Commission d'enquête sur le montage juridique et financier du projet d'autoroute a

Réunion du mardi 16 avril 2024 à 9h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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La séance est ouverte à neuf heures trente.

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Nous poursuivons nos travaux consacrés aux hypothèses économiques et sociales qui ont justifié le choix de recourir à l'autoroute A69 pour améliorer la liaison entre Toulouse et Castres .

Je souhaite la bienvenue à M. Jean-Marc Offner, urbaniste, ancien directeur de l'agence d'urbanisme Bordeaux Aquitaine, membre de l'Institut national de recherche sur les transports, enseignant à Sciences Po Paris et à l'École des Ponts.

Une infrastructure autoroutière constitue un équipement majeur. En irriguant un territoire, elle induit de nombreuses conséquences sur la démographie, la localisation de l'habitat ou encore les activités économiques. Elle est à la fois un élément d'une politique d'aménagement du territoire et le catalyseur d'activités qui seront les conséquences de son existence. Aussi souhaitons-nous avoir votre éclairage sur ce qu'une autoroute apporte à un territoire et réfléchir plus particulièrement avec vous sur ce que l'autoroute A69 peut apporter au Sud du Tarn et au bassin d'emploi de Castres-Mazamet. Je rappelle qu'il s'agit d'un projet de longue date souhaité par les élus locaux et dont la genèse, portant d'abord sur l'élargissement de la route nationale, remonte aux années 1980.

Je vous rappelle que notre audition est publique et retransmise sur le portail de l'Assemblée nationale.

Monsieur, bien que vous ne soyez pas directement concerné par l'autoroute, je vous demande préalablement, en application de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, et de dire « je le jure ».

(M. Jean-Marc Offner prête serment)

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L'amélioration de la liaison routière entre Toulouse et Castres a été portée durant plusieurs décennies par les élus communaux, départementaux et régionaux. Leur demande initiale, qui était celle d'un élargissement de la route nationale et de son aménagement, moins consommateur de terres, pouvait être qualifiée de raisonnable, en particulier dans ce département du Tarn où les terres sont particulièrement riches et la biodiversité extrêmement dense. Pour des raisons budgétaires, l'État n'a malheureusement pas soutenu cette démarche et a imposé une autoroute, mettant à la charge des seuls usagers un équipement qui aurait pu relever de la solidarité nationale.

Votre audition doit nous permettre, grâce à votre expérience, d'évaluer ce qu'un tel équipement peut apporter à un territoire. Au sein de l'article L. 1111-3 du code des transports, que j'ai évoqué au sein du questionnaire qui vous a été adressé, il est indiqué que « la programmation des infrastructures et le déploiement de l'offre de services de mobilité permettent d'assurer le maillage des territoires à faible densité démographique, par l'organisation de dessertes à partir des grands réseaux de transport par au moins un service de transport public ou par l'organisation de solutions de mobilité répondant aux besoins de déplacements de la population ». En lien avec cet article, qui est la déclinaison de la loi d'orientation des mobilités du 24 décembre 2019, nous souhaitons vous faire part d'une interrogation qui a émergé au cours de nos auditions, celle de l'enclavement de Castres-Mazamet, qui est l'argument principal utilisé dans les documents préparatoires à la déclaration d'utilité publique (DUP) et à l'autorisation environnementale. Est-il réellement pertinent d'utiliser cet argument pour une ville desservie par la route, le rail et un aéroport, et dont les liaisons aériennes sont d'ailleurs subventionnées par l'État ? Ne serait-il pas plus exact de considérer que le débat porte sur une modernisation des infrastructures, mais que l'argument du désenclavement est artificiel ou en tout cas qu'il ne justifie pas nécessairement la mise en place d'une autoroute, en lieu et place de l'aménagement d'une route nationale, sur toute une partie de son parcours ?

Je vous ai adressé un questionnaire qui a, comme à l'accoutumée, été envoyé à l'ensemble de mes collègues, afin qu'ils disposent tous du même niveau d'information quant au sens que je souhaite donner à nos auditions.

Vous constaterez que je m'interroge également sur les conséquences d'une métropolisation croissante de l'Occitanie, phénomène d'aménagement du territoire qui s'observe au niveau national et qui me semble particulièrement intéressant. Notre débat du jour sera d'autant plus riche que les membres de notre commission d'enquête sont, pour une large part, des élus d'Occitanie.

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Jean-Marc Offner, urbaniste

J'ai effectué une carrière de plus de trente ans de recherches sur les questions de mobilité, d'articulation entre réseaux et territoires, mais également sur la planification urbaine et territoriale, ainsi que sur la gouvernance. Je dispose d'une formation initiale à la fois en ingénierie et en sciences sociales, et je me suis donc beaucoup intéressé à l'articulation entre les processus d'évaluation et la décision politique. À la suite de ces trente années consacrées à la recherche et à l'enseignement supérieur, j'ai été, durant treize ans, directeur de l'agence d'urbanisme Bordeaux Aquitaine, avec des missions opérationnelles axées sur la conception et la mise en œuvre de l'action publique. Mes exemples seront donc davantage centrés sur l'Aquitaine que sur l'Occitanie.

Pour commencer avec le terme d'enclavement, un territoire est considéré comme enclavé dès lors qu'il est étranger à son environnement. À titre d'exemple, l'une des enclaves célèbres en matière géopolitique est celle de Kaliningrad, anciennement Königsberg, territoire russe au sein de pays étrangers, qui illustre les phénomènes d'amplification des effets de frontières et de discontinuité territoriale. Il s'agit donc d'un concept relatif et d'une question de modalités d'insertion dans des réseaux d'échanges, qui sont nombreux et au sein desquelles cette insertion peut être réalisée de multiples manières.

