Mission d'information de la conférence des présidents sur les capacités d'anticipation et d'adaptation de notre modèle de protection et de sécurité civiles

Réunion du jeudi 9 novembre 2023 à 9h30

Résumé de la réunion

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La réunion

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La séance est ouverte à neuf heures trente-cinq.

Présidence de Mme Lisa Belluco. Présidente

La mission d'information auditionne M. Grégory Allione, inspecteur général, directeur de l'École nationale supérieure des Officiers sapeurs-pompiers (ENSOSP).

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Nous commençons cette nouvelle matinée d'auditions par un échange en visioconférence avec monsieur Grégory Allione, inspecteur général et directeur de l'École nationale supérieure des officiers de sapeurs-pompiers (Ensosp). Notre mission d'information a été constituée à l'initiative du groupe Horizons et est composée de vingt-cinq députés issus de tous les groupes politiques de l'Assemblée nationale. J'en assume la présidence et mon collègue Didier Lemaire en est le rapporteur.

Notre mission est guidée par un objectif commun. Il s'agit d'évaluer et de renforcer les capacités de notre pays à répondre aux situations d'urgence et de crise. À cet égard, la formation dispensée par l'Ensosp aux officiers de sapeurs-pompiers constitue un maillon central dans la compréhension générale de ces enjeux.

Cette audition est retransmise en direct sur le site Internet de l'Assemblée nationale. Elle sera également consignée dans un compte-rendu qui sera publié sur la page de la mission et annexé au rapport que nous rendrons à l'issue de nos travaux. Je vous remercie d'apporter à notre mission votre expertise et vos connaissances en tant que directeur de l'Ensosp, même si je garde à l'esprit vos anciennes fonctions - pas si lointaines - de président de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France (FNSPF), que nous aurons bientôt le plaisir d'entendre.

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Comme vous le savez, nous avons un point commun, puisque j'ai été sapeur-pompier volontaire, puis professionnel, pendant plus de trente ans. En tant qu'élu local, j'ai pu vivre différentes crises de chaque côté de la barrière. C'est avec ce regard que j'aborde les travaux de cette mission d'anticipation et d'adaptation de notre modèle de protection et de sécurité civiles.

Dans un premier temps, je vous propose de nous concentrer sur le monde des sapeurs-pompiers, y compris sur l'Ensosp. Dans un deuxième temps, nous aborderons des questions portant sur la sécurité civile au sens large du terme. En préambule, je vais vous laisser nous présenter l'Ensosp : son histoire, sa mission, son fonctionnement et éventuellement son budget.

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Grégory Allione, inspecteur général, directeur de l'École nationale supérieure des officiers de sapeurs-pompiers (Ensosp)

C'est un plaisir pour l'Ensosp que d'être auditionnée sur des enjeux de sécurité civile, qui font encore l'actualité en raison des alertes orange et rouges sur le territoire. Pendant très longtemps, la sécurité civile était citée de manière épisodique sur le plan médiatique. Dorénavant, on s'aperçoit que c'est beaucoup plus régulier. Il ne faut pas oublier le tronc commun de l'activité de sapeurs-pompiers et de la sécurité civile, qui représente 80 % de l'activité des sapeurs-pompiers au quotidien : le secours d'urgence aux personnes. On oublie trop souvent que les sapeurs-pompiers sont les premiers acteurs du pré-hospitalier. Ils assurent le secours de nos populations dans les territoires urbains ou reculés.

L'école nationale a été créée à Nainville-les-Roches en 1977. Ce n'est pas si vieux que cela au regard d'autres institutions, que ce soit la police nationale ou la gendarmerie nationale. Notre histoire est donc assez récente. L'école nationale existe à Aix-en-Provence depuis 2008, et ce, par un décret fondateur de 2004. En vingt ans d'existence sous la forme actuelle, nous avons pu accéder à un niveau intéressant pour affronter les défis et les menaces qui se font jour.

L'établissement que j'ai l'honneur de diriger est un établissement public de l'État, dont la gouvernance est partagée entre le ministère de l'intérieur, qui en assure la tutelle, et une présidence du conseil d'administration qui est assurée par la présidente Vassal, au titre de l'Assemblée des départements de France (ADF). Il y a un partage des équilibres entre les représentants du personnel, les représentants des employeurs, le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) et l'ADF, ainsi qu'un conseil de perfectionnement qui nous permet, comme pour toutes les universités et les grandes écoles, d'établir la ligne pédagogique et d'animer la réflexion critique sur celle-ci au sein de notre institution.

L'essentiel des missions consiste en la formation des officiers de sapeurs-pompiers. Il y a trois branches, dont la formation de tous ceux qui y entrent en tant qu'officiers de sapeurs-pompiers. Au-delà de l'intégration, il y a la professionnalisation. Un officier qui intègre l'école va y venir régulièrement, afin d'acquérir des compétences managériales et opérationnelles. Il existe ensuite un cycle de spécialité, pour faire face aux nouveaux risques émergents ou aux nouvelles menaces. Je pense en particulier à la formation liée aux établissements recevant du public et à la prévention.

Lors de la création de l'école nationale, en 1977, nous étions en région parisienne. Nous sommes dorénavant dans le sud de la France, avec un positionnement à Aix-en-Provence, où est située toute l'activité pédagogique, administrative et de soutien. Tout l'intérêt du déménagement dans le sud de la France était d'avoir un autre site, qui se situe dans la commune de Vitrolles. Il s'agit d'un plateau technique qui permet de mettre en place énormément de simulations pour appréhender les différents risques et s'exercer en conditions quasi réelles. Il y a également un autre site en région parisienne, à Oudiné, que nous louons afin de permettre tous les cycles de formation liés à la prévention.

Par ailleurs, nous sommes en train de construire un site à quelques kilomètres d'Aix-en-Provence, dans la commune de Gardanne, afin de faire toutes les mises en situation professionnelles. Et ce, avec un travail de coordination avec l'école d'application de la sécurité civile (Ecasc), qui forme notamment aux risques liés aux feux de forêt et aux autres risques industriels. Il s'agit de permettre des mises en situation professionnelles pour les directeurs et commandants d'opérations de secours, ainsi que pour la gestion de crise. Nous exploitons donc quatre sites.

La répartition des moyens dont nous disposons est assez simple. Entre 15 et 16 millions d'euros proviennent du CNFPT. Cela comprend un tronc commun provenant de la cotisation sur la masse financière des fonctionnaires territoriaux, et la fameuse sur-cotisation qui reposait sur la masse salariale des sapeurs-pompiers professionnels, contribuant au financement du budget de l'école. Tout cela constitue un ensemble d'environ 16 millions d'euros en budget initial pour l'année 2023. 16 autres millions d'euros proviennent de la facturation liée aux formations que nous dédions et aux services d'incendie de secours. Un peu moins d'un million d'euros est destiné au privé, c'est-à-dire aux entreprises qui viennent se former à la prévention ou à d'autres risques. En effet, outre le risque des feux de forêt, nous constatons l'émergence de risques nouveaux, parmi lesquels l'hydrogène et toutes les nouvelles matières utilisées dans le cadre de nouvelles économies ou de nouvelles carburations et que nous devons appréhender. Nous bénéficions également d'une participation de l'État à hauteur d'environ 5 millions d'euros pour la partie budget 2023. Ces montants contribuent non seulement au remboursement de l'emprunt qui a permis de créer les bâtiments, notamment à Aix-en-Provence, mais aussi au financement de la formation des élèves colonels, qui représentaient une grande promotion l'année dernière. La participation à cette formation va donc diminuer un peu.

En termes de personnel, l'école compte 205 personnes. En termes de budget et d'effectif, l'école était dimensionnée pouvoir assurer 80 000 journées stagiaires. Aujourd'hui, du fait de l'évolution opérationnelle sur le territoire, nous sommes à 100 000 journées stagiaires. Cela signifie qu'il y a une pression sur les charges et sur les dépenses de l'école afin de faire en sorte de répondre aux besoins. D'ailleurs, nous avons mis en place une comptabilité analytique afin d'être le plus efficace possible sur le plan financier. Il y a également une pression en matière de ressources humaines : compte tenu de la stabilité des effectifs et de l'augmentation significative du nombre des journées stagiaires, nous constatons un effet ciseau, qui engendre une pression certaine.

L'ensemble du personnel de l'école assure des séquences de face à face pédagogique, mission pour laquelle nous avons également recours à 900 intervenants externes. Ces derniers sont des professionnels de la sécurité civile, des sapeurs-pompiers, des élus, des cadres d'entreprises (GRDF, Enedis) ou de la fonction publique, dont l'expérience vient alimenter les réflexions en matière de ressources humaines ou de finances. Il s'agit donc d'une école très ouverte, qui fait partie de plusieurs grands réseaux.

En cohérence avec la volonté du Président de la République lors du Congrès de Marseille, la promotion des élèves colonels qui rejoint notre école depuis le 2 novembre intègre le tronc commun de l'Institut national du service public (INSP). Cette mesure permettra d'ouvrir le monde des sapeurs-pompiers à bien d'autres fonctions publiques, et inversement. Cette ouverture implique nécessairement un travail partenarial.

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Merci, ces chiffres doivent en effet être gardés à l'esprit. Pour en revenir au cœur des missions de l'Ensosp, ses formations doivent-elles selon vous évoluer au regard des risques nouveaux et fréquents que vous avez évoqués ; et le cas échéant, de quelle manière ?

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Grégory Allione, inspecteur général, directeur de l'École nationale supérieure des officiers de sapeurs-pompiers (Ensosp)

La saison estivale de l'année 2022 a été un choc pour les populations concernées par les feux de forêt. Nous souhaitons à présent tirer les conclusions de ces épisodes pour l'adaptation de nos formations. Notre formation était jusqu'à présent principalement tournée vers les questions managériales et les techniques administratives, et nos officiers étaient formés en s'appuyant sur des socles très techniques. Nos méthodes ont évolué afin de mieux former aux enjeux managériaux qui sont primordiaux et vis-à-vis desquels nous pouvons encore progresser. Les officiers sapeur-pompiers professionnels doivent gérer une structure de ressources humaines spécifique, puisque leurs troupes sont constituées à 80 % de sapeurs-pompiers volontaires. Or, l'encadrement d'un sapeur-pompier volontaire n'équivaut pas à celui d'un sapeur-pompier statutaire, et nécessite une formation adaptée. Cette évolution est un enjeu central pour notre école.

Nos formations doivent également évoluer concernant l'appréhension des nouveaux risques, notamment les feux de forêt, les risques technologiques, chimiques et industriels.

Nous souhaitons également évoluer sur le sujet de la gestion de crise, en modifiant et renforçant la formation des élus et des décideurs territoriaux, des directeurs d'opérations de secours que sont les maires et les préfets, ainsi que des sapeurs-pompiers qui animent ces cellules de gestion de crise. C'est en ce sens que nous déployons le nouveau bâtiment de Gardanne.

Il y aura certainement d'autres évolutions à mener. Nous procédons à une innovation permanente. Les officiers de sapeurs-pompiers se forment depuis très longtemps à l'intelligence artificielle ou à la simulation. Nous avons des simulateurs et des lunettes à vision virtuelle afin de recréer des feux ou des environnements particuliers. L'intelligence artificielle nous permet par la suite de faire des règlements opérationnels départementaux. Nous intégrons donc toute cette gestion de l'innovation dans les nouveaux parcours de formation.

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Nous recevrons très prochainement Jean-Paul Bosland, le président de la FNSPF. Vous avez été directeur de service départemental de service et de secours (SDIS), président de la fédération nationale et vous êtes maintenant directeur de l'Ensosp.

Nous constatons des difficultés de recrutement que nous ne connaissions pas auparavant, ni dans le monde professionnel, ni chez les sapeurs-pompiers volontaires. Pouvez-vous fournir des explications à ce phénomène ? Disposez-vous d'éléments plus positifs quant aux recrutements qui peuvent se faire par le biais de ces deux statuts ? Depuis le début de la mission, nous notons une disparité en fonction des territoires, y compris dans les territoires ultramarins.

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Grégory Allione, inspecteur général, directeur de l'École nationale supérieure des officiers de sapeurs-pompiers (Ensosp)

À mon sens, le recrutement des officiers, des sapeurs-pompiers professionnels et volontaires, mais également l'hétérogénéité des dispositifs et des difficultés des territoires doivent nous interpeller.

Sur le recrutement des sapeurs-pompiers professionnels, et notamment des officiers, il y a réellement quelque chose qui est en train de se produire. L'ouverture de l'école et du monde de la sécurité civile doit se poursuivre. Aujourd'hui, les promotions de jeunes officiers et de lieutenants se caractérisent par une féminisation et des niveaux de cursus très importants ; ces évolutions contribuent à la richesse du corps des officiers.

Il faut poursuivre les efforts pour modifier cette image d'Épinal que le monde des sapeurs-pompiers pouvait avoir au regard de l'administration centrale ou des décideurs. Le sapeur-pompier n'est pas uniquement le villageois que l'on connaissait et qui était en charge d'une unité opérationnelle. C'est aujourd'hui un cadre supérieur, ou une personne ayant la capacité de le devenir.

Je rencontre aujourd'hui de jeunes gens, et notamment de jeunes filles, qui ont fait khâgne et hypokhâgne. Ils ont des cursus très importants. Certains ont réussi le concours de l'ÉNA ou sont ingénieurs de formation et souhaitent pour autant rejoindre le monde des sapeurs-pompiers. Je côtoie également des officiers qui intègrent la profession alors qu'ils sont âgés de 40 ans. Ils ont connu une première vie professionnelle dans le secteur privé, mais souhaitent désormais intégrer le corps des sapeur-pompiers professionnels. Nous constatons l'existence de ces nouveaux profils dans notre école.

