'a pas de position ferme sur ce point. Nous nous interrogeons sur ces notions de court et de moyen terme, qui ne sauraient convenir à toutes les situations. Notre avis de 2023 insiste toutefois sur la nécessité que la loi ne prête à aucune interprétation.

Quant à la question de madame Genevard sur le statut de majeur protégé, il nous semble nécessaire d'adopter la plus grande vigilance. Ce statut recouvre des situations de handicap psychique, mais aussi des situations sociales. Plus largement, la notion de vulnérabilité doit être intégrée à la réflexion au cas par cas. Au final, nous considérons qu'il n'existe pas d'incompatibilité entre ce statut et le suicide assisté.

Permalien
Pr Jacques Bringer, président du comité d'éthique de l'Académie nationale de médecine

Une définition ferme du moyen terme présenterait certains avantages pratiques, mais elle ne correspondrait pas à la réalité des soins. À l'inverse, une définition plus souple suppose un débat collégial duquel un consensus peinera à émerger. Dès lors, aucune réponse ne saurait être pleinement satisfaisante.

J'estime que les psychiatres sont les grands oubliés du débat sur la fin de vie et de la rédaction de la loi, ce qui les froisse à juste titre. Le diagnostic de dépression accompagnant une maladie grave est très défaillant : l'obstination curative conduit les oncologues à ne reconnaître qu'un tiers des dépressions chez les personnes atteintes d'un cancer, et seulement 13 % des dépressions sévères pour lesquelles existent pourtant des traitements. Face à ce manque de dépistage, j'estime que la collégialité devrait intégrer les psychiatres.

Enfin, si l'Académie a rappelé la nécessité de l'accès aux soins palliatifs, la création d'unités de soins palliatifs ne se décrète pas. Elle requiert une culture affirmée et une éthique précise de la fin de vie. Si la loi brutalise les personnels des soins palliatifs, qui ont choisi une mission exceptionnelle et difficile, l'accompagnement en fin de vie y perdra grandement. C'est la raison pour laquelle il convient de valoriser leur rôle, et non de produire une loi ouvrant la voie à un choix individualiste débridé duquel ils seraient écartés. J'en appelle, à ce titre, à la nuance du législateur sur ces sujets si sensibles.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je vous remercie, mesdames et messieurs, pour la qualité de vos interventions.

La réunion s'achève à treize heures.

Présences en réunion

Présents. – Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Christophe Bentz, Mme Anne Bergantz, Mme Chantal Bouloux, Mme Laurence Cristol, Mme Christine Decodts, M. Stéphane Delautrette, M. Jocelyn Dessigny, M. Pierre Dharréville, Mme Sandrine Dogor-Such, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Olivier Falorni, Mme Caroline Fiat, Mme Agnès Firmin Le Bodo, Mme Annie Genevard, M. François Gernigon, M. Jérôme Guedj, M. David Habib, Mme Marine Hamelet, M. Philippe Juvin, M. Gilles Le Gendre, Mme Brigitte Liso, Mme Lise Magnier, Mme Laurence Maillart-Méhaignerie, M. Didier Martin, M. Thomas Ménagé, M. Julien Odoul, M. Laurent Panifous, Mme Michèle Peyron, M. Sébastien Peytavie, M. René Pilato, Mme Christine Pires Beaune, Mme Lisette Pollet, M. Jean-Pierre Pont, Mme Natalia Pouzyreff, Mme Cécile Rilhac, M. Jean-François Rousset, M. Philippe Vigier

Excusé. – M. Raphaël Gérard