Je reviendrai ultérieurement sur la situation particulière de Castres et sur la question de son éventuel enclavement. Je tiens avant tout à préciser qu'un enclavement ne doit pas forcément être considéré comme une donnée négative. Je citerai à cet égard deux exemples, résumés par des titres de journaux. Dans le journal Le Monde, en 2015, il était écrit : « Bretagne, une région aisée mais qui souffre de son enclavement. » Pourquoi la Bretagne souffre-t-elle de son enclavement alors qu'elle est aisée ? Et en 2014, « la grève d'Air France met en lumière l'enclavement de Toulouse. Sans TGV et à la merci des grèves d'Air France, la capitale régionale se révèle mal desservie et isolée ». Bien que Toulouse et la Bretagne soient des territoires français dynamiques, ils sont présentés comme enclavés et, de ce fait, en souffrance. L'idée d'enclavement est en fait très relative... Est-ce véritablement un problème pour Toulouse de ne pas être desservie par le TGV ? Nous avons là une manière de penser l'insertion dans les réseaux selon laquelle une grande ville qui ne dispose pas encore de sa liaison TGV doit nécessairement en être dotée. Il en va de même pour la Bretagne, car bien que Quimper et Brest ne bénéficient pas de ces flux, cet éloignement géographique structurel peut également constituer un atout pour d'autres types de projets territoriaux. Ces exemples me permettent de mettre évidence le fait que des échanges autour des réseaux d'infrastructures (qu'il s'agisse de réseau ferroviaire, de TGV, de routes, de métros, de tramways ou de réseaux d'énergie) s'accompagnent de registres argumentaires différents suivant les périodes de développement des réseaux. Or les évaluations préalables à l'intérêt des projets ne prennent pas en compte cette manière de penser les réseaux.

Il y a trente ans, j'ai écrit dans L'Espace géographique, qui est la revue francophone de référence en matière de géographie, un article intitulé « Les effets structurants du transport : mythe politique, mystification scientifique ». Cette publication, largement citée à la fois dans et hors du monde académique, a été tellement reconnue que la revue a fait, en 2014, un dossier sur l'article vingt ans plus tard. J'ai toutefois été interpellé par le fait que personne n'a véritablement remis en cause ma thèse, d'un point de vue scientifique, technique ou intellectuel. Cette idée d'effets structurants et d'impacts a ainsi perduré, et continue d'alimenter les discours politiques et médiatiques sur les réseaux de transports. Je souhaite donc aujourd'hui, avec vous, tenter de comprendre la force de cette mystification scientifique et la perpétuation de ce mythe politique qui continue à servir d'argument pour ces projets d'infrastructure.

Je reviendrai tout d'abord sur ce terme de mystification scientifique. De nombreuses études de suivi ont été effectuées en France ou à l'étranger, dans différents cadres, par exemple à Lyon pour l'arrivée du métro ou du TGV. Or la plupart de ces études, dont les conclusions apparaissent trop hâtives, peuvent être blâmées pour leur manque de rigueur. À Bordeaux, l'arrivée du TGV est notamment rendue responsable par la population comme par les élus de l'augmentation des prix de l'immobilier. Toutefois, le seul constat que les prix de l'immobilier ont évolué en comparaison de l'époque où le territoire ne disposait pas du TGV ne saurait être probant. La méthode de la photographie avant/après, encore largement utilisée, ne permet en aucun cas de tirer des conclusions sur les impacts et il serait préférable de disposer de tendances, d'étudier les changements liés à l'arrivée du TGV.

La méthode la plus rigoureuse, dans des études d'évaluation postérieures, consiste à comparer la situation effective avec la situation nécessairement virtuelle de ce qui aurait pu advenir si l'autoroute, le TGV ou le métro n'étaient pas arrivés mais, à l'exception des situations dans lesquelles les acteurs disposent d'un recul historique suffisant ou de multiples études de cas, il est rare qu'elle soit employée. En pharmacologie, l'unique méthode réellement légitime et rigoureuse est l'expérimentation en double aveugle, qui consiste à observer quels effets surviennent après la distribution d'un placebo et d'un vrai médicament, sans que ni le médecin ni le patient sachent lequel est donné. Bien qu'elle soit difficilement applicable au secteur des politiques publiques, les pratiques s'en approchent dans les pays anglo-saxons et scandinaves, où la culture de l'évaluation est bien ancrée. Aux États-Unis par exemple, si un État expérimente un dispositif tel que le permis de conduire à 16 ans, tandis qu'un autre ne l'expérimente pas, les impacts sont mesurés et étudiés. La rigueur est donc supérieure. Nous avons naturellement tendance à trouver des liens de cause à effet et à expliquer ainsi nos constats.

Il arrive néanmoins que nous parvenions à être méthodologiquement rigoureux. Je peux citer à cet égard l'exemple historique de la desserte par le chemin de fer des villes moyennes françaises au XIXe siècle, et les implantations de gares sur lesquelles des études existent. De la même façon, les observatoires français sur les autoroutes permettent de disposer d'un suivi de longue durée, à l'image de la thèse de François Plassard sur les autoroutes et le développement régional.