Nous entrons dans un nouveau mouvement de gestion de la ressource humaine des sapeurs-pompiers : on ne gère plus aujourd'hui les sapeurs-pompiers ou les officiers de sapeurs-pompiers comme on les gérait auparavant. Ce nouveau modèle doit prendre en compte la mobilité et de la transversalité des différents parcours. De nos jours, on n'entre plus officier ou sapeur-pompier professionnel pour y passer quarante années, mais on met à profit cette expérience professionnelle dans le cadre d'autres fonctions.

Cette réalité suppose d'adapter notre gestion managériale pour porter une attention accrue aux nouveaux profils ainsi qu'aux profils atypiques. Des évolutions statutaires seront nécessaires, non pas en termes d'indemnité ou de rémunération, mais surtout sur le plan de la gestion des carrières. Auparavant, on ne reconnaissait les officiers de sapeurs-pompiers que lorsqu'ils avaient vingt ans de botte à chaque pied. Dorénavant, il va falloir reconnaître les gens pour leurs compétences intrinsèques et leur faire confiance, même s'ils sont jeunes.

Par ailleurs, il faut désormais prendre en compte le fait qu'un sapeur-pompier professionnel ou un officier ne consacrera qu'une partie de sa vie à cette activité professionnelle. Il faut en ce sens réfléchir aux enjeux de retraite et de va-et-vient entre les différentes fonctions. Il s'agit peut-être de lui garantir une reconnaissance de sa vie professionnelle de sapeur-pompier avant de rejoindre une autre activité, qui pourra être, le cas échéant, dans le secteur lucratif. La loi du 3 août 2009 relative à la mobilité et aux parcours professionnels dans la fonction publique souhaitait aller dans ce sens, mais peine à s'appliquer pleinement dans le corps.

Troisièmement, nous devons améliorer les perspectives de carrière des officiers de sapeurs-pompiers. Lorsque vous êtes jeune officier de sapeurs-pompiers, que vous soyez lieutenant ou capitaine, il arrive un moment où l'espace territorial et fonctionnel qui est le vôtre ne suffit plus. Vous avez envie de vous nourrir de nouvelles expériences professionnelles. Avec nos structures, le SDIS, la direction générale de la sécurité civile, l'Ensosp et l'état-major de zone, il s'agit de permettre à certains cadres de rejoindre nos états-majors plus rapidement que d'autres. Aujourd'hui, nous n'y sommes pas encore préparés, mais ce sujet est compris dans la question de l'hétérogénéité et des évolutions structurelles à apporter.

Je souhaite également évoquer le sujet des sapeurs-pompiers volontaires. Selon moi, nous n'avons pas de difficultés à recruter, mais plutôt à fidéliser. Il y a bien évidemment des difficultés dans certains bassins ruraux ou urbains. D'ailleurs, le sujet des plannings et du recrutement est presque un « marronnier ». Nous devons mener une réflexion sur la manière de fidéliser les sapeurs-pompiers volontaires. Il y a de vrais sujets managériaux et de reconnaissance dans le monde des sapeurs-pompiers. L'une des difficultés essentielles tient au fait qu'on le considère trop souvent comme un monde territorial en dehors de toute politique publique centrale d'État.

Le député Fiévet a communiqué récemment sur le sujet du volontariat. Il a félicité la fédération nationale pour ses travaux, en particulier pour le livre blanc sur le volontariat qui a été remis. Je pense qu'il y a énormément de matière dans ce document-là pour développer des pistes favorisant le recrutement de sapeurs-pompiers volontaires et pour les fidéliser.

L'hétérogénéité des problématiques, de la gestion des politiques de ressources humaines et des politiques de sécurité civile au sein des territoires sont d'autres sujets cruciaux. Aujourd'hui, la force des SDIS est d'être des structures à taille humaine, avec un périmètre départemental, permettant de répondre aux enjeux de sécurité civile au quotidien. On l'a vu lors de la crise du Covid et on le voit en ce moment même dans le nord de la France. Cette échelle de gestion financière, humaine et opérationnelle constitue une véritable force.

Pour autant, elle peut parfois apparaître comme étant une faiblesse, du fait de l'hétérogénéité des politiques publiques sur le territoire. Il y a un sujet probablement structurel quant à l'animation des services départementaux d'incendie par la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC). C'est la tête de réseau des services d'incendie et de secours, mais elle n'a peut-être pas suffisamment de moyens humains et d'officiers de sapeurs-pompiers pour les armer.

Même si nous avons tous la volonté de contribuer au mieux, il est parfois difficile d'administrer ce réseau-là. À titre de comparaison, l'organisation du ministère de l'intérieur, plus pyramidale, peut paraître plus facile à animer. La direction générale de la sécurité civile n'a pas nécessairement la capacité réelle à impulser des politiques sur certains territoires.

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Ces constats rejoignent des éléments que nous constatons également au sein du monde du travail, qu'il soit privé ou public. Les sapeurs-pompiers, longtemps préservés de ces phénomènes, rencontrent à présent ce type de difficultés. Avez-vous une estimation à l'échelle nationale et de l'outre-mer du nombre de recrutements qui serait nécessaire pour les années à venir ?

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Grégory Allione, inspecteur général, directeur de l'École nationale supérieure des officiers de sapeurs-pompiers (Ensosp)

Lorsque j'étais président de la fédération, nous avions évoqué le chiffre de 250 000 sapeurs-pompiers volontaires dans nos références de travail, alors que nous disposons aujourd'hui de 200 000 sapeurs-pompiers volontaires. Avant la départementalisation, nous estimions avoir besoin de 220 000 sapeurs-pompiers volontaires, mais ce chiffre a été revu à la hausse pour faire face à l'accroissement des besoins.

Cette réserve opérationnelle constituée de citoyens engagés vient conforter les effectifs de sapeurs-pompiers professionnels lors des pics d'activités. En faisant une règle de trois, on obtient le nombre de pompiers professionnels, de cadres et de sapeurs-pompiers volontaires dont nous avons besoin pour le fonctionnement au quotidien.

L'émergence de nouveaux risques et l'accroissement de la sollicitation opérationnelle entraîne un besoin accru de moyens matériels, humains et financiers. Le rapport de l'inspection générale de l'administration (IGA) a permis d'identifier certaines pistes pour répondre à ces nouveaux besoins, tout comme les lois récemment examinées à l'Assemblée nationale, qui traitent également des enjeux financiers.

Je suis convaincu que notre modèle de sécurité civile représente l'assurance de nos territoires. Notre nation doit se demander si elle souhaite être assurée au tiers, tous risques ou pas du tout, et allouer des moyens, notamment financiers, en conséquence.

Je tiens à rappeler que des efforts considérables ont été faits pour la sécurité civile depuis 2017, mais l'actualité nous montre qu'il est nécessaire de poursuivre ce mouvement pour faire face aux besoins constants. Outre les inondations actuelles dans le nord de la France, une intervention a lieu toutes les sept secondes dans notre pays, et, dans 80 % des cas, ces interventions sont liées au secours d'urgence aux personnes. Le monde des sapeurs-pompiers et les collectivités locales doivent prendre en compte cette pression sur le secteur pré-hospitalier, qui supposent des moyens financiers et humains importants.

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Que pensez-vous de notre modèle de sécurité civile, qui englobe également les partenaires que vous avez cités et les associations agréées en la matière ? Notre système de sécurité civile vous semble-t-il proportionné et adéquat pour faire face aux crises majeures qui se sont déjà produites ou qui pourraient intervenir lors des années à venir ? J'ajoute que nous nous allons devoir faire face à des crises de plus en plus importantes.

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Grégory Allione, inspecteur général, directeur de l'École nationale supérieure des officiers de sapeurs-pompiers (Ensosp)

C'est une question fondamentale. La sécurité civile est un continuum : au -delà des sapeurs-pompiers, il y a les citoyens. Or, nous n'avons pas assez œuvré pour préparer nos concitoyens à la résilience de nos territoires, en les préparant à faire face aux risques majeurs comme aux risques du quotidien.

En février 2019, il y a eu dix morts dans le 16ème arrondissement de Paris, car les bâtiments n'étaient pas équipés de détecteurs de fumée. Certains de ces décès auraient probablement pu être évités si les normes avaient été respectées, et les consignes connues de tous. Il y a donc une réflexion à mener sur le continuum, qui suppose de miser sur l'attitude de nos concitoyens et de les former aux comportements et aux gestes qui sauvent.

Les citoyens formés auront par ailleurs moins recours au service public, qui est fortement sollicité. Nous constatons que certains citoyens sollicitent les services publics alors que ce n'est ni utile, ni urgent ; cela pourrait être atténué par l'éducation des citoyens et par le renforcement de la participation des associations agréées de sécurité civile.

Les réserves communales de sécurité civile peuvent contribuer à la résilience des communes. C'est un modèle qui est très déployé dans le sud de la France. Sa mise en place est en cours dans certains secteurs qui ont été touchés par les feux ou les inondations. Les plans communaux ou intercommunaux de sauvegarde et la réserve communale de sécurité civile constituent donc des éléments essentiels.

Par ailleurs, il y a bien évidemment toutes les autres associations agréées de sécurité civile, dont la Croix-Rouge et l'association de protection civile. En plus des concitoyens, il y a énormément d'organismes qui peuvent concourir à cette résilience. Ensuite, il y a le monde des sapeurs-pompiers et de la sécurité civile. Le monde des sapeurs-pompiers englobe les sapeurs-pompiers professionnels et volontaires, ainsi que les formations militaires de la sécurité civile, qui s'appuient sur nos différents régiments disposés à travers le territoire national et sur la création de la quatrième unité de sécurité civile, située dans le sud-ouest de la France.

Nous avons effectivement besoin d'un continuum et de différents partenaires pour y parvenir. La direction des opérations de secours, assurée par le maire et le préfet, est une fonction essentielle, à la tête du dispositif de sécurité civile.

Il faut poursuivre les efforts afin de se former ensemble à la gestion des risques de manière partagée et collaborative. Nous avons besoin de la coopération de l'ensemble des partenaires sous la tutelle de nos maires et de nos préfets.

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Je rejoins vos propos. Je pense que le meilleur atout en matière de gestion de crise est la prévention. J'ai bien noté l'importance de l'acculturation de la population en matière de sécurité civile. Pensez-vous qu'il y ait des axes d'amélioration, notamment en matière de direction des opérations de secours ? Je souhaiterais également vous entendre sur le financement de notre modèle. La contribution principale est assurée par les départements, avec une participation de l'État. Est-ce que ce modèle vous semble suffisant, ou avez-vous des pistes d'évolution à suggérer en la matière ?

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Grégory Allione, inspecteur général, directeur de l'École nationale supérieure des officiers de sapeurs-pompiers (Ensosp)

En ce qui concerne les améliorations qui pourraient être apportées au fonctionnement de notre modèle de sécurité civile, je pense en premier lieu à la formation de nos élus. L'Ensosp doit être mise à contribution pour la formation de plus de responsables qu'aujourd'hui.

L'école nationale doit-elle pour autant accueillir tout le monde ? Non, bien entendu. En revanche, elle est en mesure de former des officiers de sapeurs-pompiers et certains élus territoriaux afin qu'ils diffusent la parole dans leur territoire. Nous travaillons également à former des formateurs.

Nous devons également faire en sorte de nous former avec les autres. C'est tout l'esprit du bâtiment de mise en situation professionnelle. Il s'agit de se former avec les préfets et les cadres des territoires, afin de d'améliorer notre résilience et l'information du public. Le décret ayant fondé l'école nationale a prévu la possibilité de former une pluralité d'acteurs, nous devons donner les moyens à l'institution d'agir en ce sens.

Quant au sujet du financement le rapport de l'IGA, paru à la suite de la promulgation de la loi Matras, a souligné les efforts à mener en matière de formation. Nous sommes en train de conduire un certain nombre de réformes afin d'être beaucoup plus efficaces sur ce point. Il s'agit d'optimiser la dépense en formant de manière plus performante. Aujourd'hui, nous sommes confrontés à une demande croissante en matière de sécurité civile et de sollicitations opérationnelles, alors que la capacité de financement ne croît pas en proportion. Sans constituer un effet ciseau, l'absence d'adéquation entre les moyens financiers et les besoins réels engendrent une pression sur nos moyens matériels, sur les casernements et sur le personnel.

Notre capacité à répondre tant aux sollicitations du quotidien qu'aux évènements exceptionnels est un véritable enjeu pour notre modèle de protection civile. Il nous faut développer une réponse innovante tant pour les financements que dans notre organisation, pour faire face aux nouveaux risques majeurs tels que le réchauffement climatique.

L'une des réponses à construire pourrait être l'instauration d'un service national universel (SNU) qui serait obligatoire et un peu plus long. Ce service permettrait à nos jeunes de s'initier à l'engagement citoyen, au bénéfice du monde de la sécurité civile. Ce serait une belle piste pour constituer un socle commun d'engagement de citoyens au travers de la sécurité civile, mais ce n'est pas la seule piste possible.

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Vous avez évoqué à plusieurs reprises l'hétérogénéité des politiques publiques mises en œuvre dans les territoires. J'aimerais donc vous entendre préciser votre analyse sur ce sujet.

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Grégory Allione, inspecteur général, directeur de l'École nationale supérieure des officiers de sapeurs-pompiers (Ensosp)

Je l'ai effectivement évoqué de manière assez sibylline. Aujourd'hui, notre direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises a énormément de dossiers à traiter. Elle rencontre des difficultés à s'armer pour permettre l'animation et la coordination du réseau des SDIS.

