Commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la france

Réunion du jeudi 2 février 2023 à 14h00

Résumé de la réunion

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  • grenelle
  • industrielle
  • réacteur
  • sûreté
  • éolien

La réunion

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Jeudi 2 février 2023

La séance est ouverte à 14 heures.

(Présidence de M. Raphaël Schellenberger, président de la commission)

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Nos travaux se poursuivent par l'audition à distance depuis les États-Unis de Mme Kosciusko-Morizet. Nous vous remercions d'avoir accepté de participer à nos travaux et de venir témoigner de vos fonctions ministérielles passées dans le domaine de l'écologie.

Au cours d'auditions précédentes, nous avons eu l'occasion d'évoquer l' Inflation Reduction Act américain, qui laisse rêveur – ou songeur, en fonction des points de vue – en matière de relocalisation, de transition écologique ou d'ajustement budgétaire.

La commission d'enquête que j'ai l'honneur de présider tente de comprendre le processus de décision aboutissant à la définition d'une politique énergétique, à ses objectifs et au degré de prise en compte de son caractère stratégique pour la souveraineté et l'indépendance d'un pays comme la France.

Nous voulions vous entendre partager avec nous votre expérience dans ce domaine, la répartition des attributions ministérielles entraînant parfois des enchevêtrements de compétences complexes à démêler aussi bien lors de leur exercice qu' a posteriori. Nous avons ainsi appris comment a évolué la compétence en matière minière et comment un observatoire peut en remplacer un autre créé douze ans plus tôt. Je pense là au comité pour les métaux stratégiques institué par décret en 2011. Vous avez géré une partie du dossier complexe du gaz de schiste et ouvert le chantier de la réforme du code minier.

Vous avez aussi participé à la mise en œuvre du Grenelle de l'environnement. Nous avions à ce titre auditionné la semaine dernière Jean-Louis Borloo.

Lorsque vous étiez députée, vous avez observé que le kilowattheure le moins cher était celui que l'on ne consommait pas, et vous avez aussi considéré que les réacteurs à neutrons rapides répondaient à une logique écologique.

Madame la Ministre, pouvez-vous nous indiquer la place et le rôle de la secrétaire d'État ou de la ministre chargée de l'écologie que vous étiez dans la définition des politiques publiques relatives à l'énergie ?

Je rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(Mme Nathalie Kosciusko-Morizet prête serment.)

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Nathalie Kosciusko-Morizet, ancienne secrétaire d'État chargée de l'écologie, ancienne ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement

L'essentiel de mon activité comme secrétaire d'État puis comme ministre sur les questions énergétiques s'est articulé autour de trois pôles. Le premier est le Grenelle de l'environnement. En tant que secrétaire d'État, j'ai été chargée de sa conception et de sa négociation, avant de le mettre en œuvre lorsque j'étais ministre. Par ailleurs, en tant que ministre en charge de la sûreté nucléaire entre 2010 et 2012, j'ai été confrontée à l'accident de Fukushima et la gestion de ses conséquences. Enfin, d'autres sujets de politique énergétique, qui comportaient une dimension environnementale majeure, comme le gaz de schiste, ont fait l'objet de mes attributions entre 2006 et 2012. Certaines questions qui intéressent votre commission n'en faisaient en revanche pas partie. Ainsi, le nucléaire – au même titre que la chasse – avait été exclu du champ du Grenelle. En 2010, par ailleurs, le nucléaire relevait de mes fonctions uniquement sous l'angle de la sûreté, le marché de l'énergie ayant été rattaché à Bercy, pour des raisons qui ne sont d'ailleurs pas étrangères aux travaux de votre commission.

J'ai conçu le projet de Grenelle en tant que responsable de l'environnement dans la campagne de Nicolas Sarkozy en 2006. Nous avons choisi ce nom parce qu'il faisait écho à une quête de légitimation exprimée dans les milieux des ONG et que j'estimais recevable. En effet, ces dernières aspiraient à un statut équivalent à celui des syndicats. C'est la convergence entre cette demande et le désir de lancer un grand programme de transformation écologique qui a abouti à ce projet et à son nom, en référence aux accords de Grenelle. D'autres mesures présentes dans la campagne de Nicolas Sarkozy y faisaient également écho, telles que la transformation du conseil économique et social en conseil économique, social et environnemental. Comme secrétaire d'État, j'ai été chargée de la négociation du Grenelle à l'automne 2007. Lorsque je suis revenue au ministère en 2010, j'ai travaillé à une partie de sa mise en œuvre, après l'adoption des lois « Grenelle ».

Je parle du Grenelle avec une certaine passion, car je reste persuadée que nous avons façonné une démarche à la fois innovante et utile, qui a permis de déchirer quelques-uns des corsets où se trouvaient enfermées les politiques publiques. Le Grenelle visait à réunir l'ensemble des acteurs – les ONG, l'État, les élus, les entreprises, les syndicats – au sein de collèges pour s'accorder sur des politiques coopératives qui dépassaient les querelles historiques. C'est l'une des raisons pour lesquelles les sujets tels que le nucléaire, la chasse et les OGM en avaient été exclus.

Dans le Grenelle, les questions énergétiques étaient plus particulièrement traitées par le premier groupe de travail, auquel participait l'ensemble des collèges. Son intitulé même –« lutter contre les changements climatiques et maîtriser la demande d'énergie » – montre bien le rôle prépondérant, pour la période 2007-2012, que tenaient l'efficacité énergétique et la maîtrise de la consommation dans les travaux du Grenelle, reléguant à une place secondaire les questions liées à la production. Dans le cadre de ce groupe, qui comportait plusieurs ateliers sur le transport, l'urbanisme et le bâtiment, la production et le stockage, diverses mesures ont été adoptées, comme le bonus-malus sur les véhicules individuels, l'écotaxe sur les transports routiers – abandonnée par la suite pour des raisons que je déplore –, la nouvelle rénovation thermique des bâtiments ou encore l'écoprêt sur le logement social.

Certaines de ces mesures structurantes ont été promues par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), que nous avons alors revivifiée afin de lui donner une orientation stratégique plus claire et de nouveaux moyens. Ainsi, le fonds démonstrateur, destiné à faire passer en phase d'industrialisation des innovations, dont certaines dans le domaine énergétique, et doté de 50 millions d'euros en 2008, a bénéficié d'un financement de 400 millions sur quatre ans. Nous avons lancé le fonds chaleur, avec un investissement à hauteur d'un milliard pour la période 2009-2011. Il encourageait les entreprises à développer la chaleur renouvelable, les réseaux de chaleur ou encore la valorisation de la biomasse. Enfin, le fonds déchets, qui était jusqu'alors essentiellement consacré à l'aide aux incinérateurs, a été relancé et réorienté vers des projets qui accordaient davantage de place au recyclage.

En matière de production, nous avons visé un doublement de la part des énergies renouvelables d'ici 2020. Cette proposition était très ambitieuse, car les calculs prenaient en compte la part de l'hydroélectricité, dont le potentiel ne pouvait être significativement augmenté. Ce doublement reposait sur la multiplication par deux du bois-énergie, des mesures liées aux réseaux de chaleur et une accélération du photovoltaïque. Le fonds chaleur devait permettre de couvrir un quart de ces actions. Les compléments adoptés aux contrats de plan État-régions ont été multipliés par cinq. Outre ces mesures financières, nous avons étendu à toutes les collectivités, et non plus seulement aux communes, la possibilité de bénéficier du tarif de rachat des énergies renouvelables, afin de faire entrer les collèges et les lycées, notamment, dans le champ de cette nouvelle politique publique.