En laissant de côté la nécessaire critique méthodologique et en prenant le temps et les précautions indispensables, nous pouvons proposer la conclusion suivante : les infrastructures de transport amplifient et accélèrent certaines tendances préexistantes. Il s'agit d'une conclusion consensuelle, y compris au sein d'organismes tels que les héritiers de la Délégation interministérielle à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale (DATAR), pourtant axée sur une vision proactive des infrastructures. Une nouvelle infrastructure de transport crée, grâce à l'augmentation des vitesses, un accroissement de l'accessibilité et une dilatation des aires de marché ou zones de chalandise pour les services, les produits, l'habitat et l'emploi. Ainsi l'aire de marché résidentielle pour les habitants de Castres et de Toulouse s'élargit-elle grâce à la construction de l'A69. Cet élargissement des aires de marché ne fonctionne toutefois que pour certains services ou produits, pour lesquels l'élargissement de l'aire de chalandise est pertinent. Dès lors, la concurrence s'accroît, entraînant ainsi une amplification de situations préexistantes pour la santé économique des acteurs du territoire.

Afin d'éclairer mon raisonnement, je citerai deux exemples qui concernent le TGV Paris-Lyon, autour duquel, outre l'importante augmentation du trafic, peu de phénomènes structurants sont à souligner. Il se trouvait à Lyon des entreprises spécialisées dans le conseil aux PME, historiquement développées, qui n'existaient pas à Paris. Le TGV, grâce auquel l'aller-retour pouvait être effectué dans la journée, a ainsi permis à ces consultants lyonnais de trouver de nouveaux marchés dans la capitale. Le second exemple est celui des tours opérateurs qui ont permis aux touristes japonais de passage à Paris de faire l'aller-retour dans la journée pour aller découvrir la gastronomie lyonnaise le temps d'un déjeuner. Ces illustrations, bien qu'anecdotiques, visent à faire comprendre cette notion d'élargissement de la zone de chalandise.

Les élargissements d'aires de marché n'ont en revanche de pertinence que pour des sujets bien précis. À l'inverse, un boucher alpin, qui vend sa viande à des prix supérieurs au marché aux habitants qui n'ont pas accès à un hypermarché, sera désavantagé par la création d'une voie express ou d'une autoroute grâce à laquelle la clientèle du village adoptera d'autres comportements de consommation. L'autoroute ou la voie express élargissent ainsi l'aire de marché du boucher qui n'est pas suffisamment concurrentiel, mais à son détriment.

Ce mécanisme explique donc les constats de l'amplification et de l'accélération des tendances préexistantes, dont les territoires favorisés profitent, à l'inverse des territoires en souffrance. Un autre exemple est celui de Bordeaux, où le TGV est arrivé en 1990, faisant passer la liaison avec Paris de 4 heures 30 à un peu plus de 3 heures, sans pour autant qu'on observe d'effet significatif, Bordeaux étant alors une ville peu dynamique. Dès 2014 en revanche, le trajet s'effectuant en 2 heures, les tendances existantes telles que l'attractivité démographique et la hausse des prix de l'immobilier se sont trouvées renforcées.

Sur le sujet précis des autoroutes, je citerai l'exemple de la liaison entre Pau et Langon. Le président de la région avançait, à l'époque, l'argument de l'enclavement de Pau qui, du fait de sa situation, à 2 heures de Bordeaux, subissait une diminution du nombre de ses habitants. Le périmètre institutionnel, avec le territoire pris en considération, joue donc sur cette notion. Le maire de Bordeaux avançait, quant à lui, l'argument de la cohésion territoriale. Le trafic sur cette autoroute s'est, finalement, avéré plus faible que prévu, entraînant une augmentation des coûts de péage en vertu de laquelle les arguments liés à la sécurité sont devenus caducs. Les bilans ont non seulement montré que cette liaison n'avait entraîné aucun effet, mais également que les projets de zones d'activité ou d'échangeurs avaient été lancés sans coordination.

L'emploi du terme de mythe politique se justifie ainsi par le fait que le dogme des effets structurants n'est, d'une part, pas démontré par les recherches scientifiques, mais qu'il s'avère également contre-productif par rapport à la manière dont une infrastructure peut être valorisée. En croyant à des effets automatiques et à des relations de cause à effet, la puissance publique perd ainsi ses capacités à valoriser au mieux ces infrastructures.

Pour terminer sur ce premier aspect de la mystification scientifique, il est important de comprendre les effets de synergie. Bien que nous ne soyons pas dans le cadre des relations de cause à effet, il existe néanmoins des convergences de mutation, à l'exemple des changements dans les comportements de déplacement. Il s'agit notamment des situations où les individus délaissent la voiture au profit des transports en commun ou délaissent ces derniers au profit du vélo. Si nous étudions ces changements, toute chose égale par ailleurs, nous constatons qu'une nouvelle offre de transport n'entraîne pas de modification des comportements de déplacement. En revanche, s'il existe une rupture dans le cycle de vie du ménage, le comportement lié aux modes de mobilité est susceptible d'évoluer. Il convient donc de délaisser la notion de relation de cause à effet au profit de l'idée d'une amplification et d'une accélération des tendances, ainsi que d'une recherche de synergies. Aussi, en prospective sur la meilleure action concernant la gestion des processus de décision liés aux infrastructures, leur mise en œuvre et leur accompagnement, ces effets de synergie me semblent-ils essentiels.