Comment un préfet est-il aujourd'hui informé des consignes données par le ministre de l'intérieur en matière de sécurité civile ? Malgré quelques courriers et circulaires, il n'y a pas de politique publique identifiée que les préfets devraient mettre en œuvre dans ce domaine, ni de résultat attendu en matière de recrutement de sapeurs-pompiers volontaires ou de réduction du nombre de décès dans des feux d'habitation individuelle.

L'autorité préfectorale est attendue, en matière de prévention, pour la réduction du nombre de morts sur les routes. Elle doit en ce sens œuvrer en matière de prévention et de sécurité routière. Ce parallèle vous montre que l'expression d'une politique de sécurité civile globale et harmonisée trouverait matière à guider l'action préfectorale au bénéfice des SDIS.

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Comment pourrait-on avoir demain une véritable trame européenne de la formation des officiers de sécurité civile ? Comment valoriser les compétences propres de chaque pays ? L'expérience française en matière de prévention et de gestion du risque de feux de forêts est, par exemple, mondialement reconnue. Nous avions évoqué une formation dans laquelle les différentes écoles pourraient être en lien, afin de constituer une école européenne de la sécurité civile, composée d'îlots dans différents pays. La spécialisation de chacun permettrait d'avoir des échanges réels et concrets entre nos officiers, qui seront confrontés demain à des catastrophes et à des risques majeurs, que ce soit en France ou dans les autres pays de l'Union européenne.

Au-delà de l'Union européenne, ce modèle pourrait également concerner l'Union pour la Méditerranée. Le bassin méditerranéen est confronté à des crises majeures, comme cela a été rappelé récemment par les tremblements de terre en Turquie et au Maroc, ainsi que les feux de forêt catastrophiques en Grèce.

Les officiers de la sécurité civile de toute l'Union européenne et du bassin méditerranéen devraient donc travailler ensemble, avec une même formation et des pratiques identiques, afin que tout le monde puisse se comprendre. J'aimerais connaître votre vision de cette école européenne de la sécurité civile. Serait-il selon vous possible et intéressant de travailler sur cette thématique ?

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Grégory Allione, inspecteur général, directeur de l'École nationale supérieure des officiers de sapeurs-pompiers (Ensosp)

Le Président Macron s'est impliqué sur ce sujet au cours de la présidence française de l'Union européenne (PFUE), au premier semestre 2022. Dans un premier temps, en tant que président de la fédération, j'ai eu l'impression de ne pas être entendu par l'administration sur la nécessité de mettre en avant les sujets de sécurité civile au cours de la PFUE. Le Président a finalement choisi d'agir sur cette thématique, à raison, dans un moment où nous faisions face à des événements majeurs et dramatiques en matière de feux de forêt sur notre territoire.

Nous renforçons de manière préventive le dispositif feux de forêt en Grèce depuis deux ans. Pour la première fois, des modules européens sont venus en France cet été. Je les ai accueillis à l'école nationale, qui fait office de porte-avions en termes de soutien et de renfort. Nos dispositifs d'hébergement et de restauration conséquents sur le plan pédagogique sont ainsi mis à disposition pendant certaines périodes opérationnelles. Ce sera notamment le cas lors des Jeux olympiques, qu'il s'agisse de nos cadres ou de nos bâtiments.

L'Union européenne est un élément très important sur le plan de la réponse opérationnelle. Le ministre de l'intérieur, M. Gérald Darmanin, est en train de construire une flotte quasi européenne, en permettant le financement d'avions via l'Union européenne et en mettant à disposition la base aérienne de la sécurité civile de Nîmes. Ces efforts doivent être poursuivis sur le plan opérationnel et matériel.

En ce qui concerne la formation, je soumets à votre sagacité un Erasmus de la sécurité civile. Il s'agit du partage de connaissances au travers de la spécialisation et des spécialités de chaque territoire. Ce dispositif pourrait prendre toute sa place en permettant à nos cadres d'échanger. Vous avez également évoqué l'élargissement du dispositif à l'Union pour la Méditerranée, qui est selon moi une évidence. Il faudrait même penser ce dispositif à l'échelle mondiale.

C'est la première fois que des sapeurs-pompiers français partent au Canada afin d'éteindre des feux pendant plus d'un mois et demi. En ce moment, nous avons des experts en Australie. J'avais fait une mission en Australie en janvier 2020, à l'occasion de grands feux. Nous sommes partis au Chili en début d'année. Nous nous rendons dans l'ensemble du spectre du globe terrestre. Il n'y a pas une semaine qui se passe sans que se produise un événement dramatique à un endroit sur notre Terre.

Le dérèglement climatique constitue un sujet mondial, et la réponse en termes de protection civile l'est tout autant. L'Union européenne a su, par différents mécanismes, se mettre en position de répondre à ces enjeux-là. L'ONU doit, quant à elle, fournir un modèle de réponse plus efficace et plus opérationnel, afin de permettre des formations communes et d'apporter des réponses harmonisées aux sollicitations des différents pays.

Tous les pays ne pourront pas répondre aux conséquences du dérèglement climatique ; or si ces conséquences ne sont pas prises en charge par une réponse adaptée, elles engendreront des mouvements de population, comme nous en connaissons malheureusement pour d'autres raisons. Le sujet de la protection civile est donc un sujet de l'Union européenne, de l'Union pour la Méditerranée et, plus largement, un sujet mondial.

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Merci beaucoup pour ces échanges et vos réponses. N'hésitez pas à nous apporter une contribution écrite. Nous serons peut-être amenés à échanger à nouveau lorsque nous ferons le point sur toutes les auditions que nous aurons menées afin de rédiger notre rapport.

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Grégory Allione, inspecteur général, directeur de l'École nationale supérieure des officiers de sapeurs-pompiers (Ensosp)

Je reste bien évidemment à votre disposition.

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Cette mission d'information a débuté il y a un peu plus de deux mois. Nous avons pu toucher du doigt beaucoup de choses, mais certains sujets mériteraient d'être approfondis. Le monde des sapeurs-pompiers constitue une pierre angulaire de notre système. Vous avez également parlé de la formation des élus et des partenaires, ainsi que de l'acculturation de la population et de la citoyenneté. En fait, c'est un peu la raison d'être de cette mission d'information. Nul doute que nous aurons l'occasion d'en reparler. Je vous remercie.

Puis, la mission d'information réunit une table ronde, ouverte à la presse, consacrée au contexte, à la gestion et aux conséquences de la tempête survenue en octobre 2020 dans les Alpes-Maritimes.

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Nous poursuivons notre cycle d'auditions avec une série de tables rondes consacrées à des catastrophes naturelles ou industrielles récentes ayant particulièrement éprouvé notre système de sécurité civile. Nous voulons partir de l'expérience du terrain pour évaluer notre système de sécurité civile. Trois ans après la tempête Alex, qui a frappé avec une violence inouïe les vallées des Alpes-Maritimes, nous avons souhaité avoir ce temps d'échange pour réfléchir à cette épreuve qui a marqué ce département.

Nous sommes heureux d'accueillir monsieur Sébastien Olharan, maire de Breil-sur-Roya, commune lourdement affectée, et conseiller départemental chargé de la reconstruction. Nous accueillons également monsieur Jean-Pierre Vassallo, maire de Tende ; monsieur Xavier Pelletier, ancien préfet délégué à la reconstruction des vallées ; madame Anne-Cécile Novella, cheffe du service interministériel de défense et de protection civiles ; monsieur le contrôleur général René Dies, directeur du SDIS des Alpes-Maritimes ; et monsieur le colonel Sébastien Thomas, commandant du groupement de gendarmerie départementale. Je vous remercie de votre présence.

Je vous informe que cet échange est diffusé en direct sur le site de l'Assemblée nationale et qu'il sera consigné dans un compte-rendu annexé à notre rapport, que nous espérons pouvoir rendre au printemps prochain. Notre mission est composée de 25 députés issus de tous les groupes politiques de l'Assemblée nationale et a été initiée par le groupe Horizons. Mon collègue Didier Lemaire en est le rapporteur. Elle a pour but de mieux comprendre ce qui fait la force, mais aussi les faiblesses de notre modèle de sécurité civile. L'objectif de cet échange est d'aborder à la fois le contexte, la gestion et les conséquences de la tempête Alex, mais aussi plus largement de discuter de la protection et de la sécurité civiles de notre pays et de ses possibles évolutions.

N'hésitez pas à nous faire part de vos critiques. Il s'agit d'identifier ce qui va bien, mais aussi ce qui pose plus de difficultés et a moins bien fonctionné. C'est ainsi que vous nous aiderez à comprendre comment nous pouvons encore améliorer notre système, afin de faire face aux crises de demain dans les meilleures conditions possibles. J'ajoute qu'une délégation de notre mission d'information aura le plaisir de se rendre dans votre département au début de l'année prochaine. Cela nous permettra de prolonger ces échanges sur le terrain.

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Il s'agit effectivement d'une mission d'information dont j'ai demandé, avec mon groupe politique, la création. J'ai eu la chance d'œuvrer au sein des sapeurs-pompiers pendant plus de 30 ans en tant que volontaire, puis professionnel. J'ai également été élu local en tant qu'adjoint au maire de ma ville. Comme beaucoup d'entre nous, j'ai eu à gérer des crises de part et d'autre de la barrière.

Sur un sujet tel que la sécurité civile au sens large, c'est-à-dire la protection et le soutien aux populations, nous faisons face à des crises de plus en plus importantes, qu'elles soient d'ordre naturel, technologique, sanitaire ou autre. Ces sujets sont de plus en plus prégnants et sont régulièrement d'actualité. Nous le voyons encore aujourd'hui avec les inondations dans le nord de la France Pourriez-vous tout d'abord nous expliquer quels sont les risques principaux dans votre département et de quelle manière ils ont évolué ces dernières années ?

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Anne-Cécile Novella, cheffe du service interministériel de défense et de protection civiles

Je représente la préfecture des Alpes-Maritimes et un service spécialisé en matière de prévention et de gestion de crise. Ce département est confronté à tous les risques majeurs. En ce qui concerne les risques naturels, il s'agit en fait de tous les risques possibles, à l'exception des cyclones et des volcans.

Cela inclut également des risques récurrents, tels que les inondations ou les feux de forêt, et des risques avec une occurrence plus faible, mais qui existent malgré tout : les séismes, les tsunamis et les avalanches. Notre beau département, qui est un territoire de contraste, comporte donc des risques des montagne et de littoral.

En ce qui concerne les risques technologiques, sans être le département le plus industrialisé, nous accueillons tout de même quelques sites Seveso. Cela implique donc un risque industriel, principalement lié à des industries situées dans le pays grassois. Il existe d'autres risques technologiques liés au transport de matières dangereuses ou radioactives, ainsi qu'un grand barrage situé dans le Var, pour lequel les conséquences d'un éventuel incident toucheraient notre département, principalement du côté de Cannes et de Mandelieu-la-Napoule.

Bien sûr, nous rencontrons aussi des risques sanitaires auxquels nous sommes tous confrontés, ainsi que des risques sécuritaires importants : nous avons été marqués à deux reprises par des attentats et des phénomènes de violence urbaine, en particulier cet été. Nous devons aussi régulièrement gérer des manifestations. Le panorama des risques est donc très vaste dans les Alpes-Maritimes.

Ces dernières années, nous avons connu des périodes d'inondations intenses et rapides. Nous avons également eu à gérer des problématiques liées à un afflux de déplacés ukrainiens. Nous avons donc été bien occupés en matière de gestion de crises.

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René Dies, contrôleur général et directeur du service départemental d'incendie et de secours (SDIS) des Alpes-Maritimes

Il existe également un risque qu'on pourrait qualifier de touristique, puisque la population du département double à cette période de l'année. Sur le risque courant au niveau des sapeurs-pompiers, l'activité est donc elle aussi multipliée par deux pendant l'été.

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De quelles capacités disposez-vous en termes de moyens humains et matériels pour répondre à ces différentes crises ? Je pense également au tissu associatif en matière d'associations agréées de sécurité civile.

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René Dies, contrôleur général et directeur du service départemental d'incendie et de secours (SDIS) des Alpes-Maritimes

Concernant le SDIS, notre département est assez richement doté en termes de sapeurs-pompiers. Pour lutter contre les feux de forêt, nous disposons de trois hélicoptères bombardiers d'eau. Notre dispositif opérationnel de feux de forêt est composé de 200 personnes dédiées uniquement aux incendies de forêt. Nous avons une réponse opérationnelle qui existe pour tous les autres risques. Et ce, au niveau du corps départemental et pour toutes les spécialités qui ont été évoquées.

Ce modèle de sécurité civile fait que les départements sont solidaires les uns avec les autres. Il existe donc une aide qui vient de l'extérieur. Nous avons pu en bénéficier de dans le cadre de la tempête Alex et en l'occurrence, l'aide extérieure est arrivée très rapidement. Les autres SDIS et les IUT de sécurité civile nous ont donné un grand coup de main. Même si ce n'est pas toujours suffisant, nous avons donc à notre disposition des moyens conséquents qui peuvent être mobilisés pour répondre à nos besoins en cas de crise.

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Anne-Cécile Novella, cheffe du service interministériel de défense et de protection civiles

En ce qui concerne les moyens associatifs que nous pouvons mobiliser, j'évoquerai en particulier les associations agréées de sécurité civile. 21 associations agréées sont recensées dans les Alpes-Maritimes. 9 d'entre elles disposent d'un agrément national, et les plus connues sont la Croix-Rouge et la protection civile. 12 de ces associations sont agréées au niveau départemental.