Lors du Grenelle, et au-delà, mon obsession s'est portée sur une dimension peu présente dans vos travaux : il s'agit du couplage des objectifs environnementaux et de la politique énergétique avec la politique en faveur de l'emploi et la politique industrielle. Si je m'en réfère à l'intitulé de votre commission, l'indépendance énergétique stricto sensu est inatteignable, mais la souveraineté reste un concept important, qui est corrélé à d'autres notions comme la compétitivité. Les politiques énergétiques doivent se doubler d'un sens économique, social et industriel.

Nous ne défendions donc pas une simple série de mesures environnementales, mais une politique globale qui tissait des liens avec d'autres dimensions. Nous avons connu des réussites en la matière : le fonds chaleur a généré la création de 10 000 emplois. À ce titre, je suis fière de la politique en faveur de l'éolien en mer que j'ai lancée en 2011, pourtant dans un climat de moquerie générale : dans des appels d'offres très travaillés, sur lesquels la Commission européenne a largement fermé les yeux, nous avons intégré des critères de production locale, afin de développer une réelle industrie de production locale. En revanche, l'éolien terrestre n'a pas suscité la même réussite en matière industrielle. En effet, nous avons lancé cette politique plus tardivement. Les volumes faibles restaient faibles au regard de nos voisins européens. Les Danois et les Allemands ont été les réels bénéficiaires industriels de la montée en puissance de l'éolien européen.

J'ai instauré le moratoire sur le solaire, pour des raisons financières, comme tous les États européens, mais aussi industrielles. En effet, la politique en faveur du solaire reposait majoritairement sur des subventions de long terme pesant largement sur les générations futures et profitant seulement à des emplois d'installation et de maintenance, sans développement d'une base industrielle. Les panneaux étaient pour l'essentiel importés. Nous avons donc lancé des appels d'offres avec des critères bas carbone pour favoriser la production locale. Un critère de bilan carbone, qui prenait en compte l'impact du transport des panneaux, a été établi pour tenter de contourner les règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et pour limiter les importations depuis la Chine. Cependant, nous n'avons pas rencontré le même succès que pour l'éolien en mer. Au fil des années, les appels de l'offre ont abandonné les critères bas carbone. La Commission européenne s'est cette fois montrée plus sévère sur le sujet. Le degré de maturité du photovoltaïque était aussi différent. Je note que nous poursuivons désormais une stratégie similaire à celle suivie pour l'éolien en mer sur l'éolien flottant, ce qui est souhaitable.

Vous souhaitiez également que j'aborde les investissements dans la recherche et les énergies renouvelables. Dans le cadre du Grenelle de l'environnement, l'essentiel des crédits directs en matière d'énergie ont été destinés au nucléaire, plus précisément au projet Astrid et au réacteur Horowitz, ainsi que, dans une moindre mesure, à l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) et à l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). Ces subventions représentaient un montant d'un milliard. Certes, le nucléaire ne faisait pas partie des sujets de négociation du Grenelle, mais les programmes publics d'investissement n'ont pas été discutés au sein des groupes de travail. La relance du fonds démonstrateur de l'Ademe ciblait en partie des projets d'énergies nouvelles. En dehors du Grenelle, le programme d'investissement d'avenir (PIA) promouvait les économies d'énergie à travers l'économie circulaire, les smart grids, les batteries, ou encore des procédés industriels moins polluants.

La régulation du marché de l'énergie ne faisait pas partie de mes attributions. Toutefois, j'ai pu interagir avec les grands opérateurs de l'énergie, notamment sur la question de la production, des biocarburants et du gaz de schiste. Je suis intervenue sur le gaz de schiste au travers de mes préoccupations environnementales, considérant que les conditions d'exploitation ne remplissaient pas nos critères de qualité. Ils posaient en outre des problèmes propres à notre géographie, liés à la protection des nappes phréatiques et des ressources en eau. Les évolutions récentes sur ce dernier sujet nous donnent d'ailleurs raison. Ces motifs ont justifié la suspension des permis, dont nous nous sommes ensuite aperçus qu'ils avaient été donnés dans des conditions certes légales, mais problématiques au regard des exigences du Grenelle en matière de transparence. En effet, le code minier procédait de logiques anciennes à cet égard. C'est la raison pour laquelle nous avons lancé sa réforme.

L'accident de Fukushima eut lieu en mars 2011. Sa prise en compte a suscité un certain nombre de réflexions. Il est naturel qu'un accident appelle un retour d'expérience et un éventuel ajustement. D'ailleurs, la création de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), dans sa forme actuelle, a été une conséquence tardive de Tchernobyl et des polémiques qui ont suivi cet accident. Cependant, ce n'est pas la gouvernance et la transparence de la communication qui ont fait l'objet de débats en 2011. L'accident de Fukushima a d'ailleurs révélé le contraste entre le Japon, où la société exploitante du site était totalement imbriquée dans les rouages de l'État et de la sûreté, et le système français, attestant de l'indépendance de l'ASN et de la structuration de notre chaîne de décision. En revanche, Fukushima a donné lieu à des réflexions sur des mesures techniques, notamment liées à la notion de suraccident et de gestion dans le temps de la dynamique d'un accident.

J'ai donc rapidement demandé à l'ASN des stress tests, qui ont été appelés « évaluations complémentaires de sécurité ». À l'époque, nous avions déjà entamé le travail sur le cahier des charges pour les visites décennales, y compris les améliorations planifiées. Après Fukushima, l'ASN a produit un cahier des charges directement ciblé sur l'accident et qui appelait à en tirer des conséquences. Il abordait les cas d'inondations, de tremblements de terre, de perte d'approvisionnement électrique au niveau d'un site de production nucléaire et le management opérationnel de la crise. L'opérateur EDF a été chargé de mener des stress tests sur la base de ce cahier de charges. Les évaluations ont été rendues dès l'automne 2011. Elles ont provoqué une série de mesures destinées à accroître la robustesse de notre dispositif en situation de crise, comme les générateurs diésel par réacteurs résistants, la duplication des stockages d'eau pour les plus gros réacteurs du parc ou le renforcement des piscines de stockage des déchets sur site. D'autres, plus sophistiquées, visaient à tirer les conséquences de l'accident de Fukushima dans la durée, comme la mise en place des forces d'action rapides du nucléaire (Farn) ou de constructions plus résistantes pour les équipes chargées de gérer l'accident sur le site.

Nous avons aussi lancé une revue par les pairs en Europe. Par ailleurs, les visites décennales ont intégré de nouvelles prescriptions. Contrairement aux États-Unis par exemple, la doctrine française considère en effet que nous devons améliorer progressivement le niveau de sûreté nucléaire, y compris pour les réacteurs existants. Ainsi, les réacteurs de deuxième génération doivent atteindre un niveau de sûreté au plus proche de celui des réacteurs de troisième génération, et non le niveau prévu au moment de leur lancement. Cette décision politique a notamment eu des conséquences sur les discussions autour de la centrale de Fessenheim.

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Le Grenelle avait pour objectif de rassembler et de légitimer des acteurs parfois absents des institutions publiques. Les syndicats que nous avons auditionnés ont exprimé une forme de regrets d'avoir été contraints de démontrer leur représentativité pour participer au Grenelle, tandis que le choix des ONG retenues suivait une logique plus arbitraire. Pourriez-vous revenir sur les raisons qui vous ont poussée à procéder de la sorte ?