En conclusion, aucun effet structurant n'est associé au transport, le mot même d'impact est trop fort, mais des accompagnements sont, selon les opportunités et les contextes, liés notamment aux synergies avec d'autres mutations du territoire, nécessaires. Dès lors, pourquoi le mythe politique perdure-t-il ? Et pourquoi les médias relaient-ils fortement cette vision, à l'image du TGV ou de l'autoroute Pau-Langon, censés tout changer ? Une première raison, peu satisfaisante, consiste à considérer qu'il est toujours plus aisé, voire pédagogique, d'expliquer le changement par une relation de cause à effet univoque. Cela consiste, par exemple, à expliquer que les Parisiens envahissent Bordeaux en raison du TGV, alors même qu'ils n'ont pas envahi Metz ou Strasbourg, qui possèdent pourtant le TGV. Depuis trente ans, Rennes, Nantes, Bordeaux, Toulouse ou Montpellier bénéficient d'une attractivité démographique que n'ont pas les autres métropoles et qui ne se résume pas à leur accessibilité en TGV. Au-delà de l'argument de l'effet structurant et de la simplicité de l'analyse, il est nécessaire d'observer l'évolution des argumentaires au fil de la morphogenèse du réseau.

Les autorités politiques locales s'appuient sur les grands projets pour démontrer l'utilité de l'action publique, alors que l'avenir semble être davantage au ménagement qu'à l'aménagement, et que les questions de gestion, d'entretien ou de maintenance devraient occuper une plus grande place. Les grands projets étant plus faciles à financer, en ce qu'il est notamment plus aisé de prévoir des financements spécifiques, l'action publique démontre une propension à les favoriser. S'agissant des infrastructures, l'exemple des routes démontre que l'utilité de leur aménagement varie. Les empires et les royaumes les ont construites pour guerroyer et les républiques pour symboliser et faire fonctionner un territoire politique. Lorsque Louis XI crée et développe la poste royale, il développe concomitamment les routes afin de façonner les limites du territoire sur lequel il règne. Il en ira ensuite de même avec la route, puis le fer, à travers lesquels les royalistes et les républicains souhaiteront montrer qu'ils s'occupent des campagnes. En termes d'évolution du réseau, une première phase consiste donc à tracer des lignes, qu'elles soient royales ou impériales, sans que la notion de réseau soit encore présente. Dans l'histoire récente, les lignes de TGV, à l'image de la liaison Paris-Lyon, précèdent l'émergence d'un réseau de TGV, qui apparaîtra progressivement. Les argumentaires peuvent ainsi différer en fonction de la phase de maturité du réseau : les raisonnements se fondent tout d'abord sur des notions de lignes ou de tronçons, jusqu'à ce que le service rendu devienne suffisamment intéressant pour penser son développement en réseau. De nouvelles lignes vont alors être créées jusqu'à ce que le développement en réseau amène à considérer le service rendu comme indispensable, dans des secteurs tels que l'électricité, l'énergie ou les télécommunications. On parle alors de service universel. Il s'agit du raisonnement relatif à internet, sans lequel nous ne pouvons pas vivre en société, ou relatif à l'électricité et au gaz dans les villes par le passé : si certains en disposent, tout le monde doit en disposer. Il en va de même pour les réseaux de transport et, s'agissant des réseaux d'électricité ou de téléphone, l'espace peut être couvert et maillé dans sa totalité. Les chemins vicinaux ont été construits suivant une logique similaire, en allant jusqu'au plus près de la production de blé, jusqu'à aboutir, à la fin du XIXe siècle, à l'unification du marché du blé en France.

Cette idée, bien qu'elle soit similaire dans les transports, ne peut se traduire de la même manière. Par exemple, en raison des dispositifs techniques, il est impossible d'installer une station de tramway ou une gare TGV au pied de tous les logements. Pour fonctionner correctement, ces réseaux doivent donc être hiérarchisés : TER puis TGV, ou encore route départementale, nationale, puis autoroute. Or hiérarchiser signifie sortir de l'égalitarisme territorial et implique l'impossibilité de mailler totalement le territoire ou d'y superposer le réseau. Dès lors, des jalousies naissent, à l'image des villes périphériques qui sollicitent des arrêts que la SNCF n'est pas techniquement en mesure de proposer. Des compromis doivent donc être trouvés entre une inégalité de traitement justifiée par l'efficacité du service et des revendications d'égalité territoriale légitimes. L'histoire des autoroutes est, à plusieurs égards, similaire. La nécessité de trouver cet ajustement entre l'impossible couverture universelle et une forme d'égalité a ainsi conduit à l'invention du principe de « trente ou quarante minutes pour accéder, depuis chez soi, à un échangeur routier ou une gare TGV » formalisé par la loi Pasqua. De la même manière la construction du métro de Fulgence Bienvenüe s'est-elle accompagnée du principe selon lequel aucun habitant de Paris ne devait se trouver à plus de 300 mètres d'une station. Le plan Freycinet de développement du ferroviaire en France prévoyait quant à lui, au XIXe siècle, une gare dans chaque chef-lieu. La France a donc œuvré, historiquement, à introduire une norme d'égalité, liée au territoire et non aux individus.