Depuis plusieurs années, nous travaillons de manière étroite avec elles afin de créer une complémentarité d'actions. Il s'agit de les sensibiliser et de les impliquer de manière régulière dans la gestion de crise. Pour ce type de crise comme pour la tempête Alex, nous avons un potentiel très important de bénévoles qui se mobilisent spontanément. On note au sein de la population un très grand élan de solidarité spontanée à chaque crise, que ce soit sur le terrain ou par des dons. Il est donc important de prendre en compte ce potentiel.

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René Dies, contrôleur général et directeur du service départemental d'incendie et de secours (SDIS) des Alpes-Maritimes

Permettez-moi d'ajouter que le département des Alpes-Maritimes a une particularité très importante. Il s'agit de Force 06.

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Sébastien Olharan, maire de Breil-sur-Roya, conseiller départemental des Alpes-Maritimes en charge de la reconstruction consécutive à la tempête Alex

Le service Force 06 fait partie du conseil départemental. Il s'agit d'un service de sapeurs forestiers qui est utilisé pour intervenir sur les différentes catastrophes ou en prévention face aux risques naturels. Il est composé de 184 agents, répartis sur 13 bases dans les Alpes-Maritimes.

Il s'appuie sur un service de caméras pour repérer les départs de feu et sur des systèmes de tour de guet en période estivale. D'ailleurs, ce service est très souvent appelé pour des catastrophes se produisant en dehors du département. Il est notamment intervenu dans le Finistère, l'Aude et le Var, lors de la tempête Xynthia. Il constitue un très bel appui des forces du SDIS en cas de catastrophes naturelles, quelles qu'elles soient.

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Sébastien Thomas, colonel et commandant du groupement de gendarmerie départementale des Alpes-Maritimes

Le groupement de gendarmerie des Alpes-Maritimes est composé de 850 gendarmes d'active et d'une réserve opérationnelle de 600 personnes qui peut être mobilisée. Dans le cadre notre activité de gestion de crise, nous constatons rapidement que l'ampleur des dégâts et l'intensité d'une crise telle que la tempête Alex aboutit vite à dépasser les capacités du seul groupement de gendarmerie.

L'organisation de la gendarmerie pour gérer les crises consiste à alimenter un échelon de commandement local avec un ensemble de moyens et de capacités lui permettant de continuer à exercer ses missions principales en tout temps et en tout lieu. Il s'agit de missions d'alerte, de renseignement, de maintien de l'ordre, de sécurité publique, d'enquête judiciaire, de secours et d'assistance aux personnes. Dans le cadre de cette tempête Alex, le groupement de gendarmerie a ainsi reçu le renfort de moyens zonaux avec des hélicoptères légers qui étaient le seul type d'aéronefs à pouvoir se poser dans les vallées en raison de l'instabilité des sols.

Nous avons pu bénéficier de renforts immédiats de gendarmes mobiles afin de relever les unités qui avaient subi le premier choc de la tempête du 2 octobre. Au-delà, des moyens nationaux ont été mobilisés : pour l'enquête judiciaire, l'Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale (IRCGN) s'est déplacé puisqu'un travail important de recherche des victimes a été engagé. En l'occurrence, 353 sépultures avaient été emportées ; il fallait ainsi procéder en urgence à l'identification des restes de sépultures et des personnes disparues.

Nous avons également mobilisé l'ensemble des pelotons de gendarmerie des hautes montagnes (PGHM)pour entamer des reconnaissances. Le regroupement n'est donc jamais seul. Des moyens zonaux et nationaux sont rapidement mobilisés. Tous ces effectifs ont été mis à la disposition d'un échelon de commandement unique, à savoir l'échelon territorial. La gendarmerie le décrit et le qualifie comme étant un système intégré.

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Nos travaux ont débuté voici un peu plus de deux mois et nous sommes conscients de la diversité des situations selon la géographie et les moyens disponibles. Ma question s'adresse particulièrement aux maires, à la lumière de l'expérience de la tempête Alex : d'après vous, les élus, notamment les maires, sont-ils préparés à ce type d'événement ? Sont-ils assez formés ? Quelles difficultés avez-vous pu rencontrer pour faire face à cette tempête ? Vos retours d'expérience pourront contribuer à nous faire avancer vers l'élaboration de propositions visant à améliorer notre système de protection et de sécurité civiles.

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Sébastien Olharan, maire de Breil-sur-Roya, conseiller départemental des Alpes-Maritimes en charge de la reconstruction consécutive à la tempête Alex

Les élus, et en particulier les maires, ont effectivement de multiples outils qui leur permettent de se préparer à une situation de gestion de crise. Ceci étant, je pense qu'on ne peut jamais véritablement être préparé à une catastrophe du type de celle que nous avons vécue. Parmi les outils dont les mairies doivent se doter, figurent notamment les plans communaux de sauvegarde et les documents d'information contre les risques majeurs, qui nous obligent d'une certaine manière à nous projeter dans le scénario d'une catastrophe naturelle ou industrielle. Il s'agit de prendre en compte nos forces et nos faiblesses afin d'y faire face.

Des formations et des exercices nous sont régulièrement proposés. À titre personnel, je n'étais élu que depuis quatre mois lorsque la tempête Alex est survenue. Deux semaines avant cette tempête, un exercice d'inondation avait été organisé à l'échelle du territoire de la communauté d'agglomération de la Riviera française (CARF), et plus spécifiquement de la vallée de la Roya. Il s'agissait de la simulation d'une crue, qui était finalement assez proche de celle que nous avons connue lors de la tempête Alex.

Cet exercice a été organisé avec le Smiage, notre syndicat mixte qui s'occupe de la gestion des milieux aquatiques et de la prévention des inondations, en lien avec la préfecture, la CARF et toutes les entités du territoire. Finalement, lorsque la vigilance rouge est intervenue pour la tempête Alex, nous avons reproduit ce que nous avions fait deux semaines avant. Depuis lors, cet exercice a été décliné sur d'autres bassins versants du département. Même si les choses ne se sont pas passées exactement de la même façon, il a été néanmoins très salutaire pour nous.

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Jean-Pierre Vassallo, maire de Tende

Je suis un élu plus ancien puisque je suis conseiller municipal depuis 1977 et maire depuis 2001. Nous avions été relative épargnés auparavant, lorsque la tempête Alex nous est venue nous « secouer ».Nous avions également effectué un exercice quelques semaines avant la tempête, en lien avec la préfecture. Dans ma commune, nous nous sommes retrouvés complètement isolés du monde pendant quarante-huit heures. Cela démontre que nous n'étions pas préparés assez sérieusement. Sans voie de communication terrestre ni de distribution d'eau, nous avons heureusement pu compter sur nos réserves en eau. Nous n'avions plus de routes, plus de trains, plus de moyens de communication, plus rien ! Heureusement que nous avions des réserves d'eau ! En sachant que la distribution normale de l'eau était totalement interrompue. Nous avons dû distribuer un demi-litre d'eau par personne pour boire et pour l'hygiène personnelle. 300 personnes vivaient dans un hôpital où il n'y avait plus d'eau, ni aucun moyen d'hygiène. En 2020, nous nous sommes donc retrouvés au Moyen Âge !

Heureusement, le Président de la République s'est rendu sur place, puis nous avons pu travailler avec M. le préfet Pelletier, qui nous a accompagnés d'une façon remarquable. Toutes les structures départementales et régionales se sont alors mises à l'œuvre pour répondre aux besoins. Nous avons su tirer les leçons de la tempête Alex. Le département est intervenu d'une manière remarquable, et l'État a agi pour la remise en état de nos routes. À ce jour, 57 kilomètres de routes ont été rétablis. C'est une véritable prouesse ! Nous avons fait preuve de résilience.

D'ailleurs, tout a très bien fonctionné lors de la tempête Aline. Nous avons travaillé avec la préfecture en permanence. Nous avons pu mettre en œuvre ce plan communal de sauvegarde dès le matin et ainsi contacter l'ensemble de la population. Tout le monde a été mis à l'abri et des salles ont été ouvertes. La gestion de crise s'est déroulée d'une manière remarquable. Bien évidemment, il y a encore des axes d'amélioration, mais cela a constitué un exercice en temps réel. Nous avons sensibilisé la population et elle a joué le jeu. Toutes les consignes que nous avons édictées ont été suivies à la lettre. Ceci étant, nous avons la chance que notre département dispose de moyens adéquats pour affronter ce genre de crise. Tout a été géré de façon humaine : c'est ainsi que l'on parvient à avancer.

Ma commune a été fortement impactée et poursuit sa reconstruction – le cimetière n'a pas encore pu être reconstruit à ce jour. Nous avons été très bien encadrés et accompagnés par les services de l'État, le département et la CARF. Dans le département des Alpes-Maritimes, et plus particulièrement dans la vallée de la Roya, la solidarité joue à tous les niveaux.

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Vous évoquiez le rôle important de la commune, de l'intercommunalité, du département, de l'État, du SDIS, des associations agréées et de la gendarmerie. Est-ce que cette coordination a été d'emblée prise en main par la préfecture ? Comment s'est-elle déclinée des premières heures jusqu'au « retour à la normale » ?

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Xavier Pelletier, ancien préfet délégué à la reconstruction des vallées

Je crois que la clé de voûte est l'anticipation. Il s'agit d'être en mesure d'identifier les risques, puis de réagir de façon ordonnée. C'est la raison pour laquelle les plans communaux de sauvegarde sont absolument essentiels. Il faut tout d'abord les rédiger et les appréhender, mais il faut surtout les éprouver.

Il est bien évidemment préférable de ne pas expérimenter les réponses des plans communaux dans la fureur. La tempête Alex a représenté 500 à 600 millimètres d'eau en moins de dix heures sur des villages tels que Tende ou Saint-Martin-Vésubie, représentant 500 à 600 litres d'eau par mètre carré. Il faut ajouter la déclivité et l'encaissement de ces vallées de montagne. Au-delà du phénomène d'inondation, il y a eu les crues torrentielles, qui ont entraîné des flux hydrauliques extrêmement violents et accompagnés de matériaux, ce qui a bien sûr eu des conséquences pour les équipements et les infrastructures.

Lorsqu'on vit ce type d'événement, tout va très vite. En quelques heures, il n'y a plus d'eau, plus d'électricité ni de liaisons téléphoniques, qu'elles soient mobiles ou fixes. Il faut évacuer et mettre en sécurité la population. Ce qui compte, c'est la capacité à s'organiser rapidement, à bien réagir et à identifier les foyers qu'il faut prendre en considération. Le maire de Tende a dû faire évacuer un Ehpad en pleine nuit et sans lumière. Cela implique bon nombre de choses qui sont extrêmement difficiles à gérer si elles n'ont pas été anticipées ni éprouvées.

La coordination est bien évidemment essentielle, voire vitale. Pour ma part, j'ai géré la crise à partir du16 octobre et jusqu'à la mi-avril. Certains hameaux des vallées sont restés isolés pendant des semaines, impliquant un ravitaillement par hélicoptères. Chacun a dû jouer sa partition.

Le préfet de département avait bien anticipé la crise, notamment à travers les alertes. Il avait décidé de fermer les écoles et d'évacuer les campings vingt-quatre heures avant. Il ne faut pas oublier que la tempête Alex s'est déclenchée un vendredi après-midi. Son intensité a commencé à être très forte le vendredi soir – au moment où les gens sont sur la route et les parents récupèrent leurs enfants à l'école – et pendant la nuit. Le préfet a joué son rôle d'animation du centre opérationnel départemental (COD) avec l'ensemble des forces.

La coordination a également été essentielle lors des jours, des semaines et des mois qui ont suivi. Il y a eu une très bonne coordination entre l'ensemble des acteurs : l'État, le conseil départemental, la métropole Nice Côte d'Azur et la CARF. Nous avons tous travaillé en parfaite entente et en parfaite coordination. C'est la raison pour laquelle nous avons pu rapidement, au regard du contexte et de l'ampleur des dégâts, rétablir les circulations ainsi que l'alimentation en électricité et en eau.

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Anne-Cécile Novella, cheffe du service interministériel de défense et de protection civiles

En ce qui concerne les plans communaux de sauvegarde, nous apportons notre modeste contribution au travers de missions d'appui opérationnel que l'on mène depuis 2017 auprès de l'ensemble des maires. Nous proposons une mission d'assistance pluridisciplinaire qui est coordonnée par nos services. On y intègre des représentants des sous-préfectures concernées, du SDIS, des forces de sécurité intérieure et, depuis peu, des intercommunalités.

L'objectif est de répondre aux besoins particuliers des maires avec un accompagnement très opérationnel pour ce document, qui est fait par la mairie. Lorsqu'il est prêt à être approuvé, nous pouvons en faire une relecture avec des propositions d'amélioration. Il peut y avoir des remarques très concrètes, notamment sur l'annuaire ou le recensement de certains moyens, ou des remarques plus générales. Nous essayons, à chaque fois, d'apporter notre contribution inter-services. D'où l'importance de l'accompagnement à ces démarches.

La tempête Alex est intervenue dans un contexte local un peu particulier. Si le haut pays avait pu être épargné jusqu'à présent, ce n'était pas le cas du bassin littoral et de l'ouest du département qui a connu des épisodes de pluie intenses notamment en 2015, année où il y avait eu une vingtaine de victimes décédées, ainsi qu'en 2019, où nous avions été confrontés pour la première fois à deux vigilances rouges. Ce rappel vous explique le contexte et la culture opérationnelle que nous menons maintenant depuis plusieurs années.