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Nathalie Kosciusko-Morizet, ancienne secrétaire d'État chargée de l'écologie, ancienne ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement

Le choix de faire accéder les ONG environnementales à un niveau de légitimité qu'elles n'avaient jamais atteint était en effet politique. Il s'agissait également d'une demande explicite de leur part. Des tensions assez fortes en ont d'ailleurs découlé. Cette revendication d'être considérées et consultées de la même manière que les syndicats prenait une forme à la fois symbolique et logistique. Et le mot « Grenelle » faisait écho à cette revendication.

L'ONG Écologie sans frontière a joué un rôle important dans la conception du Grenelle et dans le choix de ce nom durant la campagne 2006-2007. Ses leaders défendaient une vision très politique du débat. Dans la discussion, ils ont été à l'instigation de cette revendication, que partageait le monde des ONG – dont il faut d'ailleurs souligner la diversité.

Le caractère arbitraire de la sélection opérée a en effet suscité des questions. Il est vrai que ce problème ne se posait pas pour les syndicats. En même temps, la légitimité se crée dans la durée : nous devions bien commencer quelque part. Pour relancer les politiques environnementales de manière coopérative, nous avons choisi les partenaires qui nous semblaient les plus légitimes.

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Cette critique émane aujourd'hui, de la part de syndicats contraints à démontrer leur représentativité en vertu du nouveau cadre législatif de 2010. Avant cette date, la représentativité des syndicats était légale. Elle découlait d'un choix arbitraire du gouvernement d'après-guerre.

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Nathalie Kosciusko-Morizet, ancienne secrétaire d'État chargée de l'écologie, ancienne ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement

C'est une question légitime. Je comprends que nos choix aient suscité des contestations.

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Chacun des responsables politiques que nous avons auditionnés semble avoir fait preuve d'une préoccupation, dès sa prise de fonctions, d'accélérer le développement des énergies renouvelables. Cette semaine encore, l'Assemblée nationale a voté un texte dont c'est l'objectif.

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Nathalie Kosciusko-Morizet, ancienne secrétaire d'État chargée de l'écologie, ancienne ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement

Nous souhaitions doubler la part des énergies renouvelables, en comptant celle de l'hydraulique. Il fallait donc quasiment multiplier par dix la part de l'éolien et du photovoltaïque.

J'ai concentré mes efforts pour augmenter la part des énergies renouvelables en les couplant avec la politique industrielle. La stratégie environnementale ne peut faire abstraction des politiques sociales, industrielles et en matière d'emploi.

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En 2008, quelle place tenait la sécurité d'approvisionnement dans le débat public ?

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Nathalie Kosciusko-Morizet, ancienne secrétaire d'État chargée de l'écologie, ancienne ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement

En 2008, la production était excédentaire au regard de nos besoins. Certes, des questions se posaient pour l'avenir, mais les derniers réacteurs nucléaires du plan Messmer – Chooz et Civaux – avaient été mis en service récemment. Par ailleurs, l'excédent de production a été accru par les conséquences de la crise financière de 2008.

Il n'y avait donc pas de sentiment d'urgence. Lors du Grenelle, la première préoccupation était l'efficacité énergétique, loin devant les considérations liées à la production. Cette situation s'est prolongée durant quelques années.

Des pistes de réflexion sur la production émergeaient toutefois : nous avions ainsi lancé la conception du cahier de charges des visites décennales, dont l'échéance approchait. Nous avons également été à l'origine d'une réflexion qui a abouti après mon départ du ministère sur l'adoption d'un mécanisme de capacités, qui visait à assouplir la pilotabilité des moyens de production. En effet, nous avions conscience que des problématiques pourraient survenir à cet égard. Cependant, le mécanisme de capacités ne relevait pas de mes attributions, puisque la gestion du marché de l'énergie et des grands opérateurs de l'énergie avait été transférée à Bercy.

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Nathalie Kosciusko-Morizet, ancienne secrétaire d'État chargée de l'écologie, ancienne ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement

La campagne de 2007 a donné lieu à des débats internes sur la politique en matière nucléaire. Ma position sur le sujet était assez modérée. J'estimais qu'il était encore trop tôt pour précipiter les choses : il me semblait plus urgent de régler les tensions internes à l'équipe nucléaire française avant de prendre de telles décisions. Nos choix devaient tenir compte du contexte plus global, intégrant par exemple l'utilisation de la chaleur fatale de l'industrie nucléaire qui n'a jamais été valorisée. Je trouvais que la dimension du projet de réacteur pressurisé européen (EPR) – qui consiste en un très gros réacteur centralisé – était peu cohérente avec les évolutions du marché mondial de l'énergie, qui s'orientait davantage vers les petits réacteurs. L'EPR nécessite par exemple d'importantes lignes à très haute tension, qui posent des problématiques spécifiques.

Ainsi, si cette question était légitime et que je n'y étais pas formellement opposée, elle ne me paraissait pas prioritaire. Quelles étaient, au fond, les raisons de construire un si gros réacteur ? Les économies d'échelle étaient avancées comme l'un des principaux arguments. Cependant, ce projet entraînait de nombreux défis, tels que l'équilibre des plaques énergétiques ou l'extraction de l'énergie par les lignes à très haute tension qu'il a fallu construire. En outre, une partie du monde des ingénieurs du nucléaire y voyait un gage supérieur de sûreté. En effet, le réacteur EPR était conçu de telle sorte que des nappes de béton empêchent les fuites de corium en cas de fusion du cœur.

S'il est difficile de trancher ce débat, j'estimais qu'il n'avait pas été assez profondément réfléchi. La décision politique forte que nous nous apprêtions à prendre me paraissait quelque peu prématurée au regard des considérations techniques et du contexte de compétitivité – puisqu'il ne s'agissait pas uniquement de construire ce réacteur pour la France, mais également pour le reste du marché. Nous aurions peut-être dû davantage réfléchir aux petits réacteurs modulaires (SMR).

J'avais exprimé ces opinions durant la campagne de 2007. Je pense qu'elles ont participé du redécoupage des attributions en 2010 : il est possible que la gestion du marché et de la production ait été rendue à Bercy pour ces raisons.

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Vous avez évoqué les tensions entre Areva et EDF. À l'époque où il a été décidé de construire l'EPR, aurions-nous pu plutôt choisir de lancer le réacteur Atmea 1000 d'Areva ?

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Nathalie Kosciusko-Morizet, ancienne secrétaire d'État chargée de l'écologie, ancienne ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement

Le nucléaire et la politique énergétique forment un sujet très politique, mais ils reposent sur des fondements techniques, qu'il faut maîtriser et qui nécessitent un certain investissement. À l'époque, cet investissement aurait pu être plus dense. Le débat a été posé dans des termes très catégoriques : il fallait lancer l'EPR pour ne pas perdre en compétences. Nous avons profité du fait que le réacteur d'EDF semblait prêt pour accélérer notre politique. Des débats d'ingénierie, liés à la question du marché, n'ont pas été menés à leur terme, notamment parce que la construction de l'EPR apparaissait comme un marqueur politique fort. Ainsi, même si le projet n'était pas suffisamment mûr, il semblait urgent de le lancer.

Ces décisions ont été prises dans un contexte de fortes tensions entre EDF et Areva. À mon sens, il fallait d'abord résoudre ce conflit. Sans cela, nous risquions de rencontrer des échecs à l'exportation. Il convenait aussi d'étudier sérieusement les options technologiques et de questionner la taille du réacteur.