Il convient, pour conclure, de souligner que ce mythe de l'effet structurant n'est pas propice à la bonne gouvernance de la décision. Il est donc nécessaire de s'en détacher et d'accepter l'idée de l'amplification des tendances ainsi que la notion de synergie, afin de bien gérer la décision et la mise en œuvre des infrastructures. Cela implique de se préoccuper des tendances préexistantes, d'anticiper les aires de marché et les zones de chalandise qui seront affectées, positivement ou négativement, par l'infrastructure, et de coordonner les mesures d'accompagnement pour assurer correctement la valorisation du territoire ou prévenir, au moyen de contre-mesures, les souffrances que pourrait causer la nouvelle offre. Ce discours, bien que convenu, se trouve légitimé par la critique du mythe de l'effet structurant associé aux projets collectifs. Un dernier exemple pourrait être celui du TGV Bordeaux-Toulouse. Si j'ai pu entendre, à son sujet, de nombreux arguments favorables ou défavorables, je n'ai en revanche jamais entendu parler d'un projet de coopération entre les deux villes. Bien que les deux agences d'urbanisme œuvrent, depuis longtemps, en faveur de l'idée d'une métropole à deux têtes, plusieurs raisons ont conduit les autres acteurs à se désintéresser du projet. Or, même si cette ligne n'a pas pour principal intérêt le désenclavement de Toulouse, elle permettrait en revanche de faire naître d'intéressantes et fructueuses coopérations entre les deux cités. Mais cela doit être anticipé, préparé en donnant un sens territorial à l'infrastructure.

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Aujourd'hui député de la troisième circonscription du Tarn, j'ai eu la chance de travailler, pendant quinze ans, en tant avocat au barreau d'Albi et connais donc bien le bassin d'emploi de Castres-Mazamet ainsi que la situation de l'agglomération albigeoise. Je souhaite donc tenter d'apporter une contradiction à vos propos, en la fondant non pas sur une expertise de spécialiste, mais sur le ressenti d'une personne ayant travaillé au sein de ce territoire et y étant élu depuis sept ans. L'exemple que vous évoquez concernant les conséquences de l'arrivée du TGV entre Paris et Bordeaux ne me semble pas pouvoir être transposé à l'arrivée de cette infrastructure autoroutière entre Toulouse et Castres-Mazamet. Castres-Mazamet, qui est un bassin d'emploi de 80 000 personnes, est le seul, au sein de l'Occitanie, à ne pas être relié à Toulouse par une infrastructure autoroutière. C'est en revanche le cas de Foix, de Tarbes, de Montauban et d'Albi, et la réalisation de cette infrastructure routière me semble découler, davantage que d'une volonté des élus locaux de valoriser leur action à travers un grand projet, de la nécessité de régler une problématique d'égalité des chances vis-à-vis de ce territoire qui demande à être désenclavé. Aussi, si j'entends les nécessaires précautions qui doivent être prises à l'égard du terme de désenclavement, du fait de sa relativité, j'estime que d'autres notions peuvent être avancées autour de de l'attractivité d'un territoire. Celui-ci souffre en effet en termes d'emploi, à l'image des chefs d'entreprise qui se plaignent de ne pas parvenir à recruter un ingénieur. Il en va donc de sa survie économique.

Il me semble également possible d'établir un parallèle entre cette infrastructure routière et les situations différentes des axes Toulouse-Albi et Toulouse-Castres. Si les préfectures albigeoise et castraise se situent toutes deux à environ 75 kilomètres de l'agglomération toulousaine, l'une bénéficie d'une infrastructure autoroutière tandis que ce n'est pas le cas de l'autre. Or il est flagrant d'observer le développement économique de l'agglomération albigeoise, et notamment la façon dont les secteurs situés le long de cette infrastructure autoroutière ont pu en bénéficier. Des villes telles que Saint-Sulpice-la-Pointe, Lavaur, Rabastens ou Gaillac connaissent aujourd'hui un important développement économique, qui ne s'observe pas sur l'axe entre Toulouse et Castres, dans des villes telles que Cuq-Toulza, Maurens-Scopont ou Puylaurens. La différence est donc évidente entre la situation observée sur la desserte entre Toulouse et Albi et ce qui est aujourd'hui attendu avec cette desserte entre Toulouse et Castres.

J'ajoute que les attentes concernant les emplois sont véritablement majeures. Je citerai l'exemple de la société IMS Networks, située sur le Causse, dans la zone industrielle de Castres, et spécialisée dans la cybersécurité, qui m'a indiqué avoir renoncé depuis des années à embaucher des ingénieurs en raison du manque d'attractivité du territoire. Ces chefs d'entreprise, pourtant sincèrement attachés à leur territoire, se retrouvent ainsi dans l'obligation de délocaliser une partie de leur activité à Toulouse, seul moyen d'accéder à cette manne d'ingénieurs. Des exemples similaires pourraient être évoqués concernant l'ensemble des secteurs d'activité, à l'image des personnes en charge de la psychiatrie à Castres que je recevais la semaine dernière dans ma permanence. La psychiatrie, découpée entre le Nord et le Sud du Tarn, doit faire face à d'importantes difficultés de recrutement de médecins psychiatres dans le secteur Sud, alors que la capitale albigeoise est adéquatement pourvue. Je peux également, pour illustrer davantage mon propos sur ces différences, évoquer nos deux tribunaux judiciaires. Situés à Albi pour l'un et à Castres pour l'autre, ils traitent des volumes d'activité quasiment identiques. Or on dénombre cinquante avocats inscrits au barreau de Castres contre le double au barreau d'Albi. Pourquoi un avocat, qui sort de l'école de Toulouse, souhaite-t-il s'installer à Albi plutôt qu'à Castres, alors même qu'il gagnerait mieux sa vie à Castres ?