À l'annonce de la tempête Alex, nous avions d'ores et déjà des liens très étroits avec les prévisionnistes de Météo-France. Je pense qu'il faut saluer la pertinence des modèles de prévision qui ont été réalisés dans ce cadre-là. Dès le mercredi, nous avions les premiers signaux d'un épisode intense annoncé. Pour autant, nous ne pouvions pas prévoir la localisation exacte. D'ailleurs, l'annonce concernait plutôt la bande littorale à ce moment-là. Cela a permis aux services d'organiser une montée en charge de l'état des prévisions, ainsi que les premières mesures par anticipation.

C'est la raison pour laquelle nous avons pu diffuser la vigilance orange à l'ensemble de nos partenaires : les maires et les services opérationnels. Les premières mesures ont été prises dès le jeudi après-midi, notamment avec la fermeture des écoles et des crèches du département. Nous avions prévu d'activer le centre opérationnel départemental, c'est-à-dire la cellule de crise préfectorale, le lendemain à 7 heures, en sachant que la vigilance orange débutait à 8 heures et la vigilance rouge à 12 heures. Nous étions donc tous présents en préfecture dès le matin, quelques heures avant le début de l'épisode puisque le pic était annoncé pour la journée du vendredi.

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Je souhaiterais revenir sur le mode opératoire de l'alerte lors de l'avant-crise, ainsi que l'information de la population pendant la crise et l'après-crise. Comment avez-vous appréhendé ce sujet ?

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Jean-Pierre Vassallo, maire de Tende

Pendant la crise, nous avons été complètement surpris. À partir de 19 heures le vendredi soir, nous avons été coupés du monde car toutes les communications étaient interrompues. Cinq hameaux étaient totalement isolés. Nous avons été oubliés pendant quarante-huit heures. Nous nous sommes retrouvés sous une pluie battante et sans électricité. À 23 heures, nous avons dû évacuer un Ehpad avec des personnes en fauteuil roulant sur trois étages. Toutes ces personnes ont été par la suite regroupées au CHU de Nice. Le premier hélicoptère est arrivé quarante-huit heures plus tard, afin d'amener un médecin du CHU de Nice.

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Un retour d'expérience a-t-il été effectué pour analyser les difficultés rencontrées pendant les quarante-huit premières heures, qui ont effectivement dû vous paraître très longues ?

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René Dies, contrôleur général et directeur du service départemental d'incendie et de secours (SDIS) des Alpes-Maritimes

Cet événement a entraîné une intervention hors normes parce que nous avons vécu un black-out pendant dix heures. Dans une société comme la nôtre, où la communication et l'information sont essentielles, nous avons tous été déstabilisés. Plus rien ne fonctionnait et la situation a été terrible. Nous avons d'ailleurs perdu deux hommes.

Ensuite, tout le monde s'est remis en ordre de marche. C'est en cela qu'une crise se différencie d'une urgence : lors d'une urgence, on sait ce qui va se passer et on s'organise en conséquence, alors que, lors d'une crise, il faut construire de nouvelles réponses. S'il y a vraiment une chose à retenir en termes de retour d'expérience, c'est l'anticipation et le confinement des populations. Le préfet des Alpes-Maritimes a pris des mesures essentielles, en s'appuyant sur des prévisions météorologiques qu'il savait fiables. La mobilisation de moyens et de forces humaines a été décisives Ainsi, lorsqu'une vigilance rouge est annoncée, il ne faut pas hésiter à confiner la population. Des moyens importants ont été déployés sur le terrain et cette stratégie s'est avérée payante.

Nous avons vécu trois phases. Il y a eu une phase d'anticipation, lors de laquelle nous nous demandions ce qui allait se passer. Elle a été suivie d'une phase de réflexe et d'application des mesures décidées précédemment, comme la fermeture des établissements et la réalisation de sauvetages. Grâce à nos mesures préventives, les besoins de sauvetage ont été limités. Le message et l'expérience que nous en retirons, c'est la nécessité d'anticiper et de prendre des mesures préventives de protection de la population. Malgré tout, il y a eu 18 morts, dont 8 disparus.

En l'occurrence, les sauvetages ont été limités parce que nous avions anticipé les conséquences de la crise. Si j'avais un message à faire passer, ce serait que dans de telles situations, il ne faut anticiper et pas hésiter à tout arrêter pour éviter ensuite les morts et les disparus, et même les sauvetages. Il faut être humble face à des événements comme ceux-là. On ne sait pas lutter contre une tempête, mais nous pouvons en anticiper les conséquences. Il faut donc confiner les gens. Si on a pu confiner les gens pendant trois mois lors de la crise du Covid, nous pouvons bien le faire pendant vingt-quatre heures…

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Sébastien Olharan, maire de Breil-sur-Roya, conseiller départemental des Alpes-Maritimes en charge de la reconstruction consécutive à la tempête Alex

Finalement, nous sommes bien préparés à gérer la crise en tant que telle et l'alerte en amont. D'ailleurs, la tempête Aline a été gérée sans qu'il y ait de conséquences sur les personnes. Cela s'explique en partie par le fait que nous sommes désormais bien rodés sur ces dispositifs d'alerte. En revanche, les maires ne sont pas du tout préparés au lendemain ; surtout quand les services fonctionnent en mode dégradé et sans moyens de communication.

Nous savons gérer les crises en théorie, mais lorsqu'il n'y a plus d'électricité, lorsque tout prend l'eau ou est inondé, nous ne sommes pas forcément préparés aux différents imprévus. Il s'agit également de gérer tous les moyens qui sont envoyés de l'extérieur. En tant que directeur des opérations de secours, le maire est habitué à coordonner les moyens locaux. En revanche, une fois que la catastrophe a frappé, des moyens très importants sont bien évidemment mobilisés, et le maire n'est pas du tout en mesure de coordonner des moyens aussi conséquents lorsqu'ils sont mobilisés sur place.

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Jean-Pierre Vassallo, maire de Tende

Pendant trois semaines, nous avons pu transférer le personnel hospitalier vers une commune voisine, qui compte également une maison de retraite. Avec mon adjoint, nous avons prêté nos quads à la gendarmerie, qui s'est occupée du transfert du personnel hospitalier entre Tende et La Brigue. C'est une anecdote, mais cela a permis au personnel hospitalier d'assurer le bon fonctionnement des établissements. Le vieil élu que je suis n'oubliera jamais l'accompagnement du préfet Pelletier, qui nous a permis de travailler dans des conditions remarquables.

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Nous ressentons à travers vos propos les difficultés qui ont dû être les vôtres. Je pense que personne n'aurait voulu être à votre place. Je tiens à vous féliciter pour la gestion de crise que vous avez mise en œuvre les uns et les autres. Je suis ravi que nous soyons amenés à nous déplacer dans votre département, parce qu'il va nous falloir un peu plus de temps pour creuser certains sujets.

Vous parliez de black-out, et je crois que nous touchons là au cœur des problématiques étudiées par notre mission d'information. J'ai entendu ce que vous avez dit sur le rôle de chacun, et notamment des élus. Heureusement que vous étiez préparés, formés et intéressés sur ces sujets ! D'ailleurs, les premiers gestes partent souvent de l'échelon communal. Ensuite, il y a bien évidemment les services de l'État, les SDIS, la gendarmerie, le département et la métropole.

Je crois que nous n'avons pas évoqué le sujet de l'acculturation des citoyens à la sécurité civile. Monsieur le contrôleur général a évoqué tout à l'heure le confinement des populations. Pensez-vous que la population est le premier acteur en matière de sécurité civile et quel rôle joue cette acculturation ? Qu'en est-il des touristes, que vous évoquiez tout à l'heure ?

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Anne-Cécile Novella, cheffe du service interministériel de défense et de protection civiles

Le sujet de la culture du risque s'est imposé après les intempéries d'octobre 2015. J'évoque beaucoup cet épisode, parce qu'il constitue un point de rupture important dans les Alpes-Maritimes. Il y a eu à cette occasion-là une prise de conscience collective, que ce soit de la part des autorités ou de la population, avec des enseignements collectifs importants.

Les intempéries de 2015 ont causé la mort de 20 victimes. La majorité de ces décès sont liés à de mauvais comportements. 8 personnes sont décédées dans le parking d'une résidence en essayant de récupérer leur véhicule. D'autres ont volontairement déplacé des panneaux de signalisation routière et ont malgré tout emprunté des routes inondées. Bien évidemment, ces différents épisodes ont donné lieu à des retours d'expérience, ce qui est important pour l'acquisition d'une culture du risque.

Ensuite, avec le préfet et son directeur de cabinet de l'époque, nous avons souhaité mener des actions de sensibilisation fortes, au-delà des cérémonies de recueillement et d'hommage aux victimes, lors de la date anniversaire de ces intempéries, le 3 octobre. Nous avons instauré une initiative qui était initialement locale : la journée départementale des risques majeurs. Elle est organisée chaque 3 octobre depuis l'année 2016.

Au début, nous mettions en avant des exercices effectués avec l'Éducation nationale, dans le cadre des plans particuliers de mise en sûreté. Des démonstrations étaient conduites par les services opérationnels. Depuis plusieurs années, grâce au concours des collectivités locales et au fonds Barnier, nous organisons des « villages inondations » destinés au public scolaire. Cette année, nous avons sensibilisé près de 400 élèves de CM1 et CM2 dans différentes communes, dont Nice. Ces exercices concernent également les thématiques des feux de forêt et des séismes. Il s'agit d'actions menées chaque année pour sensibiliser les plus jeunes, en complément de la journée de résilience pérennisée par le Gouvernement.

Nous avons été précurseurs, mais c'est maintenant intégré à cette démarche. Sans oublier toutes les actions d'information que l'on peut mener auprès du public. Les campagnes d'information sont bien adaptées aux risques de pluies intenses dans le département. Elles sont diffusées par radio, sur les réseaux sociaux et dans la presse écrite. Nous avons à cœur de développer ces actions.

En revanche, pour être un peu critique vis-à-vis de cette démarche, nous avons un peu plus de difficultés à toucher les plus grands. Nous avons essayé de faire des actions de sensibilisation, notamment à l'égard de salariés ou du grand public. Il en ressort qu'il est un peu compliqué de toucher cette partie-là de la population. C'est donc un point sur lequel nous devons travailler, pour répliquer ce qui fonctionne très bien auprès du public scolaire, qui est le meilleur ambassadeur pour parler des risques.

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Xavier Pelletier, ancien préfet délégué à la reconstruction des vallées

Les citoyens sont effectivement les premiers acteurs de la sécurité civile. Si nous ne les amenons pas à apprivoiser l'ensemble des risques qui se trouvent dans leur environnement, nous aurons beaucoup de difficultés à gérer ces épisodes, qui vont désormais être récurrents : les inondations, les crues torrentielles, voire les laves torrentielles, et les évènements dits ricochets tels que les glissements de terrain.

Plusieurs journalistes m'interrogeaient récemment sur la résilience ; c'est un sujet extrêmement important, notamment lors de la reconstruction. Par exemple, il ne faut pas mettre des parkings en zone inondable, puisqu'on sait très bien que les gens ont de mauvais réflexes : ils se mettent en danger pour sauver leurs véhicules, qui constituent ensuite des embâcles potentiels. Il est absolument essentiel de prendre en compte tous ces éléments, mais la résilience ne sera jamais absolue. Il existera toujours des parts de vulnérabilité que nous ne pourrons pas traiter.

Lors des premiers mois de la reconstruction, les gens ont considéré qu'on allait endiguer partout et qu'il n'y aurait à l'avenir plus aucune exposition aux risques. Or, c'est impossible. Tout d'abord, il y a une question de coût. Il s'agit également de notre capacité à mettre en œuvre des dispositifs qui ont, par ailleurs, un impact important sur la nature et les paysages, notamment. Il est donc essentiel de travailler sur la pédagogie.

Une campagne de la sécurité civile a été menée il y a quelques années. Il s'agissait de « Arlette, la tortue d'alerte ». Le premier réflexe était effectivement le confinement. En alerte rouge intempéries, on ne s'expose pas. Dans ce cas, il est important d'écouter la radio pour se tenir informé. D'ailleurs, à l'occasion des différents événements dramatiques que nous avons vécus dans les Alpes-Maritimes, les médias ont vraiment joué le jeu.

Je pense également aux plans communaux de sauvegarde et aux réserves citoyennes. C'est une stratégie qui consiste à mobiliser la population en lui expliquant comment réagir face aux différents types d'événement. Il s'agit notamment de renforcer les effectifs de la commune pour gérer les événements et veiller sur les plus faibles et les plus exposés. Cela implique certainement beaucoup plus d'efforts à faire, et je pense en particulier que la journée de la résilience est une bonne initiative. Pour autant, il faut intégrer l'ensemble de ces problématiques dans une appréhension plus globale des citoyens et des autorités publiques.

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Sébastien Thomas, colonel et commandant du groupement de gendarmerie départementale des Alpes-Maritimes

Malheureusement, la toute dernière tempête nous a démontré qu'en dépit d'informations parfois massives par les médias, il y a toujours des gens qui prennent des risques absolument démesurés. Nous avons dû dernièrement faire partir des gens qui venaient sur la côte pour voir les vagues s'écraser. Ce type d'intervention s'est reproduit lors de la tempête Aline. Il faudra donc toujours composer avec l'indiscipline de certains de nos concitoyens. Lors des phases d'alerte et pendant les crises, des gendarmes et d'autres acteurs doivent être déployés pour faire respecter les interdictions.