Au niveau ministériel, j'ai dû gérer la question des lignes à très haute tension. Ces questions auraient mérité une réflexion plus approfondie.

L'un des problèmes est que la politique énergétique subissait des mouvements de balancier pour de mauvais motifs politiques. L'industrie nucléaire et les partisans de la filière craignaient, comme moi, un nouveau mouvement de balancier si la décision n'était pas prise immédiatement. C'est bien ce qui s'est passé lors de la fermeture de Superphénix ou l'arrêt d'Astrid. En l'absence de consensus national sur la question du nucléaire, cette inquiétude a poussé à l'urgence.

Il est vrai que nous aurions pu attendre un ou deux ans pour mener une réflexion plus aboutie sur certains sujets, et désamorcer les tensions entre EDF et Areva ; cependant, nous avions le sentiment que dès que la gauche revenait au pouvoir, le parti socialiste ne s'intéressait pas à l'écologie et sous-traitait cette question aux Verts, qui cherchaient quant à eux à enfoncer un coin de plus contre la politique nucléaire. Nous pensions donc nous trouver dans une fenêtre d'opportunité pour lancer l'EPR, et qu'il fallait en profiter.

Les politiques énergétiques ont besoin de stabilité et d'un minimum de consensus. Elles doivent dépasser les divergences politiques. Les mouvements de balancier, lorsqu'ils concernent des sujets qui font l'objet d'investissements aussi longs, amènent nécessairement à se tromper – et je pense que nous avons commis des erreurs sur la quatrième génération, victime d'accords politiques parfois mal informés sur le plan technologique – ou à prendre des décisions de manière accélérée.

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Vous expliquez que l'expertise des solutions alternatives manquait quelque peu de densité. Comment cela se fait-il ? Est-ce dû au mouvement de balancier que vous évoquez, qui aurait conduit à ce que moins d'études préalables ou de préoccupations aient été consacrées aux évolutions des technologies nucléaires ou au lancement des chantiers nucléaires ? La France semble pourtant dotée d'un panel d'outils de développement et d'industrialisation du nucléaire. Comment l'expliquez-vous ?

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Nathalie Kosciusko-Morizet, ancienne secrétaire d'État chargée de l'écologie, ancienne ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement

Le conflit entre EDF et Areva a une très grande part de responsabilité dans cette situation. La France dispose d'acteurs divers de très grande qualité. À tous les niveaux de la chaîne, nous avions tous les moyens nécessaires pour prendre de bonnes décisions correctement informées. Cependant, à cette période, le milieu était crispé autour du conflit entre EDF et Areva. Une partie de l'expertise, issue du monde de la recherche du CEA, craignait de se retrouver prise en otage dans cette bataille. Les acteurs se sont progressivement isolés. L'accélération politique, par crainte que la fenêtre d'opportunité que j'ai évoquée se referme, n'a pas pris le temps d'organiser un forum. Le monde militaire, dont les compétences auraient également pu être appliquées au monde civil, n'a pas été appelé à participer au débat.

Je n'ai pas été associée à la décision qui a été prise. En 2007, j'avais exprimé mes positions. J'étais considérée comme la spécialiste de l'écologie dans mon parti, car j'étais en vérité la seule à m'y intéresser, mais je restais encore débutante dans ce système ; par ailleurs, j'étais ingénieure – ce qui n'est pas très répandu dans le monde politique – et je connaissais bien le nucléaire, car mon père avait été le directeur de Framatome qui avait vendu les centrales à la Chine. J'ai donc participé aux discussions dans une certaine mesure ; cependant, comme secrétaire d'État, je m'occupais de la négociation du Grenelle de l'environnement, et lorsque je suis revenue au Gouvernement en tant que ministre, je n'étais en charge que de la sûreté.

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Le compteur intelligent a été lancé à cette période. De quelle manière avez-vous évalué la nécessité d'injecter plus d'intelligence dans le réseau de distribution et de transport ?

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Nathalie Kosciusko-Morizet, ancienne secrétaire d'État chargée de l'écologie, ancienne ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement

L'idée d'un réseau plus intelligent, dont le pilotage serait davantage décentralisé et qui accorderait plus de place aux consommateurs apparaissait innovante. En revanche, des réticences se sont fait entendre sur la mise en œuvre de cette idée. Je me souviens par exemple d'un débat sur les ondes émises par le compteur. Nous y avions notamment répondu en investissant sur les smart grids dans le PIA, en recherche et peut-être en prototypes, si mes souvenirs sont corrects.

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Quelle place le Grenelle a-t-il accordé aux enjeux liés aux matériaux critiques, qui dimensionnent, comme on le voit désormais, la transition énergétique et notamment l'électrification ?

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Nathalie Kosciusko-Morizet, ancienne secrétaire d'État chargée de l'écologie, ancienne ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement

À l'époque, le sujet était embryonnaire. Bien qu'évoqué dans les débats, il n'a pas fait l'objet de politiques ou de programmes.

En matière minière, la décision de mettre fin au projet dit de « la Montagne d'or » en Guyane a servi de préliminaire aux discussions du Grenelle. Les ONG – avec raison – y étaient opposées. Aucune mesure très structurée, cependant, n'a porté sur la question des métaux rares. Les mines avaient aussi été évoquées dans le cadre de la réforme du code minier, afin d'assurer sa cohérence avec les dynamiques coopératives et l'exigence de transparence dans les politiques publiques manifestée lors du Grenelle.

Aux États-Unis aussi, ce sujet devient un enjeu stratégique identifié, qui fait l'objet d'investissements importants, y compris privés. Un investissement de 600 millions de dollars a par exemple récemment été annoncé dans un projet pour développer une base stratégique de production de lithium.

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Vous avez abordé la dimension politique du choix des ONG retenues pour participer au Grenelle. C'est bien le candidat Nicolas Sarkozy qui, dans une volonté d'ouverture, a souhaité montrer que l'écologie pouvait être une politique de droite : il s'agissait donc d'une manière de légitimer l'écologie de droite en invitant à la table des négociations des ONG classées politiquement à gauche, même si elles étaient écologistes et que cette distinction n'a pas toujours de sens. Lorsque vous faisiez partie de l'équipe de campagne, votre proposition de Grenelle reposait bien sur une quête d'un symbole écologiste de gauche pour prendre à revers l'adversaire politique en vue des élections.

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Nathalie Kosciusko-Morizet, ancienne secrétaire d'État chargée de l'écologie, ancienne ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement

C'est une manière de voir les choses. Nous poursuivions toutefois un objectif plus noble : le Grenelle a servi à remédier à des situations de blocage, liées à des postures, y compris administratives – et pas seulement politiques –, sur de nombreux sujets.

Le ministère de l'écologie était petit et son administration était faible. Il se situait dans un rapport conflictuel sur le plan politique et administratif avec les autres ministères –notamment de l'agriculture, de l'équipement ou avec Bercy. Contrairement à l'ensemble des autres ministères, il ne bénéficiait pas d'un corps d'État. Ainsi, un ingénieur d'État qui exerçait dans un autre ministère touchait des primes liées à son corps ; au ministère de l'écologie, il n'en existait quasiment pas. Il n'est donc pas étonnant que cette administration ait été contestée au prétexte qu'elle était militante.

Lors du Grenelle, nous avons réformé et réorganisé les administrations, transformant totalement cette situation. Ce volet administratif, bien que considérable, a été peu publicisé. Pourtant, nous avons réuni dans le même ministère des personnes qui travaillaient précédemment aux ministères du logement, de l'équipement, de l'écologie ou même de l'agriculture. Ce mouvement majeur visait à faire tomber les murs entre des administrations qui représentaient autant de blocages organisés.