Il me semble donc nécessaire d'apprécier la problématique en termes d'attractivité du territoire, et je n'estime pas que les notions de croyance ou de mythe politique soient pertinentes pour cette infrastructure autoroutière. Il existe un réel enjeu, illustré par les appels à l'aide de ces chefs d'entreprise issus de divers secteurs d'activité, autour de la survie économique et de l'attractivité de leur territoire. Alors, même si cette infrastructure autoroutière ne règlera pas toutes les problématiques, une comparaison objective peut être réalisée entre la manière dont s'est développée l'agglomération albigeoise par rapport à l'agglomération Castres-Mazamet, particulièrement pour le développement économique le long de la structure.

Aussi, si j'entends vos observations relatives aux prétendues attentes concernant le développement de Bordeaux et si je vous remercie pour vos propos et vos vastes compétences, j'estime que les périmètres et les données diffèrent. Je tenais simplement à partager mes observations d'élu local, qui côtoie aujourd'hui les entreprises du territoire et peut donc énoncer des constats sur la situation économique d'un bassin d'emploi. Cette autoroute, si elle ne règlera effectivement pas tous les problèmes, me semble représenter une partie de la solution, singulièrement pour l'attractivité du territoire.

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Nous voyons clairement, après le plaidoyer de M. Terlier en faveur de l'autoroute, combien peuvent se heurter les éléments objectifs, scientifiques ou tirés de l'expérience. Dans le cadre de son audition, M. Yves Crozet a qualifié le secteur des transports de « monde de chimères », tandis que vous employez le terme de mythe politique. Ces deux propositions me semblent rejoindre toute la complexité de la réponse quant à ce qu'une infrastructure routière, ferroviaire ou aérienne peut ou non apporter à un territoire. Les propos de M. Terlier font également écho à la question de la norme d'égalité que chacun revendique, de façon légitime, concernant son territoire. Vous avez d'ailleurs fait référence à la loi Pasqua, qui avait tenté de traiter la définition de l'enclavement par la facilité d'accès. Cette même recherche de caractérisation se retrouve dans une proposition de loi sénatoriale, qui propose une autre définition juridique de l'enclavement. Elle prévoit qu'au 31 décembre 2025, aucune partie du territoire français métropolitain continental ne soit située à plus de 50 kilomètres ou 45 minutes d'automobile d'une unité urbaine de 1 500 à 5 000 emplois, soit par le biais d'une autoroute ou d'une route aménagée pour permettre la circulation rapide des véhicules, soit à plus de 60 minutes d'automobile d'une gare desservie par une ligne à grande vitesse. Or, selon ces définitions, la ville de Castres n'est pas enclavée. Elle dispose en effet d'une unité urbaine qui compte davantage d'emplois que ne l'indique la proposition des sénateurs, et bénéficie par ailleurs d'une route, d'une voie ferrée et d'un aéroport. Malgré cela, de nombreux acteurs du territoire font état de la nécessité d'une autoroute, là où l'aménagement de la route nationale 126, plus économe en termes de terres, de biodiversité et de financement, aurait été amplement suffisant.

Aussi, au regard des données dont nous disposons aujourd'hui, et particulièrement de la nécessité de bâtir un avenir qui soit davantage au ménagement qu'à l'aménagement, estimez-vous toujours pertinente, au-delà du cas de l'A69, la poursuite incessante d'un aménagement de territoire destructeur de zones naturelles, de biodiversité et de terres agricoles ? J'ajoute qu'au regard du coût du péage, qui sera supporté par les usagers de façon extrêmement importante, nous risquons de nous orienter vers une situation similaire à celle de la liaison Pau-Langon que vous évoquiez précédemment. En résumé, que représente aujourd'hui, pour vous, l'aménagement du territoire ?

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Jean-Marc Offner, urbaniste

La métropolisation, que vous avez précédemment évoquée, me semble représenter le meilleur cadre de référence, et j'estime qu'il peut exister une métropolisation heureuse. Le concept, qui ne se réfère pas à une concentration plus importante, la hiérarchie urbaine découlant de l'existence même des villes, vise à traduire l'idée d'un fonctionnement croissant des territoires en réseaux, à la fois locaux et mondiaux. La métropolisation est en effet fille de la globalisation économique, mais pas seulement, et lorsqu'un étudiant albigeois part faire ses études à Toulouse et revient régulièrement chez lui, cela participe également de la métropolisation. Lorsqu'Angoulême décide de lier son destin à celui de Bordeaux et que des échanges naissent dans les secteurs de la bande dessinée ou du jeu vidéo, il s'agit également d'un processus de métropolisation. Le bassin de vie du quotidien devient ainsi un réseau de vie plus élargi, y compris pour des motifs liés aux loisirs, à la santé ou à la culture, qui ne sont pas de l'ordre du motif quotidien. L'idée qui découle de ce concept de métropolisation est celle de l'émergence d'une interdépendance, et non d'une dépendance, en l'occurrence qu'Albi ou Castres ne dépendent pas de Toulouse, mais que des Toulousains se rendent également à Albi et à Castres. Il est nécessaire que les échanges se produisent dans les deux sens, afin que l'on n'assiste pas à une périurbanisation qui pourrait être problématique du point de vue de la compacité de nos territoires. Les urbanistes rêvent, depuis toujours, à des configurations polycentriques, dans lesquelles les centres sont affirmés et possèdent des configurations spécifiques. Il est complexe de répondre à des questions liées aux infrastructures sans qu'un projet de métropolisation n'existe. Si l'expression de métropolisation heureuse peut prêter à rire, l'interdépendance au sein des territoires est toujours une vertu, l'autarcie et l'entre-soi n'étant pas souhaitables. Cette interdépendance doit néanmoins être structurée, et imaginée en accord avec les dynamiques locales. Quelles sont les ressources d'Albi, au sens économique, culturelle, de formation, comparées à celles de Castres ? Lorsque les universités décident, par exemple, de délocaliser une première année d'étude d'enseignement supérieur, elles ne le font pas systématiquement à Bordeaux, mais parfois à Angoulême. Les interdépendances sont ainsi pensées de façon positive entre une métropole et ses villes alliées.