Au-delà de la résilience des citoyens, il y a la résilience individuelle des agents de l'État et des collectivités locales, à qui l'on demande de s'engager et d'intervenir en pleine tempête et, ainsi, de s'exposer à des risques importants. Lors de la tempête Alex, des gendarmes, des pompiers et des agents des voiries étaient sur le terrain alors que tout s'écroulait autour d'eux. Dans de tels cas, ces personnes sont alors en situation d'isolement, ce qui constitue pourtant le premier risque – sachant que lorsque la pluie tombe fort, les montagnes peuvent s'écrouler et couper les axes.

La gendarmerie insiste beaucoup sur la robustesse, la résilience, l'engagement, la solidarité et l'état d'esprit militaire lors des formations. C'est absolument essentiel puisque, contrairement à d'autres, nous devons être présents sur le terrain pendant les tempêtes, que ce soit pour protéger nos concitoyens ou pour leur porter secours. Cela nécessite une culture et une formation très spécifiques, qui s'acquièrent également par l'expérience des crises successives.

C'est la raison pour laquelle la formation de tous ceux qui interviennent sur le terrain est absolument essentielle. Au-delà des gendarmes et des pompiers, qui font finalement ce que l'on attend d'eux, cela concerne également tous les agents, notamment des collectivités locales, qui sont amenés à intervenir à nos côtés.

Il y a toujours une question théorique que l'on peut se poser. Les gendarmes vivent en caserne avec leurs familles, qui sont donc également exposées aux risques. Comment les gendarmes réagissent-ils si leurs biens disparaissent, si leur maison est emportée, si leur famille est menacée. ? Seront-ils toujours capables d'agir ? La tempête Alex, tout comme la tempête Irma survenue dans les Antilles, nous démontre que tel est le cas. Je pense que c'est révélateur d'un système d'information et de ressources humaines qui montre sa validité et qui tient le choc face aux crises majeures et soudaines. D'où l'importance de la formation initiale de tous les agents qui interviennent dans de telles crises.

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Xavier Pelletier, ancien préfet délégué à la reconstruction des vallées

Dans le cadre du sauvetage, lorsque des habitants refusent d'évacuer leur maison qui est exposée aux risques, il serait nécessaire que le législateur s'interroge sur la notion d'obligation de porter secours et d'évacuer des personnes qui ne prennent pas toujours en considération l'intensité de l'événement et le danger qu'il représente.

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Sébastien Thomas, colonel et commandant du groupement de gendarmerie départementale des Alpes-Maritimes

Cette question s'est posée lors de la tempête Aline. La gendarmerie a participé à l'évacuation d'environ 450 personnes, et elle a dû se montrer insistante. D'ailleurs, nous n'avons pas laissé le choix à certaines personnes résidant dans des zones que nous savions fragilisées depuis la tempête Alex. Par conséquent, nous avons dû mettre des personnes à l'abri contre leur gré. Cela s'est finalement bien passé, mais le recours à la force publique s'est avéré nécessaire afin qu'elles prennent conscience de leur exposition à des risques inutiles.

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Jean-Pierre Vassallo, maire de Tende

Nous avions constaté ce phénomène lors de la tempête Alex et cela s'est reproduit ensuite lors de la tempête Aline. La police municipale, accompagnée de la gendarmerie, a demandé à des gens de quitter leurs maisons, alors que ces derniers le refusaient. Pour mémoire, la gendarmerie n'a pas la possibilité de les évacuer manu militari. Du coup, que peut-on faire en cas de refus ? À Breil-sur-Roya, un couple a refusé de partir : ils ont été tous deux emportés, et on les a retrouvés à Vintimille.

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René Dies, contrôleur général et directeur du service départemental d'incendie et de secours (SDIS) des Alpes-Maritimes

L'acculturation est la première étape pour l'amélioration de la gestion des crises. Dans les Alpes-Maritimes, nous avons par exemple un regroupement de la citoyenneté permettant la formation du grand public sur des sujets qui ne sont pas forcément propres au SDIS. C'est notamment ce que fait le Japon.

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Je voudrais revenir sur le sujet des réserves communales de sécurité civile. Il me semble que vous vous en êtes doté, monsieur Olharan. Pourriez-vous nous parler du rôle de cette réserve, de ses missions et de son ancienneté ? Il ressort de nos différentes auditions que l'existence et le développement de ces réserves, favorisant la réactivité au plus près du terrain, varie beaucoup en fonction des territoires – sachant qu'il peut aussi exister un écart entre la théorie et la pratique.

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Sébastien Olharan, maire de Breil-sur-Roya, conseiller départemental des Alpes-Maritimes en charge de la reconstruction consécutive à la tempête Alex

Permettez-moi d'apporter une précision concernant le couple de Breil-sur-Roya qui a été emporté avec sa maison. Il semblerait que ce soit un voisin qui leur ait proposé d'évacuer, et non une autorité véritablement constituée. Ces personnes, âgées respectivement de 80 et 100 ans, avaient forcément des réticences à quitter leur maison. D'ailleurs, la question est de savoir qui est censé le faire et ce que l'on entend par une proposition d'évacuation.

En ce qui concerne la réserve communale de sécurité civile, sur le territoire de la CARF, une seule commune en disposait au moment de la tempête Alex : Castellar. D'ailleurs, cette réserve communale de sécurité civile est venue à Breil-sur-Roya pour nous proposer son aide. J'avais eu l'occasion de les rencontrer deux mois avant la tempête Alex, d'où ma volonté de doter Breil-sur-Roya d'un tel dispositif.

Le 2 octobre 2020, c'est-à-dire le jour de la tempête Alex, j'ai envoyé une convocation pour une réunion du conseil municipal, dont l'ordre du jour comprenait un point portant sur la création d'une réserve communale de sécurité civile. Par conséquent, cette réserve n'était pas encore en place au moment de la tempête Alex. Elle a bien évidemment été créée depuis lors, et une vingtaine de personnes de la commune se sont portées volontaires pour en faire partie. L'expérience de la tempête Alex peut effectivement susciter des vocations et constituer de bonnes raisons de s'engager dans une réserve communale de sécurité civile, dont l'utilité est évidente pour tout le monde.

Nous avons eu l'occasion d'expérimenter le fonctionnement de la réserve lors de la tempête Aline. Son objectif est de venir en appui des forces de sécurité. Elle doit veiller à ce que certaines personnes ne puissent pas accéder à certains secteurs. Nos moyens de gendarmerie et de police municipale ne sont ni extensibles, ni mobilisables partout ; il s'agit donc de les positionner à certains endroits stratégiques, afin d'éviter que des gens se mettent en danger.

Les réservistes relaient les alertes auprès de la population. Ils s'occupent également de toutes les missions d'appui et de soutien aux populations, et notamment la gestion du centre d'hébergement d'urgence. Une équipe de la Croix-Rouge était montée de Saint-Laurent-du-Var lors de la tempête Alex. Il est vraiment utile pour nous d'avoir des forces locales, des personnes mobilisées et des moyens. Nous nous sommes d'ailleurs équipés pour héberger des populations. Lors de la tempête Alex, nous avons accueilli 86 personnes au centre d'hébergement d'urgence, grâce aux moyens que la Croix-Rouge a pu déployer sur place.

Lors de la tempête Aline, afin de démultiplier nos moyens, nous avons constitué des binômes composés d'un policier municipal et d'un bénévole de la réserve communale de sécurité civile. Ce fonctionnement nous a permis de multiplier par deux notre présence sur le terrain et nos patrouilles. J'ai pu constater qu'il était assez simple de mobiliser une réserve communale de sécurité civile, car les réservistes comprennent facilement leur rôle et trouvent leur place en cas de vigilances orange ou rouges.

En revanche, un travail très important est nécessaire pour la faire vivre. Il est facile de la créer, mais encore faut-il faire régulièrement des exercices et des formations, entretenir le lien humain et l'esprit d'équipe. Ce travail est plus compliqué à mener lorsque les contextes météorologiques ne le justifient pas. Lors de l'année 2024, nous allons faire en sorte que cette réserve communale vive, même lorsqu'il ne se passe rien.

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Anne-Cécile Novella, cheffe du service interministériel de défense et de protection civiles

D'après les connaissances dont la préfecture des Alpes-Maritimes dispose, 27 réserves communales de sécurité civile sont recensées sur 163 communes. Il y a également une réserve intercommunale pour le pays de Grasse.

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René Dies, contrôleur général et directeur du service départemental d'incendie et de secours (SDIS) des Alpes-Maritimes

Les réserves communales participent à l'acculturation des populations.

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Nous avons eu l'exemple de l'expérimentation d'une réserve départementale en Gironde. En tant que conseiller départemental, avez-vous réfléchi à cette possibilité, monsieur Olharan ?

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Sébastien Olharan, maire de Breil-sur-Roya, conseiller départemental des Alpes-Maritimes en charge de la reconstruction consécutive à la tempête Alex

L'intérêt de ces réserves communales est de disposer de forces localisées qui permettent vraiment d'aboutir à un maillage fin du territoire et de permettre une forme de proximité, une capacité à les mobiliser et à travailler localement. Je ne pense pas forcément qu'il soit souhaitable de créer une nouvelle structure à l'échelle départementale, puisque cela pourrait induire un maillage très imparfait.

Nous pourrions en revanche imaginer des réserves communales de sécurité civile dans le plus grand nombre de communes possible, voire dans toutes, tout en ayant une forme d'entité départementale en appui. Ceci dit, c'est déjà ce que fait la préfecture en les accompagnant, en les formant et en mutualisant tous les moyens. Je pense qu'il serait plus pertinent d'inciter à la création de réserves communales de sécurité civile et de travailler à leur coordination, plutôt que de développer un gros dispositif qui serait géré à l'échelle départementale.

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Vous dites que la meilleure réactivité se trouve au plus près du terrain, grâce à la connaissance de leur commune et leur territoire dont disposent les habitants. Nous pourrions réfléchir à la possibilité qu'une convention ou un partenariat laisse la possibilité aux autres réserves communales de sécurité civile d'intervenir sur le territoire d'une commune touchée par une crise.

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René Dies, contrôleur général et directeur du service départemental d'incendie et de secours (SDIS) des Alpes-Maritimes

Je partage totalement les propos et l'analyse de monsieur le maire de Breil-sur-Roya. Nous avons perdu la proximité depuis trop longtemps, et ce dans bon nombre de domaines. Il en va pourtant de l'efficacité de notre réponse face aux crises.

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Sébastien Olharan, maire de Breil-sur-Roya, conseiller départemental des Alpes-Maritimes en charge de la reconstruction consécutive à la tempête Alex

Cela est vrai surtout dans un territoire comme le nôtre, où toutes les communes peuvent être coupées les unes des autres : en l'occurrence, sur cinq communes de la vallée de la Roya, deux d'entre elles ne pouvaient être rejointes par la route pendant la crise. Si nous avions eu une belle réserve de sécurité civile couvrant la vallée de la Roya dans son ensemble, avec des agents résidant dans trois des cinq communes, il aurait été difficile de les mobiliser dans les communes isolées. La proximité a un sens particulier dans notre territoire, puisque les liens physiques et les infrastructures qui relient nos communes peuvent être eux-mêmes fortement touchés.

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Avez-vous pu tirer des conclusions ou identifier des axes d'amélioration, même si l'on ne sait jamais de quelle ampleur pourrait être le prochain phénomène, qu'il soit naturel ou d'une autre nature ? D'une manière générale, un retour d'expérience sur ces crises a-t-il été mené à l'échelle du département ou de manière plus localisée ?

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Anne-Cécile Novella, cheffe du service interministériel de défense et de protection civiles

Nous avons organisé un retour d'expérience au niveau départemental et celui-ci a été mené avec l'implication de toutes les communes concernées. Nous les avons également impliquées dans le cadre d'un plan d'action qui prévoit différentes mesures. Nous avons par ailleurs participé à un retour d'expérience menée par une mission inter-inspections entre l'inspection générale de l'administration (IGA) et l'inspection générale de l'environnement et du développement durable (IGEDD). Un rapport a également été rendu public sur cet épisode de pluie.

Nous avons pu tirer des enseignements de plusieurs ordres. Indépendamment de la gestion de crise, nous avons beaucoup réfléchi à la question des réseaux. La tempête Alex a frappé tous les réseaux : de communication, de transport, d'eau potable, etc. Nous nous sommes penchés sur la question de la dépendance de ces réseaux, notamment en termes d'énergie. Le black-out que nous avons connu s'explique principalement par les coupures d'électricité, qui ont duré un certain temps.

Pour autant, il convient de saluer Enedis, qui a tout de même rétabli certains réseaux assez rapidement, notamment grâce au déploiement massif de groupes électrogènes. Nous travaillons beaucoup sur les moyens dégradés en termes d'énergie. Indépendamment des sujets climatiques, il existe aussi des sujets liés au délestage électrique, qu'il s'agisse de la prise en compte d'abonnés prioritaires ou de moyens dégradés.

Nous avons tenté d'utiliser les téléphones satellitaires lors de la tempête Alex. J'en faisais beaucoup la promotion auprès de nos partenaires, et en particulier les maires, avant la tempête Alex. Je suis plus nuancée sur ce point aujourd'hui et je pense qu'il convient de trouver des solutions plus globales. Nous travaillons plutôt sur la mise en place d'antennes satellitaires, qui permettent ensuite de capter des réseaux Internet et d'avoir de la téléphonie plus simple.

Tout d'abord, même après une formation, il est difficile de faire fonctionner les téléphones satellitaires. Ils requièrent un branchement de leur batterie et sont très dépendants des conditions climatiques. Or, c'est justement lorsque le ciel n'est pas bleu qu'on en a besoin. Nous travaillons beaucoup sur la multiplication de ces outils avec les mairies, les intercommunalités, le Smiage et le SDIS.