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Quel est votre avis sur l'exclusion du nucléaire du Grenelle ? J'entends bien que ce choix visait à éviter de paralyser les débats du Grenelle ou à mettre en difficulté le nucléaire face à des ONG qui y étaient majoritairement opposées. Cependant, l'idée d'extraire le nucléaire du débat public ou parlementaire, en raison des crispations qu'il provoque, n'est-elle pas paradoxale ? En effet, elle condamne soit à ne pas prendre de décisions, soit à en prendre – mais qui ne bénéficient dès lors pas de la même lumière médiatique, politique et parlementaire. Elle engendre dès lors un risque de faire perdre en crédibilité et en légitimité démocratique.

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Nathalie Kosciusko-Morizet, ancienne secrétaire d'État chargée de l'écologie, ancienne ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement

Le nucléaire n'a pas été le seul sujet à avoir été exclu des débats. Il faut d'ailleurs s'entendre sur ce que signifie cette exclusion : il est vrai que les groupes de travail n'ont pas négocié et débattu de ce sujet. C'était aussi le cas de la chasse, par exemple.

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En matière d'implication environnementale, la chasse n'a pas le même statut que le nucléaire, qui produit 80 % de notre électricité.

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Nathalie Kosciusko-Morizet, ancienne secrétaire d'État chargée de l'écologie, ancienne ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement

Je suis d'accord. Nous avons procédé de cette manière, parce que nous avions le sentiment que débattre du nucléaire ne contribuerait pas à progresser. Ce sentiment était d'ailleurs partagé : les ONG auraient pu poser comme condition à leur participation la tenue de débats sur cette filière. Or, elles ne l'ont pas fait, car elles savaient, comme nous, que l'une ou l'autre partie aurait dû céder sur ce point.

Je ne suis pas certaine qu'il aurait été utile d'intégrer des groupes de travail sur le nucléaire. Toutefois, je suis d'accord avec vous : en procédant ainsi, nous avons laissé se propager le sentiment que le nucléaire se développe dans l'ombre du débat public.

Il me semble que nous devrions parvenir à sortir de catégories de pensée quasiment religieuses des deux côtés de l'échiquier. Certains acteurs, qu'ils soient ou non opposés au nucléaire, n'affichent pas une opinion réellement étayée sur le sujet – cette dernière relève parfois plutôt de la foi.

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De quelle manière les engagements du Grenelle concernant la maîtrise de la demande, la sobriété et l'efficacité énergétiques ont-ils été pris en compte par les acteurs, une fois les principaux outils adoptés ? Comment analysez-vous l'insuffisante progression des quinze dernières années par rapport au gisement d'économie d'énergie ?

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Nathalie Kosciusko-Morizet, ancienne secrétaire d'État chargée de l'écologie, ancienne ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement

Les instruments de mise en œuvre du Grenelle ont été si variés qu'il est difficile de porter un jugement global à leur encontre. Certains étaient strictement législatifs, d'autres, législatifs et réglementaires, d'autres encore consistaient à lancer des appels à projets et dépendaient par conséquent de la rapidité avec laquelle les administrations procédaient à les déployer. Plusieurs mesures concernaient des accords volontaires avec les acteurs de la filière. Il faut également prendre en compte la dimension budgétaire de certains instruments, qui avaient besoin de financements. Les vitesses d'exécution ont donc varié.

Encore une fois, je pense que le manque de couplage avec la politique industrielle a été un facteur de ralentissement, en favorisant un processus de stop-and-go. Les sujets sur lesquels nous avons réussi à lancer une base industrielle, participant de la compétitivité nationale, voire, de l'aménagement du territoire, dans certains cas, et d'une politique de l'emploi, n'ont pas suscité de débat. À l'inverse, les objectifs environnementaux qui ne s'accompagnaient pas directement de bénéfices en matière d'emplois ou de compétitivité – du moins, pas à la hauteur de l'investissement qu'ils requéraient – étaient plus tributaires des conditions macroéconomiques : nous pouvions lancer ces mesures lorsque nous avions suffisamment d'argent, mais ils étaient mis à l'arrêt dès lors que nous n'y en consacrions plus.

Le couplage des mesures environnementales avec l'émergence d'une base industrielle est la seule solution pour créer une dynamique positive, à laquelle tous les acteurs se montrent favorables. Certaines des énergies renouvelables, notamment l'éolien terrestre, ont souffert de ces difficultés.

À ce titre, la politique des réseaux de chaleur et du développement de la chaleur renouvelable a été insuffisamment traitée en France. Les centrales nucléaires produisent une quantité importante de chaleur fatale. L'intérêt des petits réacteurs est d'ailleurs que la chaleur qu'ils émettent est plus décentralisée : s'ils sont correctement répartis, cette chaleur peut être utilisée de manière plus pertinente qu'à Flamanville, par exemple. Ces solutions permettent d'éviter un gaspillage d'énergie.

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Vous expliquez qu'il est important de définir des objectifs environnement et d'économies d'énergie et de développer des outils incitatifs pour le consommateur. Vous avez d'ailleurs établi des mesures fiscales comme le crédit d'impôt ou l'emprunt à taux zéro. Vos propos s'appliquent-ils à la politique industrielle, au sens du développement de la filière et des compétences ? Le cas échéant, avez-vous eu le sentiment que lorsque vous étiez en fonctions, cette dimension, assurée par le ministre en charge de l'emploi et de l'industrie, a été suffisamment défendue pour que la rénovation thermique puisse s'effectuer ?

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Nathalie Kosciusko-Morizet, ancienne secrétaire d'État chargée de l'écologie, ancienne ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement

Absolument. La rénovation thermique avait été identifiée comme une politique triplement gagnante : du point de vue de l'environnement – pour lutter contre le changement climatique et éviter le gaspillage énergétique –, des économies qu'elle permet – malgré des horizons de rentabilité relativement longs pour les particuliers, mais avérés – et de l'emploi local. Nous avons donc très rapidement lancé des politiques de formation dans ce domaine, et de certification des acteurs. En effet, l'un des problèmes du Grenelle est que de nombreux acteurs se sont emparés de cette étiquette, de manière parfois trompeuse pour le consommateur. Des politiques de certification et d'accompagnement local par l'Ademe ont permis d'attester de la qualité des travaux réalisés.

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Quels autres éléments que ceux que vous avez mentionnés permettent d'expliquer l'échec relatif de la politique concernant l'éolien terrestre et le photovoltaïque ?

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Nathalie Kosciusko-Morizet, ancienne secrétaire d'État chargée de l'écologie, ancienne ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement

Les deux sujets sont différents. Une base industrielle d'éolien terrestre existe en Europe, mais elle n'est pas localisée en France. Le lancement de notre politique de développement de cette filière a été plus tardif qu'en Allemagne ou dans les pays du Nord. La France représentait une part relativement faible du volume du marché. Dans ce contexte, il était difficile de lancer une base industrielle nationale. Le problème était donc lié à la maturité de cette industrie, qui, par ailleurs, avait pu se développer en Europe.