Si nous sommes globalement conscients des vertus de la réduction du nombre d'infrastructures et de projets d'investissement, notamment au regard de nos engagements liés à la décarbonation, certains investissements d'infrastructures restent utiles, voire nécessaires. L'élément central me semble être le projet de territoire et, en l'occurrence, le projet d'un système territorial articulant Toulouse et les six, sept ou huit villes moyennes qui l'entourent. Ce n'est qu'à partir de là que l'utilité de l'infrastructure nouvelle pourra être déterminée.

Quant à la décision de construire une autoroute au lieu d'élargir la route nationale, l'action publique est malheureusement tributaire de certains dispositifs de financement. Il serait probablement souhaitable d'inventer un financement grâce auquel les autoroutes serviraient également à financer les routes dès lors que les usagers sont aussi des contribuables, afin que l'intérêt collectif national puisse également profiter de ces financements.

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Un état des lieux ayant été effectué sur la zone Sud du Tarn, je tenais à évoquer le Nord du département, où les maires se plaignent que leurs villages soient devenus des dortoirs. Ils dénoncent également les importants coûts supplémentaires, à l'exemple de l'assainissement, qu'ils n'ont pas les moyens d'assumer. La fermeture des écoles s'accompagne en outre de difficultés pour accueillir les nouveaux arrivants, tandis que les temps de trajet sont considérables, compte tenu de l'éloignement des collèges et des lycées. Si Albi et Castres ont chacune leur hôpital, la psychiatrie est maltraitée dans notre département, les déserts médicaux sont nombreux et ces problématiques ne seront pas résolues par l'autoroute. Le taux de chômage, ainsi qu'en témoignent les chiffres de l'Insee, est plus élevé à Albi qu'à Castres. Une faculté se trouve à Albi et un campus ainsi qu'une école d'ingénieurs à Castres, cette dernière n'étant donc pas sous-dotée.

Je retiens de votre analyse, monsieur Offner, que l'argumentaire du désenclavement est un mythe politique qui décrédibilise les scientifiques et alimente la sphère médiatique. Il ressortirait des observations concernant le lien entre autoroute et développement régional que les territoires dynamiques profitent de l'arrivée d'une autoroute, tandis que les plus fragiles en pâtissent. Les développements permis par l'infrastructure concernent une part minime des acteurs, et toujours les plus importants. Du fait de l'accélération des tendances existantes, les entreprises fragiles souffrent encore davantage. L'argument sécuritaire, déployé par de nombreux élus, paraît quant à lui caduc dès lors que le trafic diminue, ce qui est le cas sur l'axe Castres-Toulouse depuis plusieurs années. Ainsi, comment s'y prendre pour analyser et préciser les besoins et les choix démocratiques de mobilité, et pour définir ainsi des solutions multimodales adaptées, y compris ferroviaires ?

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Jean-Marc Offner, urbaniste

La gouvernance du système de déplacement n'existe pas. Les autorités organisatrices de la mobilité sont, en effet, restées organisatrices des transports. Les mots ont un sens, qui diffère selon que l'on évoque les transports, les déplacements ou la mobilité. Dans notre monde, la mobilité prise au sens conceptuel est un mode de vie qui se réfère au déploiement dans le temps et dans l'espace d'un programme d'activité. À un type de mode de vie sont liées des activités spécifiques, qui peuvent être effectuées à domicile, à côté, ou plus loin. Or il n'existe pas de gouvernance de cette mobilité et le système de pilotage public, qu'il soit national ou local, s'intéresse uniquement à l'offre de transport, c'est-à-dire à des flux de voitures, de vélos ou de passagers. Personne ne se demande, et il s'agit là de la notion de déplacement, d'où viennent les personnes, où elles vont et pourquoi. De nombreux déplacements ne sont en outre pas recensés, en raison des contraintes techniques liées aux enquêtes. Historiquement, les politiques sont donc axées sur le transport au sens d'une offre d'infrastructure ou de services, sans vision multimodale des déplacements.

Je plaide ainsi pour l'invention d'une autorité organisatrice de la mobilité, au sens le plus large du terme. Il est possible de considérer que la loi d'orientation des mobilités a confié cette tâche aux régions, mais les régions, leurs élus et leurs techniciens ont largement, par le passé, légitimé et rendu visible leur présence politique en construisant des lycées et en faisant rouler des TER. Il semble plus pertinent de prendre pour base de départ les cultures professionnelles dans les régions, alors que celles-ci devront apprendre et s'acculturer longuement sur ces questions de mobilité.