Il y a également une solution novatrice que nous n'avons pas évoquée. Nous avons a beaucoup parlé du black-out. Au sein du COD, nous ne disposions, pendant plusieurs heures, d'aucune remontée d'informations. En fait, le préfet Gonzalez a souhaité projeter sur le terrain un trinôme composé d'un gendarme, d'un pompier et d'un cadre de la préfecture, qui étaient les représentants respectifs de ces différents services. L'objectif était de les déployer au plus près des équipes municipales, afin de les aider dans la gestion des problématiques et l'identification des besoins à faire remonter au COD. L'objectif principal de cette organisation était de disposer ainsi d'un lien entre les postes de commandement communaux, les maires, la préfecture et le COD.

En l'occurrence, les cadres de la préfecture étaient des volontaires. Ils n'étaient pas forcément préparés à la gestion de crise. Certains sont venus avec des moyens primaires. Ils étaient justement équipés de téléphones satellitaires, afin d'assurer la liaison avec le centre opérationnel départemental. Nous avons essayé de pérenniser ce dispositif en complétant ce vivier. Je crois que l'aide de ces cadres volontaires a été utile pour les maires.

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Ma question s'adresse aux maires. Pouvez-vous nous faire part de pistes de réflexion qui permettraient à une commune et à son maire de mieux fonctionner, lorsque les circonstances l'exigent temporairement lors de ce type de crise, avec une certaine autonomie ? Il faut bien sûr conserver à l'esprit que l'organisation doit s'adapter à la nature et à l'étendue de la crise, qui peut être localisée couvrir tout un département.

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Sébastien Olharan, maire de Breil-sur-Roya, conseiller départemental des Alpes-Maritimes en charge de la reconstruction consécutive à la tempête Alex

Nous avons effectivement essayé de tirer toutes les leçons de la tempête Alex, que ce soit dans la reconstruction ou dans nos modèles et nos outils de gestion de crise. Nous avons immédiatement remis à jour notre plan communal de sauvegarde à Breil-sur-Roya ; et ce, en tenant compte de ce qui s'était passé. Nous avons créé un nouveau document d'information communal sur les risques majeurs (Dicrim), qui a été diffusé à la population.

Nous avons renforcé nos moyens humains, en particulier avec la réserve communale de sécurité civile. Nous avons renforcé nos moyens matériels avec les stocks d'eau, de sacs de couchage et de lits Picot que nous nous sommes constitués. Nous avons beaucoup concentré nos efforts sur les moyens de communication, qui ont été notre principale entrave dans la gestion de crise, et nous avons acheté un téléphone satellitaire. Nous avons également développé des outils d'appel de masse, qui permettent notamment d'envoyer des SMS à la population.

À Breil-sur-Roya, nous nous sommes dotés de notre propre réseau de radiocommunication hertzien municipal autonome. Nous nous sommes rendu compte que nous faisions face à deux difficultés lors d'une catastrophe telle que la tempête Alex. La difficulté à communiquer avec l'extérieur est en partie résolue avec le téléphone satellitaire. Une boîte safety case a été développée par Orange, : elle permet d'établir une bulle Wi-Fi par satellite dans un rayon de cent mètres. Cet outil intéressant va sans doute être déployé sur le territoire de la Riviera française.

La deuxième difficulté est de communiquer entre nous pour organiser la gestion de crise au sein d'une même commune. Nos communes sont très étendues, avec des hameaux haut perchés et retirés par rapport au centre de la commune. Ce réseau de radiocommunication hertzien municipal autonome présente également l'avantage d'être alimenté par des panneaux solaires. En cas de rupture du réseau électrique, ce système continue ainsi de fonctionner et nous permet de communiquer entre nous. J'ajoute que son coût est très modeste, puisque ce dispositif a coûté 10 000 euros à la commune. C'est assez négligeable, comparé à l'appui qu'il peut apporter en matière de gestion de crise.

Des agents de la préfecture ont effectivement été déployés dans les postes de commandement communaux des différentes communes sinistrées. Pour autant, malgré le traumatisme de la tempête Alex, on constate que beaucoup de personnes ne prennent pas les vigilances au sérieux. Lors de la tempête Aline, des personnes continuaient à aller acheter leur pain en pleine vigilance rouge, ce qui est absolument inconcevable. On se demande comment il est possible d'être aussi inconscient, surtout après avoir vécu la tempête Alex il y a trois ans.

Il y a aussi un effet « trop de vigilance tue la vigilance ». Nous n'avions pas eu de vigilance rouge depuis la tempête Alex. C'était donc un argument pour prendre au sérieux une vigilance rouge. Pour autant, en période estivale, on est en vigilance jaune tous les après-midi et il y a notamment une vigilance particulière sur les vallées sinistrées par la tempête Alex ; si on relaie systématiquement ces vigilances jaunes sur les réseaux sociaux, les gens termineront par ne plus regarder ces informations. Il est donc important de savoir faire la part des choses et de déterminer ce qui mérite vraiment d'être relayé. D'où l'importance d'obtenir des informations plus précises sur ce qui se passe dans notre commune.

Cela constitue sans doute une grande marge d'amélioration en termes de gestion de crise pour les informations diffusées, afin de faire en sorte que la vigilance des populations ne baisse pas. Pour autant, il faudrait que des points météorologiques soient faits auprès des communes heure par heure. Cela nous permettrait de déterminer le degré de contraintes à mettre en œuvre quant aux déplacements, aux commerces qui doivent fermer, etc. Si l'on en fait trop, la population pourrait avoir l'impression que des vigilances sont diffusées sans vraie raison. Nous faisons remonter beaucoup d'informations à la préfecture, notamment avec des mains courantes informatiques. Nous aurions donc besoin de recevoir en retour des informations qui descendent vers les communes, que ce soit de la part de la préfecture ou d'une autre entité.

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Jean-Pierre Vassallo, maire de Tende

En ce qui concerne Tende, nous sommes également en train de créer une réserve communale avec les habitants. Elle nous permettra d'intervenir immédiatement. Il s'agit de conforter les pompiers et les gendarmes. Par ailleurs, le téléphone satellitaire n'apporte que peu de solutions, même si nous venons d'installer une antenne satellitaire dans la commune. Nous avons également créé notre propre réseau de radio : dans chaque hameau, un correspondant est doté d'une radio. Nous les testons une fois par semaine afin de vérifier que les correspondants sont bien en mesure d'entendre nos appels. Ces différents éléments vont conforter notre capacité à faire face aux risques au quotidien.

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Sébastien Olharan, maire de Breil-sur-Roya, conseiller départemental des Alpes-Maritimes en charge de la reconstruction consécutive à la tempête Alex

Lors de la tempête Aline, le dispositif FR-Alert a été déclenché. Je pense qu'il a été d'une efficacité redoutable : nous étions en séance du conseil municipal et tous les téléphones ont sonné au même moment. C'est donc un très bel outil, qui peut sans doute contribuer à sensibiliser les populations. Je pense qu'il serait même nécessaire de le faire sonner à intervalles réguliers tant que la vigilance n'est pas levée.

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Anne-Cécile Novella, cheffe du service interministériel de défense et de protection civiles

Il est nécessaire de distinguer la vigilance et l'alerte, deux notions qui sont souvent confondues. La vigilance est faite en amont, auprès du plus grand nombre, tandis que l'alerte concerne toutes les personnes dont l'intégrité physique est directement menacée par un danger. Les moyens à employer ne sont donc pas forcément les mêmes selon qu'il s'agisse d'une vigilance ou d'une alerte.

Nous nous sommes aperçu qu'il y avait un phénomène de banalisation de la vigilance. Météo-France nous indique en moyenne trois à quatre vigilances orange pluies et inondations par an. En 2020, nous n'en avions eu qu'une seule, mais elle s'est transformée en rouge à l'occasion de la tempête Alex. En 2021, il n'y en a également eu qu'une seule, qui 'était la dernière jusqu'à la tempête Aline de 2023. Finalement, il y a donc eu peu de vigilances orange.

La préfecture diffuse beaucoup d'informations dès le niveau de vigilance jaune. Nous avons mis en place une procédure avec Météo-France en ce qui concerne plus particulièrement les vallées. Le niveau est réévalué pour informer nos partenaires. Ça donne peut-être le sentiment d'une surcharge d'informations. En sachant qu'il y a beaucoup d'orages en montagne l'été, ce qui engendre une vigilance jaune toutes les semaines ou encore plus fréquemment.

En termes d'ordre de grandeur, certains territoires sont effectivement plus concernés que d'autres. Je pense notamment au pays grassois, au haut pays et à la bande littorale. Pour défendre Météo-France, il est un peu compliqué, voire dangereux, de localiser un territoire plutôt qu'un autre en termes de paramètres pour les orages. C'est la raison pour laquelle la vigilance est départementale.

Il existe d'autres dispositifs au-delà des canaux que nous utilisons par ailleurs : les réseaux sociaux et les médias, notamment, et nous disposons également de sirènes. Lors de la tempête Alex, à défaut de sirènes, nous avions à notre main le système d'alerte et d'information des populations. Depuis lors, nous avons travaillé sur le raccordement de ces sirènes. Même si ce dispositif est un peu vieillissant et que bon nombre de personnes ne savent toujours pas ce qu'elles doivent faire en cas de déclenchement d'une sirène, ce sujet revient souvent lorsque je rencontre des élus, qui ont de fortes attentes dans ce domaine. Cela relève des services de l'État en ce qui concerne l'installation, la maintenance et le déclenchement. D'ailleurs, je pense que nous pouvons faire mieux en la matière.

FR-Alert a été déclenché pendant la tempête Aline, mais il n'existait malheureusement pas au moment de la tempête Alex. Ce dispositif a fait ses preuves. Nous l'avons déclenché à 20 heures, c'est-à-dire bien en amont, alors que la tempête était prévue vers 4 heures du matin. Nous ne l'avons arrêté qu'à la fin de la vigilance rouge. Autrement dit, toutes les personnes qui sont venues dans le département ont pu recevoir ces alertes de 20 heures à 10 heures le lendemain.

Nous avons également activé la cellule d'information du public. Il s'agit d'un numéro local que nous pouvons déclencher pour répondre à des demandes de particuliers non urgentes. Pendant la tempête Alex, les personnes qui n'avaient pas de nouvelles de leurs proches ont pu passer par la préfecture pour en obtenir. Il est donc important de souligner l'existence de ce dispositif, qui est ancien et efficace.

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Il est effectivement difficile de parler de localisation exacte en cas d'orage ou d'autres événements, d'autant que de violents orages peuvent également se produire en dehors d'une vigilance. La technologie avance, mais en cas de black-out, ce sont souvent les fondamentaux qui fonctionnent. Vous évoquiez les sirènes, mais on peut penser que leur bonne utilisation suppose qu'ait été conduit tout un travail de sensibilisation, afin de bien faire comprendre à la population à quelles situations correspondent leurs sonneries.

Que pensez-vous du fonctionnement de notre modèle de sécurité civile ? Et ce, au sens large du terme : les sapeurs-pompiers, les associations agréées, les réserves communales de sécurité civile, etc. Pensez-vous que ce modèle est adapté et existe-t-il selon vous des axes d'amélioration pour faire face plus efficacement à des futurs événements ?

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René Dies, contrôleur général et directeur du service départemental d'incendie et de secours (SDIS) des Alpes-Maritimes

Je le juge adapté, mais il convient de le protéger. Il sera adapté tant qu'il s'appuiera sur la population, d'où la question de l'acculturation. En l'occurrence, une partie de la population en défend une autre, sans oublier le renfort, la solidarité et toute l'organisation qui peut exister par ailleurs. C'est la raison pour laquelle je pense que nous disposons d'un bon modèle de sécurité civile. Pour ma part, un modèle de sécurité civile qui s'appuie sur la population me semble une réponse plus adaptée qu'un modèle qui reposerait uniquement sur de grandes forces professionnelles bien étoffées et bien organisées.

Il faut souligner que les risques sont de plus en plus importants, et que nous serons toujours débordés par de grands événements. D'ailleurs, la tempête Alex l'a démontré. Nous savons bien que le modèle des sapeurs-pompiers est menacé par la notion de travailleurs européens. Il s'agit donc de le garder, de le protéger et de le développer grâce à l'acculturation des populations, même si on ne peut pas, bien sûr, faire de chaque habitant un sapeur-pompier.

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On peut d'ailleurs rappeler que le rôle des citoyens est différent de celui des sapeurs-pompiers. Au-delà de la question de l'acculturation des citoyens, il faut également se pencher sur celle de l'articulation entre les différents acteurs de la protection et de la sécurité civiles. Les associations agréées ne sont pas toujours associées comme elles pourraient l'être, que ce soit par manque de temps ou d'acculturation.

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Anne-Cécile Novella, cheffe du service interministériel de défense et de protection civiles

Je rejoins les propos du contrôleur général : notre modèle de sécurité civile a tout de même fait ses preuves. Nous avons montré une force d'action importante, et ce à tous les niveaux. Face à une gestion de crise, notre écho auprès des populations est très important, et bon nombre de personnes commentent et réagissent sur les réseaux sociaux. Il y a donc un vrai intérêt des populations lorsqu'elles sont face aux événements. En revanche, pour l'information préventive et la sensibilisation, la situation est beaucoup plus compliquée. Assez peu de personnes se montrent intéressées ou disponibles pour faire des réunions publiques afin de parler des risques. Il s'agit donc de trouver un moyen plus moderne, plus large et plus proche de nourrir cet intérêt de la population en dehors des catastrophes.