Le solaire, au contraire, avait fait l'objet d'embryons d'industries en Europe. Dans le cadre du CEA, notamment, des programmes de recherche avaient été entamés dans les années 1970 – trop tôt, peut-être. Ce qui restait de cette base industrielle peinait à se maintenir, tandis que la production de panneaux se développait en Chine. Nous atteignions donc nos objectifs, puisque nous augmentions la quantité de solaire installé ; cependant, une proportion croissante de panneaux chinois était utilisée. Le financement des champs solaires ne bénéficiait que très ponctuellement à l'emploi local – au travers des activités d'installation et de maintenance. Or, je ne trouve pas légitime que le consommateur d'électricité français s'engage à payer sur sa facture les usines de production de panneaux en Chine. Nous avons donc dressé un moratoire – qui n'était pas rétroactif, contrairement à ce qu'ont tenté de faire d'autres pays, qui ont été sanctionnés. Cette situation a été assez mal vécue.

Ce coup d'arrêt n'était pas seulement motivé par des raisons financières : nous n'étions pas satisfaits du déploiement industriel de la filière. Nous avons tenté de remonter des politiques de soutien plus sophistiquées ciblant le solaire innovant. De cette manière, nous pouvions obtenir des spécifications, que nous avons renforcées en demandant des bilans carbone, afin de soutenir l'émergence d'une filière nationale ou européenne. Au départ, nous avons rencontré un peu de succès. Cependant, ces politiques doivent se développer dans la durée ; or, assez rapidement, ces appels d'offres ont abandonné les spécifications que nous avions tenté d'introduire – et qui différaient assez peu de celles adoptées pour l'éolien en mer. Je n'étais plus en fonctions lorsque je l'ai constaté. Je me suis demandé si ce choix découlait d'une volonté d'accélérer le développement des mégawatts installés en faisant baisser les prix. Des responsables de mon ancienne administration m'ont toutefois fait savoir que la Commission européenne s'était montrée plus regardante à ce sujet que sur l'éolien en mer.

Je travaille désormais dans les investissements dans les technologies vertes aux États-Unis. L' Inflation Reduction Act prévoit 700 milliards de recettes, dont 370 milliards seront consacrés au soutien à la politique industrielle verte, et le reste au désendettement de l'État. Le dispositif de financement est donc solide. Le budget de 370 milliards présente des critères de localisation et de développement d'une base industrielle locale robustes. L'un des outils majeurs de cette loi, l' Investment Tax Credit, consiste en un crédit d'impôt pour les investissements dans une vaste catégorie de technologies – le solaire, l'éolien, l'hydrogène, le gaz naturel. Ce crédit d'impôt ne définit pas un taux fixe : plusieurs critères sont nécessaires pour prétendre au taux de 30 %, auquel s'ajoutent ensuite des bonus. Ces critères ont explicitement partie liée avec la politique industrielle. Ils ne consistent pas en des contournements similaires à ceux auxquels nous avons dû procéder dans nos appels d'offres : si le panneau solaire utilisé n'est pas américain, le taux de crédit d'impôt ne sera pas le même.

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Je souhaitais revenir sur l'acceptabilité de l'implantation des énergies renouvelables. Comme secrétaire d'État puis comme ministre de l'écologie, vous avez eu fort à faire, comme vos prédécesseurs et successeurs, pour rendre ces installations plus acceptables. La loi que nous avons votée récemment, qui succède à d'autres ayant pour but de favoriser l'installation d'énergies renouvelables, atteste de l'actualité de ce problème. Quelle a été votre expérience de cette problématique et quelles leçons en tirez-vous ?

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Nathalie Kosciusko-Morizet, ancienne secrétaire d'État chargée de l'écologie, ancienne ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement

Chacun s'accordait à reconnaître l'intérêt du développement des énergies renouvelables, mais personne ne souhaitait les voir s'implanter sur son territoire, en raison – ce qui est légitime – des conséquences sur le paysage et d'une inquiétude que le territoire perde de sa valeur patrimoniale.

J'en conclus qu'il existe trois critères à suivre. Le premier consiste à minimaliser l'impact : plutôt que de répartir de petites quantités d'éoliennes, il convient de respecter un zonage cohérent. Par ailleurs, il est légitime de partager les bénéfices. Il faut toutefois éviter toute opération donnant le sentiment d'acheter les populations. La mise en œuvre des politiques doit se faire de manière juste et découplée, sinon tout le monde y perd, y compris en dignité. Ainsi, nous avions adopté une taxe sur l'exploitation de l'éolien offshore servant à financer une partie du parc amazonien en Guyane. Je ne suis pas opposée par principe à ce type de dispositifs, mais ils ne doivent pas engager les acteurs dans une négociation biaisée. Enfin, le dernier critère est la transparence. Certaines procédures d'attribution des autorisations, notamment dans le cadre du code minier – car les installations qui modifient le paysage font souvent l'objet de procédures plus ouvertes qui laissent plus de part à la contestation – ne sont pas suffisamment claires et établies, et font planer le risque de contentieux qui retardent le déploiement des projets. Je reconnais que ces principes ne sont pas toujours faciles à appliquer.

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Vous semblez mettre sur le même plan l'arrêt de Superphénix et d'Astrid. Pourtant, Superphénix était un démonstrateur en fonctionnement ; l'investissement initial avait été réalisé. En 2019, au terme des études menées, il a été décidé de ne pas construire de démonstrateur.

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Nathalie Kosciusko-Morizet, ancienne secrétaire d'État chargée de l'écologie, ancienne ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement

Les arrêts de Superphénix et d'Astrid procédaient l'un et l'autre d'un accord politique, qui ne reposait pas entièrement sur des fondements techniques.

J'en reviens à la nécessité du temps long pour adopter une politique nucléaire efficace. S'opposer à la quatrième génération – à tort ou à raison – était perçu dans certains milieux écologistes comme une attaque du nucléaire à son talon d'Achille, car cela revenait à remettre indirectement en cause la question des déchets. Je comprends le raisonnement. Je ne sais pas à quel point il est juste ; en renonçant à poursuivre Superphénix ou Astrid, on accepte finalement de rentrer dans cette logique. En tout cas, la question mérite d'être posée dans un cadre différent que celui d'un accord politique, et plus encore en marge d'une campagne présidentielle. Je n'ai pas participé aux discussions sur l'arrêt de Superphénix, mais je doute que la décision ait réellement pris en compte des considérations techniques.

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Nathalie Kosciusko-Morizet, ancienne secrétaire d'État chargée de l'écologie, ancienne ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement

Il est probablement mieux informé que moi ! Cependant, l'arrêt de Superphénix s'est traduit par la prolongation de Phénix. Ce n'est pas cohérent. Il en va de même pour l'arrêt d'Osiris. L'argument sous-jacent n'était pas entièrement technique.

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Vous étiez en fonctions lors de la signature de la convention du projet Astrid. Au moment de l'arrêt de Superphénix et du prolongement de Phénix, quelle était la capacité à capitaliser sur les connaissances ? Même si ce sujet ne relevait pas directement de vos attributions, vous avez probablement un éclairage à nous apporter sur l'orientation qu'avait en tête le Gouvernement au moment de signer la convention d'Astrid. S'agissait-il bien de réaliser les études préliminaires puis de construire un démonstrateur afin de maîtriser la quatrième génération du point de vue expérimental, de la recherche et du fonctionnement ? Ou le projet poursuivait-il de seules fins de recherche ?

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Nathalie Kosciusko-Morizet, ancienne secrétaire d'État chargée de l'écologie, ancienne ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement

Dans le contexte de tensions entre Areva et EDF, le CEA s'est, de mon point de vue, quelque peu rétracté. Cependant, à l'origine, la dynamique dans le secteur du nucléaire était bien plus fluide. Le CEA faisait de la recherche, mais de manière très appliquée, en capitalisant l'expérience nucléaire.