Un autre secteur totalement lacunaire est celui de l'exploitation de la route. Dans l'espace périurbain, de nombreuses routes sont à inventer. Les routes départementales doivent notamment être transformées, pour devenir les nouvelles voiries de ces territoires périurbains, à condition de parvenir à les densifier et à les compacter, en permettant les mobilités douces et la circulation facilitée d'autres modes de déplacement. De même dans les lotissements, où la voirie est à réinventer. Mais ces problématiques sont délaissées, en raison de la division des compétences par la propriété des voiries. De la circulation sur les voiries naît le besoin d'opérateurs de réseau. Au début de l'automobile en France, ce rôle était dévolu aux frères Michelin avec leurs cartes, leurs guides et leurs bandes de jalonnement, qui avaient intérêt à ce que le réseau automobile se développe, permettant que les routes ne soient pas des tronçons, mais plutôt un réseau dans son ensemble. Cette autorité organisatrice de l'exploitation de la route reste donc à inventer.

Quant à la question de l'intermodalité et du transport ferroviaire, j'estime, pour votre région, qu'aux RER métropolitains doivent être préférés les services express régionaux métropolitains. Le RER est un modèle parisien avec, au bout de chaque ligne, quelques millions d'usagers que l'on ne retrouve pas dans les métropoles. L'une des lois fondamentales de l'économie des transports étant la massification des flux, des millions d'habitants entraînent une massification dans le RER, des centaines de milliers une massification dans les métros ou les tramways, et des milliers dans les autocars ou les voitures partagées, ces dernières étant considérées comme le transport collectif du périurbain. La question essentielle, en cas de développement des services ferroviaires, est celle des gares, toujours en lien avec le projet territorial. Cela pourrait consister à partir des infrastructures, d'un schéma des pôles, des nœuds et des hubs de mobilité, dont certains peuvent être des gares et des trains. J'insiste donc sur ce point, sans pour autant plaider pour une nouvelle réforme législative ou institutionnelle, car cela peut se réaliser au niveau technique, avec des agences d'urbanisme ou des syndicats mixtes de mobilité. La boîte à outil existe, mais nous avons pris l'habitude de ne pas considérer à la bonne échelle et dans toute la profondeur du concept ces questions de mobilités.

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Nous avons évoqué l'impact du millefeuille administratif sur la question des mobilités, qui doivent concerner l'analyse des modes de vie et pas uniquement la question des transports. Or un acteur s'occupe du vélo, l'autre du train, l'autre de la route, et le dernier décide pour une autoroute ; les évolutions et les visions globales des intermodalités ne sont pas prises en compte, et l'A69 en est une flagrante illustration. Dans ce dossier ont été analysés les reports entre route et autoroute, et les aspects financiers. La vision que vous avez évoquée concernant le projet territorial, à mettre en place au départ, avant que soient étudiées les options envisageables d'une route ou d'une voie ferrée, pourrait être la réponse à ce besoin ou ce désir de modalités.

Je vous remercie de nous avoir fait, aujourd'hui, partager vos travaux et vos passionnantes recherches. Je souhaite que vous répondiez également par écrit aux questions plus précises que je vous ai posées dans le questionnaire, afin que nous puissions disposer d'éléments écrits sur des questions plus particulièrement liées à l'A69.

Nous constatons que les questions relatives à l'A69, en matière d'aménagement du territoire, ont pu se poser et obtenir malheureusement la même réponse pour l'axe Pau-Langon, mais également pour d'autres projets autoroutiers. Je précise que la ville d'Auch, qui n'est pas reliée par une autoroute à un bassin de vie, dispose d'un PIB plus important que celui du bassin albigeois. Rodez, qui n'est pas non plus reliée par une autoroute et dispose de routes payées par la solidarité nationale, dispose quant à elle d'un PIB plus important que celui de Castres. Quant à Tarbes ou Perpignan, qui sont des villes disposant d'une autoroute, elles souffrent d'un taux de chômage bien plus élevé que celui de Castres ou d'Albi. Ces données statistiques démontrent combien il est complexe de déterminer l'impact d'une infrastructure sur le dynamisme d'un territoire. Le processus de métropolisation a tendance à suivre le fil du bitume et à se prolonger vers des communes qui la subissent, avec des villes moyennes qui perdent en potentiel.

Au-delà de la complexité de ces sujets, nous sommes au moins certains des impacts définitifs qu'aura l'autoroute sur la biodiversité et l'artificialisation des sols. Notre raisonnement devrait aujourd'hui être entièrement tourné vers ces questions de préservation de notre habitat et de notre planète.

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Vous avez pu, monsieur Offner, prendre connaissance des différentes visions qui s'expriment. Au-delà des statistiques et de ce que l'on peut souhaiter faire dire aux chiffres, se trouvent les attentes du territoire et de celles et ceux qui, depuis plus de trente ans, souhaitent voir arriver le désenclavement de leur territoire. Si j'ai bien entendu les précautions qui doivent entourer l'emploi de ce terme et si j'ai conscience que cette infrastructure autoroutière ne suffira pas à régler la totalité des problématiques du territoire, elle contribuera néanmoins à accroître son attractivité. Je vous invite une nouvelle fois à observer l'évolution de la métropole albigeoise grâce à la structure qui la dessert, car le développement qui s'y est créé me semble être un bel exemple de réussite et de désenclavement par une infrastructure autoroutière. Le Sud du Tarn nourrit de profondes attentes à l'égard de ce projet, la situation actuelle étant vécue comme une profonde inégalité territoriale et les acteurs qui portent depuis longtemps ce projet, qu'il s'agisse de la région, du département où des élus locaux, aspirent avec impatience à cette infrastructure.

La séance s'achève à onze heures cinq.

Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Christine Arrighi, Mme Karen Erodi, M. Jean Terlier

Excusé. - M. Frédéric Cabrolier