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Xavier Pelletier, ancien préfet délégué à la reconstruction des vallées

Je suis d'accord avec tout ce qui vient d'être dit. L'esprit et le mode d'organisation sont bons, mais ils nécessitent d'être approfondis. Un volet consiste effectivement à acculturer davantage les habitants. Je voudrais insister sur la technologie, que nous mobilisons de plus en plus pour détecter, identifier et alerter.

En 2019, le Gouvernement a lancé le pacte capacitaire, une démarche consistant à renforcer les services d'incendie et de secours à travers la France. Il s'agit notamment de les doter de moyens pour lutter contre les feux de forêt, les inondations et les crues torrentielles. Cela permet de mettre en place des dispositifs de détection en amont : au-delà de l'événement météorologique, on voit ainsi comment se comporte le bassin versant. Nous devons travailler davantage sur ces questions.

FR-Alert est un très bon outil. J'en dispose également en tant que préfet du Loir-et-Cher, où les risques d'inondation se caractérisent par une cinétique plus lente. Ceci étant, on est souvent focalisé sur la Loire, alors qu'en 2016, les inondations qui ont beaucoup touché le département du Loir-et-Cher provenaient des affluents de la Loire. En cas de fortes pluies, ce sont les affluents qui réagissent en premier lieu et, en l'occurrence, ils ont généré des inondations majeures. D'où un intérêt plus marqué pour la géographie.

Les experts météo insistent sur le fait que nous serons encore plus touchés demain et que les événements seront plus intenses. Nous aurons des difficultés à mieux anticiper les événements météorologiques qu'aujourd'hui, en particulier s'agissant de la détermination précise des zones qui seront touchées. La tempête Alex a frappé les vallées du haut pays niçois. Finalement, on dénombre peu de morts en regard de l'intensité de l'événement. En fait, c'est la rencontre de la tempête Alex et d'un événement méditerranéen qui a généré « une bombe météorologique », selon les météorologues.

Je pense qu'il y aurait eu beaucoup plus de victimes si le littoral avait été frappé. Il s'agit dès lors d'en avoir pleinement conscience et d'apprivoiser les aléas. Cela suppose d'être en mesure de bien réagir, notamment en mettant en place les dispositifs pour les autorités publiques. Il faut également que les citoyens concernés soient conscients des aléas auxquels ils sont exposés. Si toutes ces actions sont menées, nous aurons déjà fait beaucoup de progrès.

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Jean-Pierre Vassallo, maire de Tende

Je voudrais également évoquer les questions transfrontalières. Ma commune n'est séparée de l'Italie que par le col de Tende. Je peux vous dire que les Italiens admirent la France pour ce qu'elle a apporté et la réactivité dont elle a fait preuve lors de la tempête Alex. Certains d'entre eux me disent ouvertement que la vallée de Roya ne se serait jamais relevée de la tempête Alex si elle avait été italienne. Ils sont notamment admiratifs des fonds Barnier, sans lesquels cette vallée aurait connu une misère terrible. En l'occurrence, 50 maisons ont été perdues dans la commune de Tende. Le côté positif de l'Italie, ce sont les réserves de sécurité civile. Leur action donne aux personnes qui y habitent et qui interviennent au moment de l'événement la fierté d'œuvrer pour leur territoire.

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Sébastien Olharan, maire de Breil-sur-Roya, conseiller départemental des Alpes-Maritimes en charge de la reconstruction consécutive à la tempête Alex

En ce qui concerne l'organisation de notre modèle de sécurité civile, le conseil départemental pense que l'on dispose d'un bon modèle. Et ce, tant sur le plan institutionnel, grâce aux dispositifs de financement et à la répartition des compétences, que sur le plan opérationnel pour la mise en œuvre des actions. En outre, dans les Alpes-Maritimes, nous disposons d'outils supplémentaires et de moyens sans doute plus importants qu'ailleurs. Dans l'ensemble, nous sommes donc satisfaits du modèle de sécurité civile français.

Je pense que nous sommes bien préparés à la gestion de crises, y compris celles qui ont des conséquences à long terme. En revanche, il me paraît nécessaire de nous préparer à gérer des crises qui durent. Au-delà des premières quarante-huit heures, certaines communes sont restées coupées du monde pendant deux mois. C'est notamment le cas de Tende, où l'approvisionnement a dû être fourni par voie aérienne. Ce pont aérien a été maintenu pendant plusieurs semaines, jusqu'à la mise en place d'une sorte de navette ferroviaire, qui a été suivie du rétablissement de certaines routes.

Cela implique des moyens très conséquents, qui doivent être déployés très rapidement. Or, le temps d'attente est psychologiquement très dur pour les populations, car il donne le sentiment d'être oublié et abandonné. Il faut aussi pouvoir maintenir ces moyens-là dans le temps ; en effet, les moyens exceptionnels sont souvent militaires et ces derniers n'ont donc pas vocation à rester disponibles pour gérer une situation qui perdure. Pour autant, je pense que nous devons nous préparer à utiliser plus régulièrement au niveau local ces dispositifs qui sont souvent déployés à l'étranger.

Par ailleurs, on ne pense pas toujours à la gestion de la solidarité. Breil-sur-Roya a eu la chance de voir son accès routier rouvert à l'extérieur assez rapidement. Les dons ont afflué en grande quantité dans ma commune, d'autant plus qu'ils ne pouvaient pas être acheminés vers le reste de la vallée de la Roya. Nous avons donc fait office de base arrière et de pôle logistique, alors que nous étions nous-mêmes une commune sinistrée. En deux jours, le gymnase s'est rempli de dons jusqu'au plafond. Il fallait alors les charger sur des palettes, puis sur des trains ou avec des hélicoptères pour alimenter les autres communes.

Cela implique une logistique considérable, que nous ne sommes pas en mesure d'assurer. L'armée l'a fait pendant un certain temps, puis il a été demandé aux collectivités locales de prendre le relais. Or, quelles sont celles qui disposent d'un logisticien qui sache vraiment assurer toute cette gestion de stocks et cet approvisionnement ? En l'occurrence, la communauté d'agglomération a recruté quelqu'un en urgence pour s'en occuper. Toujours est-il que l'on voit bien que nous ne sommes pas préparés sur ce volet-là.

Il faut aussi gérer les bénévoles. Dans les premiers jours, cela ne pose aucun problème, puisque tout le monde sait quoi faire. Ensuite, lorsque le plus gros et le plus visible a été fait, comment peuvent-ils savoir où ils seraient utiles ? Cela nécessite un gros travail de coordination, même si cet appui est bien évidemment une chance inouïe. On ne sera jamais assez reconnaissant de toute l'aide que l'on a pu recevoir, quelle qu'en soit la forme. Pour autant, ce doit également être géré au niveau local. Certaines choses doivent donc encore être inventées pour se préparer à des catastrophes qui vont être de plus en plus nombreuses et qui vont provoquer des dégâts matériels de plus en plus importants. Cela impliquera d'assurer la gestion de la logistique et de coordonner les moyens matériels et humains.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

J'en arrive au sujet du financement de notre système de protection et de sécurité civiles. Actuellement, ce système repose essentiellement sur les départements, avec une participation de l'État. Vous semble-t-il adéquat ? Avez-vous d'autres pistes ?

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Sébastien Olharan, maire de Breil-sur-Roya, conseiller départemental des Alpes-Maritimes en charge de la reconstruction consécutive à la tempête Alex

Dans le département des Alpes-Maritimes, le problème financier est peut-être moins prononcé qu'ailleurs. En effet, notre conseil départemental dispose de bonnes ressources, ce qui nous permet de fonctionner en offrant une belle qualité de service, notamment au niveau du SDIS. Bien évidemment, nous sommes toujours preneurs de moyens supplémentaires, en particulier de la part de l'État. Le conseil départemental estime que le système de financement actuel nous permet de répondre aux besoins du territoire. Pour autant, il nous reviendra d'adapter notre organisation ou les dispositifs de financement en fonction de l'évolution des risques et des effets du dérèglement climatique.

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Xavier Pelletier, ancien préfet délégué à la reconstruction des vallées

Il me semble évident que la soutenabilité de notre dispositif va être très compliquée à assurer sur la durée. Nous allons avoir de plus en plus d'événements dramatiques à gérer ; et ce, avec des impacts considérables. Pendant un mois, nous avons bénéficié du concours de l'armée avec ses moyens aériens, mais le ministère des armées m'a ensuite fait comprendre qu'il était obligé de redéployer ces moyens. Par ailleurs, ces appareils vieillissants nécessitaient un suivi plus régulier en termes de maintenance.

Il a fallu que j'obtienne des crédits pour passer un marché avec une société d'hélicoptères, afin de continuer à alimenter en particulier l'hôpital de Tende. Du fait de la rupture des voies de communication, des troupeaux étaient isolés ; nous avons donc été obligés d'amener du fourrage et de l'alimentation. J'avais fait une note au Gouvernement pour lui faire part de la nécessité, pour les préfets qui gèrent la crise dans la durée, de disposer de crédits d'urgence opérationnels. Cela permet notamment de gérer ces questions, qui sont extrêmement importantes, voire vitales.

Nous avons évoqué tout à l'heure le problème des cimetières qui ont été en partie emportés. En l'occurrence, nous avons récupéré des morceaux de corps qu'il a fallu identifier. L'État s'est chargé de les réceptionner et de les conserver. Il a bien fallu que l'on mobilise ensuite un dispositif adéquat, qui a reposé notamment sur un laboratoire permettant d'analyser l'ADN. Tout cela a représenté un coût de près de 100 000 euros.

J'ai mis du temps à récupérer des crédits pour mettre en œuvre ce dispositif. D'ailleurs, je pourrais multiplier les exemples, d'autant que la dimension assurancielle est aussi liée à la gestion de crise. Il est nécessaire de revoir nos dispositifs de financement afin de les rendre plus pérennes et durables. Ce sujet est peut-être moins criant pour les Alpes-Maritimes, mais il est très important pour les départements dont les capacités financières sont plus contraintes.

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Anne-Cécile Novella, cheffe du service interministériel de défense et de protection civiles

Les dépenses qui ont été engagées depuis le COD, qui ne représentaient pas la partie la plus importante du coût de la crise, portaient notamment sur des entreprises qui avaient été sollicitées en urgence. Il s'agissait notamment de locations d'autobus pour évacuer les gens, ou de locations de jerricans pour transporter du carburant destiné aux groupes électrogènes. Ce sont des choses très basiques, mais très utiles.

Le budget opérationnel de programme de la sécurité civile n'est pas prévu pour cela. J'ai été confrontée à des entreprises qui m'appelaient pour savoir quand elles allaient pouvoir être remboursées – je rappelle que les complexités financières pour les entreprises étaient d'autant plus importantes en période de Covid.

Des discussions ont lieu au niveau central et ministériel, mais elles prennent du temps. Il faut ensuite attendre l'arrivée des crédits. Je souligne les difficultés qui peuvent exister sur le terrain ; il faudrait obtenir ces crédits de manière plus adaptée et plus rapide, car il en va de la crédibilité de l'État auprès de ses partenaires, ainsi que de son engagement pour les crises à venir.

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René Dies, contrôleur général et directeur du service départemental d'incendie et de secours (SDIS) des Alpes-Maritimes

Un gros travail est en cours au niveau des services d'incendie. Il s'agit de la « valeur du sauvé ». Lorsque les sapeurs-pompiers interviennent, ils sauvent des vies et une partie des habitations. Il y aurait du sens à ce que les assurances participent davantage au financement des SDIS. C'est l'objet d'un débat. Le législateur a commencé à s'en saisir ; et ce, notamment à travers la fameuse taxe spéciale sur les conventions d'assurance. C'est une piste à explorer, même si ça existe déjà en partie puisque les départements perçoivent une partie de ces rémunérations.

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Xavier Pelletier, ancien préfet délégué à la reconstruction des vallées

Il faut bien évidemment intégrer la dimension de la reconstruction. Après des événements tragiques, il s'agit d'en tirer toutes les leçons et de mesurer ce qu'il convient de mettre en œuvre en termes de résilience des infrastructures, des équipements et du positionnement des ouvrages et des dispositifs. Cela permettra en outre de faire des économies pour l'avenir, compte tenu de la récurrence des événements. D'ailleurs, nous avons pu voir que tout ce qui était résilient a tenu, contrairement à tout ce qui était provisoire. Il est important de bien intégrer l'après-crise. Il convient, pour cela, de faire certaines choses de manière différente, en les appréhendant avec le souci de la durabilité des travaux.

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Jean-Pierre Vassallo, maire de Tende

Nous nous projetons maintenant vers l'avenir. Je dois dire que la tempête Alex a sauvé la ligne de chemin de fer, que l'État avait décidé de fermer alors qu'elle nous est totalement indispensable. En l'occurrence, la région a participé au financement du pont à arcatures de Fontan à hauteur de 30 millions d'euros. Sans la tempête Alex, ce prétexte aurait été pris pour fermer la ligne. Heureusement que le train italien a pu venir sur place lors de la tempête ! Nous n'avions plus aucun engin, et la commune a dû louer des engins de terrassement en provenance d'Italie. Je précise que nous préparons l'avenir en assurant la stabilité des voies routières et ferroviaires.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je vous remercie pour ces échanges très riches. Nous pourrons les poursuivre lorsque nous viendrons vous rencontrer dans les Alpes-Maritimes en début d'année prochaine.

La séance est levée à douze heures trente-cinq.

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur les capacités d'anticipation et d'adaptation de notre modèle de protection et de sécurité civiles

Réunion du jeudi 9 novembre 2023 à 9 h 35

Présents. - Mme Lisa Belluco, M. Jean-Marie Fiévet, Mme Gisèle Lelouis, M. Didier Lemaire

Excusé. - M. Bertrand Bouyx