Le projet Astrid contribuait au débat de l'époque, qui a participé au lancement de Flamanville, sur le maintien des compétences d'ingénierie en matière nucléaire. Certes, il ne s'agissait pas exactement du même type d'ingénierie. Cependant, on pouvait identifiait des correspondances. En réalité, le système d'acteurs n'opposait pas le CEA qui aurait seul été chargé d'une recherche purement fondamentale tandis qu'EDF et Areva auraient consacré leurs travaux à la production. D'ailleurs, au moment de l'accident de Fukushima, c'est grâce au milieu de la recherche et aux membres du CEA, qui avaient travaillé en relation avec le Japon, que nous avons pu obtenir des informations sur la situation de la centrale, alors que les canaux de communication officiels étaient coupés.

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Le rapport Roussely, remis en juin 2010, présente une série de préconisations. Certaines, notamment celle portant sur Cigéo, ont été appliquées ; d'autres alertent sur l' urgence d'accélérer le soutien à la prolongation des réacteurs nucléaires, y compris « à soixante ans, à sûreté constante, voire davantage ». En tant que destinataire du rapport, quels échanges avez-vous eus à cette occasion ? Comment avez-vous accueilli cette préconisation ? Des mesures ont-elles été adoptées, ou, du moins, des discussions avec l'ASN ont-elles été entamées pour anticiper le cap des soixante ans ?

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Nathalie Kosciusko-Morizet, ancienne secrétaire d'État chargée de l'écologie, ancienne ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement

Ce rapport a été remis en juin 2010 ; je n'ai été nommée ministre qu'au mois de novembre.

Vous avez employé l'expression de « sûreté constante ». Or, un des principes de la politique nationale en matière de sûreté est qu'elle n'est pas constante : elle doit évoluer au fur et à mesure des avancées technologiques. C'est l'une des différences avec la doctrine de la Commission de réglementation nucléaire des États-Unis.

L'exemple de Fessenheim est révélateur à cet égard. La prolongation du parc était débattue. J'ai lancé l'élaboration du cahier des charges pour les visites décennales. La nécessité de les répartir en différentes phases avait été évoquée. Nous nous intéressions également aux bénéfices et aux inconvénients d'un parc très standardisé : en effet, si l'effet de série peut représenter un avantage, il pose des difficultés en cas de malfaçon. Ces considérations ont des conséquences sur la visite décennale. Enfin, nous réfléchissions aux particularités de certains sites, plus sensibles, soit en raison de leur emplacement géographique – qui peut présenter un risque sismique ou de perte d'approvisionnement en eau – soit pour d'autres raisons techniques plus complexes.

Le site du Fessenheim, en l'occurrence, était assez spécifique. Pour une raison que j'ignore, le radier – sorte de plancher en béton de la centrale – y était plus fin que celui d'autres centrales. Or, l'épaisseur du radier commande la cinétique du passage du cœur fondu en cas d'accident dans la nappe phréatique alsacienne. Lors du lancement de l'appel d'offres, si le cahier des charges était standardisé, il tenait compte des spécificités de certaines centrales. Puisque la doctrine française exige que la sûreté suive l'acquisition progressive des améliorations technologiques, pour prolonger Fessenheim, il aurait donc été nécessaire de s'interroger sur l'épaississement du radier.

Lorsque les visites décennales ont été lancées, les jeux étaient faits. EDF considérait que la décision avait déjà été prise. Ainsi, il me semble que la centrale de Fessenheim n'a pas été intégrée aux visites décennales : nous ne savons donc pas s'il était techniquement possible d'épaissir le radier ni combien cela aurait coûté.

Ainsi, l'ASN est indépendante, mais les avis qu'elle rend ont des conséquences potentielles sur des choix de politique énergétique qui ne relèvent pas de cette instance.

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Le radier de la centrale de Fessenheim a été épaissi en 2013.

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Nathalie Kosciusko-Morizet, ancienne secrétaire d'État chargée de l'écologie, ancienne ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement

Il me semble qu'il aurait fallu l'épaissir davantage lors de la visite décennale, car l'épaisseur n'atteignait pas le niveau de sûreté de la troisième génération. Or, la cuve – qui est la seule composante d'une centrale qui ne peut être remplacée – de Fessenheim ne permettait pas d'épaissir le radier autant que nécessaire.

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La recommandation du rapport Roussely a bien pour intitulé « soutenir l'extension de fonctionnement des centrales à soixante ans, à sûreté constante ». Il s'agit probablement d'une imprécision plutôt qu'une remise en cause du choix normatif français.

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Nathalie Kosciusko-Morizet, ancienne secrétaire d'État chargée de l'écologie, ancienne ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement

C'est tout de même curieux, car cet intitulé est contradictoire avec la doctrine. Je n'ai pas eu l'occasion d'échanger avec M. Roussely.

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Vous êtes revenue sur les raisons expliquant le retard de la France dans le développement des énergies renouvelables. La faiblesse – ou l'absence – de la filière industrielle en France participe en effet du retard accumulé, en particulier sur le photovoltaïque, mais aussi sur l'éolien. Ne peut-on pas également identifier parmi ces causes le poids de l'obsession du marché – et de sa main invisible – dans ce domaine, alors que le nucléaire a, de son côté, toujours reposé sur l'État ? En effet, Flamanville n'est pas le seul exemple d'une installation nucléaire qui ait fait abstraction d'une consultation publique ou parlementaire : c'est le cas de toute l'histoire du nucléaire. Or, précisément parce qu'elle forme un système, l'électricité devrait être prise en main par l'État et non laissée à la main du marché – y compris pour le développement des énergies renouvelables.

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Nathalie Kosciusko-Morizet, ancienne secrétaire d'État chargée de l'écologie, ancienne ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement

Le marché seul ne peut pas construire une politique énergétique, mais cela ne signifie pas qu'il n'a pas de rôle à jouer. En effet, le marché suit une logique d'optimisation à court terme. Une politique énergétique équilibrée nécessite au contraire une programmation à long terme de la part de l'État, sur la recherche, le réseau, le stockage, les capacités pilotables, l'équilibre entre la base et le reste. Le marché ne prend pas en compte toutes ces dimensions.

Il faut trouver des systèmes dans lesquels cette programmation nécessaire laisse suffisamment de liberté aux acteurs locaux et industriels et qu'elle parvienne à créer un effet de levier sur des investissements privés. La transition énergétique nécessite des ressources telles que l'État ne peut les prendre intégralement en charge. Nos appels d'offres sur l'éolien offshore définissaient des zones et des critères pour développer une base industrielle ; mais ils étaient destinés à des acteurs privés, qui se sont chargés de la construction des installations. Enfin, pour que tout cela fonctionne, une visibilité suffisante doit être donnée aux acteurs privés pour qu'ils investissent à long terme. C'est précisément ce que permet l'Inflation Reduction Act : les États-Unis proposent un dispositif octroyant 3 dollars par kilo d'hydrogène vert produit, avec un engagement pour dix ans envers les producteurs.

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L'État vient de racheter pour quelques milliards les dernières actions d'EDF qu'il ne possédait pas. Cet opérateur est endetté à hauteur de 60 milliards d'euros, tandis que le grand carénage représenterait un coût de 100 à 150 milliards d'euros.

Le 3 janvier 2012, l'ASN vous a remis un rapport, à votre demande et à la suite à Fukushima, mettant en balance la question de la sous-traitance et celle de la sûreté des installations. Pourriez-vous nous apporter des précisions sur ce rapport ?

Les sous-traitants reçoivent 80 % des doses reçues par les agents qui interviennent sur les centrales. N'est-ce pas là la véritable raison pour laquelle EDF préfère qu'ils restent externalisés ? Ne serait-il pas souhaitable d'internaliser cette main-d'œuvre afin de conserver cette compétence ? En effet, 80 % des événements majeurs sont imputables à une erreur humaine.

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Nathalie Kosciusko-Morizet, ancienne secrétaire d'État chargée de l'écologie, ancienne ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement

Après Fukushima, nous nous sommes effectivement interrogés sur les enjeux liés aux compétences. L'un des problèmes de la sous-traitance est qu'elle entraîne une rupture de la continuité.

Votre question soulève deux dimensions. La première est le suivi des personnels, afin de s'assurer qu'aucun agent, à aucune période de sa carrière, n'est exposé à des doses supérieures à celles qui sont autorisées. Cette exigence s'applique tant aux opérateurs qu'aux sous-traitants.

Par ailleurs, la question des sous-traitants soulève celle de la continuité des compétences. Dans ce débat, il avait été demandé à EDF de procéder à une revue de compétences et de la sous-traitance au titre de la continuité et de la construction des compétences. J'ignore quelles suites y ont été données : en effet, le rapport a été remis en janvier 2012, et j'ai quitté le ministère le 14 février 2012.

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Un accident similaire à celui de Fukushima est-il exclu en France ? Plusieurs de nos centrales sont situées en bord de mer ou en zone inondable. Il est question de construire deux nouveaux EPR à Penly, sur un polder, ainsi qu'à Gravelines, sur un site entièrement offshore. Est-il raisonnable de relancer la construction de nouvelles centrales, alors que le prototype d'EPR 2 n'est pas encore au point, que les installations de gestion des déchets ne sont pas dimensionnées pour en accueillir des quantités supplémentaires issues de nouvelles centrales, et que le changement climatique fait peser des risques de sécheresse et de réchauffement des cours d'eau ?

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Nathalie Kosciusko-Morizet, ancienne secrétaire d'État chargée de l'écologie, ancienne ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement

Un accident exactement tel que celui de Fukushima ne pourrait vraisemblablement pas se produire en France, mais la question n'est pas là. L'absence de risque de tsunami ne nous dispense pas d'en tirer des leçons : ce que nous enseigne cet accident, c'est le risque induit par une série de suraccidents sur un site nucléaire, le coupant du monde et créant une situation de potentiel emballement. Dans les évaluations complémentaires de sûreté, nous avons donc tenté d'en tirer les enseignements que je vous ai décrits.

Vous avez évoqué la question des déchets. Il me semble que votre groupe fait preuve d'inconséquence à s'être tant battu contre la quatrième génération tout en pointant désormais du doigt le problème des déchets. Je suis la première à dire qu'il est mensonger de parler de recyclage pour la filière des déchets nucléaires : en réalité, la filière n'est pas bouclée. C'était l'enjeu de tous ces travaux de recherche. Il faut donc bien les poursuivre et trouver des solutions.

S'agissant du réchauffement climatique, je comprends le problème que vous soulevez. Cependant, la quantité d'eau nécessaire pour refroidir un réacteur mis à l'arrêt en situation de crise ou d'urgence et la quantité d'eau nécessaire pour fonctionner à plein dans la durée n'est pas identique. L'un des problèmes de Fukushima n'était pas le manque d'eau, mais le fait que les pompes de refroidissement étaient noyées. Le changement climatique doit être intégré à nos réflexions : il ne soulève en général pas un problème de sûreté, mais davantage de compétitivité, puisqu'il peut affecter la production en raison des difficultés d'approvisionnement en eau qu'il génère.

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Le nucléaire repose sur un temps bien plus long que celui du politique et de ses alternances. Le 31 août 2019, l'arrêt du programme de recherche Astrid a été expliqué par le directeur de cabinet d'Édouard Philippe, lors de son audition, par la complexité de la majorité politique et le coût jugé trop important. Ainsi, c'est davantage Bercy qui est responsable de ce choix, qui rend difficile notre quête de souveraineté et fragilise notre résilience.

Selon vous, quel est le bon mix ? Il faudra certainement lancer des programmes par une loi, sur un temps long cohérent avec celui qu'impose le nucléaire.

La souveraineté – notamment énergétique – ne saurait être atteinte sans un appui fort de l'État, même si ce dernier n'est plus en mesure, sur le plan financier, de l'assurer – ce qui rend nécessaire de faire appel à des investisseurs. L'engagement national est donc nécessaire. Or, nous faisons partie d'un marché public de l'électricité européen. Comment réconcilier ces dimensions ? Nous en sommes venus à perdre quasiment notre souveraineté économique, en raison d'un coût de l'électricité bien trop élevé lié à l'obligation de marché européen. Comment sortir provisoirement de cette tarification européenne ?

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Nathalie Kosciusko-Morizet, ancienne secrétaire d'État chargée de l'écologie, ancienne ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement

Je suis d'accord avec vous sur la nécessité d'inscrire les politiques énergétiques dans le temps long, au-delà de l'alternance politique. Les arrêts de Superphénix et d'Astrid me paraissent avoir été dictés par des accords ou des équilibres politiques. En parallèle, la décision d'accélérer le développement du projet de Flamanville, que nous aurions pu approfondir davantage, forme aussi une réaction à la crainte de voir se refermer la fenêtre d'opportunités. Nous bénéficierions tous de réflexions sur le sujet moins crispées, débouchant sur des choix collectifs partagés et inscrits dans la durée. Un choix collectif ne fait pas toujours l'objet d'un accord unanime. Il repose sur un compromis : on se met d'accord dur un mix. La politique énergétique est enfermée dans des choix idéologiques particulièrement dommageables sur un sujet qui nécessite du temps long et qui intègre des dimensions technologiques aussi complexes et évolutives.

Le bon mix serait donc celui qui susciterait un accord collectif, dans la durée, et dont le cap serait maintenu. Il ne laisserait personne à l'écart. C'est aussi celui qui permettrait de contribuer au développement une base industrielle nationale forte, et qui laisserait leur place à des objectifs stratégiques importants en matière de nucléaire. Le bon mix, selon moi, intégrerait une base nucléaire et une base de recherche qui garantirait à la France de conserver sa place dans le concert international, ainsi que des énergies renouvelables en portant l'accent sur celles permettant de développer l'emploi et une politique industrielle locale qui participe de notre compétitivité.

Nous avons peu parlé de l'Europe. Il me semble que nous nous sommes laissé imposer un certain nombre de choix par l'Allemagne, dont la structure de production et, par conséquent, les intérêts divergent des nôtres. Ces choix ont donc pénalisé nos intérêts nationaux. Or, tous ne se sont pas révélés pertinents, y compris en dehors du nucléaire : il était question en Allemagne, par exemple, de développer des terminaux méthaniers. Les Russes ont assuré aux Allemands que Nord Stream 2 rendait ce projet inutile. La France peut se féliciter de bénéficier de davantage de capacités en la matière, notamment en termes de stockage stratégique. Or, le dispositif européen a, selon moi, généralement davantage penché du côté de la structure de production de l'Allemagne.

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Madame la ministre, je vous remercie pour la précision des réponses que vous nous avez apportées.

La séance s'achève à 16 heures 35.

Membres présents ou excusés

Présents. – M. Antoine Armand, M. Francis Dubois, M. Maxime Laisney, M. Raphaël Schellenberger.

Excusée. – Mme Valérie Rabault.